– Par Claude Marcil –

Avril, début des années 30 de notre ère

Les chrétiens sont foutus. Même les chrétiens sont d’accord, ils sont complètement foutus. Leur chef vient d’être crucifié à Jérusalem comme un criminel; Pierre, son bras droit, le premier des Apôtres, a nié le connaître; un membre de sa garde rapprochée l’a trahi, les autres se sont volatilisés. Quant aux quelques centaines de ses disciples, ils se cachent un peu partout en Palestine. En effet, les disciples sont dans un état de désillusion et d’abattement total, les Évangiles l’avouent sans ambages. « Tous s’enfuirent et l’abandonnèrent », disent-ils.

Pendant trois ans, tous ont cru aveuglément aux belles paroles de ce prédicateur itinérant, ce Jésus qui promettait une vie éternelle. L’agitation mineure dans ce tout petit territoire aux marges de l’immense Empire romain est terminée.

Selon les Évangiles, le troisième jour après la mise au tombeau de Jésus, des faits étranges se produisent: une femme, Marie Madeleine, puis des disciples, voient Jésus. Il leur parle, les encourage, les exhorte à poursuivre l’œuvre commencée. Ils sont convaincus, sans le moindre doute, persuadés, sûrs d’avoir revu vivant celui qui était mort sur la Croix.

Qu’ils y croient ou non, l’historien ou le non-croyant doivent constater que ces hommes traqués, témoins des apparitions, retrouvent leur confiance et, galvanisés, sortent de leurs cachettes pour annoncer la résurrection de leur maître. Il faut maintenant en convaincre les autres Juifs, ceux de la Palestine et ceux de la diaspora.

« Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.» (Matthieu 28, 19) []

Empire romain, an 1

Certains franchissent les frontières de l’Empire romain et se dirigent vers les Juifs de l’Irak et de l’Iran actuels et même plus loin. Deux siècles plus tard, les chrétiens de l’Inde raconteront qu’ils ont été convertis par l’apôtre Thomas. Mais la majorité font le tour des nombreuses synagogues de l’Empire romain; les Juifs sont peut-être six ou sept millions sur un total de quelque 50 millions d’habitants. Partout, les premiers chrétiens cherchent à les convaincre que Jésus est le Messie qu’annonçait la Bible, qu’il est celui que les Juifs attendent depuis si longtemps. Nombreuses et longues discussions. Mais c’est à Jérusalem que le premier conflit entre Juifs et chrétiens éclate.

La Palestine compte alors 600 000 habitants avec un vaste choix de sectes juives, sadducéens, pharisiens, esséniens, la secte de Qumran etc., qui dialoguent entre eux, se méprisent ou s’ignorent. S’ajoutent maintenant les chrétiens.

Ils prient au Temple de Jérusalem et suivent les rites juifs comme tout le monde. Ils font bien des gestes nouveaux : partage du pain, baptême de l’eau, mais c’est tout ce qui les distingue des autres Juifs. S’il y a des chicanes, elles relèvent du débat interne au judaïsme. On est en conflit de famille.

L’Église de Jérusalem commence à prendre forme sous la direction de Pierre et de Jacques le Juste (le frère de Jésus selon la plupart des historiens).

Contrairement aux apôtres, les juifs de la diaspora, assimilés à la culture grecque, ont une foi agressive. Ils se sont établis à Jérusalem après avoir vécu des années dans les villes grecques d’Égypte ou de la Turquie et du Liban actuels. Ces nouveaux chrétiens s’attaquent à l’autorité du Temple. Ce qui est très grave; le Temple est le seul authentique édifice de Dieu sur terre, le seul et unique endroit dans le monde où un Juif peut offrir des sacrifices à Dieu. Au début des années 30, Etienne, un des chrétiens de la diaspora, blasphème contre le Temple. Il est lapidé à la grande joie d’un spectateur, un zélé de Tarse (Turquie actuelle), une ville qui fait partie depuis longtemps du monde grec.

Ce zélé, Paul, est né juif mais il a la nationalité romaine, obtenue on ne sait comment. Élève du sage Gamaliel, le rabbin le plus célèbre de sa génération, très attaché à la loi de Moïse et au Temple, les deux piliers de la religion juive, il voue une haine féroce aux Juifs attirés par les chrétiens.

Peu après la mort d’Etienne, alors qu’il se dirige vers Damas (Syrie) pour y disperser un groupe chrétien récemment implantée, Jésus lui apparaît…

Dramatique conversion! Paul, avec la bénédiction de l’Église de Jérusalem, va désormais employer son zèle au service de l’Évangile.

L’apôtre Paul. Peinture de Rembrandt.

Avec Barnabé, un notable de Chypre, il se rend d’abord dans les synagogues d’Antioche (Turquie), la troisième ville de l’Empire romain, où il tente de convertir les Juifs. Mission difficile, voire impossible: ils sont parfois menacés et malmenés. Ils se tournent vers les Grecs et les Romains pour leur annoncer l’Évangile. Succès et grosse question: les convertis païens doivent-ils se faire circoncire? Paul et Barnabé croient que non.

Problème fondamental: est-ce que le message du Christ s’adresse à tous les hommes, ou aux Juifs seulement? Perplexes, les chrétiens d’Antioche dépêchent Paul et Barnabé à Jérusalem pour demander conseil.

Aux alentours de l’an 49, les chrétiens de la ville sainte se réunissent et, après de longues délibérations, écoutent, pour conclure, les interventions de Pierre et de Jacques le Juste. L’un et l’autre déclarent qu’il ne faut pas « tracasser les païens qui se convertissent à Dieu ». Ils ne sont pas tenus de se faire circoncire et de suivre les lois de Moïse (l’alimentation cachère, par exemple). L’Église se détache de la religion juive, premier signe d’indépendance de cette religion naissante qui a maintenant un mandat universel; elle s’adresse à tous. Paul: « il n’y a plus de différence entre Juifs et Grecs, hommes et femmes, libres et esclaves, habitants de l’Empire et Barbares.» (Les Barbares, c’est-à-dire, par définition, les peuples qui ne parlaient ni grec, ni latin.)

Légalement citoyen romain, intellectuellement grec, spirituellement juif, Paul détient les trois cartes majeures pour pénétrer par la grande porte dans le monde gréco-romain et répandre la foi chrétienne à travers l’Empire. Paul fait le tour des capitales provinciales de l’Orient romain, Antioche, Thessalonique (Grèce) etc., avant de se rendre à Rome.

Au début, les empereurs, les Romains, distinguent mal les chrétiens des Juifs et de fait le christianisme se diffuse surtout dans les synagogues.

Première persécution

Il y a une cinquantaine de groupes chrétiens, surtout en Orient lorsque, dans les années 60, une série d’événements met en danger le christianisme naissant. En 64, Rome brûle; Néron cherche un bouc émissaire et déclenche une persécution contre les chrétiens qui sont crucifiés ou brûlés vifs pour éclairer les jardins de l’empereur. Les apôtres Pierre et Paul y trouvent la mort.

En 66, les Juifs se révoltent contre l’occupant romain. Cela aboutit quatre ans plus tard à la chute de Jérusalem; les armées de Titus rasent complètement le Temple. Il n’en reste qu’un mur, toujours debout aujourd’hui : le mur des lamentations. Jacques le Juste mort quelques années plus tôt, les chrétiens de Jérusalem dispersés, l’Église de Jérusalem perd toute importance, les chrétiens n’ont plus de centre de référence. Les Juifs non plus.

Les Juifs serrent les rangs autour des orthodoxes, les plus stricts observants de la loi de Moïse, rejettent les autres sectes juives, dont les chrétiens, et se replient sur la synagogue. L’étude de la loi de Moïse remplace le Temple détruit. Progressivement, les liens unissant les Églises chrétiennes aux synagogues se relâchent. Vers l’an 100, ils sont presque partout rompus.

100-200 : Le siècle de tous les dangers

La nouvelle foi qui vient de se séparer du judaïsme ne s’apparente pas encore à une vraie religion: Le christianisme naissant réserve une bien petite place aux rites; régulièrement, les fidèles s’assemblent chez l’un d’eux; après la récitation des prières et la lecture d’un passage des Évangiles, ils partagent le pain et le vin en mémoire du dernier repas pris par Jésus et ses apôtres. Jusqu’autour de 150, le christianisme représente plus un mode de vie qu’une religion.

Au début, les chrétiens n’ont pas besoin de textes sacrés. Les témoins encore vivants de l’époque du Christ racontent ce qui s’était passé, et le récit se transmet de bouche à oreille. Aux environs de l’an 70, les Évangiles commencent à être recueillis et diffusés. Celle de Marc d’abord, puis les autres. Puis d’autres textes venus d’on ne sait où.

Parmi les chrétiens, toutes sortes de philosophies fleurissent, plus abracadabrantes les unes que les autres et qui défendent la vérité de leurs propres écrits. Ainsi, les partisans du gnosticisme opposent le Dieu des juifs, un ange mauvais qui a créé le monde d’ici-bas, à un Dieu bon et caché; puis il y a les fidèles de Marcion qui renient la Bible hébraïque et préconisent la continence absolue, ceux de Montan, qui prophétisent en Asie mineure un message apocalyptique et la fin du monde. Le problème est qu’elles sont toutes populaires.

Les chrétiens réalisent qu’il faut passer tout cela au crible avec soin pour déterminer les livres qu’ils devraient considérer comme “inspirés”. À partir de 150, l’Église cherche à trier le bon grain de l’ivraie, acceptant certains textes, les quatre Évangiles, les Épîtres de Paul, l’Apocalypse etc., en rejetant d’autres -comme l’Évangile de Saint Thomas- appelés apocryphes autrement dit inauthentiques et inutilisables, en raison surtout de leur excès dans le merveilleux. Des détails se sont glissés dans la tradition populaire; les noms des mages, par exemple, et la présence dans la crèche de Bethléem, d’un bœuf et d’un âne dont l’haleine réchauffait le nouveau-né.

Vers 200, c’est à peu près terminé. Ces Évangiles viennent donc, vers la fin du premier siècle, se substituer progressivement à une multitude de textes dispersés, et à toute une tradition orale.

L’Église s’organise considérablement entre 100 et 200. L’évêque, gardien de la doctrine s’impose partout progressivement. Pour communiquer entre elles, les Églises, qui fonctionnent sur un mode collégial, convoquent des réunions (synodes). A l’époque, l’Église de Rome n’est pas plus importante que ses grandes sœurs d’Orient. Vers 200, on reconnaît aux évêques de certaines villes importantes Rome, d’Alexandrie, Carthage etc., une prééminence sur une région entière. Ainsi paré, avec une organisation solide et des textes sacrés, le christianisme peut survivre à une bataille serrée avec l’Empire romain.

Vers 200 les empereurs font très bien la distinction entre les juifs et les chrétiens. Les citoyens de l’Empire aussi. En général ils les détestent.

La religion romaine avait été accueillante à tous les dieux. Il existe même à Rome un temple dédié aux dieux inconnus. Dans l’Empire romain, on emprunte le nom d’un dieu ici, un attribut là, au gré des conquêtes et des contacts avec les peuples étrangers. On sacrifie à la Grande Mère pour la gloire de l’empereur comme on sacrifie à Jupiter. Car, pour l’Empire, la vérité est non dans l’amour d’un seul, mais dans la crainte de tous.

Pourtant, les chrétiens sont suspects aux autorités, haïs du peuple, méprisés par les intellos. Pourquoi?

La doctrine chrétienne n’a apparemment rien pour séduire. Elle enseigne la mortification de la chair, le jeûne, etc., encourage la chasteté dans ce monde païen où toutes les satisfactions de la chair sont permises. Elle demande aux fidèles d’être parfaits « comme votre Père céleste est parfait ». Elle exige des adeptes qu’ils aiment leurs ennemis et fassent du bien à ceux qui les haïssent. Expliquer ça aux Romains!

De plus, ils adorent comme un dieu un criminel dûment condamné par un magistrat romain au plus infâme des supplices, celui de la croix, réservé aux agitateurs, aux pirates et aux esclaves.

Le Romain moyen est hostile aux chrétiens. Ces derniers sont des étrangers; ils parlent grec. Ils viennent pratiquement tous des basses classes, plusieurs sont esclaves. La croix, un instrument de torture, est leur symbole!

La secte considère sa religion comme la seule véritable et s’entoure du plus grand secret pour la pratiquer. La rumeur publique accuse les chrétiens des pires crimes.

Les chrétiens s’appellent entre eux frères et sœurs. On murmure qu’ils pratiquent l’inceste. Ils communient, mangeant le corps et le sang du Christ; on dit que dans leurs réunions secrètes, ils égorgent un enfant pour boire son sang et manger sa chair; que dans leur désir insensé d’expiation, ils appellent le malheur sur l’Empire et se réjouissent des désastres publics comme d’un châtiment mérité.

Tout comme les premiers chrétiens avaient tenté de convaincre les juifs que la foi en Jésus était l’accomplissement des Écritures, les chrétiens vers 200 essaient de prouver que le christianisme est « le couronnement de toute la quête inspirée menée par les philosophes grecs ». Les intellectuels rigolent. De même, la survie de l’âme chrétienne est rejetée par tous les esprits cultivés. En somme, les milieux cultivés méprisent le christianisme, qu’ils considèrent comme une religion simple destinée à soulager de pauvres gens.

Justement, cette religion soulage. Dans tout l’Empire romain, les nouveaux chrétiens se recrutent parmi les esclaves, les mendiants, les ouvriers manuels, les paysans, les vieilles femmes, les pauvres et les gens sans éducation. Peu de riches et de nobles se convertissent.

Les persécutions commencent. Elles sont ponctuelles et locales entre 100 et 200 :

Les chrétiens sont punis pour ce qu’ils sont, non pour ce qu’ils font. Ils sont plus victimes de la haine qui anime l’opinion publique et du zèle des gouverneurs que d’une volonté politique de répression. Les chrétiens servent souvent de boucs émissaires : pour la peste de 162, ramenée d’Orient par les soldats; quand des tribus germaniques passent le Danube en 164, etc.

Les supplices réservés aux chrétiens, livrés aux fauves, crucifiés, torturés en public, nous semblent aujourd’hui extraordinairement violents. Ils le sont, mais sans volonté particulière de s’acharner sur eux — ce n’est que le reflet d’une société violente. Néanmoins, une fois la persécution passée, les chrétiens sont de nouveau admis, à défaut d’être véritablement tolérés. Aucune volonté d’exterminer les chrétiens en tant que tels. Pas encore.

Le courage des martyrs chrétiens a vivement frappé leurs contemporains; les persécutions ont plutôt fortifié les communautés chrétiennes, comme le dit Tertullien, « le sang des chrétiens est une semence ».

Réduite à la clandestinité, l’Église puise alors toute sa force dans l’intensité de sa vie intérieure, centrée autour de la célébration de l’eucharistie, le partage du pain et du vin, qui rappelle le dernier repas de Jésus avec ses apôtres; la liturgie commence à s’organiser (les deux grandes fêtes étant Pâques et la Pentecôte); le culte, proscrit par les lois de l’Empire est célébré chez les particuliers ou dans les cimetières souterrains (catacombes).

Pendant cette période 100-200, les chrétiens n’apparaissent pas encore assez dangereux pour qu’on les recherche et les extermine systématiquement. Aucune législation générale les concernant n’existe avant 200.

L’affrontement

Après l’apogée qu’il connaît sous Trajan et Hadrien, l’Empire romain entre, à partir de l’an 200, en décadence. Il est menacé à l’intérieur par une perte de confiance des citoyens et des crises économiques régulières et à l’extérieur par les Germaniques.

Les tribus germaniques viennent régulièrement faire des incursions et l’empereur a de plus en plus de difficultés à les repousser. Pour les neutraliser, on les engage même comme troupes auxiliaires.

On a peine à imaginer ce paradoxe stratégique : des armées barbares, commandées par des barbares, sont chargées de couvrir les frontières contre leurs frères de race, leurs compagnons de la veille qui n’attendent que l’occasion d’entrer.

Finalement, l’empereur constate que la cohésion de l’Empire repose surtout sur lui. Les citoyens sont appelés à resserrer les rangs autour de lui et à rendre un culte aux dieux de l’Empire. La bataille avec les chrétiens est inévitable.

Un dieu jaloux

Les chrétiens se tiennent à l’écart d’une bonne partie de la vie publique. Gouvernements, réformes sociales, avenir de l’empire, tout cela leur est indifférent, tout cela ne les concerne pas. Tertullien écrit en 211: « Tu es étranger à ce monde, tu es citoyen de la Jérusalem céleste. »

Le Dieu des chrétiens est un dieu jaloux qui ne veut pas de partage. Ses disciples traitent d’idoles les autres divinités; ils se signent en passant devant leurs statues; ils en annoncent le renversement. Ils refusent toute participation aux cérémonies, fêtes, banquets et spectacles en l’honneur des dieux; tous les métiers liés aux cultes, au cirque, au théâtre.

D’autres religions, celle de Mithra par exemple, sont plus flexibles. Ses fidèles participent aux sacrifices, s’inclinent devant la statue de l’empereur puis s’en vont dans un endroit discret pour leurs propres rituels plus stimulants.

Les juifs aussi refusent de participer au culte en l’honneur de l’empereur; leur histoire a montré aux Romains qu’ils vont mourir jusqu’au dernier avant de discuter la moindre virgule des livres de Moïse, la Thora. Par ailleurs, ils sont étrangers, parlent araméen et n’essaient pas de convertir personne. Mais adeptes de Mithra ou Juifs, tous font leur service militaire. Pas les chrétiens.

Ces pacifistes refusent non seulement de sacrifier aux dieux, mais souvent de faire leur service militaire. Pour l’empereur ils sont au fond un inadmissible État dans l’État.

La « révolution de la Croix »

Empereur Dèce. Source: Wikipedia, Mary Harrsch
Buste de l’empereur Dèce (crédit: Mary Harrsch, flickr.com)

Le premier coup vient de l’empereur Dèce qui lance la première persécution systématique de tous les chrétiens de l’Empire. L’interdiction du culte est inutile; les chrétiens ont appris depuis des décennies comment se réunir en secret. Il faut l’abattre, ce culte, d’un seul coup. L’empereur a trouvé un moyen infaillible pour repérer les chrétiens. Au début janvier 250, il oblige tous les citoyens à accomplir un geste, offrir quelques grains d’encens, en faveur des dieux officiels et ramener un certificat de sacrifice comme preuve. Beaucoup de chrétiens refusent et sont tués. La pression s’amenuise pour disparaître vers 254. Après un interlude de trois ans, son successeur, Valérien, déclenche une seconde persécution toujours à l’échelle de l’Empire en août 257. Re-échec, les chrétiens sont toujours là.

Sous son successeur, les Églises connaissent une période de paix qui va durer quarante ans. Les chrétiens font, en dépit — ou à cause — des persécutions qu’ils subissent, des progrès étonnants. Elles leur donnent force et prestige, car les martyrs accueillent avec courage les plus horribles souffrances. Persécutée, l’Église continue à s’étendre.

Entre 200 et 250, les chrétiens sont reconnus pour leur rigueur et leur ascétisme. Pas de luxe excessif, nourriture simple, alcool consommé avec modération. Pas de spectacles. Plus surprenant, le célibat leur apparaît même comme un modèle de vie plus valable que le mariage et ils font de la place aux vierges qui peuvent consacrer leurs vies au Christ.

Mais ce qui souffle les païens est que la vie humaine est sacrée chez les chrétiens. Dans l’Empire romain, le nouveau papa peut refuser son nouveau-né, parce que c’est une fille par exemple, et le bébé est alors noyé ou abandonné devant un temple. Cette insistance sur le côté unique et la valeur de chaque personne ne se retrouve pas ailleurs dans l’Empire. Les chrétiens s’opposent évidemment aux boucheries de l’arène et condamnent le suicide, une pratique qui a ses défendeurs dans le monde antique.

Dans l’Empire romain, l’infériorité de la femme va de soi. Les maris peuvent divorcer de leurs femmes, pas l’inverse. Les femmes pauvres qui doivent quitter leur mari sont réduites à la prostitution. Les chrétiens sont les premiers à poser l’indissolubilité du mariage. Ils réprouvent l’adultère de l’homme autant que celui de la femme et l’usage sexuel des jeunes garçons. Et il y a la charité chrétienne, quelque chose de neuf en Occident.

À Rome, un grand nombre de citoyens sont misérables et ne vivent que de distributions gratuites de blé. Un quart du budget de l’Empire finance les jeux du cirque et de l’amphithéâtre: du pain et des jeux. Alors que les pauvres, les faibles, les malades sont traités avec mépris et souvent purement et simplement abandonnés, les chrétiens semblent bien s’occuper des leurs. Ils dirigent un petit état-providence entre eux, s’occupent des veuves et des orphelins. Les évêques fondent, souvent à l’initiative de chrétiennes, des établissements inconnus jusqu’alors, hospices, orphelinats, etc. À l’Église naissante revient ainsi le mérite souvent oublié d’avoir conçu et réalisé le premier système de protection sociale.

Ce que l’historien Daniel-Rops a appelé la « révolution de la Croix » introduit des valeurs que le monde païen ignore : la soif de la justice; l’impératif de la charité qui constitue l’appel le plus pressant peut-être du Christ; la primauté absolue de la foi. Et l’espérance.

Que réserve l’au-delà? Comment s’assurer le bonheur dans l’autre monde? Dans un monde soumis aux caprices des dieux, Jupiter, Junon, Neptune, le christianisme apporte à tous ceux qui sont accablés par la vie, aux esprits inquiets de cette période tourmentée, une grande espérance: la croyance dans un dieu bienveillant qui va s’occuper de tous, la certitude d’un éternel bonheur dans l’au-delà.

Vers 250, le nombre de chrétiens à Rome est d’environ 30 000, donc 3% d’une population romaine d’un million d’habitants. Mais cette minorité est présente désormais à tous les niveaux de la société y compris les élites.

La grande chasse aux chrétiens

L’Empire romain poursuit sa décomposition. L’empereur Dioclétien, arrivé au pouvoir en 284, pose le diagnostic que la situation politique de l’Empire exige l’unité de l’État et l’unité religieuse. Cette unité ne peut se réaliser qu’autour de lui. Dans ce contexte, l’empereur se veut l’égal des dieux. Il renforce ainsi l’obligation d’adorer l’empereur comme un dieu. Les chrétiens n’ont aucun problème à prier pour l’empereur, mais pas à lui. On demande aux chrétiens de brûler quelques grains d’encens devant la statue de l’empereur.

En 303, Dioclétien engage la bataille décisive contre les chrétiens, la plus grave des persécutions. Les églises sont détruites, les livres sacrés brûlés, les assemblées chrétiennes interdites, les dirigeants de l’Église enfermés, les chrétiens obligés de sacrifier aux idoles, et ceux qui refusent, torturés. Un autre échec. L’Empire traverse alors une crise morale. La désaffection pour la religion païenne est générale. On n’y croit tout simplement plus.

Une religion de fonctionnaire

Il n’a peut-être jamais existé de religion aussi froide et avec moins de mystère que celle des Romains. Subordonnée à la politique, elle s’applique à conserver à l’État la protection des dieux. Elle a conclu avec eux un contrat d’où découlent des obligations réciproques: sacrifices d’une part, faveurs de l’autre. Elle implique un sacrifice rituel de gros animaux pour obtenir de la chance. Impressionnant, mais sans imagination. Les prières sont toutes en formule comme un communiqué du Ministère de l’Éducation. Une omission, une négligence oblige à recommencer toute une cérémonie.

Même enrichie des légendes poétiques grecques, cette religion laisse l’âme sur sa faim. L’esprit aussi. Elle est encombrée par des croyances puériles ou monstrueuses qui heurtent l’intelligence. Enfin, elle ne répond plus à la conception nouvelle qu’on se fait de la justice. On commence dans l’Empire à être convaincu que chacun n’est responsable que de ses propres fautes. Instinctivement, les consciences se rebellent contre les caprices, le libertinage, les cruautés, les exigences des dieux, trop semblables à des tyrans. Le monde romain, beaucoup plus sa partie grecque que sa partie latine, est déjà tout imprégné des idées chrétiennes lorsqu’il apprend la décision renversante des empereurs.

Prier au grand jour

Constantin 1er – mosaïque de Sainte Sophie de Constantinople.

L’Empire est alors gouverné par deux empereurs associés, Constantin en Occident et son beau-frère en Orient. En 313, lors d’une rencontre à Milan, ils s’entendent pour accorder la liberté de culte à tous les citoyens. Les chrétiens, 10% de la population de l’Empire, peuvent enfin s’afficher au grand jour.

L’édit de Milan marque un tournant décisif dans l’histoire de l’empire et de l’Église. L’empereur Julien l’Apostat tente bien de revivifier le paganisme pendant son court règne (361-363). En vain : après sa mort, ses successeurs et leurs fonctionnaires favorisent les chrétiens.

Les idées chrétiennes pénètrent les lois et les institutions. Les jeux sanglants du cirque tombent en désuétude, l’esclavage est aboli sans secousse. Les signes chrétiens s’affichent sur les monnaies dès 323. On supprime le supplice de la croix — on ne peut condamner au supplice subi par le Christ; on renforce la protection de la famille, des enfants, des esclaves. Constantin maintient, pour les adultères, les suborneurs, les proxénètes, les supplices qu’il avait supprimés pour les voleurs et les bandits; la nourrice complice de l’enlèvement d’une jeune fille aura la bouche emplie de plomb fondu, et le ravisseur d’une vierge sera brûlé vif. Le dimanche devient jour légal de repos.    

La seule religion d’État

Sous Constantin, premier empereur officiellement chrétien, l’Empire est devenu immense. Pour mieux surveiller la frontière du Danube et de l’Euphrate, il fonde sur l’ancienne ville grecque de Byzance, une nouvelle Rome à laquelle il donne son nom et où il s’installe : Constantinople, à l’entrée de la mer Noire. L’Empire se scinde administrativement en deux: l’Empire romain d’Occident, de langue latine et centralisé à Rome, et l’Empire romain d’Orient, de langue grecque et centralisé à Byzance (aujourd’hui Istanbul en Turquie).

« Tu es le roi des Juifs? », lui avait demandé Pilate.

« Je le suis. Mais mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume était semblable aux autres royaumes de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré… »

Jusqu’à l’édit de Milan, les chrétiens avaient été isolés et largement confinés dans les villes à l’est de l’Empire. L’Église y est beaucoup plus enracinée qu’à l’ouest. Non seulement on y retrouve des chrétiens jusqu’à la mer Caspienne et la Géorgie, mais le premier pays chrétien est en Orient depuis que saint Grégoire l’Illuminateur a converti le roi d’Arménie vers 300. Lors de l’édit de Milan, il y a 700 ou 800 évêques à l’est pour un maigre seize évêques en Gaule par exemple. Les chrétiens représentent une toute petite minorité de l’Occident latin, peut-être 2%.

L’alliée de l’Empire romain

Jusqu’à Constantin, les chrétiens voyaient l’Empire romain comme le bras temporel du diable en personne. C’est bien fini! Depuis que Constantin a décidé de jouer la carte chrétienne, l’Église devient son soutien moral et spirituel, confond Dieu et César, le spirituel et le temporel, et se coule dans ses cadres administratifs : les cités romaines étaient regroupés en provinces, les évêchés sont regroupées en provinces ecclésiastiques; le plus haut fonctionnaire impérial habitait la principale ville, l’évêque y réside.

Très tôt les grandes villes intellectuelles de l’Empire deviennent les grandes métropoles religieuses : Alexandrie, Antioche, Constantinople, Rome. Chacune encadre des diocèses sous l’autorité des évêques, chacune est jalouse de son indépendance.

Les chrétiens commencent à faire connaissance avec la notion de “privilège”. Ils priaient dans des maisons-églises, les païens dans des édifices impressionnants. Constantin fait construire des églises opulentes qui deviennent des lieux sacrés. Et hop, une tradition païenne est recyclée avec succès dans le christianisme. Leurs églises sont exemptées d’impôts; les nouvelles ont des subventions. Le gouvernement soutient aussi le système d’entraide de l’Église pour les pauvres.

Parce que l’Église est organisée autour des évêques, Constantin veut forger avec eux une relation stable. Ils sont exemptés, avec leurs prêtres, de certaines charges publiques, chargés de régler les disputes locales, de surveiller l’aide aux pauvres. Les évêques ne supplantent pas les fonctionnaires impériaux, mais un gouverneur est en poste deux ou trois ans alors que l’évêque peut être là depuis 20 ou 30 ans avec des réseaux impressionnants via leurs congrégations. Les évêques se transforment en fonctionnaires privilégiés mais obéissants. Église et État s’entremêlent étroitement. Une sorte de confusion finit par s’imposer entre les organismes politiques et les organismes religieux : l’évêque, représentant d’une religion officielle, n’est-il pas un peu en même temps l’agent de l’empereur?

Puis, il y a un glissement. Une chicane en Afrique du Nord éclate sur une question purement religieuse entre deux communautés rivales de chrétiens. Chacune réclame des exemptions de taxes et le patronage de l’empereur. Qui sont les “vrais” chrétiens? Constantin laisse d’abord les chrétiens se chicaner entre eux puis il tranche pour une des deux parties.

C’est un moment d’important. Un précédent est créé; un empereur est intervenu pour influencer la doctrine.

L’empereur intervient dans sa gestion, marque certains conciles de son empreinte personnelle, infléchit les débats théologiques, nombreux en ce IVe siècle. L’un d’entre eux va préoccuper les empereurs pendant plus de cinquante ans: la querelle sur la Trinité.

L’affaire Arius

Le dogme de l’Église affirmait que les trois personnes divines, le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont égales entre elles. Une seule nature et trois personnes divines.

Puis, aux alentours de l’an 318, Arius, un prêtre austère d’Alexandrie prétend que le Fils est inférieur au Père. Le Fils est une espèce de “surhomme” doté de pouvoirs divins, mais dépouillée de sa qualité de Dieu.

Le peuple l’écoute volontiers car le Christ d’Arius apparaît comme quelqu’un de proche, tandis que celui de ses adversaires est plutôt un “souverain juste et puissant”.

Il n’en faut pas plus pour mettre le feu aux poudres théologiques. L’Église se déchire. Ces débats ont une intensité émotive extraordinaire parce que la plupart des participants sont convaincus que leur salut dépend du fait de trouver la bonne réponse.

L’évêque d’Alexandrie excommunie Arius et ses partisans, nombreux en Orient grec. Arius conteste, ce qui agite tous les diocèses d’Orient; la paix religieuse est menacée. Le christianisme étant maintenant la religion officielle, Constantin décide d’intervenir. Pour les évêques, Constantin est le représentant de Dieu sur terre, le chef des chrétiens. Jusque-là, les conciles n’avaient jamais dépassé le niveau régional. Les différentes Églises locales jouissent d’une grande autonomie. Lorsqu’un problème doctrinal se présente, elles se réunissent en conciles provinciaux ou interprovinciaux pour en débattre. Les décisions sont prises en parfaite collégialité.

Constantin convoque à Nicée (aujourd’hui Izbik en Turquie) le premier des conciles œcuméniques (mondial) c’est-à-dire la réunion générale de tous les évêques du monde. Il y en a même un qui vient de l’Iran.

En 325, 318 évêques dont plusieurs sont des rescapés de la dernière persécution — orbites vides, mains paralysées, cicatrices — condamnent Arius et rédigent une profession de foi, le Credo qui déclare le Christ, de même nature que le Père.

Arius refuse de se soumettre et ses partisans se dispersent un peu partout en Orient. Dans les années qui suivent on porte peu attention à un certain Ulfila, missionnaire arien, particulièrement ardent, qui prêche chez des tribus germaniques installées au bord de la mer Noire.

Jusqu’au règne de Constantin, on ne se bousculait pas pour devenir le successeur de saint Pierre. Entre la mort de l’apôtre Pierre en l’an 67 et l’an 312, trente et un évêques de Rome lui succédèrent. Aucun des dix-huit premiers ne mourut dans son lit. Chacun avait été désigné par son prédécesseur. Tous périrent de mort violente.

Au tour des païens

Maintenant, l’évêque de Rome est le personnage le plus important après l’empereur et il est élu. Les candidats s’affrontent avec le soutien de leurs familles, de leurs proches et de leurs amis. Il y a souvent effusion de sang. Lors de l’élection du pape Damase I en 366, cent-trente-sept cadavres jonchent les environs de la basilique après des accrochages entre ses partisans et ceux de son principal rival.

Au cirque de Thessalonique (Grèce), un conducteur de chariot adoré des foules avait été emprisonné pour viol. Ses partisans ont aussitôt déclenché une émeute. Il y eut des morts. Théodose annonce une autre course. Les citoyens s’assemblent dans l’hippodrome. Les portes sont fermées et les soldats attaquent la foule. 7 000 morts. Saint Ambroise, l’évêque de Milan, est furieux contre l’empereur. Il est à la fois le conseiller spirituel de l’empereur et le ferme garant du pouvoir impérial. Il lui refuse la communion à moins qu’il ne fasse, publiquement, acte de contrition.

Moins d’un siècle auparavant, les empereurs tentaient d’exterminer les chrétiens. Maintenant, Théodose fait son mea culpa en public. Un nouveau chapitre s’ouvre dans l’histoire de l’Église. Pour la première fois, un dirigeant laïc se soumet à elle.

Sous Constantin, il était avantageux d’être chrétien; maintenant, il est dangereux d’être païen. Au tour des chrétiens de persécuter les païens et d’éliminer, avec la bénédiction de l’État, leurs traditions. Les temples sont détruits, les bois sacrés rasés, les sacrifices interdits. On coupe les subventions aux prêtres païens de Rome et aux Vestales. Théodose porte le coup de grâce en novembre 392, en interdisant purement et simplement à la grandeur de l’Empire les manifestations du culte païen. Tous les sacrifices, même les modestes sacrifices à la maison sont interdits. La religion traditionnelle perd tout droit légal de s’exprimer.

On n’avait rien vu de tel depuis que le pharaon Akhenaton (l’oncle de Toutankhamon) avait tenté d’éliminer les anciens dieux d’Égypte 1400 ans plus tôt. C’est avec Théodose (et non Constantin) que l’Empire romain devient officiellement chrétien.

L’année suivante, les jeux olympiques qui se tenaient depuis plus de mille ans en l’honneur du dieu païen Jupiter se déroulent pour la dernière fois. Les chrétiens n’ont plus d’adversaires. Plus aucun obstacle ne s’oppose à l’expansion du christianisme au sein de l’Empire romain.

Si l’immense majorité des chrétiens vit dans l’Orient grec, l’Église est désormais présente dans toutes les provinces romaines, de l’Angleterre à l’Irak, de l’Afrique du Nord à l’Iran et au-delà des frontières de l’Empire. On les retrouve dans toutes les couches sociales. Jusqu’alors les chrétiens vivaient surtout en ville. Ils essaient maintenant de convertir les campagnes, où les paysans sont rebelles et leurs croyances ancrées depuis des siècles (paganus -paysan- prend le sens de païen). Les chrétiens assument ces croyances et les transforment à leur profit. Déjà, les chrétiens avaient emprunté aux adorateurs de Mithra la date de leur grande fête annuelle, leur fête solaire du 25 décembre, pour en faire celle de la naissance du Christ.

Même tactique à la campagne. Sur d’anciens lieux sacrés que les paysans vénéraient, on érige des chapelles, des croix. Les paysans étaient habitués à invoquer une foule de divinités protectrices; pour faciliter la diffusion d’un christianisme avec un seul Dieu, l’Église encourage le culte des saints protecteurs, hommes ou femmes, martyrs ou évêques, dont la vie et les œuvres sont proposées en exemple.

Les pères de l’Église

La doctrine chrétienne repose sur les Saintes Écritures: la Bible et les Évangiles qui sont des livres révélés, c’est-à-dire d’origine divine.

Le Christ avait laissé un message. Les apôtres l’avaient expliqué dans leurs prédications et leurs commentaires. Les chrétiens s’efforcent ensuite de préciser la doctrine dont les Évangiles donnent les grandes orientations.

Pour les chrétiens, toute l’Écriture Sainte est obligatoirement tenue pour “inspirée”, c’est-à-dire dictée ligne à ligne et mot à mot par le Saint-Esprit.

Mais ce qu’on pouvait en déduire n’est pas toujours clair. Par exemple, il est évident que le christ avait horreur de la violence, mais ce n’était pas le cas du dieu de la Bible. Des chrétiens proposent des interprétations divergentes, voire contradictoires, sur un certain nombre de points fondamentaux, notamment sur la divinité de Jésus-Christ. Les sectes pullulent, les courants de pensée prolifèrent. Chaque groupuscule est convaincu de posséder à lui seul la vérité qui mène au salut. La doctrine est loin d’être fixée.

En réaction à ces tendances, un certain nombre d’évêques, les Pères de l’Église, une dizaine d’évêques écrivains certains grecs, d’autres latins, tentent de clarifier la doctrine des textes sacrés.

Ils nous ont laissé des sermons, des histoires, des commentaires et des traités théologiques. Ils laissent aussi un lourd héritage, la haine des Juifs. Jean Chrysostome est typique des autres en écrivant : « ces bandits perfides, destructeurs, débauchés, semblables au cochon », etc. etc.

Dans l’ensemble, les penseurs chrétiens des deux premiers siècles de l’Empire s’étaient montrés violemment hostiles à la culture antique, donc païenne. Au contraire, les « Pères de l’Église » lui sont tout acquis. Ils voient dans la culture antique un instrument qui peut tourner à la glorification du Christ. Mais, à partir de 500, saint Césaire, puis le pape Grégoire condamnent la littérature profane: le chrétien ne s’applique qu’à l’étude des textes sacrés. Il s’ensuit un rapide déclin des auteurs classiques païens.

Un Empire malade

L’Empire est trop lourd à administrer à partir de Rome. La frontière fluviale, de l’embouchure du Rhin à la mer Noire est longue de 2000 kilomètres (Montréal-Miami); la route terrestre de la mer Noire à la Mer rouge est de 3000 kilomètres (Montréal-Calgary). Il est ouvert à tous les vents. En 395, avant de mourir Théodose divise l’Empire entre ses deux fils: Byzance et l’empire d’Orient grec à l’un, l’Empire d’Occident latin à l’autre.

Cette coupure Orient-Occident suit en gros la frontière linguistique qui sépare ceux qui parlent latin de ceux qui parlent grec. Cette division ne change rien au problème de fond de l’Empire d’Occident, un grand corps usé. Bizarrement, le peu de civilisation antique qui va surnager des invasions va être conservé et transmis par des individus qui ne veulent voir personne et encore moins leur parler.

Le grand courant des solitaires

Pour beaucoup de chrétiens de l’Orient grec, l’Église chrétienne, maintenant officielle, identifiée au gouvernement, n’est plus celle qu’ils ont connue. Ils ont risqué leur peau pendant les grandes persécutions de Dioclétien et maintenant, dans les réunions de chrétiens, ils croisent des tièdes, des arrivistes, des carriéristes; être chrétien, auparavant, c’était un risque; ça devient une carrière.

Il est impossible par exemple d’avoir un des 8000 postes de haut-fonctionnaire de l’Empire si on n’est pas chrétien. Ce n’est vraiment plus la même ferveur que du temps des persécutions. Les prêtres, les évêques, qui s’habillaient comme tout le monde, portent maintenant de riches vêtements. Ces ardents de la foi ont une solution et un modèle. En fait deux: Jésus lui-même avait donné l’exemple en se retirant au désert pour fuir le monde. Et, un siècle plus tôt, le jeune Égyptien Antoine, le premier (251-356), a ouvert la voie. Il  a tout balancé, famille, travail, quitté la zone fertile du Nil pour s’isoler dans le désert.

Comme lui maintenant, des chrétiens fuient le monde et vont dans le désert mener une vie de prières et de mortifications dans le silence complet. C’est le grand courant des solitaires.

À la longue, ces hommes seuls (“monos” qui va donner “moine”) qui travaillent et méditent, chacun dans leur cabane, finissent par se réunir pour la prière. Les premiers couvents apparaissent.

Pacôme, un autre Égyptien, regroupe des moines à Tabbenisi sur les bords du Nil. Ils sont bientôt 3000. À sa mort, il laisse neuf monastères pour les hommes, deux pour les femmes. Un autre Égyptien, Shenoute, fonde ensuite une série de communautés de moines dont une de 2200 hommes, une autre de 1800 femmes. Le désert égyptien n’a jamais été aussi peuplé.

De l’Égypte, ce mode de vie de solitaires regroupés est imité dans le reste de l’Orient grec, Syrie, Palestine, Grèce, puis dans l’Occident latin. Saint Benoît fonde en 529 le monastère du Mont Cassin (Italie) qu’il va diriger toute sa vie. Tandis que les moines d’Orient pratiquent des règles dures et font des prouesses ascétiques, saint Benoît adopte une formule plus humaine : « Rien de trop austère, rien de trop lourd. »

Siméon le stylite fait construire une colonne, où il ne pouvait se mettre en position couchée. Il y passera, debout ou à genoux, les quarante dernières années de sa vie.

Comment être à la fois seul et ensemble? Comment sanctifier la communauté dans l’isolement et le retrait du monde? Après une dizaine d’années de réflexion, saint Benoît rédige la règle de ses moines, les bénédictins; en gros, huit heures de prières et de lectures, huit heures de travail (champs, copie de manuscrits, etc.) et huit heures de repos et de sommeil. Le tout, sous la direction rigoureuse d’un supérieur élu par les moines, l’abbé.

Cette règle, modèle d’équilibre et de modération, va inspirer toutes les autres. Ainsi à côté du clergé séculier (qui vit dans le siècle) naît un clergé régulier (avec règles).

Le succès de cette formule est foudroyant et, en un siècle, plus de cent monastères bénédictins ont poussé dans tout l’Occident chrétien jusqu’à l’extrême limite du monde chrétien, l’Irlande des Celtes. Certains monastères irlandais comme Clonmacnoise regroupent des milliers de moines, d’autres sont petits et dans des endroits inaccessibles, comme celui d’Iona sur une des îles Hébrides, le bout du monde connu. C’est de là, après les invasions germaniques, que va repartir le christianisme parce que les moines irlandais, contrairement à tous les autres, voyagent volontiers.

La vague germanique

Le 31 décembre 406, des tribus germaniques franchissent le Rhin gelé et entrent en Gaule sans rencontrer de résistances sérieuses. Cette fois, il ne s’agit plus d’incursions sporadiques comme l’Empire en a connues depuis des décennies, ou de squatters en terres romaines, mais d’une avalanche qui recouvre tout sur son passage. De la mer du Nord à la mer Noire, l’un poussant l’autre, Ostrogoths, Wisigoths, Francs, Vandales, Alamans, s’ébranlent vers l’Ouest la peur au ventre. Derrière eux, arrivant en trombe de l’Asie centrale, les meilleurs guerriers de l’époque, les cavaliers huns.

Quatre ans plus tard à peine, Alaric conduit ses Wisigoths à travers les Alpes, tombe sur Rome et s’en empare. Pour la première fois depuis 800 ans, Rome est aux mains d’étrangers.

Stupeur dans l’Empire. De nombreux chrétiens croient la fin du monde arrivée et sont convaincus que l’Église, qui vivait en si parfaite symbiose avec l’Empire, ne pourra pas survivre.

Comment expliquer la chute de Rome, la première depuis 800 ans? Qu’est-ce qui a changé depuis les grands jours de l’Empire? Certains, comme l’historien romain Zosime, ont une réponse : les dieux. Les vieux dieux de l’Empire ont été abandonnés et ils ont abandonné Rome. Le coupable est le christianisme, la nouvelle religion, la seule, de l’Empire.

Saint Augustin (354-430), par Sandro Botticelli.

Saint Augustin (354-430), évêque d’Hippone (Annaba en Algérie) vit la chute de l’Empire dans son propre diocèse. Les Vandales viennent de débarquer en Afrique du Nord. Il veut répondre aux accusations des païens. Un des meilleurs écrivains de la littérature latine, il a déjà écrit “Confessions”, le premier livre de l’Antiquité écrit au “je” dans lequel cet ancien coureur de filles nous livre tous les détails et secrets de sa conversion au christianisme.

Augustin prend la plume et, pendant treize ans, rédige sa longue réponse, plusieurs volumes, La Cité de Dieu, peut-être le texte le plus influent du Moyen Âge.

On ne peut comprendre l’évolution des mentalités et de la culture en Occident sans tenir compte de la place qu’Augustin accorde au péché et à la culpabilité. Les moines ont inlassablement recopié ses œuvres; ils nous ont transmis plus de quinze mille manuscrits reproduisant ses écrits.

Son verdict : Rome est tombé à cause des péchés des païens, leur corruption, leur sexualité débridée. Suivant saint Paul, Il explique que le péché originel a été commis par Adam lorsqu’il s’est laissé séduire par Ève. Comme enfants d’Adam, tous les êtres humains partagent sa culpabilité. Augustin lie la transmission du péché originel à la concupiscence sexuelle. Il aurait été “ le promoteur de cette morale qui identifie le sexe au péché et à la concupiscence”, écrit la théologienne allemande Uta Ranke-Heinemann. Cette idée a contribué à diaboliser un désir pourtant voulu par Dieu. De plus cette doctrine a sans cesse conduit à faire retomber sur la femme la responsabilité du mal présent dans le monde.

L’humanité pécheresse

Mais pour d’autres auteurs, le vrai fondement de la doctrine du péché originel n’est pas dans ses écrits mais dans le parallèle établi par Paul entre Adam et le Christ. Pour mettre en relief le rôle de Jésus comme source de vie et de justice, Paul accable Adam qui aurait plongé l’humanité dans le péché et la mort.

Mais Augustin explique aussi que la chute de Rome est sans importance parce que c’était une cité terrestre. Tout ce qui compte est la Cité de Dieu et celle-ci ne pourra jamais tomber parce qu’elle est immortelle et ses habitants aussi. Certains sont déjà au ciel, d’autres, les chrétiens, toujours sur terre. Ici, ils doivent jouer leur rôle dans la vie mais leur vrai foyer est au ciel. Ils sont dans ce monde et en même temps à l’extérieur. Le monde qui les entoure n’est pas important et les chrétiens ne doivent pas s’y intéresser. Le christianisme est donc capable de surmonter cette terrible épreuve.

Les années qui suivent n’apportent que cris et malheurs. Les Vandales, des ariens militants, déferlent sur l’Afrique du Nord. Suit un siècle de persécution. L’Église en sort victorieuse, mais affaiblie. Or, le nombre de ses évêchés, la gloire de ses martyrs, le souvenir de saint Augustin, faisaient d’elle la seule Église de l’Empire d’Occident capable de rivaliser avec l’évêque de Rome qui n’a derrière lui que les jeunes Églises de Gaules et d’Espagne. Vers 450, l’Afrique du Nord compte 600 évêchés, l’Égypte une centaine, la Gaule et l’Italie un peu moins.

Son effacement par les Vandales permet à l’Église de Rome d’exercer en Occident l’autorité qu’elle n’a pas en Orient.

En l’an 476, Rome, la Ville éternelle, est occupée par les tribus germaniques qui déposent le jeune empereur Romulus Augustule et renvoient les insignes impériaux à Byzance. C’est la fin de l’Empire romain d’Occident. Désormais, en théorie du moins, l’empereur de Byzance hérite de toute la puissance romaine, mais il n’arrivera qu’épisodiquement à exercer son autorité en Occident.

Celui-ci se morcelle en une mosaïque de royaumes germaniques: les Vandales en Afrique, les Wisigoths en Espagne et dans le sud-ouest de la Gaule, les Burgondes à l’est, les Ostrogoths en Italie, les Francs dans le nord.

L’Europe en l’an 500

La population de l’Italie, sept millions autour de l’an 0-100 tombe à 4 millions au 7ième siècle. D’un million et demi d’habitants en 336, Rome passe à 30 000 habitants en 550. Byzance en a 500 000. Les aqueducs sont coupés et ne seront pas reconnectés avant le 16e siècle. On arrête à peu près partout de faire des briques. On ne les reverra pas avant 800 ans. On ne coupe plus la pierre, on ne fabrique plus de tuiles. L’Église est la seule organisation encore debout.

La seule organisation encore debout

L’évêque, issu le plus souvent d’une ancienne famille noble, est propulsé sur le devant de la scène politique et remplace le fonctionnaire impérial; il dirige la résistance ou les négociations avec les Germaniques. Une fois ceux-ci vainqueurs et installés, l’évêque reste indispensable. La hiérarchie solide de l’Église, sa culture sont respectées par les Germaniques. Ces derniers, très minoritaires dans tous les pays qu’ils occupent, le laissent en place. L’évêque fait rouler la machine administrative, s’occupe de l’approvisionnement, de la voirie, etc. À l’évêque le soin des mendiants innombrables, à l’évêque le rôle de juge.

La division

Les peuples germaniques n’ont pratiquement pas touché à l’Empire d’Orient. À Byzance, la vie continue comme si de rien n’était. Les évêques continuent à se déchirer. Ils se sont déjà déchirés du temps de Constantin autour de la nature des trois personnes qui forment la Trinité. La relation entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit est, disons réglée. Maintenant la chicane porte sur la nature du Christ: l’Orient cherche à savoir comment Dieu et l’homme se sont unis en Jésus-Christ. Tout le monde s’entend, il y a deux natures dans la personne du Christ: une nature humaine et une nature divine. C’est ensuite que ça se corse.

Nestorius, évêque de Byzance, enseigne qu’il y a deux natures “distinctes” dans la personne du Christ, humaine et divine. Réactions indignées à Byzance, à Rome et, surtout, à Alexandrie qui rétorquent que le Christ a deux natures, humaine et divine, “unies” dans la personne du Christ.

On s’enflamme; l’empereur Théodose II finit par convoquer un concile à Ephèse pour l’an 431. L’ouverture du concile est brusquée pour prendre de vitesse les évêques orientaux favorables à Nestorius qui est condamné. Mais sa doctrine survit. Elle se répand chez les chrétiens de l’empire voisin, celui des Iraniens, où ils ne risquent pas la persécution. Les Iraniens, de religion zoroastrienne, ne font rien pour en freiner la progression. Au contraire, ils trouvent avantage à ce que leurs sujets chrétiens rompent ainsi, sur le plan doctrinal, avec leur voisin byzantin la superpuissance de l’époque. Le nestorianisme devient la religion officielle des chrétiens de l’empire iranien (486).

Coupés des chrétiens de Byzance, les nestoriens organisent des missions vers l’Asie centrale, l’Afghanistan puis la Chine.

Un millier d’années plus tard, des Chinois invitent le missionnaire jésuite Alvaro Semedo à visiter une stèle étrange dans la vieille ville de Xi’an. Alvaro s’y rend.

La stèle gravée sur pierre, a été érigée le 7 janvier 781, lorsque Xi’an, était la capitale de la Chine, et l’empereur, de la dynastie Tang. Sur la stèle, une inscription bilingue, chinois et syriaque, une branche de l’araméen, la langue de Jésus. L’inscription, rédigée par Adam, un prêtre nestorien, commémore la diffusion du christianisme en Chine.

Et une autre chicane

Toujours le même thème : la nature du Christ. La nouvelle théorie est à l’opposé de la précédente. Nestorius insistait sur l’aspect humain du Christ. Cette fois-ci, Eutychès, un moine de Byzance, prétend, je vous épargne les détails, que la nature divine du Christ a absorbé sa nature humaine au point d’être la seule à subsister.

S’ensuivent de nouvelles chicanes. Un concile est convoqué pour l’année 451 à Chalcédoine, près de Byzance. Eutychès est condamné.

Église arménienne

La puissante Église d’Alexandrie prend sa défense et rejette le verdict. La chrétienté se coupe en deux; la majorité demeure fidèle à Rome et à Byzance, les deux pôles de la chrétienté. Une fraction notable des Églises orientales, en Égypte, en Syrie, en Arménie, les monophysites (partisan d’une seule nature du Christ) rejettent le verdict du concile et coupent les liens avec Rome et Byzance.

L’Église d’Égypte (les Coptes) entraîne les Soudanais et les Éthiopiens qui dépendaient d’Alexandrie. Elle devient une île sur la planète de la chrétienté.

Il faudra attendre le XX et le XXI siècle pour que le pape de Rome et le pape d’Alexandrie renouent enfin le dialogue.

Rome et Byzance: le fossé

Entre 400 et 500, le fossé entre l’Orient et l’Occident s’agrandit. Les Balkans, la route terrestre entre Rome et Byzance, est occupée par les Slaves païens. Il faut deux mois par la mer.

Depuis la mort du Christ, les Églises chrétiennes de l’Orient grec se sont toujours senties aussi importantes que celle, relativement récente, de Rome. La capitale de l’Empire romain n’a eu pendant longtemps qu’une petite communauté chrétienne formée surtout de Juifs, d’étrangers. Ce n’est qu’au troisième siècle qu’un premier évêque de Rome parle latin.

Pour ces Églises, fières de leur ancienneté, de leur indépendance, l’évêque de Rome est un évêque parmi les autres. Elles veulent bien reconnaître que Saint Pierre est mort à Rome, que Rome est un genre de cour d’appel pour les Églises de la chrétienté qui s’adressent à son évêque pour trancher leurs conflits de doctrines et donc que l’évêque de Rome a un genre de primauté, mais sans plus. Surtout pas l’autorité finale, le chef de toute la chrétienté comme il semble en être convaincu.

En Orient, le patriarche de Byzance gouverne le train-train de l’Église avec ses collègues patriarches d’Alexandrie, d’Antioche, de Jérusalem. Mais les questions importantes exigent une réunion générale des évêques du coin comme aux premiers siècles de l’Église.

Alors que les peuples germaniques labourent l’Occident de long en large, les conciles se succèdent à Byzance pour savoir qui a le droit de diriger l’Église. Finalement l’empereur Justinien s’impatiente prend en main les destinées du monde chrétien et explique son nouvel organigramme qui fait hurler Rome.

L’Église impériale comptera cinq patriarches, celui de Byzance, de Jérusalem, d’Alexandrie et Antioche et de Rome. Le pape, n’est rien de plus que le patriarche de l’Occident et il doit se soumettre comme tous les autres.

En plus de subordonner l’Église à son autorité, l’empereur entend fixer lui-même les dogmes. A ces prétentions, le pape de Rome et une partie du clergé oriental résistent farouchement avec plus ou moins de succès. Heureusement, Justinien est le dernier empereur puissant de Byzance et ses successeurs n’auront pas les moyens de leurs ambitions religieuses. Mais, avant de mourir, Justinien a eu le temps de faire rédiger un recueil de toutes les lois de l’Empire et de sa jurisprudence, le Code Justinien, véritable bombe qui va exploser en Europe plusieurs siècles plus tard.

Les ravages d’Ulfila

Malgré l’insécurité chronique, la désintégration de l’Empire et de son administration, les papes refusent de désespérer. Ils tournent le dos au passé, à la nostalgie de l’âge d’or de Constantin et de Théodose. Pour eux, c’est un fait: les peuples germaniques sont là pour rester. Donc, il faut les convertir et introduire la morale de l’Évangile dans leurs sociétés violentes. Le problème est que les peuples germaniques connaissent déjà très bien la morale de l’Évangile. Ils sont tous chrétiens. Plus précisément ariens.

Disciple d’Arius, Ulfila est allé chez les Goths un siècle plus tôt et les a convertis. Il a traduit pour eux la Bible en langue gothique. Par les Goths, le christianisme arien s’est transmis à tous les peuples germaniques du Danube au Rhin.

Au moment où ils envahissent l’Occident, la plupart des peuples germaniques, les Goths, les Ostrogoths, les Wisigoths, les Burgondes, sont ariens. Doté d’évêques, de prêtres, l’arianisme est leur Église nationale. Seuls les Francs restent imperméables.

Pour l’Église, c’est un sérieux handicap; la lutte contre cette hérésie a été la grande chicane de l’Église. Les évêques leur préfèrent les païens. Si les païens peuvent être convertis à la pure et juste foi par le baptême, les hérétiques, aveuglés par l’erreur, sont des ennemis irréductibles. Il reste les Francs et leur roi Clovis.

Clovis, le roi des Francs

Clovis est un roitelet à cheval entre deux civilisations; ses tribus franques sont installés en Belgique et au nord de la Gaule. Face aux autres rois germaniques, il ne pèse rien.

Clovis, marié avec une chrétienne, connaît la puissance et le rôle crucial des évêques. Leur réseau recouvre toute la Gaule et s’étend à l’Espagne des Wisigoths, à l’Italie des Ostrogoths etc. Partout, ils prennent part au gouvernement, souvent, ils conseillent les rois. Dans le désarroi général, ils demeurent la seule force morale et, grâce à leurs propriétés terriennes, la plus grande puissance économique. Dans toutes les villes de la Gaule, ils sont les seuls dignitaires encore respectés et obéis. Ou craints. Et, sans la maîtrise des villes, il n’est pas de domination possible.

Vers 500, Clovis, se convertit au catholicisme. Le pape Hormidas comprend l’enjeu de cette conversion: le destin de l’Occident vient de se jouer. Les évêques de la Gaule se rallient à ce roi catholique, l’un des rarissimes parmi tous les ariens, le seul en Occident. En quelques années, Clovis s’empare de l’essentiel de la Gaule. Les Francs et les Gallo-romains sont maintenant unis avec une seule foi et un seul royaume.

La nouvelle politique des papes

Depuis trop d’années, en fait une couple de siècles, les papes ont été les simples sujets des rois germaniques en plus de dépendre des empereurs de Byzance. Vers 600 émerge soudain, indépendant et prestigieux, Grégoire le Grand l’un des plus grands papes de l’histoire. Il oblige les évêques à lui obéir, défend Rome contre les tribus germaniques, fait d’immenses efforts pour lutter contre les épidémies et assure le ravitaillement de la ville.

Conscient que la puissance de Byzance, impressionnante en Orient, n’est plus qu’une fiction en l’Occident latin, Grégoire VII se tourne résolument vers les forces de l’avenir, les nouveaux royaumes germaniques et, en premier lieu, celui des Francs. Le premier, il a le génie de pressentir l’importance que va prendre pour l’Église l’installation permanente en Occident des peuples germaniques. Sous leur barbarie, il devine les forces neuves et irrésistibles qui vont bâtir l’avenir.

Aussi, inaugure-t-il une politique de franche ouverture. Il établit des rapports suivis avec les Francs; il s’intéresse aux Wisigoths d’Espagne, garde contact avec les Lombards et, surtout, il mobilise les seuls moines qui ont complètement échappé aux invasions. Ironie du sort, ces moines qui ont conservé la civilisation latine sont des Celtes.

C’est par la peau des dents qu’on est resté les héritiers des Grecs et des Romains. On imagine mal à quel point on est passé proche de devenir tous illettrés et d’oublier complètement comment lire et écrire. Il fallait une dizaine d’années pour apprendre à lire et à écrire en latin; apprentissage obligatoire pour devenir avocat ou haut fonctionnaire dans l’empire romain. Sous les royaumes germaniques, ce n’est plus nécessaire. Les bouleversements provoqués par la chute de l’Empire romain sont tels, que les bibliothèques ont disparus et la plupart des manuscrits détruits ou dispersés. Pendant des siècles, différents peuples germaniques ont ravagé l’Europe, du nord au sud, de l’est à l’ouest. C’est une toute petite minorité d’Européens qui sait, à peine, lire et écrire un latin déplorable. Et ils sont tous religieux. La plupart sont en Irlande.

Convertie par le moine Patrick, l’Irlande est passée du druidisme au christianisme. La civilisation s’est réfugiée littéralement dans les monastères celtes : manuscrits, art de l’écriture (calligraphie), héritages divers de l’antiquité se sont transmis de moine en moine qui ont recopié inlassablement les textes des grands écrivains latins en commençant par ceux qui étaient chrétiens.

Du couvent irlandais établi sur la petite île d’Iona, non loin de l’Écosse, les moines ont rayonné en direction des îles britanniques. Le pape Grégoire VII a une mission pour ces rares érudits de l’Europe. Au lieu de l’enthousiasme individuel, du contact direct d’homme à homme, qui avaient fait triompher les premiers évangélistes, on cherchera surtout, au 5e siècle, à faire baptiser les chefs barbares qui, ensuite, imposeront en bloc à leurs sujets leur fraîche foi.

Il en envoie une quarantaine pour convertir l’Angleterre. Il confie à l’Irlandais Boniface, la conversion des Germains. L’Occident vit une «invasion» de moines venus d’Irlande. Bientôt, toute la Germanie jusqu’à l’Elbe est baptisée. (600-700).

À la mort de Grégoire, pour la première fois, la chrétienté occidentale est groupée sous l’autorité de Rome. L’unité spirituelle du christianisme va peut-être remplacer l’unité politique romaine disparue. Ce rêve éclate à cause d’un commerçant arabe qui sillonne depuis des années les déserts stériles d’Arabie. Cet homme, Mohamet, reçoit vers 610 un message de Dieu et il va mêler toutes les cartes chrétiennes.

L’avalanche musulmane

Vers 610, un Arabe, Mahomet révèle le simple message reçu du ciel: “Il n’y a qu’un Dieu unique auquel le croyant doit une soumission (islam) absolue”. Les gens de La Mecque, scandalisés, attachés à leurs idoles, le chassent de la ville. Mahomet se sauve à Médine.

Après avoir fait l’unité des tribus arabes, il rentre triomphalement à La Mecque et meurt quelques mois plus tard en 632.

Les Arabes, désormais musulmans, partent à la conquête du monde en commençant par les possessions de Byzance: Jérusalem est prise en 638, en même temps que la Syrie et la Palestine. Inquiétude en Europe. Jérusalem est entre des mains non chrétiennes.

Puis c’est au tour de l’Irak actuel, de l’Arménie et de l’Égypte (642) de tomber entre leurs mains.

L’administration de Byzance était pesante, tatillonne, pénible; les Byzantins avaient froissé tant de sensibilités et s’étaient fait tant d’ennemis que les chrétiens de Syrie et d’Égypte ( dont les monophysites), restent passifs quand ils n’accueillent pas les musulmans comme des libérateurs. Une exception, notoire, les Maronites du Liban. Ceux-ci n’avaient jamais supporté les Byzantins et se battaient régulièrement avec eux. Ils n’ont pas l’intention de supporter les Arabes. Ils se réfugient dans la montagne où ils pourront rester indépendants et chrétiens.

Les Arabes foncent ensuite vers l’ouest et portent l’étendard vert du Coran jusqu’aux rives de l’Atlantique. À ce moment, malgré les ravages des Vandales ariens, il y a plus de deux cents évêques en Afrique du Nord. (Il n’en restera que cinq en 1053, deux en 1076. Les derniers chrétiens disparaissent vers 1100). Ainsi le centre de gravité de l’Église n’est plus la Méditerranée avec Rome au milieu, mais l’Europe.

Un siècle seulement sépare la mort de Mahomet et le coup d’arrêt donné à Poitiers par Charles Martel aux armées musulmanes. Entretemps, des pans entiers de l’Empire qui s’appelle encore romain se sont soumis aux cavaliers d’Allah.

Une nouvelle géographie religieuse se met en place. Byzance a perdu de nombreux territoires. Les patriarches d’Alexandrie, de Jérusalem et d’Antioche se trouvent désormais en terre d’islam et sont coupés de Byzance. Les chrétiens se regroupent autour de leur patriarche qui devient aussi chef de la communauté ethnique. Malgré une relative tolérance musulmane, ces chrétiens vont décliner lentement en Orient, mais se maintiendront jusqu’à nos jours. Parmi eux, les coptes d’Égypte et les Libanais maronites.

Le patriarche de Byzance devient ainsi le chef incontesté des chrétiens d’Orient et résiste d’autant plus au pape qui veut toujours affirmer son autorité sur toute l’Église chrétienne. Les deux capitales sont en conflit religieux permanent. Ce sont leurs missionnaires respectifs qui vont d’abord s’affronter.

Les Slaves se détournent de Rome

La montée de l’Islam leur interdisant tout progrès vers le sud, les missionnaires de Rome se tournent vers l’est, vers les Slaves. Vers 700, la plus grande partie des Croates est devenue chrétienne. Puis c’est le tour des Tchèques, des Polonais et des Hongrois à la frontière des Balkans. Entre ces nouveaux chrétiens, un lien international, Rome, et une langue religieuse, le latin. Puis, plus à l’est, les missionnaires de l’Occident se retrouvent face à de nouveaux chrétiens avec leur propre langue liturgique, le slavon. Les missionnaires byzantins sont arrivés avant eux.

La frontière catholique-orthodoxe

En 862, Rostislav, prince de Grande-Moravie, (aujourd’hui pays tchèque) demande au patriarche de Byzance de lui envoyer des prêtres pour former une Église locale. Le patriarche lui délègue deux frères : Cyrille et Méthode; originaires de Grèce, ils connaissent le monde slave et parlent le slavon.

Ils sortent du milieu le plus instruit, le plus cultivé de Byzance. Avant de partir en mission, Cyrille, qui avait été bibliothécaire à la basilique de sainte Sophie, met au point le premier alphabet slave, le glagolitique, adapté aux sons particulièrement difficiles du slavon. Cet alphabet est l’ancêtre du cyrillique. Ils traduisent les Saintes Écritures en slavon. Leur mission est un succès.

Mais ils se heurtent aux rigides des « trois langues », ceux qui n’admettent que le grec, le latin et l’hébreu comme langues liturgiques. De plus, les évêques allemands qui voient la région échapper à leur influence leur sont hostiles. Ils interdisent le slavon comme langue liturgique. C’est une erreur grave. Rome vient de perdre la chance d’établir une Église catholique chez tous les Slaves.

Persécutés par les évêques allemands, les fidèles de Cyrille et Méthode trouvent refuge en Bulgarie. Et c’est à partir de là qu’une grande partie du monde slave va adopter le slavon puis plus tard le cyrillique et se rattacher à Byzance.

Les Bulgares se convertissent à la même époque. En 866, le khan bulgare, le païen Boris, après avoir hésité entre Rome et Byzance, se fait baptiser par un missionnaire byzantin, ce qui entraîne la conversion de tout le peuple bulgare qui adopte l’alphabet inventé par Cyrille. Plus tard s’ajouteront les Serbes, les Albanais, les Roumains etc. Enfin, en 989, un événement capital: en Russie le prince Vladimir Ier, négocie avec les Byzantins son baptême ainsi que celui de ses sujets. Pendant près de 400 ans, les Russes, les Ukrainiens, les peuples des Balkans seront dans la sphère d’influence byzantine. Aujourd’hui encore, une frontière religieuse et culturelle sépare du nord au sud l’Occident latin et de l’Orient grec, le monde catholique et le monde orthodoxe, l’alphabet romain et le cyrillique.

Une sérieuse question d’images

Au début, les empereurs de Byzance parlaient latin, la langue administrative de l’Empire. Puis, le latin est progressivement abandonné au profit du grec. Justinien, dernier empereur à avoir le latin comme langue maternelle, parle grec avec un lourd accent. L’unité culturelle entre Latins et Grecs se rompt: chacun ignore la langue de l’autre, d’autant plus qu’ils se tombent mutuellement sur les nerfs religieux.

En effet, le contentieux ne cesse de s’alourdir; Il y a toujours l’épineuse question du mariage des prêtres accepté à Byzance, la communion sous les deux espèces, pain et vin, les prêtres qui portent la barbe dans l’Orient grec etc. Depuis une couple de siècles, s’est ajoutée une autre chicane, d’images cette fois. Aux VIe et VIIe siècles, la vénération des icônes prend une telle ampleur qu’elle verse souvent dans l’idolâtrie. Influencé peut-être par les musulmans, l’empereur veut bannir les icônes. Or, Rome autorise la vénération des images. Puis s’ajoute une chicane purement théologique dont l’époque a le secret. En Occident on déclare que le Saint-Esprit vient du Père et du Fils (filioque), en Orient, que le Saint-Esprit vient du Père par le Fils (dia tou uiou). L’Occident a un pape, mais Byzance ne le reconnaît pas. Par contre, le pape est encore obligé de reconnaître l’empereur de Byzance, le seul de l’Empire romain. Plus pour longtemps.

Premiers États du pape

Partis de l’Afrique du Nord, les Arabes traversent en Espagne, franchissent les Pyrénées et en 732 montent vers Paris. Charles Martel le fils d’un grand maire du palais (sorte de Premier ministre), les attend à Poitiers. Sa victoire sauve la chrétienté et lui donne une extraordinaire réputation guerrière. Son fils, Pépin, est lui aussi maire du palais. Il aimerait bien être roi à la place du roi, le descendant de Clovis, mais est-ce légitime? Pépin n’a pas une goutte du sang de Clovis. Seule l’Église peut lui offrir cette légitimité.

Pépin demande au pape :

« Laquelle des deux familles doit régner? Celle qui exerce le pouvoir effectif depuis soixante-dix ans ou bien celle qui le détient en théorie seulement? »

Le pape Zacharie accueille la question avec ferveur. L’Empire de Byzance dont il est le sujet, sombre définitivement dans l’hérésie avec sa condamnation des icônes; l’empereur menacé par les Arabes jusque dans sa capitale, laisse l’Italie à l’abandon et les terres du pape sont exposés aux convoitises des Lombards; le pape constate bien qu’après la perte de la Syrie, de l’Afrique aux mains des Arabes, la chrétienté, la vraie, se réduit de plus en plus à l’Occident. Zacharie répond : « Qu’il est meilleur et plus utile que celui qui a déjà le pouvoir suprême ait aussi le nom de roi. ».

Pépin se fait proclamer roi.

Pépin le Bref, roi des Francs
Pépin le Bref, roi des Francs

À Soissons en 751, Pépin est sacré roi par l’Église. L’assemblée des Grands du royaume accepte ensuite de se soumettre au nouvel homme fort de la Gaule. Quant au dernier roi issu de la lignée de Clovis, il est tondu et envoyé dans un monastère.

Le pape suivant, Etienne II, accepte volontiers de venir renouveler le sacre à Saint-Denis non seulement pour Pépin mais aussi pour sa femme et ses enfants ce qui donne une légitimité particulière au souverain et par anticipation à ses descendants.

Le souverain est désormais séparé des autres hommes car il est maintenant roi de droit divin, consacré à Dieu, comme les évêques. Son sacre lui donne des pouvoirs religieux; il peut convoquer les conciles, il peut diriger les évêques, il confond le domaine civil et le domaine religieux.

Mais en même temps, le roi devient implicitement le subordonné de l’évêque de Rome qui, seul, peut le couronner. S’il est fort, il impose sa volonté à l’Église, s’il est faible, l’Église lui dicte ses devoirs. De toutes façons, le pape, jusqu’alors simple sujet de l’empereur de Byzance, devient le premier personnage de l’Occident.

Le sacre impose aussi au roi de d’étendre sa puissance gouverner dans l’intérêt du ciel. Il a l’obligation de défendre l’Église, et d’accroître le nombre de ses fidèles.

Juridiquement, Rome est toujours soumise à Byzance. Mais les armées byzantines en Italie s’effondrent peu à peu sous les coups des Lombards. Ceux-ci s’emparent de Ravenne, la capitale administrative de Byzance et leur dernier rempart en Italie. Rome est menacé.

Etienne II n’a que faire d’un Empire incapable de défendre l’Italie. D’ailleurs, la dernière visite d’un empereur de Byzance à Rome remonte à trois cents ans.. Il lui faut une alliance de rechange. Qui ? Pépin et les Francs, la force montante dans l’Europe germanique.

Etienne II franchit les Alpes et supplie Pépin le Bref de lui venir en aide. Pépin accepte, le raccompagne en Italie et écrase les Lombards. Fait crucial pour l’avenir, en fait, pour onze siècles, il donne au pape ces territoires reconquis qui appartenaient à Byzance.

Ce cadeau constitue l’embryon du pouvoir temporel des papes. Les États pontificaux sont nés.

À la recherche de l’Empire perdu

L’empire carolingien

Carte des conquêtes

Empire de Charlemagne en 814

Le fils de Pépin le Bref, Charlemagne, est chrétien et il prend sa religion au sérieux.

Ses troupes occupent l’Europe du Danemark à l’Espagne, de la Manche à l’Italie. Charlemagne parle latin l’unique langue de l’administration. Mais comme lui, les rares capables de le parler, religieux, moines, utilisent un latin plus que douteux, rongé par les dialectes locaux d’où vont dériver les langues en train de naître, français, allemand etc. Pratiquement plus personne ne sait lire et écrire. Charlemagne lui-même, sait lire mais pas écrire. Bref un délabrement intellectuel et culturel quasi total.

Charlemagne veut faire d’une pierre deux coups : former un clergé instruit, capable de lire les Saintes Écritures, de les prêcher au peuple et en même temps d’administrer l’Empire. Mais où trouver les profs?

Les Germaniques sont allés partout depuis qu’ils ont franchi le Rhin en 406, submergeant l’Europe jusqu’au Portugal et une bonne partie des îles britanniques.

Alors que toute l’Europe regardait passer une tribu germanique après l’autre, le calme refuge des monastères irlandais abrite le dernier bastion du christianisme, le seul qui n’a pas été submergé par les Germaniques. Les monastères se sont multipliés et peuplés. Clouard, par exemple, compte jusqu’à 3 000 moines. Ces moines et ceux de la Grande-Bretagne ont fondé des monastères en France, en Allemagne, en Suisse. Dans toute l’Europe, il ne reste que deux centres où l’on cultive un latin correct : quelques couvents de l’Italie et les îles britanniques, surtout l’Irlande où les moines conservent avec amour un latin pétrifié.

Page tirée du livre de Kells. En regardant très attentivement, on peut lire : In principiat erat verbum (au commencement était le Verbe).

Charlemagne fait venir des lettrés de ces deux pays, afin d’assurer la renaissance des études latines dans son Empire.

Alcuin, un moine d’Angleterre, est son maître d’œuvre: il conçoit un programme scolaire avec grammaire latine pour mieux comprendre les Écritures, les ouvrages des Pères de l’Église, et rhétorique afin de mieux argumenter. En 789, Charlemagne ordonne aux moines et aux évêques d’ouvrir des écoles dans leurs monastères et leurs évêchés.

On y enseigne un latin correct, mais un latin mort, un latin savant qui n’est plus fait pour les besoins de la vie courante, mais pour ceux d’une élite à qui est réservée l’instruction. Pendant des siècles, seuls les religieux sauront lire et écrire et c’est dans l’Église que tous les souverains de l’Europe devront recruter leurs fonctionnaires.        

Le nouvel empereur

L’alliance entre le nouvel Empire de Charlemagne et le pape est scellée lors d’une rencontre à Rome en l’an 800. Le jour de Noël, à l’heure où Charlemagne se trouve dans la cathédrale bondée, le pape pose soudainement une couronne sur sa tête, se prosterne devant lui et invite le peuple à acclamer le nouvel empereur.

Ce dernier est réticent; la couronne lui a été remise par le pape donc ce dernier lui est supérieur puisqu’il peut le couronner. Celui qui peut donner une couronne peut aussi l’enlever. Mais pour les Européens, cet acte, d’une portée immense, signifie le retour au bon vieux temps, quatre siècles en arrière: de nouveau ils ont un pape et un empereur chrétien. Mais à Byzance, l’empereur est profondément outré, car il pensait être le seul empereur. Il le pense encore.

À Byzance on pouvait accepter, en se pinçant le nez, qu’un pape se place sous la protection de Pépin le Bref vu qu’on ne pouvait l’aider contre les Lombards. Mais là, c’est autre chose: le pape Léon III vient de couronner un empereur sans rien lui dire. Le pape lui a tourné le dos et rompu ainsi les dernières amarres politiques de Rome avec Byzance.

Pour Charlemagne c’est un peu plus délicat. Pour avoir le prestige d’une légalité incontestable, le couronnement pontifical, les applaudissements des foules ne suffisent pas, il faut encore le consentement de l’empereur de Byzance qui demeure une grande puissance commerciale et maritime. Ses bateaux pénètrent jusqu’à Venise au nord de l’Italie.

Suivent douze années de négociations ardues. Charlemagne lui cède quelques territoires puis les ambassadeurs de Byzance se rendent à Aix-la-Chapelle pour le saluer du titre impérial et transmettre le message de l’empereur Michel qui consent à appeler Charles son “frère”. Ainsi se trouve sanctionnée à l’extrême fin de sa carrière, en 812, l’œuvre de Charlemagne.

L’Empire de Charlemagne est un conglomérat mal organisé avec très peu de commerce et pratiquement aucune ville. Tout de même, il encapsule à sa façon une grande idée: un commonwealth européen formé d’une grande variété de peuples mais tous chrétiens. Les briques de cet Empire sont, comme d’habitude, les soldats mais le ciment est le christianisme. Tous les Européens ont le sentiment d’appartenir à ce commonwealth même après le démantèlement de l’Empire.

Cette union du temporel et du spirituel signifie en pratique que ce corps unique aura deux têtes. Mais qui aura l’ultime autorité? Le pape ou l’empereur? L’Église ou l’État.

En fait, l’Église doit payer chèrement, pendant plusieurs siècles, la protection que lui assure l’empereur, chef temporel de l’Église; l’État pontifical n’est pas indépendant. Il fait partie de l’Empire de Charlemagne lequel contrôle les nominations d’évêques, et ses lois touchent aussi bien les laïcs que les religieux.

Charlemagne accorde beaucoup d’attention aux 650 monastères de l’Empire, unifiés par l’adoption de la Règle de saint Benoît, et où les moines recopient les manuscrits des Pères de l’Église, les classiques latins, et les transmettent ainsi à la postérité.

Nous n’avons que trois ou quatre manuscrits originaux des auteurs latins. Toutes nos connaissances de la littérature latine viennent du travail de collecte et de recopiage effectué sur l’ordre de Charlemagne. Les textes qui avaient survécu jusqu’en 800 ont survécu jusqu’à aujourd’hui.

L’empire de Charlemagne

Carte: http://www.lib.utexas.edu/maps/historical/europe_814_colbeck.jpg

L’État est traité comme une parcelle de terre. L’Empire de Charlemagne est donc partagé à sa mort entre ses héritiers comme l’agriculteur partage sa terre entre ses fils. Depuis, le chaos règne. L’Occident est attaqué de tous les côtés.

Au sud, venus de Sicile, des Arabes pillent Rome en 846 puis s’installent en Provence. Vers 900, les Vikings, venus de Scandinavie, débarquent sur les rivages de la France. Ils pénètrent dans le pays, pillant et saccageant les églises et les monastères. Rien ne s’oppose à leur avancée; puis des cavaliers venus des steppes déferlent sur l’est de l’Europe, avant de s’établir dans un territoire auquel ils laissent leur nom: la Hongrie. Au vocabulaire français, ils laissent le mot “ogre”. La vague d’invasions est plus destructrice que celle qui a fait tomber Rome car l’Empire des successeurs de Charlemagne est moins grand et beaucoup plus faible. Mais les liens que Charlemagne a rétabli entre l’Europe et le monde antique tiennent bon.

 « Le synode du cadavre »

Pendant ces nouvelles invasions, la papauté connaît sa période la plus sombre. Rome, 20 000 habitants, est tombée aux mains des grandes familles aristocratiques qui se partagent les papes.

Depuis la mort de Jean VIII en 882, des papes médiocres et immoraux se sont succédé. L’un d’entre eux va jusqu’à déterrer le cadavre décomposé de son prédécesseur, Formose. On le revêt des habits pontificaux et on le place au centre de la basilique Saint-Pierre pour y être jugé par un synode, un groupe d’évêques, présidé par le pape. Après le macabre procès, “le synode du cadavre”, le corps de Formose est jeté dans le Tibre.

De 904 à 932, trois papes meurent assassinés.

A partir de 928, Marozie, fille d’un sénateur romain, dirige Rome. Elle fait étouffer sous un oreiller le pape Jean X, nomme ses successeurs dont le fils qu’elle a eu avec son amant, un autre pape. Ce fils monte à l’âge de 18 ans sur le trône de saint Pierre sous le nom de Jean XII.

En 960, menacé par quelques familles rivales, Jean XII demande la protection du plus puissant monarque de l’époque, Otton le Grand d’Allemagne, et le couronne empereur le 2 février 962. Le Saint Empire romain germanique est né. Mais cet Empire est surtout allemand, sans commune mesure avec celui de Constantin ou de Charlemagne. Mais, tout en continuant à gouverner leurs royaumes comme ils le veulent, la plupart des rois reconnaissent l’empereur pour leur supérieur. Mais il devra être élu; par des rois, des princes, des évêques.

Otto le Grand interdit aux grandes familles corrompues de la noblesse romaine d’élire un autre pape que son candidat. Il faut dire que les papes choisis par les empereurs pendant le siècle qui suit sont souvent plus dignes.

Puis, en 1059, un synode décide que le pape sera désormais élu par les cardinaux choisis parmi les principaux évêques de la chrétienté. Lorsque le Saint Siège est vacant, les relations politiques, le commerce international sont en suspens. Il faut donc élire un pape rapidement. Dès la mort du pape ce collège de cardinaux doit accourir à Rome, se réunir dans le secret ( conclave) hors de toute influence extérieure, afin de choisir son successeur. En théorie, car pendant encore deux siècles, l’empereur allemand doit confirmer leur choix. Ce collège des cardinaux, au service du pape, constitue une vraie cour, la curie, qui assure la continuité du gouvernement de l’Église entre deux règnes.

La féodalité

De nouveau, l’Europe se morcelle, se transforme en désert culturel. La Méditerranée est devenue arabe, les Vikings se promènent entre la Baltique et l’Espagne, descendent la Volga, créent la future Russie. Guerres, épidémies, violences marquent le tournant de l’an mil. Les grandes villes se vident de leurs habitants. La campagne se replie sur elle-même, subvenant à ses propres besoins. Tout le monde cherche un protecteur, le mieux armé possible.

Sous Charlemagne, les soldats devaient s’équiper eux-mêmes et l’équipement d’un cavalier coûtait très cher, – un cheval vaut autant que six vaches, et une cuirasse vaut douze vaches. Aussi, les princes carolingiens ont pris l’habitude de distribuer à leurs fidèles militaires de vastes domaines, les futurs châteaux.

Abandonnés et sans protection, les paysans ne construisent plus comme autrefois, leurs cabanes isolés et dispersés sur leur lot. Ils groupent leurs habitations en villages bâtis de préférence sous la protection immédiate d’un des châteaux qui commencent à s’élever un peu partout en Europe.

C’est le début de la féodalité.

La féodalité est un lien, contracté par serment, qui fait d’un homme l’homme d’un autre homme, L’un se voue au service de l’autre qui en échange le protège. Ce contrait fait l’affaire de tout le monde en des temps troublés.

Naît alors une classe de militaires professionnels, les futurs chevaliers, qui se chargent d’assurer la sécurité autour d’eux. À son tour, le chevalier prête serment de fidélité à plus fort que lui, un comte par exemple qui devient son suzerain. Le comte est vassal d’un prince. Le prince est vassal du roi.

Les rois, il y en a encore, mais ils n’ont pas plus de pouvoirs qu’un président honoraire d’un conseil d’administration composé de féodaux indépendants.

En contrepartie du serment de fidélité qu’ils lui prêtent, les suzerains remettent à leurs vassaux des concessions de terre, des fiefs. Le fief finit par être héréditaire. Le vassal continue à être soumis à différentes obligations telles que le service militaire. C’est le cas aussi pour les évêques, propriétaires fonciers qui doivent entretenir une armée. Ça peut être d’une complexité inouïe. Le comte de Champagne a 2017 vassaux. Mais lui-même à cause de ses fiefs très diversifiés, doit hommage à 10 suzerains différents dont l’empereur, le roi de France, le duc de Bourgogne, deux archevêques, quatre évêques et l’abbé d’un monastère. Du curé à l’empereur, du chevalier au pape, le temporel et le spirituel n’ont jamais été aussi entremêlés.

900-1000 : La révolte des moines

Pourtant, discrètement, face à ce chaos féodal, des hommes ont décidé de préserver l’Église de l’influence des laïcs. Ils ont le temps, une patience à user les roches et ils ont commencé cette tâche complètement en dehors du monde féodal, ce sont les moines de Cluny.

cluny
Cluny

Pierre d’angle de cette réforme: la fondation de l’abbaye de Cluny en Bourgogne en 909. Le fondateur, un duc pieux qui veut éviter de tomber sous la coupe d’un prince, d’un seigneur ou d’un évêque, réussit un coup de maître: il place Cluny directement sous l’autorité de Rome.

À Cluny, retour à la règle de saint Benoît, une vie plus austère, des jeûnes, l’observance du silence, la mise en commun des biens, le rôle central de l’abbé. Peu à peu, de la Bourgogne, elle gagne l’Aquitaine et l’Italie, puis l’Allemagne, l’Espagne et l’Angleterre. Les monastères bénédictins étaient indépendants, Ceux de Cluny dépendent du monastère central. Au XIe siècle, Cluny compte 10 000 moines dans 1400 « filiales », bref, la capitale du plus vaste empire monastique que la chrétienté ait jamais connu. Avec un seul chef, une seule pensée révolutionnaire, briser la mainmise du temporel sur le spirituel. S’il y a beaucoup de contacts entre eux et les autres moines d’Occident, il n’y en a aucun avec les moines de Byzance et ils ignorent l’événement majeur qui vient de se passer en Grèce.

En 963, le moine Athanase fonde un premier monastère sur le mont Athos, qui deviendra un haut lieu de la spiritualité orthodoxe. Les moines occidentaux n’en ont sans doute rien su. Tout au long du Xe siècle en effet, les relations entre les chrétiens de l’Occident latin et de l’Orient grec ont été quasiment inexistantes. La chrétienté reste théoriquement unie, une unité de façade qui n’en a plus pour longtemps

La chrétienté divisée en deux

L’après-midi du 15 juillet 1054, trois cardinaux se dirigent vers l’église Sainte Sophie. Dans la basilique, Michel Cérulaire, le patriarche de Byzance, dit la messe. Les trois cardinaux, sans regarder personne, se dirigent vers l’autel et y jettent un parchemin. Ils ressortent aussitôt, se rendent au port, embarquent dans un navire qui lève l’ancre et repart vers l’Italie.

Le patriarche lit le parchemin: le pape excommunie toute l’Église d’Orient et ses fidèles. Quelques jours plus tard, à son tour, le patriarche de Byzance excommunie le pape. et la séparation

La chrétienté est désormais divisée entre entre ceux qui s’intituleront bientôt les “orthodoxes” (la vrai foi) et ceux qui se diront “catholiques”. La très grande majorité des Églises d’Orient s’alignent sur Byzance et deviennent des Églises orthodoxes. Mais d’autres Églises, maronites, melkites, restent unies à Rome, tout en gardant leurs coutumes et leurs traditions.

Dans tous les cas, orthodoxes ou unies à Rome, ces Églises sont soumises à l’autorité des musulmans. Avec le temps, chacune se replie dans une autonomie religieuse limitée à son peuple.

Rome et Byzance ne se parlent plus.

Grégoire VII : le sexe et l’argent

Enfin, à la grande joie des moines de Cluny, Hildebrand, un des leurs, est élu pape en l’an de grâce 1073. Il prend le nom de Grégoire VII. Il était temps. Les abus sont criants.

En théorie, les évêques sont élus par les chanoines; en pratique, l’empereur et les rois nomment qui ils veulent; un tel pour le récompenser de ses bons et loyaux services, un autre parce que c’est quelqu’un de la famille ou parce que c’est lui qui a offert le plus d’argent. Plusieurs évêques sont mariés et ont des enfants. Le poste qu’ils ont acheté ou reçu en cadeau leur permet faire vivre leur petite famille et ils se sentent naturellement obligés envers leurs bienfaiteurs.

L’Église est prise dans les mailles du filet seigneurial. Ses évêques, ses abbés, se retrouvent à la fois seigneurs et vassaux. Ils doivent prêter allégeance aux princes, recevoir l’hommage de leurs vassaux.

Même chose à l’échelle des modestes églises, desservies par des curés, souvent mariés, toujours ignorants, et qui doivent tout au seigneur du coin. Désormais c’est tout l’édifice catholique qui risque d’être asservi aux appétits temporels, depuis les humbles églises rurales jusqu’à la papauté.

Grégoire VII est excédé depuis longtemps par le laisser-aller général de l’Église, par ces dynasties d’évêques, de père en fils ou d’oncle en neveu devenues banales en Europe. Déjà sexagénaire, il ne veut pas perdre de temps. Il s’attaque aussitôt au mariage des prêtres. Il ravive l’ancienne règle du célibat des prêtres. Pour appartenir complètement à l’Église et à elle seule, le clerc doit désormais renoncer de façon absolue à toute espèce de famille.

Sa réforme sévère transforme le clergé en un corps de fonctionnaires, dédiés corps et âmes à leur mission et parfaitement soumis à la volonté de la hiérarchie. Avec lui, la papauté devient vraiment la tête de l’Église. Au début de son pontificat, il était plutôt favorable aux interventions de l’empereur germanique pour libérer le pape des intrigues des familles italiennes. Puis il a acquis la conviction que le jeu de l’empereur était lui-même lourd de menaces pour l’indépendance du pape. Désormais en position de force, Grégoire VII affronte l’empereur lui-même.

D’abord, extirper la racine du mal, la nomination des prêtres, des évêques par des laïcs. Son but à long terme est de contrôler l’élection des évêques, les nommer directement. À leur tour, les évêques nommeront les prêtres. Bref, tasser les seigneurs et même l’empereur. Le pape s’attaque ainsi au système féodal lui-même, et c’est le seul système que l’Europe connaît.

La réforme est acceptée dans tout l’Occident, sauf dans l’empire germanique, le plus gros morceau. L’empereur Henri IV ne veut surtout pas abandonner son contrôle payant sur les évêques.

Grégoire VII rappelle à Henri IV qu’il lui est désormais interdit de se mêler de la nomination des évêques. En réponse l’empereur réunit un synode d’évêques paqueté par ses fidèles et fait déposer le pontife. Le pape sort sa plus puissante arme spirituelle et l’excommunie. Tous les chrétiens, donc tout le monde, abandonnent l’empereur. Henri doit attendre trois jours dans la neige devant le château du pape à Canossa pour implorer son pardon. Faux remords; trois ans plus tard, il entre dans Rome et nomme un nouveau pape.

L’affrontement va durer des décennies. Après de longues tractations l’Église et l’Empire s’entendent et signent à Worms en 1122 le premier Concordat de l’Église ( traité entre le Vatican et un État portant sur des questions religieuses).

Finalement, la papauté gagne. Le pape s’est rendu indépendant de l’empereur. D’autres conflits surgiront dans l’Empire et ailleurs en Europe, mais le principe fondamental de la liberté de l’Église a triomphé.

Désormais, l’évêque est élu librement par le chapitre de la cathédrale. L’empereur ne s’en mêle plus. Le pape confirme l’élection et investit l’évêque.

Mais l’évêque élu, disons à Mayence, est aussi responsable d’édifices et de terres concédées par l’empereur et sur son territoire. L’évêque a donc des obligations envers l’empereur. Le concordat de Worms précise que l’empereur confirme la nomination de l’évêque pour les questions temporelles.

1099 : La première croisade

Au temps de Charlemagne, les rapports entre les pèlerins chrétiens et les Arabes musulmans sont relativement bons. Mais la situation se détériore quand de nouveaux musulmans originaires du Turkestan s’emparent de la Syrie. Ils professent un Islam farouche. Les pèlerinages deviennent dangereux.

La vraie religion du Moyen Âge tourne autour du culte des saints et de leurs reliques — il n’y a pas moins de quinze prépuces du Christ vénérés dans différentes églises à travers l’Europe — et des pèlerinages qui poussent des foules de croyants sur les grands « itinéraires sacrés » comme le Mont-Saint-Michel, Rome, Canterbury, Saint-Jacques-de-Compostelle et, le plus important, Jérusalem.

La destruction du Saint Sépulcre à Jérusalem par le sultan Hakim en 1009 crée un choc dans les consciences chrétiennes.

L’Empire byzantin se trouve directement menacé. Il demande l’aide de l’Occident contre les Turcs.

Une croisade est organisée par le pape français Urbain II, qui commence la prédication au concile de Clermont le 28 novembre 1095. Il est entouré de quatorze archevêques, deux cent cinquante évêques, quatre cents abbés, d’une foule de seigneurs et de chevaliers. Son brûlant discours est accueilli par un enthousiasme indicible. Clercs et laïcs se lèvent par milliers. Ils fixent des croix d’étoffe rouge sur leurs vêtements en s’écriant: “Dieu le veult”.

Dans la foule qui écoute Urbain, des chevaliers français avaient participé à la “reconquista” de l’Espagne sur les musulmans amorcée dès Charlemagne. Quinze ans plus tôt, ils s’étaient emparés de Tolède. Ils n’avaient porté aucune attention aux bibliothèques. Tout était en arabe et d’ailleurs aucun ne savait lire. Ces manuscrits vont pourtant, en moins d’un siècle, changer l’Occident, du moins ses intellos.

La guerre en Terre sainte permet à ces chevaliers de se battre sans violer les interdits de la paix de Dieu.

À l’époque, n’importe quel baron peut faire la guerre au baron voisin. L’Église essaie de limiter les violences chroniques du monde féodal. La “paix de Dieu” soustrait certaines personnes et certains lieux à la violence guerrière. Pareille interdiction est une innovation sans précédent. Il y a maintenant des lieux d’asile, des lieux sacrés.

Ce n’est pas toujours efficace. Néanmoins, cette condamnation constitue un fait social d’une importance capitale, car elle marque un pas de plus vers un respect plus grand de la vie humaine.

Aux lieux d’asile, s’ajoute la “Trêve de Dieu” qui oblige à suspendre l’usage des armes pendant plusieurs périodes du calendrier liturgique, ainsi que pendant certains jours de la semaine.

Lutter contre les infidèles, mourir en combattant devint l’idéal de vie des chevaliers qui se croisent massivement.

Jérusalem tombe en 1099

On lit dans un vieux rapport:

« Les Croisés remplirent de sang la cour du temple de Salomon, jusqu’aux genoux des cavaliers et jusqu’au harnais de leurs chevaux. (…) puis heureux et pleurant de joie, les nôtres allèrent adorer le sépulcre de Notre Sauveur Jésus-Christ. »

De tous les chrétiens orientaux, les Arméniens et les Maronites sont les seuls à se ranger du côté des Croisés et à combattre avec eux. Îlots oubliés dans une mer musulmane, ils se réjouissent d’avoir enfin une fenêtre sur le monde. En 1203, leurs représentants prêtent serment d’allégeance à Rome. Ils le paieront cher.

Les Mongols

Au XIII siècle, d’intrépides franciscains reviennent du pays des steppes avec une nouvelle incroyable: de l’autre côté du monde musulman, ils ont rencontré des rois mongols chrétiens, convertis par les nestoriens qui ont alors pas moins de deux cents diocèses en Asie.

Les croisés et le pape rêvent alors de prendre les musulmans à revers en faisant alliance avec les Mongols. Faux espoir; le nouveau roi mongol, le grand conquérant Tamerlan (1370-1405) est hostile aux chrétiens et anéantit presque complètement l’Église nestorienne dont les derniers fidèles se replient vers l’ouest dans le nord de l’Irak puis, sur les côtes du Malabar en Inde.

Aujourd’hui encore en Iran et en Irak quelques milliers de chrétiens nestoriens témoignent d’une Église qui fut l’une des plus ambitieuses de l’aventure chrétienne.

L’Europe chrétienne

Tous les Européens sont chrétiens de la naissance à la mort. Les saints sont des modèles, des intercesseurs (au jour du jugement) et des patrons. Les uns protègent les paroisses, les autres les métiers.

L’église est riche. Quand Guillaume de Normandie devient roi d’Angleterre en 1066, les 35 monastères de l’île disposent ensemble d’un revenu équivalent au sixième du PNB.

Elle reçoit des dons en argent, en terres en particulier les legs des mourants. Ces revenus ne servent pas seulement à l’entretien du clergé. L’aumône et l’hospitalité ont toujours été exigées par la règle de saint Benoît. Maintenant, l’Église, et elle seule, finance les hospices, les léproseries, et les refuges maisons-Dieu, futurs hôpitaux. Elle prend soin des pauvres, des malades, des blessés, des orphelins et des pèlerins.

Elle préside à tous les actes importants de la vie des fidèles, elle est maîtresse d’une grande partie du territoire, ses domaines sont les mieux administrés; armée de l’excommunication et de l’interdit, elle contribue à faire la police. Elle fournit aux princes le personnel de leurs bureaux enfin elle a seule la garde des connaissances scientifiques et littéraires.

Depuis l’an 1000, l’Occident tout entier est devenu catholique ou en passe de le devenir comme en Espagne. Les missionnaires catholiques achèvent lentement de convertir le nord de l’Allemagne, la Prusse et les pays baltes. Cette dernière évangélisation, forcée, est en grande partie l’œuvre d’un ordre militaire et religieux fondée en Terre sainte, les chevaliers teutoniques, qui devront se battre pendant quelques siècles, les Lithuaniens résistant jusqu’en 1386. On peut dire, grosso modo, que le vaste no man’s land païen au nord et à l’est de l’Europe, sauf la Scandinavie, a disparu.

L’Église s’identifie au peuple occidental tout entier, à l’exception des quelques communautés juives que l’on tolère, ou que l’on persécute. Il s’agit de maintenir l’intégrité de la foi « catholique », en éliminant sans pitié tout ce qui est « déviation » ou « hérésie ».

Le gouvernement de Dieu

« Le prêtre prie, le seigneur combat, le rustre travaille » : le monde médiéval est un monde hiérarchisé dans lequel les religieux tiennent la première place. Cet ordre a été établi une fois pour toutes.

Dans cette organisation, il n’y a guère de place pour l’évolution. C’est un monde fixe où chaque groupe rend indéfiniment les mêmes services. Or, vers l’an 1200 cet ordre est bousculé. Les invasions sont terminés, le commerce a repris, plusieurs villes ont obtenu leur liberté communale, collective en payant les seigneurs qui les dirigeaient. Ces villes, quelques-unes avec plus de 100 000 habitants, des douzaines avec plus de 30 000 et des centaines avec plus de 10 000, sont dirigées par des bourgeois, banquiers et commerçants, qui aspirent à plus de place dans la société du Moyen Âge.

La population des villes double en deux siècles et attire les écoles. Il y a encore des écoles de monastères exceptionnelles comme celles du Mont Cassin, mais elles sont supplantées par les écoles de cathédrales, qui, avec l’afflux des fils de bourgeois qui ne veulent pas devenir moines ou prêtres, offrent maintenant des études avancées, les futures universités.

Les universités

« Nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants. » (Bernard de Chartres vers 1130-1160)

On peut faire des études avancées dans trois domaines seulement: médecine, droit, théologie, autrement dit la « science de Dieu et des choses divines»; tout converge, en fait, vers elle et tout doit y aboutir.

Vers 1150, les étudiants européens vont à Paris pour étudier la théologie, à Bologne pour les études de droit, non seulement le droit canon, le droit de l’Église mais aussi le droit romain, une bombe qui va éclater au visage des papes quelques siècles plus tard.

L’empereur Justinien avait ordonné au VI siècle une gigantesque compilation des lois romaines. Ce code de lois avait disparu, mais on savait que deux copies abrégées, des digestes, avaient été faites. Introuvables. Depuis, quand on avait un problème légal, on allait voir le prêtre ou l’astrologue qui essayait de faire de son mieux en priant ou en interprétant la date de naissance. Puis, en 1076, le professeur Irnénius retrouve un des digestes, il se met à l’enseigner à Bologne. Or, le Code de Justinien avec toute sa jurisprudence, donne toutes les armes légales dont peut avoir besoin un empereur. Ou un roi comme certains papes vont le constater.

Tous les cours sont en latin; les étudiants étrangers se regroupent dans certains quartiers et, parlant tous latin, laissent ce nom à leur quartier dans les villes universitaires.

La méthode est celle du texte expliqué. Le maître ne donne pas un cours personnel. Il commente Cicéron, Virgile, Horace, saint Augustin, Hippocrate, Galien. Il n’essaie surtout pas d’innover.

D’ailleurs, les hommes de ce temps ne croient guère au progrès. Le cerveau des intellectuels est encombré par des siècles de superstitions, la peur des idées nouvelles, et l’obéissance totale à l’Église. Depuis que saint Augustin a déclaré l’inutilité d’étudier le monde terrestre, il n’est plus question pour les intellos d’observer directement ce qu’il y a autour d’eux.

Les cerveaux les plus audacieux ne peuvent faire un pas sans s’appuyer sur une autorité reconnue. Pendant les rarissimes dissections de cadavres, toujours faites par un chirurgien-barbier, le docteur, livre de Galien ou d’Hippocrate à la main, lit à voix haute leurs descriptions des organes. L’idée de regarder lui-même ne lui viendrait pas à l’esprit. Lorsque Bède le vénérable décrit le mur d’Hadrien, entre l’Écosse et l’Angleterre, devant lequel il passe tous les jours, il préfère citer un écrivain latin plutôt que de décrire ce qu’il voit.

Il leur manque aussi un outil intellectuel avec lequel ils pourraient poser des questions et les connaissances que les Grecs avaient accumulées et qui, disait-on, étaient perdues.

Puis une tonne de briques intellectuelles venue d’Espagne tombe sur les universitaires.

Tolède dans l’Espagne musulmane comptait quelque 400 000 livres en papier, beaucoup plus que dans toute la France. C’était le grand centre intellectuel du pays. Quand les chrétiens l’ont reconquise, en 1080, ils ont trouvé d’un seul coup tout le savoir grec plus tout le savoir musulman. Retour aux nestoriens.

Au IXe et Xe siècles, des savants nestoriens avaient traduit du grec en syriaque la majeure partie des grands auteurs de l’Antiquité, Euclide, Ptolémée, Hippocrate, Galien, Aristote. Après l’invasion musulmane ils ont tout traduit en arabe. Les œuvres ont fait le tour de la Méditerranée avant de se retrouver dans les bibliothèques de Tolède.

Des chercheurs européens font le pèlerinage à Tolède, ramènent une œuvre par ci par là. La demande augmente. Puis, l’archevêque Raymond de Sauvetat établit une école de traducteurs (1126-1151). Il faut traduire de l’arabe à l’espagnol puis au latin. Des Juifs de Tolède traduisent de l’arabe à l’espagnol, puis des moines de l’espagnol au latin. Petit à petit, les œuvres d’Aristote arrivent dans les universités européennes, accompagnées de commentaires et de textes de scientifiques musulmans comme Al Kindi, Al Farabi, Avicenne. Désarroi total des autorités religieuses.

Aristote, auteur encyclopédique, a classifié, organisé et systématisé tout ce que les Grecs connaissaient: botanique, zoologie, astronomie, physique, logique, métaphysique, science politique etc.

Les intellos chrétiens n’en connaissaient que des bribes recopiées par les moines et ils étaient déjà sérieusement impressionnés. Là, ils ont la traduction des œuvres complètes. Le problème de ce très grand et très respecté auteur est qu’il ne fait jamais intervenir Dieu. De plus les traductions des commentateurs arabes mettent l’accent sur le côté non-religieux, non-spirituel d’Aristote. Bref, une crise majeure pour les intellos chrétiens. Aristote a un système philosophique cohérent. Est-il compatible avec la vérité chrétienne révélée? Comment réconcilier la Bible et Aristote? La foi et la raison?

Évidemment, l’Église se dépêche d’en interdire la lecture. Échec. Puis permet l’enseignement de certains extraits à Toulouse. Les autres universités hurlent à la discrimination. Finalement, on laisse les étudiants lire ce qu’ils veulent.

Le dominicain saint Thomas d’Aquin est convaincu que la foi et la raison sont compatibles, que la raison peut prouver l’existence de Dieu et qu’il n’y a rien dans les enseignements chrétiens qui soit contraire à la raison. Son ambition est de rendre intelligible aux chrétiens par sa « Somme théologique » (1266-1274) une synthèse harmonieuse de la science antique et de la révélation chrétienne.

Mais il y avait autre chose dans Aristote, un outil magique pour argumenter, le syllogisme. Son emploi permet d’éviter des conclusions fausses et illogiques.

Le syllogisme est organisé en trois parties : une prémisse majeure, une prémisse mineure, une conclusion.

Tous les hommes sont mortels.

Je suis un homme.

Je suis mortel.

Aucun Italien n’est noir.

Certains hommes sont italiens.

Certains hommes ne sont pas noirs.

Le but du syllogisme était d’utiliser deux faits connus pour en produire un troisième jusqu’alors inconnu.

Cette technique aide considérablement l’étude du monde parce qu’elle donne des conclusions nécessairement logiques même si on ne peut pas les observer physiquement.

La peau devient humide avec la transpiration.

L’humidité s’échappe des choses par des trous.

La peau a des trous. (pores)

À Paris, un Breton nommé Abélard applique cette méthode aux Textes sacrés. Il montre que certaines autorités sur le sujet se contredisent. Il est rapidement écarté.

Malheureusement, en acceptant les idées d’Aristote, les universitaires ne tiennent absolument pas compte de l’importance qu’il avait accordée à l’observation directe de la nature. On se contente de considérer les écrits d’Aristote comme la règle suprême dans plusieurs domaines par exemple le monde qui nous entoure. Donc, au lieu d’examiner directement la nature, on lit Aristote.

Le gouvernement de Dieu

Le pape Innocent III
Le pape Innocent III

Depuis Grégoire VII, des religieux rêvent à un ambitieux idéal : une chrétienté soumise au pape. On y pense encore plus durant tout le XIIe siècle, et on s’en approche sérieusement vers 1200 avec le pape Innocent III pour qui “Rome est à la fois les clefs du ciel et le gouvernement de la terre”.

De son trône pontifical, Innocent III fait trembler l’Europe de l’Irlande à l’est de la Méditerranée, de la Scandinavie à l’Espagne chrétienne. Il évince l’empereur de l’Italie, excommunie Jean sans Terre d’Angleterre et obtient sa soumission; il arbitre les querelles entre les prétendants à l’Empire germanique et règle le ballet des monarchies de Hongrie, d’Aragon et de Castille. L’Église est au sommet de sa puissance temporelle. Innocent III vise rien de moins qu’à faire de la chrétienté un gouvernement, en principe, de Dieu, et, en fait, des papes.

Le concile de Latran de 1215 marque l’apothéose du pontificat. Près de 1500 évêques et abbés venus de toute la chrétienté y entérinent ses décisions.

D’abord, la réforme du clergé. Il s’attaque à l’ivrognerie des prêtres, le train de vie des évêques, des moines, leurs grandes propriétés. Puis, la question de la tolérance: il n’y en aura aucune.

Les Juifs sont obligés de porter des habits distinctifs ( pièce d’étoffe jaune, chapeau pointu, ) et, à toutes fins pratiques ne peuvent exercer qu’un seul métier, celui qui est formellement interdit aux chrétiens, prêter de l’argent. On imagine les conséquences… Mais, comparé aux hérétiques, leur sort est enviable..

Le pape a été échaudé par “les pauvres de Lyon”, des fidèles de Pierre Valdo, riche marchand de Lyon qui, aux alentours de 1160 a fait traduire à ses frais les Évangiles. Puis, Valdo a quitté Lyon, rassemblé des fidèles et prêché contre le luxe et l’opulence du clergé. Ils ont été excommuniés en 1182. Mais ils se cachent encore un peu partout en Europe;

L’Église n’en est pas à sa première hérésie; Mais pour la première fois depuis saint Augustin, elles réapparaissent comme un phénomène de masse au cœur de la chrétienté. Les Vaudois se sont tout de même répandus en Provence, en Italie, en Catalogne, etc.

1208-1249

Depuis quelques années, des rapports inquiétants parviennent au pape. Dans le Midi de la France, autour de la ville d’Albi, des hérétiques rejettent l’Ancien Testament et affirment qu’un dieu mauvais a créé la chair. Ils s’efforcent de vivre dans la chasteté, du moins l’élite d‘entre eux. On les appelle les Albigeois (Cathares).

Leur succès est largement dû à la faillite du clergé. La population est exaspérée par leurs privilèges et leurs mœurs, par la collusion de l’Église et des puissants seigneurs.

Ce pape de génie comprend que pour lutter contre ce genre d’hérésies il faut des hommes plus proches du peuple, capables d’aller vers les défavorisés, de les convaincre par l’exemple de leur vie autant que par leur discours. Pierre Valdo a été condamné par l’Église précisément parce qu’il s’est dépouillé de ses biens pour aller annoncer l’Évangile.

Qu’à cela ne tienne, le pape autorise une nouvelle sorte de missionnaires qui veulent se dépouiller de leurs biens pour aller annoncer l’Évangile!!!

Les prêcheurs de rue

C’est un choc parmi les chrétiens. Les moines sortent de leur monastère? Ils s’installent en ville? En fait, ce ne sont pas des moines mais des religieux de type nouveaux, des ordres mendiants, une première et un tournant dans l’histoire du christianisme.

Même les Chartreux, les rois du silence et de la frugalité, n’exigent que la pauvreté individuelle. Collectivement, l’ordre peut très bien être millionnaire. C’est différent avec les franciscains et les dominicains. Leurs fondateurs, saint François, saint Dominique interdisent toute possession personnelle, toute possession collective. L’humilité mais sans la mortification. Une autre nouveauté dans l’histoire du christianisme.

Ces pauvres absolus prêchent l’Évangile sur les routes. Ils ne comptent que sur leur travail ou la quête pour subsister. Les dominicains, des studieux instruits, prêchent le Christ par la démonstration intellectuelle, les franciscains par l’exemple de la charité et de la pauvreté.

Avec saint François d’Assise, pour la première fois dans l’histoire des chrétiens, des religieux apporte un nouveau style de vie optimiste et joyeux, amoureux de la nature. C’est pourquoi les écologistes et les militants de la non-violence ont fait de saint François le premier d’entre eux.

Rapidement, les prédicateurs franciscains en bure brune, nu-pieds dans leurs sandales, rassemblent d’immenses auditoires dans toutes les villes d’Europe. Mais ce ne sont pas eux qu’on envoie dans les régions contaminées par les Albigeois.

L’Église choisit des prédicateurs de choc, moines cisterciens, dominicains, dont leur fondateur Saint Dominique. Chou blanc. Les Albigeois ne sont pas impressionnés. Place aux armes.

C’est la première croisade en terre chrétienne. L’armée de croisés descend dans le sud. La guerre va ensanglanter le Midi de la France pendant dix-huit ans. Les Albigeois sont décimés sans compassion. En mars 1244, la prise de Montségur, dernier bastion de résistance, décapite le mouvement. Les fidèles s’éparpillent pourchassés par l’Inquisition créé par le pape Innocent IV en 1252 pour traquer les hérétiques. L’Inquisition peut torturer pour obtenir des aveux. Cruauté nécessaire aux yeux de l’Église; elle est infaillible, donc ceux qui ne pensent pas comme elles sont dans l’erreur, vont aller en enfer et risquent d’y amener qui les écoutent. Il lui appartient donc d’écarter les hérétiques par tous les moyens, le plus sûr étant de les liquider.

Ce siècle voit l’apogée de la papauté. Depuis que Frédéric II, l’homme le plus marginal du Moyen Âge a été excommunié, elle a triomphé de l’Empire germanique. L‘empereur ne “règne” plus que sur une poussière de principautés et de villes libres. Lorsqu’en 1291 tombe Saint-Jean-d’Acre, le dernier bastion chrétien de la Terre sainte, la papauté se prépare à prendre la direction de l’Europe et l’unir à nouveau contre l’Islam. Le pape croit avoir le champ libre.

Mauvais calcul. Durant le siècle, une nouvelle force fait son entrée dans la politique européenne, les États tels l’Angleterre ou la France alors la monarchie la plus puissante du continent. Finances, armée, les rois affermissent leur autorité dans tous les domaines. Ils contrôlent plus étroitement leurs vassaux, collaborent avec leur clergé “national” et donnent un caractère sacré au pouvoir royal. Deux obstacles les empêchent d’être encore plus puissants: les papes et les empereurs. Les premiers ont affaibli les deuxièmes. Laffrontement avec le pape ne saurait tarder.

Lors du jubilé de 1300, le pape Boniface VIII porte la nouvelle tiare à deux couronnes, le symbole de son autorité spirituelle sur l’autorité civile. Trois ans plus tard, il n’a plus aucun pouvoir.

Tout commence avec une querelle fiscale. Le roi de France, Philippe le Bel s’est entouré d’avocats qui veulent appliquer le Code de Justinien, donc priorité des droits de l’empereur (ou du roi) sur le droit féodal. Dans le code Justinien, l’autorité royale est inaliénable et indivisible et doit disposer des moyens d’imposer à tous sa prérogative.

Philippe, qui manque d’argent, taxe le clergé français sans demander l’opinion du pape. Une première. Le pape Boniface VIII scandalisé, l’excommunie. Il écrit dans Unam Sanctam:

“ Nous déclarons, disons, définissons et prononçons qu’il est absolument nécessaire au salut, pour toute créature humaine, d’être soumise au pontife romain.”

Le roi bloque alors tous les transferts de fonds vers Rome. Misant sur un sens national déjà fort éveillé, il convoque pour la première fois en France un genre de parlement de ses sujets, clergé, nobles et bourgeois qui l’appuie massivement.

En 1303, Philippe le Bel envoie son principal avocat kidnapper le pape en Italie. Le vieux pontife, 86 ans, est insulté et souffleté. Libéré mais brisé, il meurt un mois plus tard. La papauté n’essaiera plus jamais de gouverner l’Occident.

Le nouveau pape, le Français Clément V, se dépêche de tout pardonner au roi. Il lui octroie une fournée de cardinaux et surtout, laisse tomber les Templiers dont les richesses font rêver le roi. Entre autres biens, ils possèdent à Paris la plus grosse banque de l’Europe. Le roi, toujours à court d’argent, veut rafler le tout. La police de Philippe lance un vaste coup de filet à travers toute la France: tous les Templiers sont arrêtés à la même heure dès l’aube pour empêcher qu’ils mettent en lieu sûr leurs trésors et leurs biens. La torture se charge ensuite de confirmer les accusations: idolâtrie, hérésie, sodomie…En 1312, le pape dissout l’ordre du Temple.

Clément V déménage à Avignon dans le Sud de la France. La mesure devait être temporaire; les papes y séjourneront plus de soixante ans, construisant un somptueux palais, et dépensant sans compter.

Clément VI emploie pour sa garde-robe plus d’un millier de peaux d’hermines; lors d’une réception offerte par un de des cardinaux, un Italien, témoin oculaire, rapporte que le service fut fait par quatre chevaliers et douze écuyers aidés de 50 écuyers du cardinal; c’est vrai qu’il y eut neuf services qui se décomposaient chacun en trois plats.

Les papes d’Avignon, plus préoccupés par l’argent et les affaires politiques que par la spiritualité, écrasent de taxes toute la chrétienté. Spectacle affligeant pour les fidèles. Puis, en 1347-1350 la Grande Peste retranche un tiers de la population. Elle revient plusieurs fois au cours du siècle.

Pour les chrétiens désemparés, Dieu exprime ainsi son courroux contre l’humanité pécheresse; le “spectre de la mort” hante l’esprit des survivants; les peintres décorent les murs des abbayes et des églises de leurs fameuses “danses macabres”. La piété se fait douloureuse et tourmentée; les flagellants, les danses macabres, les procès de sorcellerie, les massacres de Juifs se multiplient.

Pendant ces 60 ans d’exil à Avignon, l’influence de la France pèse très lourdement sur la papauté. Non seulement tous les papes d’Avignon sont français, mais les cardinaux aussi (113 sur 134). L’écrivain italien Pétrarque et Catherine de Sienne, une figure de proue de la chrétienté, appuyés par tous les Romains et les autres pays d’Europe, pressent le pape de revenir à Rome. En 1377, dans l’allégresse générale, le pape qui a des terres en Italie, visite Rome. Le sort veut qu’il meure dans cette ville. Le peuple romain s’assemble aussitôt et exige que les cardinaux élisent un pape romain. Les cardinaux sont divisés; la majorité veut un pape français, une minorité un pape italien. Un Italien est élu mais il est nettement déséquilibré. Des dissidents français élisent un pape concurrent qui revient s’installer à Avignon, ouvrant une longue période de division dans l’Église: c’est le Grand Schisme d’Occident (1378-1417).

Carte du Grand Schisme

Carte du Grand schisme

Pendant quarante ans, les chrétiens voient deux et même trois papes se disputer la tiare, s’excommunier mutuellement et leurs fidèles, se constituer chacun un collège de cardinaux et une administration. Déjà sérieusement entamée par Avignon, le prestige des papes plonge. Les fidèles se voient placés devant de terribles cas de conscience. Lequel des trois papes représente l’Église “hors de laquelle il n’y a pas de salut”? Si celui qu’ils suivent n’est justement pas le bon –et comment le savoir- leur éternité se trouve compromise. La situation s’enlise, provoque le développement d’un puissant courant réformateur.

1400-1500

Ainsi, corruption ignorance et paresse en haut de l’échelle religieuse, superstition en bas, voilà ce qu’offre trop souvent la fin du Moyen Âge. Sainte Catherine de Sienne dénonce les débauches des clercs, sainte Brigitte compare l’Église à un bordel.

Nombreux sont ceux qui trouvent que l’Église a sérieusement besoin d’un coup de balai. On souhaite qu’elle revienne aux Évangiles, un peu trop perdus de vue, et à l’exemple de Jésus qui n’inspire guère le clergé.

Le premier coup de semonce vient de l’Angleterre. John Wyclif (1320-1384), professeur de l’université d’Oxford, traduit la bible en anglais et attaque avec violence les abus de la papauté. Bien protégé, il meurt dans son lit, mais ses disciples qui prêchent dans les campagnes anglaises sont massacrés. Toutefois, avant de mourir, Wyclif a inspiré un Tchèque, Jean Huss, le recteur de la jeune université de Prague, qui désespère de l’Église et des évêques de son pays, tous allemands. Il est évident pour Jean Huss comme pour les Tchèques qui l’admirent que la volonté de Dieu passe de moins en moins par l’Église et encore moins par des évêques allemands. Cette volonté passe par les Saintes Écritures, le roc solide. Inquiétant! Il est invité à venir s’expliquer au concile que l’empereur germanique Sigismond, écœuré de la longue chicane entre papes, vient d’organiser.

Un parlement du peuple chrétien?

En effet, Sigismond a réussi un coup de maître: persuader un des papes de convoquer un concile représentant la chrétienté tout entière. En 1414, évêques et universitaires arrivent dans la ville allemande de Constance. Au total, 10 000 ecclésiastiques. La “suite” de l’archevêque de Mayence compte à elle seule, 500 personnes. Sept cents prostituées s’installent aussi dans la ville. Jean Huss ne fait pas confiance aux autorités de l’Église et refuse de venir à Constance. L’empereur Sigismond lui-même lui offre un sauf-conduit. Huss est brûlé vif en 1415.

Pour les évêques, ce concile est une sorte de parlement général du peuple chrétien. Ils profitent de cette occasion exceptionnelle pour tenter de faire de l’Église ce qu’on appellerait aujourd’hui une monarchie constitutionnelle en proclamant la supériorité des conciles sur le pape. Ils réussissent après maintes péripéties à écarter les trois papes et à en élire un nouveau.

Le concile se sépare en 1418 dans la joie de l’unité retrouvée. Entendu, tous les cinq ans, un concile se réunira.

Brève euphorie. La même année, le pape refuse de céder une miette de pouvoir. Les évêques font d’autres tentatives durant le siècle, mais se discréditent en s’enlisant dans des débats sans fin.

Ni le pape, ni les évêques, n’ont abordé la question des changements nécessaires dans l’Église. Ils ont oublié Wiclef, ils ont oublié Jean Huss. Les deux reviendront les hanter.

Les vrais vainqueurs de la crise sont les rois qui ont exploité la chicane entre le concile et le pape pour étendre leur autorité sur leurs Églises nationales.

La guerre de Cent Ans a fini par éveiller, en Angleterre et en France, une sorte de patriotisme; l’idée de “nation” s’ébauche; du même coup, celle de “Chrétienté” s’affaiblit. Si l’Italie est encore une macédoine de petits États comme la république de Venise ou la cité-État de Florence, d’autres pays comme l’Espagne, la France, l’Angleterre sont unifiés par des rois forts. Le roi n’est plus le serviteur de son peuple mais le maître d’un territoire que ce peuple doit humblement servir. Ce territoire est son bien, son patrimoine. On ne parle plus du “roi des Francs” ou du “roi des Magyars” mais du “roi de France”, du “roi de Hongrie”. Ces rois veulent être complètement indépendants tant à l’égard du pape qu’à l’égard de l’empereur.

Les grands féodaux sont toujours là, leurs chevaliers aussi et leurs tournois plus flamboyants que jamais. Ce seront les derniers. Depuis l’arrivée des armes à feu sur les champs de bataille, les preux chevaliers sont à la merci du premier arquebusier venu du bas de l’échelle sociale. L’avenir est aux armées permanentes composées de fantassins professionnels. Seuls des rois puissants peuvent se payer une telle armée.

Pourtant, ce ne sont pas ces rois puissants qui catapultent l’Europe vers la Renaissance, mais des Italiens maniaques de manuscrits anciens.

La Renaissance

Comme l’Europe se remet de la grande peste qui a tué près du tiers de la population, la croissance économique est forte. Les bourgeois doivent de plus en plus savoir lire et les religieux perdent leur monopole. D’autant plus que le latin commence à céder la place aux langues locales. Dante écrit en italien le chef-d’œuvre de toute la littérature médiévale, La Divine Comédie (XIVe s.). C’est le tout début de la fin du latin comme langue européenne. C’est pourtant à ce moment même que les Italiens redécouvrent les auteurs anciens, grecs comme latins, ceux que l’Église appelait, avec un zeste de méfiance, les auteurs païens.

Jusqu’à 1350 le seul sujet des artistes tourne autour de la religion. L’architecte construit surtout des monastères et des cathédrales: le sculpteur, le peintre, le verrier lui servent d’assistants; le musicien compose des hymnes grégoriens pour célébrer la gloire de Dieu. L’expansion de l’art roman doit beaucoup aux moines de Cluny; les moines de Cîteaux, disciples de saint Bernard, portent jusqu’aux limites de la chrétienté l’art gothique. Puis le Florentin Boccace jette un pavé dans la palettes des peintres lorsqu’il publie: “Les généalogies des dieux païens”.

Et lance ainsi un défi à l’Église.

Succès délirant auprès des artistes qui ont une alternative à la religion. La mythologie classique leur donne le prétexte de montrer la beauté, le corps féminin en particulier, et la joie de vivre. L’artiste qui reçoit maintenant des commandes des seigneurs, n’est plus obligé à cette insistance sans fin sur la piété et les souffrances des martyrs.

Pour la première fois depuis l’Antiquité, le monde ordinaire peut voir des peintures et sculptures qui illustrent des personnages réels dans des lieux réels et des Madones qui soulignent la grâce et la beauté de la femme plutôt que la sainteté. En 1430, les peintres découvrent les lois de la perspective. Donatello fond le premier bronze depuis l’Antiquité.

Depuis les années 1400, beaucoup d’Italiens comme l’écrivain Boccace, se passionnent soudainement pour les écrits des grands auteurs latins; pas ceux des Pères de l’Église, encore moins ceux des théologiens universitaires écrits pour d’autres théologiens universitaires et qui les font mourir d’ennui. Ce qui les intéresse, ce sont les auteurs classiques de l’Antiquité romaine et païenne comme Cicéron, Virgile etc. Ils fouillent les monastères, dénichent les textes originaux. Les conséquences sont dramatiques.

Ayant maintenant les textes en main, ils sont soufflés.

Pas seulement par la beauté du latin classique, mais surtout par la mentalité.

Les orthodoxes..En 1453, les Turcs s’emparent de Byzance. C’est la fin de la Deuxième Rome.L’empereur byzantin disparu, le patriarche de Byzance devenu un simple sujet turc, le patriarche essaie d’assimiler et de soumettre étroitement les autres Églises de l’Empire turc: celle de Serbie, de Roumanie, de Bulgarie, etc. Quant au seul pays orthodoxe qui n’est pas occupé par personne, la Russie, le patriarche de Byzance finit par reconnaître, en 1589, l’indépendance de son Église sous l’autorité des grands ducs de Moscou. Moscou revendique rapidement le titre de Troisième Rome. Toutefois, la force et la richesse du lien liturgique, la parenté des organisations ecclésiastiques conservent malgré le nationalisme religieux et les différences de langues, une profonde unité de civilisation orthodoxe.Le sultan n’est pas un convertisseur, il laisse les chrétiens s’organiser sous la houlette de leurs patriarches, mais il exerce un contrôle sourcilleux sur la nomination du patriarche et des évêques. En revanche, l’enlèvement systématique et la conversion forcée d’enfants chrétiens destinés à servir dans le corps d’élite des janissaires ne cessera que vers 1800.

Ils découvrent, par exemple, que les grands historiens de l’Antiquité ne s’encombrent pas comme les chroniqueurs du Moyen Âge de légendes, prodiges, miracles et autres récits fabuleux. Lorsque Pétrarque et Boccace s’en inspirent et écrivent des textes historiques, ils délaissent tout ce qui est surnaturel. Le meilleur est à venir car il y a encore un grand trou dans leur culture; il leur manque beaucoup d’auteurs grecs. C’est autour de ce moment que Byzance, la dépositaire de la culture grecque, tombe aux mains des Turcs.

Europe en 1500

Bientôt, les savants grecs qui réussissent à trouver une place dans les galères vénitiennes, se réfugient en Italie, particulièrement à Venise et à Florence. Leur savoir et les manuscrits grecs qu’ils apportent avec eux nourrissent la soif générale de connaissances, devenue une véritable passion en Italie. Le contenu de ces manuscrits se répand ensuite grâce à l’imprimerie et fait sérieusement réfléchir.

Un déluge de livres

Avant l’imprimerie, il y avait quelque chose comme 100 000 livres dans toute l’Europe. Humphrey, le duc de Gloucester, possédait 600 livres, le roi de France 910. La plus grande partie était dans les monastères. Chaque livre valant une fortune, ils sont, la plupart du temps, enchaînés. Pratiquement tous parlent de religion.

Vers 1445, Gutenberg imprime un premier livre, une Bible. C’est le délire. En cinquante ans, neuf millions d’exemplaires de toutes sortes de livres circulent en Europe: Bibles, auteurs grecs et latins etc. L’Église n’a plus le monopole du latin; beaucoup peuvent maintenant lire la Bible.

La Renaissance

Un monde à la fois

Depuis mille ans, l’idéal de l’Église est la simplicité même: l’homme, enfant de Dieu et de l’Église, est d’abord et avant tout, un candidat pour le ciel.

Le monde terrestre? Un genre de maison de transition avant d’aller dans l’autre monde, le vrai, au paradis ou en enfer pour l’éternité. L’homme médiéval était d’abord un membre d’une famille, d’une guilde ( genre de syndicat) et surtout de l’Église. L’Église enseigne que l’individualité est un péché et une rébellion. C’est pourquoi on ne connaît pas le nom de tous les constructeurs de cathédrales qui pourtant demandaient quelques siècles de travail. L’homme ne doit surtout pas essayer d’être lui-même, il doit imiter la vie des saints, la vie du Christ. Il n’a pas non plus à raisonner, l’Église, infaillible, fournit toutes les réponses ou, plus précisément, lui dit quoi faire. Et il a avantage à ne pas poser trop de questions. Un bûcher est si vite allumé! L’obéissance aveugle à l’Église évite les troubles.

En lisant les textes grecs et latins, les Italiens découvrent une philosophie de la vie radicalement différente: un individu peut être libre, penser tout seul, ce qu’il veut, se poser des questions, chercher des réponses; il peut améliorer sa vie, découvrir le monde autour de lui, apprendre la sagesse, etc., ici même sur terre.

Renversant!

Les Grecs avaient bien leurs croyances et leurs rites, mais pas de dogmes; ils pouvaient croire et adorer ce qu’ils voulaient.

Les Italiens, avec les Grecs et les Romains comme modèles, s’encouragent à étudier le monde autour d’eux, celui dans lequel ils vivent. De là à essayer, comme les Anciens, d’améliorer leurs vies ici sur terre, il n’y a qu’un pas qu’ils franchissent allégrement.

L’idée de vivre pour vivre, de contrôler sa propre destinée est subversif pour l’Église. Cette idée renverse 1000 ans de sermons qui enseignaient que l’important est d’aller au ciel et d’éviter les tourments de l’enfer.

Le choc n’est pas frontal car toutes leurs idées se développent en dehors des écoles, cathédrales, universités ou couvents, bref en dehors du contrôle de l’Église. Mais l’effet déstabilisateur est incoercible. Les ondes de choc de la découverte des Anciens n’est pas encore absorbé que vient le tsunami géographique.

Le choc géographique

Christophe Colomb arrive aux Antilles, Vasco de Gama contourne l’Afrique. Toutes les cartes sont aussitôt démodées; Il faut toutes les refaire et accepter l’idée que l’Europe, loin d’être le centre du monde, est un tout petit continent…

Dans la ville de Tordesillas, le pape tire simplement un trait sur une carte incomplète du monde. D’un côté du trait, tout ce qui sera découvert appartiendra à l’Espagne; l’autre côté sera territoire portugais; à charge pour eux d’évangéliser tout le monde.

Première surprise des Portugais lorsqu’ils contournent l’Afrique et débarquent au Mozambique: ils rencontrent des chrétiens venus de l’Éthiopie. Deuxième surprise aux Indes: convertis par saint Thomas une quinzaine de siècles plus tôt, encore des chrétiens.

Rien pour gâcher l’enthousiasme des papes pour la Renaissance qui sont en train de faire de Rome une capitale des arts plus qu’un foyer de renouveau religieux. Ils oublient qu’une réforme urge, que les rivalités du Grand Schisme lui ont fait perdre une partie de sa crédibilité morale et spirituelle. La Renaissance lui en fait perdre un peu plus.

« À Rome, tout s’achète »

Les plus puissantes familles de l’Italie se partagent les papes et les papes font la promotion de leur parenté.

Alexandre VI fait peindre le portrait de sa maîtresse sur le mur du Vatican et décerne à son propre fils le titre de duc, tandis qu’il négocie un mariage pour sa fille, d’une beauté célèbre, Lucrèce Borgia. Jules II, (1503 à 1513), le pape “botté” n’hésite pas à recourir à l’assassinat pour arriver à ses fins politiques. Il mène deux fois des armées à l’assaut de villes en Italie du Nord. Le cardinal d’Estouville, camérier de Sixte IV, possède quatre évêchés, quatre abbayes et trois prieurés, sans compter ses bénéfices d’Italie. Il est vrai qu’il a aussi des maîtresses et des enfants. Ça donne le ton. Bref, une corruption inégalée depuis les beaux jours de Mazorie. Le monde ordinaire ne peut s’empêcher de comparer leur pauvreté avec la richesse du clergé.

Tous les fidèles qui viennent à Rome connaissent par ouï-dire la conduite de la cour pontificale et par cœur l’adage selon lequel “À Rome, tout s’achète”. Parmi ces fidèles, un moine allemand envoyé en mission, Martin Luther. L’architecture, tout aussi superbe que coûteuse, de la Ville éternelle frappe moins son imagination que la dépravation, la corruption et la cupidité des milieux ecclésiastiques romains. C’est profondément indigné et ulcéré qu’il rentre en Allemagne.

XVIe siècle : la Réforme

Martin Luther en 1529 par Lucas Cranach l’Ancien

Lorsque Léon X devient pape, l’Église, en dépit de toutes ses lacunes, est encore l’institution la plus puissante en Europe.

Léon est un classique des mœurs de l’Église à l’époque. Son avenir ecclésiastique a été planifié par son papa, le riche et puissant Laurent le Magnifique : tonsure à sept ans, protonotaire apostolique à huit ans, la célèbre abbaye du Mont-Cassin à 11 ans, cardinal à 13 ans. Il a quand même dû attendre l’âge de 38 ans avant d’être élu pape en 1513. Il débute son règne en flambant, par une série de grandes fêtes et réjouissances, un septième de la fortune laissée par Jules II.

Champion du mécénat d’art, il fait faire son portrait par Raphaël, lui trouve des contrats au Vatican, confie à Michel-Ange le tombeau des Médicis, rénove la basilique Saint-Pierre de Rome, bref il dépense des fortunes. Léon X a alors recours aux méthodes éprouvées de la papauté, il crée d’abord 2000 postes ecclésiastiques à combler et à vendre au plus offrant; puis, la bonne vieille spéculation sur la peur de l’au-delà: la vente d’indulgences.

En Allemagne

Même une fois confessés par un prêtre, les pénitents sont redevables envers la justice divine. Tous les chrétiens savent qu’après leur mort, ils devront passer une période de temps variable au purgatoire, où ils seront, comme le nom l’indique, purgés complètement de leurs péchés avant d’aller au ciel. Seuls les saints accèdent directement au paradis. Parmi les moyens d’expier cette peine, il y a les indulgences.

L’Antéchrist vu par Lucas Cranach l’Ancien : le pape vendant des indulgences (source: Wikipédia)

L’idée était que l’Église, les martyrs, les saints avaient accumulé un trésor d’indulgences, un genre de REER spirituel, que le pape peut vendre aux chrétiens qui veulent réduire leur temps de purgatoire.

L’archevêque Albrecht qui supervise la vente en Allemagne affirme aux acheteurs que l’argent servira pour la basilique Saint-Pierre. Ce n’est pas tout à fait exact.

Albrecht, 27 ans en 1517, cumule l’évêché d’Halberstadt, l’archevêché de Magdebourg et celui de Mayence. Un peu beaucoup, un brin irrégulier. Léon X a accepté ce cumul moyennant une lourde taxe, 21,000 florins, que l’archevêque avait empruntés aux banquiers Fugger (20% d’intérêt ! ) .

Une partie doit donc rester dans ses poches pour rembourser les Fugger. Il sous-contracte la vente des indulgences à un moine, Tetzel, qui est en froid avec la subtilité. Tetzel semble dire qu’on peut racheter les péchés passés et à venir. Les ventes commencent en 1517.

Le moine allemand qui a été scandalisé par sa visite de Rome est devenu l’honorable professeur de théologie Martin Luther (1483-1546). Il est indigné. Ce qui est un peu son état normal. Fantasque, grincheux, égocentrique et ergoteur, ce n’est pas le gars idéal pour un souper tranquille. Mais il a des idées, du caractère et des convictions.

C’est un homme obsédé par le péché et le pardon. En fait, il se sent tellement pécheur qu’il ne voit pas comment il pourrait faire assez de bonnes actions pour sauver son âme.

En lisant les lettres de saint Paul, Luther en est arrivé à se dire que l’homme doit accepter son état de pécheur, que le salut lui vient de Dieu par la foi seule. Dieu fait tout. L’homme ne fait rien. Les bonnes actions ne font pas l’homme bon, mais l’homme sauvé par Dieu fait de bonnes actions.

Si faire de bonnes actions pour être sauvé est inutile, cela pourrait conduire à un parfait amoralisme. Mais Luther croit que les hommes prédestinés à être sauvés ont le sentiment de leur union avec Dieu, que c’est cela qu’on appelle la foi, et que la foi les pousse à se bien conduire. Bref, l’homme sauvé par Dieu fait de bonnes actions. C’est le signe qu’il est sauvé.

Tout dans l’idée de vouloir résoudre le problème du péché en achetant des indulgences heurte Luther.

Aujourd’hui, il écrirait une longue lettre ouverte dans le Devoir. À l’époque, on affiche ses opinions à l’église. En 1517, Luther écrit 95 Thèses pour clarifier la doctrine des indulgences et les affiche sur le portail de la cathédrale de Wittenberg. Le texte est en latin, le sujet théologique; aussi, il s’attend à une discussion songée entre théologiens. Luther ne souhaite qu’être le porte-voix de courants qui existent déjà depuis longtemps au sein de l’Église.

Mais il n’a pas tenu compte de l’imprimerie. À ce moment, un livre coûte environ une semaine de salaire d’un charpentier. Mais les pamphlets sont moins chers. Quelqu’un à Wittenberg imprime le texte de Luther. En moins de quinze jours ses thèses sont lues partout en Allemagne, en moins d’un mois dans toute l’Europe. Agitation et scandale. Luther se retrouve, sans l’avoir voulu, à la tête d’une armée de contestataires.

Estomaqué, l’archevêque Albrecht dénonce Luther à Rome. Léon X prend à la légère cette contestation d’un obscur Allemand. Il envoie tout de même un cardinal qui convoque Luther à Augsbourg en octobre 1518 pour obtenir, pure formalité pense-t-il, ses excuses embarrassées. Rome méconnaît l’adversaire et sa pugnacité. Luther refuse.

L’excommunication

Luther aggrave son cas l’année suivante; il met en cause l’autorité du pape et des conciles. En juin 1520, Rome brûle ses textes et publie la bulle “Exsurge domine” le menaçant de l’excommunication. Luther, à son tour, brûle la lettre du pape. La Réforme est commencée.

Il est aussitôt excommunié. Reste maintenant à mettre Luther au ban de l’Empire germanique : l’équivalent de mettre un contrat sur sa tête. N’importe qui pourrait alors le tuer sans jamais en devoir rendre compte devant la justice. Mais il faut d’abord l’accord de l’empereur Charles Quint et des États de l’Empire. Convoquée à Worms en avril 1521, l’assemblée le supplie d’abjurer des écrits qui font trembler l’Allemagne et la papauté. Luther refuse à nouveau de se rétracter, sauf si les Saintes Écritures démontrent ses erreurs. « Je ne puis ni ne veux rien rétracter, car il n’est ni sûr ni salutaire d’agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide. Amen. » Ce jour-là, grâce au courage et aux réponses d’un moine de 37 ans, une nouvelle ère commence, celle de la liberté de conscience, qui ouvrira la porte à d’autres libérations.

Il est mis au ban de l’Empire.

Les appuis politiques

Martin Luther dispose cependant de divers appuis, dont celui du prince de Saxe, Frédéric III le Sage, l’un de ces électeurs qui choisissent l’empereur depuis le temps d’Otton le Grand.

Les positions de Luther séduisent aussi bien les princes que la population. Ce qui montre qu’elles correspondent à un puissant désir de changer l’Église en profondeur et que son opposition à Rome flatte le sentiment national naissant des Allemands.

Aussitôt sa condamnation prononcée, Frédéric le met à l’abri dans son château en Saxe sous le pseudonyme de chevalier Georges. Luther commence aussitôt à traduire le Nouveau Testament en allemand. Après quelques mois de semi-captivité, il revient tranquillement à Wittenberg et ne sera plus vraiment inquiété.

Il poursuit la rédaction d’ouvrages en allemand qui se répandent dans l’Empire germanique à une vitesse inouïe. Trois ans plus tard, on trouve sur le marché 300 000 copies de ses œuvres. On en fait la lecture dans chaque village allemand. L’utilisation de cartoons donne des arguments même aux illettrés.

Inspirés en partie par ses écrits, les paysans d’Allemagne se révoltent en 1524 contre les nobles qui les exploitent. Luther est d’abord neutre, puis, en avril 1525, se prononce en des termes très durs pour une répression impitoyable. Il y aura en tout plus de 100 000 morts.

La révolte des paysans a convaincu Luther de rester en dehors de la politique. Donc, pas de pouvoir luthérien. Les Églises luthériennes seront soumises à l’autorité politique ce qui plait énormément aux princes qui lorgnent du côté des nombreuses possessions de l’Église dans les quelque 300 États de l’Allemagne. Ce sera une des caractéristiques des luthériens d’accepter passivement les dirigeants politiques, les rois allemands, les empereurs allemands et même, pour plusieurs, les nazis. Ce qui plaira aussi beaucoup aux Nazis ce sont les attaques violentes de Luther contre les Juifs, coupables de ne pas s’être convertis à la nouvelle religion. Juste avant sa mort, en 1546, il traite les Juifs de “bêtes venimeuses”, de “vipères, cancers et diables incarnés”.

Mais le problème avec une Bible écrite en allemand est que tous les Allemands peuvent la lire. Et n’importe qui peut interpréter les textes. N’importe comment.

Les Anabaptistes

Les radicaux : ni Église ni État

À Zurich, quelques personnes ordinaires lisent la Bible et en concluent justement que le baptême d’un bébé ne signifie rien. Le baptême doit être un moment solennel d’acceptation et donc réservé aux adultes. Durant la nuit du 21 janvier 1525, ils décident de se baptiser l’un l’autre. C’est le début des Anabaptistes ( du grec “baptisé à nouveau”). Zurich est horrifiée à l’idée que des citoyens ordinaires puissent tirer leurs propres conclusions de la lecture de la Bible. La réaction est immédiate: on noie — le châtiment a été mûri — tous ceux qui assistent à un service anabaptiste.

Rien n’y fait; d’autres lecteurs en sont venus aux mêmes conclusions. Dans le reste de la Suisse, en France et dans les Pays-Bas, ces radicaux de la Réforme laissent tomber toute doctrine, toute pratique religieuse, tout acte qui n’est pas clairement sanctionné par la Bible. Ainsi les Huttérites (maintenant en Alberta) et les Mennonites (les Amish en Pennsylvanie) refusent d’être magistrats, policiers ou soldats et de jurer allégeance à l’État.

Réunis dans la même haine, protestants et catholiques les persécutent. Ils vont passer les deux prochains siècles à fuir d’un pays à l’autre. Plus d’Anabaptistes vont être martyrisés pour leur foi que n’importe quelle autre groupe chrétien dans l’histoire, y compris ceux de l’empire romain.

Impuissant devant ces églises protestantes qui, toujours plus nombreuses, naissent, se multiplient et se fractionnent, Martin Luther organise rapidement la sienne.

Entre Dieu et le protestant, plus d’intermédiaires : ni la Vierge Marie, ni les saints, ni le pape, ni les reliques, ni les processions, etc.

Les Saintes Écritures sont les seules dépositaires de l’enseignement du Christ. La Tradition façonnée par les papes et les conciles au cours des siècles est une œuvre humaine et donc n’a aucune valeur. Du coup, Luther abandonne les dogmes et les pratiques ne figurant pas expressément dans les Saintes Écritures. Et ils sont nombreux: le purgatoire, les messes des morts, la plupart des sacrements. Luther ne conserve que le baptême et l’eucharistie. Les moines sont chassés des monastères et les prêtres peuvent se marier. Les communautés locales élisent les pasteurs qui disent la messe en allemand.

La Réforme se répand dans les principautés voisines, façonnant une sorte d’unité allemande que l’empereur Charles Quint ne peut combattre, empêtré qu’il est dans ses guerres contre la France. En 1526, l’empereur accorde aux princes la liberté d’imposer la religion de leur choix dans leurs États (cujus regio, ejus religio: Tel prince, telle religion). Leur peuple devra suivre.

Lors de l’Assemblée des États allemands à Spire (avril 1529), Charles Quint tente bien de reprendre les choses en main, mais il ne fait plus face à un moine seul. Il se heurte à une demi-douzaine de princes et quatorze villes libres qui protestent contre son attitude, ce qui leur vaut le nom de “protestants”. Deux ans plus tard, ils forment une alliance pour défendre leur foi. Des années de guerre. L’empereur, de guerre lasse, reconnaît par le traité d’Augsbourg (1555) l’existence officielle d’Églises et d’États luthériens dans l’Empire.

La carte religieuse de l’Europe est bien changée: au nord, les luthériens ont conquis les deux tiers de l’Allemagne; la Prusse, les pays baltes, la Scandinavie tout entière ont rompu avec Rome. On applique la formule: cujus regio, ejus religio. Pour la première fois, l’existence des protestants a une base légale. Un évènement majeur et stressant pour Rome qui proteste en vain. Les ennemis de Rome, autrefois hors-la-loi, sont maintenant respectables et protégés.

La paix d’Augsbourg ne reconnaît qu’une seule Église protestante, la luthérienne. Or, les luthériens sont épuisés et, la Scandinavie une fois convertie, ne feront plus beaucoup d’adeptes. Le groupe protestant qui monte et dont la paix d’Augsburg ne tient pas compte est celui des calvinistes, beaucoup plus radical. Leur chef est un Français particulièrement austère installé à Genève.

La ville a invité cet avocat prospère, Jean Calvin, (1509-1564), pour implanter la Réforme. Calvin a son idée arrêtée sur l’être humain: un singe, une bête indomptée et féroce, un fumier, une ordure. En substance, nous devrions tous être damnés, mais Dieu sauve ceux qu’il a élus. Une toute petite minorité.

Le nouveau dictateur religieux impose aux habitants une sévère discipline. Toute la ville se lève à 4 heures du matin. Le reste de la journée, toutes les futilités, toutes les mondanités sont interdites. En gros, si c’est le fun c’est péché.

Genève devient la Rome du protestantisme. Les protestants traqués en France, en Angleterre, dans les Pays-Bas s’y réfugient. Vers 1550, entre le tiers et la moitié des habitants sont étrangers.

Genève est un genre d’école d’où les élèves repartent, militants religieux convaincus, gonflés à bloc par le calvinisme, dans leurs pays respectifs. C’est pourquoi le calvinisme est beaucoup plus international que les deux autres Églises protestantes, l’anglicane et la luthérienne. Sous cette forme ( le calvinisme), la religion protestante progresse notamment en Suisse romande, en France , aux Pays-Bas puis en Écosse.

Le calvinisme est le moteur de la Réforme. C’est lui qui inspirera les presbytériens, les congrégationalistes et les baptistes. Il ordonne à chaque individu de se mettre en liaison avec Dieu, par les seuls textes sacrés, sans aucun intermédiaire. Une nouveauté lourde de conséquences: si cette liaison avec Dieu est mise en danger, les calvinistes peuvent résister à un roi, à un gouvernement. Une première.

Calvin insiste aussi sur l’éducation, il faut quand même que tout calviniste soit capable de lire les Saintes Écritures. Il réhabilite aussi la vie matérielle, les efforts vers le progrès, encourage les hommes productifs. Pour Calvin, rien qui ressemble au rapport culpabilisant que les catholiques entretiennent avec l’argent, la satisfaction du travail, le succès professionnel sanctifié par l’enrichissement mérité est une preuve de la grâce de Dieu.

En Écosse, il se passe quelque chose de curieux. Alors même que les luthériens en Allemagne établissent le principe de Cujus regio, les Écossais réussissent, sous l’inspiration de John Knox, un ancien de Genève, le contraire : le peuple choisit sa propre religion indépendamment des désirs de son roi. En 1560, le parlement écossais décrète que le presbytérianisme, une forme de calvinisme, sera la religion du pays. L’Écosse devient un cas unique en Europe avec un peuple qui pratique une religion et un monarque une autre.

À la mort de Calvin, les Pays-Bas et l’Écosse sont devenus les bastions du calvinisme. La Tchécoslovaquie, la Hongrie sont entamées. L’Irlandele nord mis à part- reste fidèle à Rome. Le catholicisme maintient de fortes positions dans le sud et l’ouest allemand. En France, un calvinisme militant s’est installé au pourtour du pays. Quant à l’Angleterre elle a inventé le catholicisme sans le pape.

L’Angleterre : le catholicisme sans le pape

Henri VIII, par Luke Hornbelt.

Lorsqu’Henri VIII monte sur le trône en 1509, il commence par condamner la réforme de Luther. C’est un fidèle du pape.

Mais, il désespère d’avoir un fils. Son épouse, Catherine d’Aragon, 42 ans, la veuve de son frère, lui a donné une fille. En fait, pour l’épouser, il avait demandé une dispense spéciale au pape car, à l’époque, on ne pouvait épouser la veuve de son frère.

Puis, il tombe en amour avec Anne de Boleyn. Henri demande que le pape annule sa dispense; ce qui revient à dire admettre qu’il s’est trompé en l’accordant. Délicat, mais pas une difficulté majeure. Beaucoup plus troublant est la proche parenté de Catherine, tante bien-aimée de l’empereur Charles Quint, qui, en plus de l’Espagne, de l’Allemagne, de l’Autriche et quelques territoires ici et là dont l’Amérique latine, a incidemment de puissantes armées en Italie. Le pape refuse l’annulation. Henri VIII rompt avec l’Église catholique en 1534. Puis, le roi ferme les 800 monastères dont certains sont immensément riches et confisque les terres du clergé, en gros un cinquième des terres anglaises.

Il fonde l’Église anglicane dont il se proclame le chef. La nouvelle Église se dépêche de lui accorder son divorce. Mais à sa mort, il n’a pas encore touché aux dogmes catholiques.

Éduqué dans le protestantisme, son fils se rapproche des calvinistes qui ont pénétré en Angleterre grâce à John Knox. Il autorise le mariage des prêtres, la communion sous les deux espèces durant la messe désormais en anglais.

À sa mort, la très catholique Marie Tudor, qui vénère sa maman Catherine, monte sur le trône. Son règne, bref, est marqué par une sanglante réaction catholique; elle veut éradiquer tous les signes protestants. À sa mort elle est remplacée par sa demi-sœur Élisabeth I, une réaliste.

Élisabeth I fait de l’Église anglicane une Église nationale, antiromaine, soumise au contrôle étroit du gouvernement. Le dogme est largement inspiré du calvinisme. Du catholicisme, elle conserve l’essentiel des cérémonies et de la hiérarchie.

L’anglicanisme représente un protestantisme “light”. Justement, des protestants radicaux n’acceptent pas cette dilution du calvinisme: ces cérémonies presque catholiques, ces évêques… Ils rejettent cette Église officielle.

Nullement organisés, partagés entre divers tendances, ils constituent une minorité enthousiaste et influente qui rêve d’un christianisme épuré. Ces puritains sont les pères spirituels des premiers baptistes. Ils refusent que le gouvernement se mêle de leur religion et traversent même l’Atlantique pour avoir la sainte paix. Ils fondent en 1620, près de Cape Cod, la colonie de Plymouth.

Le renouveau catholique

Pendant que les protestants convertissent la moitié de l’Europe, que des pans entiers de l’Église réclament une réforme, les papes s’activent à ne pas bouger. Finalement, la pression devient trop forte; l’Église n’a plus le choix et convoque un concile dans la petite ville de Trente au Tyrol.

Le concile, qui va durer 18 ans, est le triomphe complet des intransigeants. Aucun accommodement théologique aux protestants, le concile maintient tous les dogmes qu’ils ont rejetés et les précise. Il proclame solennellement que l’Écriture sainte, éclairée par la Tradition est le fondement de la foi chrétienne et que nul ne peut trouver son salut ailleurs que dans l’Église catholique. Les protestants se voient condamnés du coup à l’enfer et considérés comme des suppôts de Satan.

Mais on fait quand même le ménage. Le concile s’attaque aux abus dont les catholiques eux-mêmes se plaignaient depuis si longtemps. La discipline est rétablie, tous les liens de la hiérarchie resserrés. Il ordonne aux évêques de mener une vie édifiante, de résider dans leurs diocèses, de ne pas cumuler de postes. Déterminé à disposer d’un clergé instruit, il crée des séminaires pour les futurs prêtres.

L’Église se resserre autour du pape: fondation de l’Inquisition chargée de faire le procès de ceux qui s’écartent de la foi catholique, de la Congrégation de l’Index pour surveiller tout ce qui se publie etc.

Le gouvernement de l’Église se fait plus centralisé, plus autoritaire et devient de plus en plus italien, le pape aussi. A partir de 1532, ils sont tous Italiens. Le déclin de l’influence politique du pape n’en est pas moins net: les chefs de l’Église ne jouent aucun rôle dans les grandes guerres européennes de l’époque.

Le baroque

Adam le Jeune

Sous le pontificat des papes qui suivent, Rome revient à l’austérité et plus. Paul IV fait ajouter des feuilles de vignes sur les statues antiques et engage le peintre Daniele Da Volterra pour habiller certains nus de Michel-Ange dans le Jugement Dernier.

Le protestantisme avait détruit les images, mutilé les statues, proscrit l’art religieux. Le temple protestant, blanchi à la chaux, devait être nu. La réponse catholique est l’art baroque qui veut montrer le triomphe de l’Église catholique et donner aux fidèles le sentiment qu’on leur entrouvre le paradis. Surgissent un nombre impressionnant d’églises où tout est mouvement, grandeur, richesse.

L’Église peut maintenant passer à la contre-offensive et tenter de récupérer les territoires perdus aux protestants. Pour ce faire, le pape a ses troupes de choc, les jésuites, qu’il envoie dans les tranchées religieuses contre les protestants.

Les Jésuites

Excellents théologiens, bénéficiant d’une solide formation, les Jésuites sont capables d’argumenter avec n’importe qui. Mais surtout, les Jésuites visent l’élite des sociétés. Ils se font nommer confesseurs des rois et les influencent. Leurs collèges sont très rapidement reconnus pour donner un excellent enseignement secondaire; ainsi, ils attirent surtout les enfants des riches et des nobles, les futurs dirigeants de la société. Par ces différents moyens, ils réussissent à faire reculer le protestantisme en Belgique, le long du Rhin, en Bavière, en Autriche, en Pologne.

Entretemps, la France a été obligée de faire une petite place aux calvinistes.

Guerre religieuse en France

Depuis Calvin, une minorité de protestants très active et vivant dangereusement est à l’œuvre en France. Pour toutes sortes de raisons dont la religion est peut-être la moins importante, les familles de la haute noblesse se font les farouches défenseurs, soit du catholicisme, soit du protestantisme.

Le fanatisme se déchaîne après 1560.

Les protestants sont pourchassés. Ils se vengent, tuant des moines, des prêtres et s’attaquant à tout ce qui se rapporte au culte des saints et de la Vierge marie. Statues, vitraux et clochers sont détruits. La réaction catholique est tout aussi violente. En 1562, le duc de Guise fait massacrer une centaine de protestants réunis dans une grange pour célébrer leur culte.

Les noces de sang

Dans la nuit de la Saint-Barthélémy, le 24 août 1572, la régente Catherine de Médicis et son fils Charles IX profitent du mariage de Marguerite de Valois avec Henri le roi de Navarre (futur Henri IV) pour ordonner le massacre des protestants de Paris. 3000 calvinistes sont tués. Horreur dans toute l’Europe sauf à Rome où Grégoire XIII organise un “jubilé d’actions de grâces” et fait frapper une médaille commémorative.

Finalement en 1590, le parti protestant semble l’emporter quand son chef Henri de Navarre (le futur Henri IV) devient le successeur légitime au trône de France. Pourtant, les résistances contre la Réforme sont grandes. Il s’ensuit de terribles affrontements jusqu’à ce qu’Henri de Navarre, en juillet 1593, décide de se convertir au catholicisme. Il a déjà changé cinq fois de religion, alors une fois de plus.

Henri IV termine 40 ans de guerre et règle la question religieuse en 1598 par l’Édit de Nantes qui établit officiellement en France la coexistence des catholiques et des protestants.

Le roi reconnaît que la majorité de la population française veut rester catholique. Mais il accorde aux protestants le droit de pratiquer leur religion dans toutes les villes où ils ont des temples, sauf à Paris. Afin d’assurer le respect de ces droits déclarés irrévocables, l’Édit accorde aux protestants la possession de quelques places fortes. Mais pas question qu’ils s’établissent en Nouvelle-France où ils sont virtuellement interdits. Très discrètement, ils continueront à venir au Canada.

Contrairement au reste de l’Europe, « Cujus regio, ejus religio », la France restera profondément marquée jusqu’à Louis XIV par la présence de deux religions chrétiennes.

Les missions

Fait capital pour l’avenir du catholicisme, l’Espagne et le Portugal, pionniers des grandes découvertes, fondent les deux premiers empires coloniaux. Ainsi à l’heure où l’Europe se déchire, le Nouveau-Monde passe entièrement au catholicisme. En Asie, en Afrique, aucune zone protestante.

Les premiers franciscains débarquent en 1484 au Congo et convertissent le roi. C’est le début d’un étrange royaume chrétien avec écoles et clergés indigènes.

Les missionnaires espagnols arrivent en Amérique avec la deuxième expédition de Colomb en 1493. Dominicains et Franciscains suivent les conquistadors au Mexique, au Pérou, se rendent jusqu’en Californie. Vers 1600, 5500 missionnaires sillonnent l’Amérique. Les Jésuites créent même au Paraguay une sorte de socialisme chrétien ce qui causera leur perte des décennies plus tard.

En 1530, les religieux espagnols parcourent l’océan Pacifique et transforment les Philippines en un bastion catholique. L’un des premiers compagnons d’Ignace de Loyola, l’Espagnol saint François-Xavier, s’embarque dès 1541 pour l’Inde et l’Extrême-Orient. Malgré de nombreuses difficultés, il implante de solides communautés au Japon avant de rentrer en Inde. Il repart pour la Chine et meurt d’épuisement en 1552 aux portes de Beijing.

Le jésuite Matteo Ricci ( 1552-1610) réussit à se faire “Chinois parmi les Chinois” et à pénétrer, privilège rarissime, jusqu’auprès de l’empereur intrigué par ses connaissances astronomiques. En utilisant les vérités de Confucius, il répand l’Évangile chez les lettrés et devint Li Maltesu, le grand sage.

A sa mort, en 1610, la Chine compte 30 000 convertis. L’empereur permet qu’il soit enterré à Beijing. Ses œuvres figureront dans l’Encyclopédie impériale. D’autres jésuites enthousiastes lui succèdent. En fait, les Jésuites admirent tellement la société chinoise qu’ils s’habillent comme des mandarins, assistent à des cérémonies pour la vénération des ancêtres etc. En 1700, 150 000 Chinois sont baptisés. Ce sont les derniers.

MATTEO RICCI, 1552 – 1610

Jusqu’en 1704, la messe est célébrée en chinois. Les Chinois sont ravis. Le Vatican beaucoup moins. Il exige le latin; les rites chrétiens en l’honneur des esprits, des ancêtres et de Confucius sont supprimés. L’empereur Kanghi, offensé, interdit le catholicisme en Chine en 1707 et son fils chasse les jésuites sauf les scientifiques.

Recul aussi au Japon. Les Japonais craignent que les missionnaires soient le prélude à une invasion européenne. À partir de 1597, le autorités japonaises s’attaquent aux 30 000 catholiques du pays. Trente ans plus tard, il n’en reste plus un seul. Du moins c’est ce que tout le monde croit.

La dernière des grandes guerres de religion

En dépit de la paix d’Augsburg, l’animosité entre catholiques et protestants se maintient. Elle se traduit en 1608 par la création en Allemagne d’une Union évangélique à laquelle répond l’année suivante une Sainte ligue catholique. La guerre ne pouvait qu’éclater. Elle éclate en 1618. C’est la guerre de Trente ans qui met l’Europe à feu et à sang jusqu’en 1648. D’un côté, la plupart sont protestants; et de l’autre, la plupart catholiques.

Cette guerre est à la fois religieuse, nationale et internationale; la France catholique s’allie avec les protestants de l’Autriche. À l’issue du conflit, l’Allemagne a perdu le tiers de ses habitants et demeure morcelée.

En 1648, dans un pays en ruine, la paix de Westphalie reconnaît le calvinisme et le principe du cujus regio, ejus religio, à ceci près que les habitants désireux de suivre un autre culte que celui du prince peuvent le faire à titre privé.

Catholiques et protestants reçoivent les mêmes droits égaux. Les États ne feront plus de guerre pour des raisons religieuses.

Le pape Innocent X, qui n’a pas été invité aux négociations, -une première en Europe- envoie une protestation. Les rois l’avaient prévue et rejetée d’avance. C’est dire le poids politique de la papauté dans la nouvelle Europe. Il reste un chef, mais un chef spirituel. Non plus de l’Occident mais de l’Église catholique romaine.

Au total la carte religieuse est profondément modifiée. Plus du tiers des territoires autrefois catholiques est passé à la Réforme protestante au cours du XVI siècle. C’est à la fois beaucoup pour l’Église catholique, et peu pour les protestants qui s’attendaient à sa ruine complète.

Cette guerre a aussi profondément modifié l’équilibre des forces politiques en présence : l’Espagne entame un déclin prolongé. L’Empire germanique des Habsbourg est éclaté en une multitude de petits États pratiquement indépendants pendant que les Turcs menacent ses frontières à l’est. Les chrétiens orthodoxes des Balkans, de la Roumanie sont déjà leurs sujets. Dans quelques décennies, les Turcs seront devant Vienne.

Les savants : une nouvelle « aristocratie »

Le Moyen Age a été l’époque des “féodaux”, des chevaliers et des religieux. Les féodaux deviennent, après 1600, des “nobles”, courbés en permanence devant les rois; comme d’ailleurs le clergé. Le haut clergé, la haute noblesse doivent, lentement, avec réticence, se tasser pour faire de la place aux nouveaux riches, banquiers, armateurs, “manufacturiers” et aux haut fonctionnaires bourgeois, compétents et intègres dont les États modernes ont besoin. Finalement, un tout nouveau groupe vient d’agripper solidement un barreau de l’échelle sociale, les lettrés.

Les « lettrés » ne sont pas très nombreux, mais ils forment, presque toujours et à l’échelle de l’Europe, des « milieux » cohérents et unis.

Depuis Aristote, l’homme qui ne se trompe jamais, tout le monde croit que le ciel est immobile et que le soleil tourne autour de la Terre, ce qui est normal vu que sur la Terre habite l’être humain créé par Dieu. Ceux qui ont des doutes les gardent pour eux.

Beaucoup s’accrochent encore à l’idée que la Terre est un grand disque plat au centre de l’univers. Ce n’est pas tout à fait ça. En 1522, un navire espagnol revient à son point de départ après en avoir fait le tour. La Terre n’est pas un grand disque plat. On peut se consoler en disant qu’au moins elle est au centre de l’univers. Plus pour longtemps.

Il faut être très prudent. Les savants, sauf en Hollande, écrivent à leurs risques et périls. Lorsque le Polonais Copernic publie en 1543 “Sur les révolutions des corps terrestres”, il empile les précautions. Le livre est dédié au pape, écrit en latin, truffé de mathématiques avancées et, on n’est jamais trop prudent, publié alors qu’il est sur son lit de mort. Dernière précaution, Copernic écrit en grosses lettres qu’il ne fait qu’une hypothèse, mais quelle hypothèse! : la Terre n’est pas immobile; elle tourne sur elle-même et autour du Soleil. Bref, le centre de l’univers est le soleil et non la Terre, ravalée au rang de simple planète. Copernic a présenté le tout de façon à ne pas heurter l’Église qui ne réagit pas.

Ce théoricien est le dernier de sa catégorie. Influencés par les auteurs grecs et latins, les autres chercheurs essaient quelque chose de radicalement neuf, ils font des expériences.

Repenser l’univers. Rien de moins…

Ce qui a fait chanceler les humanistes, c’est que les penseurs grecs et latins non seulement avaient des théories sur tout, mais insistaient sur la nécessité de faire des expériences pour vérifier si elles étaient justes ou non. L’idée était radicale pour les savants de la Renaissance et ils s’étaient lancés à fond la caisse dans les expériences.

En 1543, l’année même où est publié le texte de Copernic, le médecin Vésale publie enfin son livre. Malgré l’opposition de l’Église, Vésale a disséqué tout ce qui ne bouge plus. Son livre contient un recueil de planches anatomiques dressées après d’authentiques dissections. Il est condamné à mort pour profanation de cadavre.

Au cours du siècle, de plus en plus, ils découvrent des vérités qui n’avaient jamais effleuré les Anciens. Lentement, ils doivent accepter l’évidence: ils commencent à en savoir plus qu’eux.

La Terre tourne autour du soleil

Galilée montrant son télescope au doge de Venise. Fresque de Giuseppe Bertini.

Lorsque Giordano Bruno explique en 1600, avec beaucoup moins de précautions que Copernic, que la Terre fait le tour du Soleil, il est brûlé vif. Ce qui refroidit les ardeurs des savants. Aussi, quand Galilée revient avec la théorie de Copernic, il possède des preuves scientifiques, résultats de ses nombreuses observations sur un nouveau télescope qu’il a perfectionné et lui permet d’agrandir huit fois les planètes, le soleil, etc. Conclusion: la Terre tourne autour du soleil. Apprendre que la terre n’est pas le centre du monde est un choc psychologique et théologique. Le pape n’a pas l’intention de se retrouver sur une planète mineure. Télescope ou pas, Galilée est par deux fois condamné par l’Église et obligé de se rétracter en 1633. La tactique de l’Église est simple: étouffer la science qui dérange sous le simple poids de l’autorité. L’Église a le bras long dans les pays catholiques, mais les savants sont partout en Europe, s’écrivent, s’encouragent, se regroupent dans de nouvelles sociétés scientifiques.

William Harvey explique le mécanisme de la circulation sanguine, Kepler montre que les mouvements des planètes, du soleil, peuvent être exprimés en lois mathématiques simples (1609). Torricelli mesure en 1644 la pression de l’air, Leewenhoek invente le microscope. Isaac Newton formule les lois de la gravitation et édifie ainsi rien de moins qu’une nouvelle théorie de l’univers. Francis Bacon (1561-1626), résume ainsi la méthode scientifique pour décrypter le monde: on observe, on fait des théories et on les vérifie par des expériences.

De plus en plus d’Européens ont le sentiment que la science pourra tout expliquer et que rien ne peut arrêter le progrès. Chose certaine, les Églises, luthériennes, catholiques, anglicanes, en sont incapables. Par ailleurs, tous ces savants expliquent qu’il ne faut donc pas avoir peur de décrypter le monde il est l’œuvre de Dieu. La science reste encore associée à la foi. Ça ne durera pas.

Après tout, si le monde se révèle être très différent de ce qu’on a cru pendant des siècles, d’autres choses, peut-être, méritent d’être réexaminées. Mais comment faire ces examens? Tout ne se prête pas à l’expérience.

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René Descartes d’après Frans Hals

Quatre ans après la condamnation de Galilée, en 1637, René Descartes fait paraître son « Discours de la Méthode » qui explique justement comment faire ce réexamen.

Descartes est le génial inventeur d’une méthode de raisonnement par la réflexion. D’abord, douter systématiquement de chaque assertion, jusqu’à ce qu’elle soit totalement démontrée. Il montre comment un doute peut conduire à une vérité incontestable. Il suffit d’une pensée claire et d’une logique irréprochable.

“Tout” voulant dire tout, certains appliquent la méthode de Descartes à la religion. Ils questionnent les points du christianisme qui semblent défier la raison et qu’on ne peut démontrer ni par la méthode de Descartes ni par la science.

Jusqu’à la Renaissance, personne n’aurait osé mettre en doute les récits de vision de certains saints ou les événements miraculeux de leurs vies. Ce n’était pas une question de raison mais une question de foi. Un croyant ne soumet jamais la religion au test de la logique. Luther l’avait dit: la naissance de Jésus par une vierge n’est pas raisonnable, pas plus que la résurrection du Christ et la promesse de vie éternelle.

Justement, si certains trouvent un sacrilège de confronter la logique et la religion, d’autres estiment qu’il y a quand même des légendes et des traditions chrétiennes qui ont besoin d’être réexaminées. la tendance lourde chez les lettrés est que tout, absolument tout doit être scruté à la lumière de la raison et de la science. C’est une rébellion ouverte contre la foi qui a dirigé l’Europe pendant plus de 1000 ans et qui va ébranler la société occidentale jusque dans ses fondements. La « crise de la conscience européenne » commence.

La crise de la conscience européenne

D’abord, changement complet de modèle; au Moyen Âge, l’autorité suprême était le pape; depuis le Réforme, pour les protestants, l’autorité suprême était les Écritures saintes; maintenant l’autorité suprême devient la raison humaine.

Autour de 1700, les penseurs se plongent tous dans le “Dictionnaire historique et critique” de Pierre Bayle, un protestant réfugié en Hollande. Dix fois réédité en soixante ans, c’est la Bible des nombreux sceptiques, de ceux qui ne croient pas que la peste, la foudre, les inondations sont causés par les péchés du monde lesquels ont amené un châtiment de Dieu. On lit avec plaisir mais on fait attention.

Louis XIV en vieillissant est devenu dévot et intolérant. Il a épousé sa maîtresse, Mme de Maintenon, une autre dévote. Donc, on est prudent pour ne pas se retrouver à la Bastille, en exil ou pire..

Sa mort en 1715 ouvre toutes grandes les vannes. Son successeur, le futur Louis XV est trop jeune et la France est administrée par un régent plutôt souple. On n’a plus à craindre les sanctions royales. On se déchaîne dans les “Tout le monde en parle” de l’époque, les salons où se réunit la crème pensante de la France, les intellos, les artistes, les aristocrates.

Au commencement était le salon

Ils ont une foi illimitée dans le progrès. On a déjà compris plein de choses grâce à Galilée, Newton, Vésale etc.; les progrès de la chimie, de la physique, les travaux d’autres savants permettront de comprendre le reste. Les mystères seront expliqués, les superstitions balancées. Et l’Église? David Hume en Écosse, Immanuel Kant en Prusse, Denis Diderot en France, Cesare Beccaria en Italie, tous crient que lorsque la science avance, la religion doit reculer. C’est ce que les habitués des salons apprennent grâce aux pamphlets, gazettes, estampes, copiés, imprimés en fraude ou à l’étranger, colportés clandestinement, qui affluent par milliers en France. Ces idées sont ensuite relayées et amplifiées dans les cafés.

Les religions : du pareil au même

On papote sur les derniers récits de voyage qui révèlent que des civilisations lointaines, Chine, Japon, Indes etc. pratiquent des religions plus anciennes que le christianisme et qu’elles ne s’en portent pas plus mal. Alors que l’Église enseigne que la Bible et les Évangiles sont essentiels à la morale, les Chinois sont la preuve qu’on peut s’en tirer fort bien avec Confucius. On oppose d’ailleurs dans les salons la tolérance des Chinois, celle des Anglais et l’intolérance de Louis XIV.

Louis le Grand avait décidé tout seul, on n’est pas monarque de droit divin pour rien, qu’il en avait assez des protestants français. Il a révoqué l’édit de Nantes en 1685, persécuté ouvertement les protestants, faisant fuir à l’étranger quelques centaines de milliers de Français. Quatre ans plus tard au contraire il n’y a plus de monarchie de droit divin en Angleterre.

Le Parlement anglais a déchu un roi trop catholique, trop absolu, pour aller en chercher un autre en Hollande, Guillaume d’Orange l’époux de Marie, la fille du roi déchu. Le couple royal règne en vertu de la volonté du parlement. Ils ne sont plus roi et reine de droit divin. Le monde libéral est né, enfant légitime de la Réforme protestante.

Ce qui fait rêver les bourgeois français plafonnés en-dessous de la noblesse par les rois absolus qui leur barre l’accès à de nombreuses fonctions. L’argument suprême de l’Église: les rois sont rois de droit divin et toute autorité vient de Dieu, les fait hurler. Montesquieu, dans son “Esprit des lois” condamne implicitement, gare à la censure, l’alliance du trône et de l’autel; il écrit tout bas ce que les intellos disent tout haut. Toutefois, les intellos français glissent sur le fait que les anglicans et les puritains sont responsables des changements en Angleterre.

C’est un tournant capital de l’histoire. Les Anglais ont formulé le droit des peuples à se gouverner eux-mêmes. Le Parlement établit des lois auxquelles les rois eux-mêmes doivent obéir. Ce principe va être la base de tous les gouvernements constitutionnels des temps modernes.

Aussi, le Parlement tolère désormais les Églises calvinistes pures et dures qui répudient autant l’État que l’Église officielle anglicane malgré les hauts cris de cette dernière. Il n’est plus question de les persécuter ou de les empêcher de prier. Mais ces Églises veulent que l’Angleterre au complet devienne comme elles. Rêve impossible, alors des milliers et des milliers de baptistes et autres calvinistes vont émigrer aux États-Unis et lui donner son indélébile cachet puritain.

Sans aller aussi loin qu’en Angleterre, Il y a un quand même un net déclin du fanatisme religieux sur le continent. De 1400 à 1700 l’Europe a brûlé entre un demi-million et deux millions de sorcières. Maintenant c’est devenu impossible; l’Angleterre brûle la dernière en 1712, l’Allemagne en 1775, l’Espagne en 1781. Aucune en France qui d’ailleurs laisse les protestants en paix ce qui hérisse l’Église toujours aussi intransigeante.

Très organisée, visible partout, surtout en France, l’Église est la cible parfaite des habitués des salons où il devient de bon ton d’afficher sa circonspection devant les enseignements de l’Église, voire de les railler. L’Inquisition, l’Index, sa réputation d’intransigeance, d’intolérance, de méfiance à l’égard de toute idée moderne lui collent à la peau. Les intellos le soulignent dans leurs écrits et en rajoutent d’autant plus qu’il y a maintenant tout un public qui peut les lire.

L’Encyclopédie

Diderot, l’homme-orchestre du siècle des Lumières, lance en 1751 un projet gigantesque, l’Encyclopédie (dix-sept volumes plus onze de planches), un condensé de toutes les idées et connaissances du siècle, animée par lui et d’Alembert, farouche adversaire du christianisme. Les textes sont prudents, censure oblige, mais subtilement biaisés: ainsi l’article sur Dieu qui semble respectueux est ruiné par des renvois vers: démonstration, Éthiopien et chronologie. À la veille de la Révolution, 25 000 collections complètes ont été vendues à travers l’Europe. Le prix de souscription représente le salaire annuel d’un ouvrier qualifié.

Parmi les collaborateurs, Voltaire, le principal penseur du temps avec le faux doux mais vrai illuminé Rousseau, signe ses lettres “ecr.inf”, Écrasons l’infâme (religion catholique). Il consacre une partie de son temps à défendre des innocents injustement condamnés. Il indigne toute l’Europe lorsqu’il rapporte ses efforts inutiles pour sauver le jeune chevalier de La Barre qui avait omis d’ôter son chapeau au passage d’une procession. Après avoir été décapité, son corps et sa tête sont brûlés avec un livre de Voltaire. Prolifique, toutes ses œuvres préparent le terrain au premier grand principe révolutionnaire: la liberté, la liberté pour tout homme de penser par lui-même et de dire ce qu’il pense. Précisons que Voltaire, pas plus que les autres intellos, ne désire la souveraineté populaire. “Au peuple, sot et barbare, il faut un joug, un aiguillon et du foin” dit tout crûment Voltaire. Il tient pour insurpassable l’organisation sociale de la Chine où, disait-il, “ le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne.”

On lit aussi beaucoup Rousseau, qui a abandonné ses cinq enfants à la crèche, écrit un livre sur l’éducation, et popularisé sa théorie d’un homme naturellement bon, corrompu par la seule société. On est loin du pessimisme foncier sur la nature humaine, corrompue par le péché originel et encline au mal comme l’enseigne l’Église depuis saint Augustin.

Cette atmosphère d’incrédulité, d’anticléricalisme, d’impertinence, qu’on respire dans la petite minorité de bourgeois et d’esprits « éclairés » filtre durant le siècle dans presque toutes les couches de la société et mine l’héritage chrétien. Ce n’est pas la fin de la religion; mais celle-ci se déplace, du moins pour les riches et les instruits, du centre de leur vie vers la périphérie sinon plus loin. Pour la première fois dans l’histoire de l’Occident, des athées, le comte d’Holbach, Helvétius, Diderot, se manifestent ouvertement.

« Le Grand Horloger » (Voltaire)

Influencés par les sciences, des Britanniques, les premiers déistes, imaginent Dieu comme un grand horloger cosmique qui a mis en mouvement une machine complexe qui fonctionne maintenant selon ses lois fixes. Les déistes deviennent très populaires en France, avant de se répandre en Allemagne et aux États-Unis (Thomas Jefferson, Benjamin Franklin, etc.). Dieu étant garant de l’ordre, la majorité des intellos français pensent qu’il faut une religion pour le peuple sinon pour eux. La résistance de l’Église et des catholiques à toutes ces attaques est d’une faiblesse déconcertante.

L’ « anachronisme vénérable »

Le pape, l’”anachronisme vénérable”, comme disent les intellos, est à la tête d’une petite partie de l’Italie, un territoire pauvre, vulnérable, peuplé pour un tiers d’ecclésiastiques. À chaque élection du pape, les pays catholiques, qui d’ailleurs ont un droit de véto sur l’élu éventuel, moussent leur candidat. Aussi, les cardinaux subissent tous des pressions aussi lourdes que contraires de l’Espagne, de la France ou de l’Autriche; par exemple, Benoît XIV (1740-1758) n’est élu qu’au 255ième tour de scrutin.

Aussitôt élu, aussitôt paralysé. La corruption, le patronage, revenus à tous les échelons de la hiérarchie ecclésiastique, font déraper toute tentative de réforme.

Son influence religieuse est en chute libre. Ainsi, Benoît XIV condamne en 1738 la franc-maçonnerie, une société secrète anti-religieuse, du moins en France, et encore plus durement en 1751; absolument aucun effet, sa condamnation n’empêche pas maints prêtres de s’y affilier. La franc-maçonnerie inspire à Mozart l’un de ses plus beaux opéras: la Flûte enchantée. Quant à son influence politique…On se bat en France, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas tout au long du siècle. Personne ne pense à demander l’avis du pape et encore moins son intercession. Non seulement les papes ne sont plus les guides respectés des rois, mais ces derniers les traitent avec désinvolture sinon avec insolence.

La raison est simple, les rois de l’Europe ont fait de leurs Églises un simple département de l’État. Frédéric II de Prusse disait à Voltaire: je suis “le pape des luthériens”. Que ce soit l’Église anglicane, les Églises luthériennes en Allemagne et en Scandinavie ou les Églises catholiques en France ou en Espagne, le portrait est le même: une union étroite de l’État et de l’Église avec l’Église comme partenaire junior.

Virtuellement toutes les nominations religieuses à l’extérieur de l’Italie échappent au pape. En Espagne, en France, au Portugal, en Autriche, les rois font nommer les évêques qu’ils veulent. La pieuse Marie-Thérèse d’Autriche vérifie les examens de théologie; son fils censure les sermons, interdit les pélérinages et les processions, réglemente le culte. Tous se justifient en disant que l’autorité du roi vient de Dieu, comme celle de l’Église.

Ils n’ont qu’une épine dans le pied: les Jésuites, ces excellents éducateurs, influents dans les milieux aristocratiques, qui relèvent directement du pape dont ils défendent les droits. Ils vont bientôt l’enlever.

Fin de la république des Guaranis

Au Paraguay, pour sauver les Indiens Guaranis des perpétuelles chasses aux esclaves des Portugais, les Jésuites ont obtenu la quasi-souveraineté de l’immense territoire des Guaranis. Ils y ont créé des villages chrétiens autonomes, bien organisés. Pendant plus d’un siècle, les Jésuites, ont fait fonctionner sur les rives du Rio Parana, au Paraguay une sorte de socialisme chrétien. (Roland Joffé a popularisé cette épopée incroyable dans son film The Mission.) 140 000 Indiens catholiques vivent paisiblement dans trente-deux petites républiques lorsque le roi d’Espagne cède une partie du territoire au Portugal dont le premier ministre, le marquis de Pombal, est un adversaire résolu des Jésuites.

En 1759, Pombal, le premier en Europe, expulse les Jésuites de tous les territoires portugais. Les cours d’Europe, France, Espagne quelques royaumes d’Italie, emboîtent le pas. Pire, ils se coalisent et, sous leurs pressions, le pape envoie l’ordre de dissolution des Jésuites en 1774.

Grand Ah de soulagement dans les salons!

Le supérieur de l’ordre va finir ses jours dans une prison papale; 23 000 Jésuites doivent se disperser. Deux souverains empêchent l’extinction totale: le protestant Frédéric II de Prusse et l’orthodoxe Catherine de Russie interceptent purement et simplement l’ordre du pape à la frontière de leurs royaumes. Ils n’ont nullement envie de priver leur jeunesse d’un enseignement de valeur. La papauté se tire dans le pied. Les papes perdent avec les Jésuites leur milice la plus dévouée. Il n’y a plus personne pour défendre les intérêts du pape dans les pays catholiques.

Ces courants d’incrédulité, ces attaques nourries et incessantes qui minent l’Église escamotent ses bons côtés. On oublie ces Frères des Écoles Chrétiennes qui se vouent depuis un siècle à l’enseignement des enfants du peuple, les nombreuses œuvres charitables de saint Vincent de Paul, et ces nouvelles communautés de religieuses qui ne vivent plus dans les cloîtres et se consacrent à l’enseignement, aux pauvres et aux malades.

Ces dévouements ne meublent jamais les conversations autant que la minorité d’évêques médiocres ou ambitieux qui pullulent dans l’Église. Ainsi on potine sur la famille des Gaudis qui s‘est réservée le très rentable évêché de Paris pendant près d’un siècle ou sur celle des Rohans qui occupe celui de Strasbourg depuis 1704.

Tous savent que le Cardinal de Rohan vit dans un luxe inouï, qu’il a été impliqué dans le scandale du collier de la reine, qu’une trentaine d’évêques au moins parasitent la cour de Louis XVI, qu’il y en a même, comme Talleyrand, qui sont totalement indifférents à la religion. 134 évêques sur 135 viennent de la noblesse. Louis XVI a même exigé que le futur archevêque de Paris croie en Dieu.

L’Église possède environ 15% des terres françaises. 75 monastères cisterciens riches à craquer possèdent moins de 5 moines. En même temps, les 40 000 curés de campagne ne reçoivent pas un salaire suffisant pour vivre.

À la veille de la Révolution française, 95% des habitants de la campagne font leurs Pâques, la majorité va à la messe tous les dimanches. Mais il y a beaucoup de tiédeur, sinon de l’hostilité, dans leur comportement de chrétiens. En 1789, bonne nouvelle pour les campagnards; pour la première fois depuis 1614, le roi Louis XVI veut les écouter. Il a convoqué les États généraux.

La Révolution française

Le coup de gong de l’histoire retentit en 1789.

Le roi a convoqué ses sujets divisés en trois groupes (nobles, clergé, peuple) pour régler le déficit colossal de la France et donc de voter de nouveaux impôts. Mais les trois groupes s’unissent et deviennent un genre de parlement. C’est la fin de la monarchie absolue. Le roi peut encore parler mais on n’est pas obligé de l’écouter. Le déficit colossal est toujours là. En novembre, Talleyrand, l’évêque d’Autun, propose de vendre au profit de l’État tous les biens de l’Église. C’est la plus grosse opération immobilière du siècle.

Puis, les jugeant inutiles, le parlement supprime les ordres religieux et ferme en février 1790 les couvents et les monastères de France. Moines et cloîtrées se retrouvent à la rue. Quelques mois plus tard, (12 juillet 1790) par la Constitution civile du clergé, le parlement intègre tout le clergé dans la fonction publique. Une nouvelle catégorie de fonctionnaires payés, élus par le peuple, y compris les non catholiques. Même chose pour les évêques. Le pape sera simplement informé des nominations. Désormais, le gouvernement s’occupera des pauvres et des malades.

Prudent, Paul VI ne réagit pas. Puis, le parlement exige du clergé le 27 novembre 1790 qu’il prête serment de maintenir la Constitution civile. La majorité des évêques, la moitié des prêtres refuse de prêter ce serment. Le pape ne peut plus se taire.

Le 13 avril 91, Pie VI suspend tout prêtre qui accepte de prêter serment de fidélité à la République. Il divise ainsi le clergé en deux camps: les réfractaires et ceux qui ont prêté serment. Les relations diplomatiques sont rompues.

L’année suivante, le frère de la reine Marie-Antoinette, l’empereur d’Autriche, essaie d’intimider le parlement français et le menace. Mauvais calcul, la France déclare la guerre à l’Autriche puis à son alliée la Prusse. Les défaites françaises s’accumulent. Le parlement se radicalise: le roi est déchu le10 août; l’approche des Prussiens pousse des ultras à tuer les “ennemis de l’intérieur”. En septembre, ils exécutent à Paris trois évêques et 300 prêtres.

Deux mois plus tard, le parlement vote un décret contre les prêtres qui ont refusé de prêter serment, qualifiés de “suspects”. Puis on les traque. 40 000 religieux se réfugient à l’étranger dont une cinquantaine au Québec.

En janvier 1793 Louis XVI est guillotinée. Les chrétiens de la Vendée, de la Bretagne, se soulèvent. Le parlement envoie l’armée; 100 000 morts.

En octobre 1793, le parlement adopte un nouveau calendrier d’où les dimanches et les fêtes religieuses sont exclus.

C’est le temps de la Terreur.

Fête de l’Être suprême au Champ de Mars (20 prairial an II – 8 juin 1794)

Le 7 juin 1794, une première dans l’histoire de l’humanité, un parlement se vote une nouvelle religion pensée par des intellectuels : “la religion universelle de la Raison” dont les contours doctrinaux sont assez flous. Un mois plus tard, (Le 27 juillet 1794) , les modérés qui ont peur pour leur peau renversent Robespierre. Fin de la Terreur, fin aussi de la déesse Raison (l’Être suprême) dont plus personne ne reparlera. Les chrétiens sortent de la clandestinité.

Depuis 1789, les Français ont essayé une Église chrétienne officielle (prêtres fonctionnaires), puis une Église non chrétienne (la Raison) tout aussi officielle. Maintenant, le gouvernement adopte une troisième solution: la séparation à l’américaine.

Le modèle américain

Les Puritains ont été parmi les premiers arrivés aux États-Unis. Ils ont été suivis des presbytériens, des Quakers, des calvinistes etc. Tous ont un grand point commun hérité des anabaptistes: ils ont horreur de voir un gouvernement mettre son nez dans leurs affaires religieuses. Aux États-Unis, le progrès des Lumières va de pair avec le maintien de l’esprit religieux. Aussi, les vainqueurs de la Révolution américaine, en majorité déistes, créent une république qui sépare l’Église et l’État. L’autorité des gouvernants ne vient pas d’un Dieu créateur, qui n’est même pas évoqué, mais du peuple des États-Unis. La République française copie le modèle américain, elle sépare l’État et la Religion. L’État français devient neutre.

En 1796, le nouveau gouvernement français envoie le général Bonaparte s’emparer des possessions autrichiennes en Italie. Quelque temps plus tard, à Rome, des Français saouls fêtent un peu trop la République. Des Italiens déclenchent une émeute.

La France intervient en force au début 1798. Rome est occupée, l’État pontifical rayé de la carte, la République proclamée, les œuvres d’art transportables envoyées à Paris.

Le pontife octogénaire fait prisonnier et emmené par les troupes françaises à Bologne, puis à Parme, Turin, Grenoble, et enfin Valence, où épuisé il décède le 29 août 1799. Alors que son odyssée est suivie avec émotion par tous les catholiques, les révolutionnaires sont convaincus que “le dernier pape est mort.”

Erreur. Le nouveau pape est Pie VII.

En septembre 1799, les troupes napolitaines reprennent Rome, Pie VII revient à Rome et les États pontificaux sont restaurés en juin 1800.

En 1799, quand Napoléon Bonaparte s’empare de la France, l’Église n’est qu’une ruine. Indifférent à la religion mais fin politique, Napoléon négocie un concordat avec Pie VII, en 1801. Cet accord marque un souci d’apaisement. Le catholicisme n’est plus la religion d’État, mais seulement l’une des confessions autorisées. Le gouvernement subventionne l’Église et le clergé est domestiqué. En contrepartie, le pape affirme son autorité sur l’Église française et contrôle enfin la nomination du clergé.

Pour étrangler économiquement l’Angleterre, son ennemie fidèle, Napoléon interdit à l’Europe tout commerce avec elle; c’est le Blocus continental. Le pape, qui veut rester neutre dans le conflit, refuse. Ses États sont de nouveau envahis par les Français en 1808 puis annexés par Napoléon. Napoléon emprisonne le pape à Savone puis à Fontainebleau pour ne le libérer qu’en 1814.

Le XIXe siècle

Après la chute de Napoléon, les vainqueurs, réunis à Vienne en 1815, redonnent aux monarques les couronnes qu’ils avaient perdues depuis la Révolution française et l’époque de l’empereur. Ils époussettent leurs vieux trônes, s’entourent de conservateurs et ne bougent plus.

Le refus héroïque de Pie VII de plier devant Napoléon lui a valu l’admiration de l’Europe, une autorité morale renouvelée et ses territoires, un tiers de l’Italie; le reste du pays comprend des royaumes indépendants et des régions occupées par l’Autriche.

Napoléon l’a quand même débarrassé de tous ces rois qui nommaient les évêques et faisaient élire le pape qu’ils voulaient. De nouveau, l’Église est une force et une institution vitale dans les affaires publiques. C’est un renversement surprenant.

Après la Révolution, la guillotine et les guerres sanglantes de Napoléon, plusieurs ont un doute sur la bonté inhérente à la nature humaine comme le croyait Jean-Jacques Rousseau, et les beautés du progrès. Avec le recul, la pensée de Diderot, de Voltaire et de Rousseau leur apparaît simpliste. Ils cherchent une vision de la vie qui fait de la place à certains besoins comme la foi, le mystère et le respect des traditions. Ils retournent à l’Église et se plongent dans “Le génie du Christianisme” de Chateaubriand.

Que conserver de la Révolution?

C’est la question qui va agiter tous les chrétiens et particulièrement les catholiques pendant un siècle et diviser l’Église en deux blocs, les libéraux et, de l’autre côté de la balustrade, les ultramontains (ceux qui regardent au-delà des montagnes -les Alpes- donc vers Rome).

Les chrétiens libéraux restent convaincus qu’il ne faut pas jeter tout l’héritage de la Révolution avec le sang du bain. Il faut garder les élections, la démocratie, la liberté de conscience, et même, pour certains, la liberté de religion.

Dans l’ensemble, les libéraux européens veulent l’alliance de Dieu et de la liberté. Attachés à l’Église, ils croient que, au lieu de s’inquiéter de l’évolution de la société vers la démocratie, les chrétiens doivent, au contraire, l’accompagner, la diriger, la christianiser, l’Église retrouvant ainsi sa place perdue au cœur de la société.

Pour les ultramontains, tout ce qui est inspiré de près ou de loin par la Révolution française relève de Satan. Aussi, autoritaires et intransigeants, ils veulent une Église étroitement unie à l’État et qui contrôle l’éducation. Tous veulent refermer la sinistre parenthèse de la Révolution et des Lumières.

On ne saurait être plus opposé. Les libéraux espèrent naïvement que l’Église va les appuyer. Erreur. Traumatisés par la Révolution française, les papes vont supporter des gouvernements conservateurs sinon réactionnaires pendant un siècle. Les papes s’inquiètent de voir les libéraux tendre la main aux Irlandais révoltés contre les Anglais, aux Polonais révoltés contre les Russes, aux Belges révoltés contre les Néerlandais, alors qu’ils doivent eux-mêmes faire face dans leurs États à des éléments révolutionnaires. En 1832, alors que le tsar Nicolas I écrase la rébellion polonaise avec la pire cruauté, le pape ordonne aux catholiques de Pologne de se soumettre et à leurs évêques de sanctionner ceux qui ont dirigé la rébellion et “ se sont, sous le prétexte de l’intérêt de la religion, élevés contre la puissance des souverains légitimes”.

En Allemagne et en général dans tous les pays où les catholiques sont minoritaires, les chrétiens sont plus ouverts à la tolérance et à la liberté. Ainsi, en 1829, le Parlement anglais abroge le serment du Test votée en 1673 qui empêchait les catholiques d’être fonctionnaires et qui avait tellement indigné les Canadiens français après la conquête.

Avec le pape Léon XII (1823-1829), on retourne au bon vieux temps; l’Inquisition est rétablie, les Juifs qui s’étaient égaillés dans toute la ville reprennent le chemin du ghetto. Léon XII interdit toute traduction de la Bible dans les langues nationales “ce qui la ramènerait à n’être plus que l’Évangile des hommes ou, pire encore, l’Évangile du Diable”. Il interdit l’accès des tavernes et des cafés ainsi que la vaccination contre la variole, contraire aux lois de la nature.

Ça ne s’améliore pas avec son successeur Grégoire XVI qui condamne en bloc dans son encyclique Mirari vos (1832), la liberté de conscience “ doctrine absurde, trompeuse, et pour mieux dire folie”, la liberté de pensée et de parole “ cette erreur pernicieuse qui mène les États à la ruine”, la liberté de la presse “ si dommageable et que l’on ne peut assez exécrer” enfin et bien sûr, la séparation de l’Église et de l’État.

Lamennais, le libéral le plus connu de France lui répond en 1834 avec “Paroles d’un croyant”. Dans cet ouvrage, il constate et déplore le « désenchantement » du monde, et lance un appel pressant à la nécessaire alliance entre l’Église et les idées de liberté. 100 000 exemplaires, à une époque où un bon tirage tourne autour de 5000.

De l’avis général, les trois millions de sujets italiens du pape sont les plus mal administrés de l’Europe au point que les ambassadeurs des grandes puissances européennes, dont la Prusse luthérienne et la Russie orthodoxe, craignent une révolution qui pourrait s’étendre au reste de l’Europe. Ils demandent au pape de mieux administrer ses États. Le pape n’en tient aucun compte.

Puis, au grand soulagement des gouvernements, des libéraux et des patriotes italiens, Pie IX est élu en 1846. Rapidement, il accorde une amnistie générale aux prisonniers, un genre d’habeas corpus à ses citoyens et autorise la publication de journaux libéraux et la création de cercles politiques. Il met sur pied une conseil de députés pour donner une voix aux laïcs de ses territoires. Le pape se garde tout de même un droit de véto absolu et laisse les Juifs de Rome dans leur ghetto.

L’expérience s’écroule lorsque le parlement du pape déclare la guerre à l’Autriche, qui occupe des territoires italiens, histoire de participer au grand mouvement qui veut unifier les Etats italiens avec Rome comme capitale.

Pie IX ne se voit pas déclarer la guerre à un pays catholique. En novembre 1848, il impose son véto. Les Romains se révoltent; démonstrations, émeutes, on assassine son “premier ministre” sur les marches du conseil. Une foule encercle son palais. Pie IX, déguisé en prêtre, réussit à s’échapper. Les révolutionnaires entrent à Rome et annoncent une république démocratique.

Longs mois d’exil. Le pape ne retourne à Rome que le 12 avril 1849, escorté par les troupes françaises de l’empereur Napoléon III. Le pontife, écœuré par cette révolution et ses violences, est fermement décidé à ne plus céder un pouce aux idées libérales.

Il n’est pas le seul. Des révolutions ont éclaté un peu partout en Europe en 1848. Les bourgeois, auparavant tous anti-cléricaux, voient les avantages d’une Église qui prêche la soumission à l’autorité. Les souverains, qui ont eu peur, cherchent à restaurer durablement l’ordre. Ils demandent l’appui de l’Église et l’obtiennent.

Jusqu’alors, l’Église affrontait des catholiques libéraux, convaincus mais polis. À partir de 1850 de nouveaux ennemis prennent l’Église de front, sans gants.

Les socialistes et les communistes, ouvertement athées et anticléricaux, prétendent avoir trouvé la formule pour assurer aux hommes le bonheur sur cette terre, sans aucun recours à la religion qualifié par Marx “d’opium du peuple”. Leurs idées se diffusent parmi les intellectuels puis les ouvriers.

Pie IX réagit par un raidissement doctrinal. En 1864, il condamne sans appel 80 « erreurs modernes ».

Il récuse la liberté absolue d’opinion et d’expression, de conscience et de culte; la volonté du peuple; la neutralité religieuse de l’État qui suppose l’idée – inadmissible pour l’Église- que toutes les religions se valent; le renversement de gouvernements légitimes, le socialisme et le communisme.

C’est un coup d’arrêt cinglant à toutes les valeurs lentement issues des siècles précédents. Le chef de l’Église lui oppose un système tout aussi cohérent mais absolument incompatible reposant sur la primauté de la Révélation chrétienne, ces connaissances qu’elle affirme détenir de source divine, dont il est le gardien. C’est justement cette Révélation qui fait de plus en plus problème.

L’histoire sainte

Pour les Églises chrétiennes, la Bible vaut un manuel scientifique, la Genèse un livre d’histoire. Elles enseignent toutes que les Saintes Écritures ne peuvent contenir aucune erreur et par conséquent disent vrai quand elles rapportent que Dieu tira la femme d’une côte d’Adam pendant qu’il dormait; que sur l’ordre de Josué, le Soleil, près d’un jour entier, retarda son coucher; que Jonas a passé trois jours dans une baleine etc.

Depuis Descartes, une petite armée de savants passait la Bible au crible. Dès 1651, Thomas Hobbes, faisait remarquer que Moïse ne peut avoir écrit la partie du Deuteronome où on peut lire le récit de sa mort… Quelques années plus tard, le prêtre Richard Simon dans son “Histoire critique du Vieux Testament” (1678) démontrait scientifiquement que Moïse ne pouvait être l’auteur unique du Pentateuque ( “les cinq livres de Moïse”). Il est obligé de se réfugier en Hollande. L’ouvrage est interdit et, pendant plus de deux siècles, règne dans l’Église la loi du silence.

Les intellos du XVIII avaient contesté l’historicité de la Bible, nié le surnaturel et les miracles de l’Évangile, réduits à de purs récits de légende. C’est maintenant au tour des scientifiques.

La géologie, la science qui fait mal

Depuis que le Français Champollion a réussi à déchiffrer les hiéroglypes, on a de la difficulté à concilier la chronologie de Moïse et celle des Égyptiens. On peut toujours expliquer l’histoire de Jonas comme le fait l’abbé Glaise, doyen de la faculté de théologie de Paris ( 1845) qui affirme que Jonas avait fort bien pu tenir trois jours et trois nuits dans le ventre d’une baleine “Dieu tout-puissant ayant pu mettre le sang de Jonas dans un si grand repos qu’il n’eût pas besoin de respirer fréquemment..” Il est plus difficile d’expliquer les chiffres précis de la Genèse et c’est pourquoi la géologie est la science qui fait vraiment mal aux Églises.

La Genèse était en effet très précise: Dieu avait créé la Terre et ses habitants en six jours.

l’évêque Bossuet avait fait ses calculs: ça s’était passé en 5119 avant Jésus-Christ. L’archevêque Usher a établi une chronologie encore plus précise. Après des calculs poussés, tenant compte de l’âge des patriarches de la Bible, l’évêque annonça que Dieu avait commencé sa semaine de travail frénétique le matin du dimanche, le 23 octobre 4004 av.J.-C. Durant cette semaine, il a créé le ciel et la terre, tous les animaux et l’homme. Depuis, il s’était passé quelque six mille années.

L’histoire de la terre se trouve bien à l’étroit dans les six millénaires auxquels reste fidèle les Églises chrétiennes. Les géologues voient bien que la nature a besoin d’un peu plus de temps pour creuser une vallée ou éroder une montagne. En tout cas plus que six mille années.

D’aucuns admettent qu’il faut prendre “jours” au sens très large d’”époque”, mais ça laisse un malaise.

Le problème de l’Évolution

En 1842, Boucher de Perthes découvre dans la Somme (France) une mâchoire de mammouth fossile associé à un outil en silex. En 1856, on trouve une calotte crânienne près de Dusseldorf dans la vallée (“Tal” en allemand) de Neander. Puis il y a ces os d’animaux étranges qu’on trouve parfois. Des espèces auraient donc disparu. Ou, autrement dit, Dieu aurait eu des échecs avec ses créations ou encore se serait pratiqué?

Troublante et dangereuse cette hypothèse…

Puis, en 1859, Darwin publie “De L’Origine des Espèces“. C’est la totale. Les animaux ne peuvent avoir été tous créés en quelques jours. Ils évoluent, disparaissent, par sélection naturelle au cours d’une immense histoire faisant ainsi vaciller l’idée du Dieu créateur de la Genèse. Si l’Homme lui-même a évolué, que deviennent la création par Dieu et le péché originel? Et Jésus?

En 1835, l’Allemand David Strauss publie “La vie de Jésus“. Ce dernier est un simple prêcheur éthique dont on a bricolé la vie pour montrer que Jésus de Nazareth est bien le Messie attendu.

En 1863, l’ancien séminariste Ernest Renan et spécialiste de langues fait paraître “La vie de Jésus” Mais personne n’avait dit, comme lui, que Jésus est un personnage exceptionnel, mais qu’il n’est pas Dieu. Tempête de protestation dans le monde catholique. Le livre s’arrache: cent soixante-huit mille exemplaires sont vendus en 1863-1864.

La fin des États du pape

Comme ses prédécesseurs, Pie IX considère que Rome est garante de l’indépendance de la papauté. Sans État, la tête de l’église universelle pourrait être intimidée par un dirigeant temporel, jusqu’à devenir un prisonnier politique. Pie IX ne veut donc pas céder ses territoires.

Dans une longue série de luttes et de batailles, (59-60) le Pape perd un après l’autre ses territoires aux mains des nationalistes italiens. Pie IX conserve Rome, grâce aux troupes envoyées par Napoléon III. Mais il sait bien que la France peut retirer ses troupes n’importe quand. Il lui faut une armée sous sa propre autorité.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Papal_Zouave.jpgLes zouaves

Le pape lance alors un appel à la jeunesse catholique internationale pour venir protéger l’Église. 20,000 volontaires de l’Europe dont quelque 500 Québécois répondent à l’appel et se regroupent dans le régiment des zouaves pontificaux. A l’extérieur de l’Europe, seul le Québec organise un corps armé pour aller à la défense du pape. Notons en passant que leur départ fut applaudi par vingt mille spectateurs enthousiastes, soit un cinquième de la population totale de Montréal.

Lors du concile œcuménique du Vatican (1870), Pie IX proclame l’infaillibilité pontificale. Le pape, lorsqu’il parle ex cathedra (du haut de la chaire) et en tant que Docteur suprême de l’Église, ne peut se tromper sur des questions de foi et de morale. Jamais, dans le monde spirituel, la primauté du souverain pontife ne s’était affirmée d’une manière aussi absolue.

L’infaillibilité pontificale a été mise en pratique en une seule occasion, lors de la proclamation du dogme de l’Assomption de Marie selon lequel, au terme de sa vie terrestre, la mère de Jésus fut élevée corps et âme à la gloire céleste.

Le lendemain de la proclamation de l’infaillibilité pontificale, la guerre éclate entre la Prusse et la France qui retire aussitôt ses troupes de Rome. Les vétérans canadiens-français retournent au Québec; certains fondent le village de Piopolis (la ville du pape) dans l’Estrie. L’armée des nationalistes italiens arrive aussitôt. Les dix-huit mille soldats du pape offrent une résistance symbolique pour montrer que le pape cède à la force brutale.

Les États pontificaux, le dernier vestige du pouvoir temporel de la papauté, sont absorbés par le nouvel État italien. Les Romains approuvent massivement par référendum, 40 785 oui, 46 non. Rome devient la capitale du nouveau royaume d’Italie.

Le pape se considère désormais comme un prisonnier et refuse toutes relations avec l’État italien. Il se retire au Vatican d’où il ne sortira plus. Ses successeurs seront aussi “Prisonniers du Vatican” jusqu’aux Accords de Latran de 1929 entre Pie XI et Mussolini.

Les revers politiques du pape lui donnent aux yeux des catholiques du monde entier une auréole de martyr et un prestige international. Le concile a affirmé la centralisation à Rome du pouvoir de l’Église; finies les vieilles coutumes des Églises nationales sur lesquelles Rome n’exerçait qu’une lointaine tutelle. Soudée autour de son chef, l’Église catholique donne une impression de cohérence et de force qui en impose. Le vieux pape s’éteint à 86 ans en 1878, après un pontificat de 32 ans, le plus long de l’histoire de l’Église.

L’incroyance ou l’indifférence

L’Église catholique n’a rien vu venir, ni l’éclosion du nationalisme, ni les revendications pour la démocratie, le droit de vote, les élections libres, ni la révolution industrielle. L’Église n’a pas pris la mesure du séisme intellectuel survenu dans les élites éclairés du XVIII et qui a percolé ensuite dans le reste de la population.

Depuis un siècle, par contingents entiers, des intellectuels, des bourgeois ont pris leurs distances avec une religion qui ne leur paraît plus crédible, ou qui cautionne l’immobilisme politique et social. C’est maintenant le tour des ouvriers frappés de plein fouet par la révolution industrielle.

La révolution industrielle a fait ses premiers pas en Angleterre; c’est le premier pays à en vivre les conséquences.

L’Église anglicane, assoupie dans sa soumission au pouvoir, supporte essentiellement le parti Tory (conservateur). On disait d’ailleurs qu’un synode anglican était simplement le parti conservateur en prières. Pour le gouvernement, rien ne doit entraver la marche des usines; il ne légifère pas en matière de travail sauf pour interdire les syndicats. L’ouvrier est libre, mais il est seul devant son employeur ravi. Enfin, pas tout à fait seul; deux groupes religieux se sont rangés ouvertement du côté des ouvriers, les évangélistes et les méthodistes.

John Wesley était ministre anglican et malheureux. Alors que l’Église anglicane se crispait sans sa rigidité, son conformisme, son côté gentleman, Wesley voulait s’occuper du monde ordinaire. Les anglicans lui interdisaient leurs églises. Vers 1730, il a commencé, le premier, à prêcher en plein air, au début dans les champs, plus tard à la sortie des mines.

50 ans et 40 000 sermons plus tard, Wesley, “l’éveilleur” s’est séparé –gentiment- de l’Église anglicane et son groupe, les méthodistes, bouscule régulièrement la Grande-Bretagne. Ils croient que le salut personnel implique un service au monde; aussi, ils s’impliquent à fond dans les réformes sociales, l’enseignement pour tous et la cause ouvrière.

Ils sont en place quand James Watt met au point une machine à vapeur utilisable dans les usines. Ils sont partout quand arrive le chemin de fer et fin prêts quand les campagnes se vident, les villes boursouflent et l’industrie textile raffine l’exploitation totale de ses employés, hommes, femmes, enfants, qui doivent souvent travailler quinze heures consécutives. Pendant que les anglicans font le plein des nouveaux riches industriels, méthodistes et évangélistes prêchent dans les cours d’usines, s’impliquent dans les syndicats, conscients que les salaires sont insuffisants, que beaucoup de familles ouvrières basculent dans l’indigence à la moindre crise. À Londres en 1847, un quatre pièce loué à des Irlandais était occupé par 50 personnes, appartenant à huit familles différentes, sans compter onze grabats, sous-loués au jour le jour, installés dans la cave.

Le recensement religieux de 1851 jette les anglicans à terre. Sur 18 millions d’Anglais, cinq millions ne vont pas à l’Église le dimanche. Pire encore, parmi ceux qui y vont, 51% seulement fréquentent l’Église anglicane, 44% les églises non-conformistes, c’est-à-dire les baptistes et les méthodistes, ceux qui ont reconnu depuis longtemps que les quartiers ouvriers étaient un nouveau champ d’apostolat.

Les ouvriers anglais sont reconnus pour leur organisation; les méthodistes aussi, d’où leur nom. Il y a eu, disons, une fusion; les méthodistes ont stimulé les revendications des ouvriers par ailleurs souvent religieux mais dans un sens réformiste et non révolutionnaire. Des auteurs sérieux tiennent les méthodistes directement responsables de l’absence d’une tradition révolutionnaire chez les ouvriers britanniques. Avec un sens très aigu de l’organisation jumelé à une morale bourgeoise, ils ont toujours réclamé et obtenu des réformes à répétition. Ailleurs en Europe les porte-parole des ouvriers, pratiquement tous des intellos, réclamaient rien de moins que la révolution et la prise du pouvoir par le prolétariat. Après? Après on allait voir ce qu’on allait voir. Pour les ouvriers anglais c’est tout vu; ils n’ont jamais fait confiance à ces idéologues; Aussi, beaucoup de révoltes, parfois sanglantes, beaucoup de gains, et pas de révolution.

Individuellement, les chrétiens ne restent pas les mains jointes. En Allemagne, autour de l’archevêque de Mayence, Mgr von Ketteler, certains cherchent des solutions politiques à la misère ouvrière et créent, sous le contrôle du clergé, des syndicats et des associations professionnelles. Cette idée inspire l’Œuvre des Congrès en Italie, les chrétiens sociaux en Autriche-Hongrie, l’Œuvre des cercles catholiques ouvriers en France etc. qui visent tous à obliger le patron à donner un juste salaire à l’ouvrier et des conditions humaines de travail.

Des groupes religieux, des chrétiens convaincus visent plus simplement à soulager la misère sans se mêler de politique et sans chercher plus loin: De 1800 à 1850, naissent quantité de sociétés offrant leur aide aux malades, aux prisonniers, aux domestiques. C’est l’évangéliste britannique Shaftesbury qui lutte pour les asiles, le Français Frédéric Ozanam qui crée la Société de Saint-Vincent-de-Paul en 1833, (10 000 membres en France en 1848), des patrons, des gens aisés l’appuient. Et il y a le cas spécial de l’Armée du salut, une nouvelle religion chrétienne fondée en 1865 par William Booth qui se consacre uniquement et totalement aux épaves de la société industrielle: tout son programme est résumé dans sa devise: “savon, soupe, salut”. L’Armée fait baisser partout la consommation de bière. Elle dérange au point que le lobby des brasseurs de bière finance en coulisse une riposte musclée. En 1882, plus de 600 officiers de l’armée sont victimes d’agression et 60 immeubles endommagés. Booth reste inébranlable et son Armée se répand dans le monde entier Argentine, Japon et Québec.

Si l’Église anglicane a vu trop tard l’arrivée massive des ouvriers, l’Église catholique sait à peine qu’ils existent. Les usines sont surtout au nord, Angleterre, Allemagne. En 1850, 15 villes de Grande-Bretagne ont plus de 100 000 habitants. Londres en a deux millions.

Alors qu’en 1900 les trois quarts des Britanniques vivent en ville, les deux tiers des Français vivent à la campagne. En 1896, un bon 83% des commerces français emploient moins de 5 personnes. Dans les États pontificaux, ni usines, ni industries. Le clergé vient surtout de la campagne et il est formé dans l’univers clos des séminaires. Avec une telle ignorance, comment l’Église pourrait-elle pondre un discours social?

De plus, sa mentalité justifie les inégalités d’un ordre social “voulu par Dieu”. Aussi, elle prêche la patience et valorise les solutions paternalistes, les bons patrons discutant avec les bons ouvriers, pour faire rouler de bonnes usines, au détriment de la mauvaise action ouvrière grosse de menaces. Finalement, la lutte contre les idées modernes et les nationalistes italiens qui veulent démanteler les États pontificaux accaparent les évêques et le pape. Ils se font aussi beaucoup de soucis avec les gouvernements qui prennent de plus en plus leurs distances avec les Églises chrétiennes.

Les gouvernements

En France, en Angleterre et ailleurs, les gouvernements ne vérifient plus les préceptes des Églises chrétiennes avant de voter les lois et ne leur demandent plus leur avis. Ils enlèvent au clergé les registres de l’état-civil là où ils les tiennent encore; le mariage civil devient obligatoire et, dans la plupart des pays, la loi autorise le divorce. Au cours du siècle, l’Église anglicane perd la plupart de ses privilèges d’Église d’État.

En Allemagne, le chancelier Bismark, qui n’a aucun problème avec les luthériens, déclenche une guerre soi-disant culturelle (Kulturkampf) pour affaiblir l’Église catholique et limiter son influence en Bavière et dans l’Alsace-Lorraine fraîchement annexée. Il va même jusqu’à jeter les évêques en prison. Mais les partis politiques résistent et Bismark doit rapidement abandonner. Rien d’aussi violent dans les pays catholiques, mais l’Autriche dénonce son concordat avec le Vatican, l’Amérique latine montre un désagréable manque de respect aux évêques locaux et des gouvernements anticléricaux sont mêmes élus dans des pays catholiques comme l’Italie, l’Espagne, ou le Portugal. En France, le gouvernement sépare radicalement l’Église de l’État en 1905. 20 000 religieux sont expulsés; des centaines rejoignent le Québec.

Deux pays importants seulement n’ont aucun problème avec leurs Églises chrétiennes mais pour des raisons radicalement différentes.

Comme tous ses prédécesseurs, le tsar de Russie, contrôle l’Église orthodoxe de A à Z par l’intermédiaire de son organisme suprême, le saint-synode dont il nomme le chef, toujours un laïc. Mais il se méfie des Russes qui lisent la Bible et qui pourraient en déduire des trucs subversifs. Il ne veut pas prendre de chances et interdit la publication de la Bible pendant des décennies. Malgré tout, des sectes étranges naissent: les Khlisti, qui croient qu’il faut absolument pécher sinon, impossible de recevoir le sacrement de Pénitence; les Skoptsi, qui prônent la castration pour éviter le péché; les Doukhobors du Caucase, qui croient que la propriété et la guerre sont le mal. En 1898, le tsar permet à ces derniers d’émigrer. Les Doukhobors abandonnent en masse la Russie, plusieurs s’établissent en Colombie-Britannique.

L’exception américaine

Au début du XIX, les États-Unis sont majoritairement protestants. Si l’Église épiscopale (les anglicans américains) est la plus influente parce que ses membres sont particulièrement à l’aise, les Églises inspirées de Calvin, presbytériens, congrégationalistes et surtout baptistes, sont beaucoup plus nombreuses. À la périphérie, une multitude de petits groupes protestants naissent et meurent dans l’oubli. Mais pas tous.

Magog, 18 avril 1843. Les Cantons de l’Est sont en émoi. On ne peut les blâmer, la fin du monde est annoncée pour le lendemain. L’Américain William Miller (1782-1849) est venu plusieurs fois à Magog voir sa sœur et son beau-frère pour les informer de la fin du monde. Après de laborieux calculs avec les chiffres du prophète Daniel et de l’Apocalypse, il est convaincu que la venue de Jésus-Christ est proche. À Stanstead, Dunham, Farnham, beaucoup attendent, fébriles, que le Christ les emporte au ciel avant de détruire le monde. Immense déception. Miller refait ses calculs. Ce sera pour l’équinoxe de 1844.

50 000 Américains vendent tout ce qu’ils ont et se regroupent au sommet des collines pour attendre l’arrivée du Christ. Déception. Mais pas pour tous. Des inconditionnels expliquent que l’année 1844 devait simplement “préparer” la venue (adventus) du Christ. Pour assurer sa venue, il faut se purifier de différentes façons en commençant par le respect du samedi, jour du sabbat des Hébreux. De là le nom d’Adventistes du septième jour qu’on leur donne. En fréquentant les Adventistes, l’Américain Charles Russell se découvre une passion pour calculer le jour de la fin du monde à partir des textes bibliques. En 1878, il fonde son propre groupe religieux, les Témoins de Jéhovah. Ses calculs peaufinés, il annonce pour 1914 « la merveilleuse nouvelle de l’établissement tout proche sur terre de la cité idéale paradisiaque dont parle le prophète Isaïe et où il ne se fera plus aucun mal ». En fait de cité paradisiaque, c’est la Première Guerre mondiale qui éclate. Aucunement découragé, son successeur écrit en 1920 : « Des millions d’hommes, actuellement vivants ne mourront pas. » Depuis, les Témoins sont devenus assez flous sur la date de la fin du monde.

Les protestants américains ont bien rigolé devant l’humiliation publique de Miller et, pendant les décennies qui suivent, vont claquer leurs portes aux Témoins de Jéhovah qui, Bible en main, se présentent chez eux.

Les multiples divisions des protestants ne leur posaient pas de problèmes; aucun bloc solide, uni, nombreux et donc potentiellement menaçant; les Mormons ces polygames fondés par Joseph Smith qui auraient pu les inquiéter, ont déménagé loin dans l’Ouest, en Utah, au milieu du siècle. Quelques décennies plus tard, lorsque Washington ordonnera la fin de la polygamie, une opportune révélation de Dieu au chef des Mormons permettra de l’interdire. Puis, les Irlandais, Allemands, Canadiens-français, commencent à arriver, massivement.

Tous ces catholiques inquiètent les protestants. Depuis la Réforme ils se sont toujours méfié de Rome et de son autorité. La papauté est une force formidable, qui semble menacer les protestants divisés. Avec des papes comme Grégoire XVI qui a interdit l’éclairage au gaz, les ponts suspendus, les télégraphes et les chemins de fer ou Pie IX qui s’oppose à deux vaches sacrées américaines, la liberté de la presse et la séparation de l’Église et de l’État, même les plus raisonnables ont des raisons de croire que l’Église catholique est incompatible avec la démocratie et les États-Unis. Les moins raisonnables croient sérieusement à un complot.

Ils tombent pratiquement tous dans le panneau de la Montréalaise Maria Monk qui vers 1830, raconte les turpitudes sexuelles des religieuses dans les couvents de bonnes sœurs qu’elle aurait fréquentés, avec passages secrets empruntés par des prêtres. Du grand délire. Succès monstre.

Le protestant qui prend ses ordres dans la Bible doute sérieusement de la loyauté de ces catholiques qui prennent les leurs directement de Rome. Des extrémistes brûlent un couvent catholique à Charleston (Mass.) en 1834; dix ans plus tard ils détruisent deux églises à Philadelphie. En 1846, les États-Unis annexent le Nouveau-Mexique dont la population est catholique. De 150 000 en 1815, les catholiques sont maintenant quelques millions. Au milieu du siècle des protestants fondent des sociétés secrètes pour s’y opposer. Questionnés sur ces sociétés, ils répondent “ I know nothing”. Ce sera le nom de leur parti politique, “Know-Nothings”, qui élit 75 membres au congrès en 1854.

Les catholiques américains expliquent sur toutes les tribunes qu’ils sont entièrement, totalement d’accord avec la tradition et la Constitution libérales du pays, qu’ils refusent d’opposer loyalisme envers l’État et loyalisme envers l’Église et qu’ils acceptent la séparation de l’Église et d’un État dont ils ne réclament aucun privilège. Ces déclarations inquiètent le Vatican. Les catholiques américains resteront longtemps suspects chez eux et à Rome.

Les protestants voient aussi éclater leurs principales Églises au milieu du siècle. Presbytériens, baptistes, méthodistes se déchirent sur la question de l’esclavage. Aussi, après la Guerre de Sécession, les Noirs créent leurs propres Églises, majoritairement baptistes.

Rerum Novarum

Finalement, quarante-trois ans après le Manifeste du parti communiste, le pape publie en 1891, l’encyclique Rerum Novarum, le fondement de la doctrine sociale de l’Église.

Si le pape refuse la lutte des classes, il refuse aussi l’exploitation éhontée des ouvriers. Il écrit:” un petit nombre de riches et d’opulents impose un joug presque servile à l’infinie multitude des prolétaires.” Il condamne aussi le libéralisme économique. Le gouvernement doit intervenir pour une répartition convenable des biens, pour la durée du travail le repos hebdomadaire, le salaire familial.

Enfin, si le pape préfère les corporations (patrons et ouvriers), il n’exclut pas les syndicats (ouvriers seuls). On sait maintenant que le cardinal Gibbons, archevêque de Baltimore s’était opposé à la condamnation par Rome de l’ordre des chevaliers du travail, organisation ouvrière secrète d’Amérique du Nord.

A long terme l’encyclique rendra possibles les partis politiques de chrétiens sociaux du XX siècle en Italie, en Belgique, en Allemagne etc.

Les patrons sont scandalisés. Ils ont toujours vu l’Église comme un genre de gendarme au service de la société. Mais Rerum Novarum n’atteint pas son objectif : lier plus fortement les travailleurs à l’Église. Les ouvriers seraient embêtés de dire à quelle paroisse ils appartiennent ou si ça les intéresse.

Seule consolation, le christianisme est devenu mondial.

Afrique, 1800

La conquête des âmes

Deux siècles après le premier grand effort d’évangélisation, l’Amérique latine est catholique. En Asie, l’Église avait choisi la rigidité plutôt que la souplesse et elle en a payé le prix. En dehors des Philippines et du Vietnam, Il reste une poignée de catholiques à Goa, à Macao etc. Si les explorateurs européens ont franchi tous les océans, cartographié les contours de tous les continents, on ne connaît encore que les côtes. Tout est à faire. En 1820, il n’y a pas plus de 500 missionnaires catholiques dans le monde entier. Quant aux protestants, ils commencent pratiquement à neuf. Seuls les frères Moraves, lointains disciples de Jean Huss, ont évangélisé le Groenland, puis le Labrador. C’est pourquoi les Inuit du Labrador utilisent l’alphabet romain et non l’écriture syllabique.

La mission : aventure et exotisme

Dès 1802 Châteaubriand a exalté les missionnaires dans le “Génie du christianisme”, point de départ de ce romantisme missionnaire qui inspirera tout au long du siècle de nombreux ouvrages et une extraordinaire floraison de revues missionnaire.

À mesure que les missions étrangères se développent, les récits héroïques des missionnaires se diffusent en Europe et en Amérique suscitant chez les jeunes le désir d’émuler une telle foi et une telle bravoure au service du Christ. Les expéditions du capitaine Cook en Polynésie, de David Livingstone en Afrique, des livres comme “The Story of the Life of Mackay of Uganda, The Slave and His Champions” suscitent l’intérêt des protestants pour les habitants des terres lointaines et mystérieuses. Chez les catholiques, les Lettres édifiantes et curieuses des Jésuites du XVIII siècle sont sans cesse rééditées au cours du XIX. On s’arrache Le Voyage au Tibet ( 1843-1846) des Pères Lazaristes Huc et Gabet.

En 1860, les Annales de l’Œuvre de la propagation de la foi tirent à près de deux cent mille exemplaires. Les lecteurs catholiques lisent, émus, que des milliers de catholiques japonais catholiques se sont transmis en cachette le message du Christ et qu’ils viennent de se révéler aux missionnaires.

En 1865, à Nagasaki, un missionnaire, M. Petitjean, découvre les descendants des chrétiens convertis par saint François-Xavier et qui avaient conservé foi et rite sans aucun clergé.

Pour s’assurer qu’il était bien le successeur de leurs anciens missionnaires, un Japonais lui a demandé :

« N’avez-vous point d’enfants? »

Petitjean l’a rassuré.

On lit ces récits et on se dit : tous ces peuples qui n’ont jamais entendu parlé du Christ! Et on veut y aller à son tour d’autant plus que les bateaux à vapeur, les télégraphes, etc., facilitent l’expansion missionnaire. Ceux-ci apportent l’Évangile, baptisent, alphabétisent, soignent. Ils créent des hôpitaux, des écoles, etc.

Mais l’élan prodigieux et les volontés inépuisables pour évangéliser tous les continents démarre sérieusement après la réunion à Berlin en 1885, des puissances européennes, Belgique, France, Angleterre, Allemagne etc. pour se partager l’Afrique. En fait, deux surtout se font concurrence sur le plan religieux: l’Angleterre pour les protestants et la France pour les catholiques. L’article 6 de l’entente stipule que les missionnaires bénéficieront de la protection de la puissance coloniale.

Avec la France, l’Angleterre, l’Allemagne à leurs côtés, les missionnaires ne sont plus seuls. Des soldats, des policiers les protègent, eux et leurs convertis.

Les meurtres rituels, les sacrifices humains, la tradition du suttee en Inde qui consistait à brûler les veuves sur un bûcher, toutes ces coutumes contre lesquels les missionnaires étaient impuissants sont maintenant interdites par les autorités coloniales. Le poids de l’Europe dans le monde rend la tâche du missionnaire plus aisée.

Mais en même temps, l’Europe le compromet. Les missions font partie de l’arsenal colonial. Avec l’Évangile vient l’Occident puis, la plupart du temps, les troupes coloniales. Les missionnaires sont incapables de faire la distinction entre les valeurs occidentales et la religion. Les païens non plus.

Les païens voient aussi une autre genre de Blanc. Jusqu’alors leur seul modèle de blanc était le missionnaire qui en était conscient sachant que tous les Blancs seraient jugés d’après son comportement. Très différent avec l’arrivée des commerçants et de l’administration coloniale qui n’ont pas comme premier objectif de répandre la lumière de l’Évangile.

Il ne faut pas oublier que les missionnaires sont dans tous les cas, dès le début, le soutien et l’allié des autochtones contre les administrateurs coloniaux. Les Oblats par exemple, se sont autant battus contre les shamans, les prêtres spirituels autochtones que contre Ottawa. Ils ont créé un empire religieux puissant dans tout l’Arctique canadien. Sept évêques et 400 prêtres autour de 1900.

Dans le nord canadien, les anglicans ont été les premiers arrivés au Nunavik et sur l’île de Baffin. Ils ont créé l’écriture syllabique pour pouvoir traduire la Bible en inuktituut, avec des adaptations culturelles (le phoque plutôt que l’agneau, etc.). La conséquence aujourd’hui est que les Inuit protestants tiennent à cet alphabet alors que ceux du Labrador, convertis par les Frères Moraves, et ceux autour du fleuve Mackenzie, convertis par les Oblats, utilisent l’alphabet romain.

En même temps qu’ils construisaient des écoles et des églises pour éliminer la culture autochtone, ils ont aussi éduqué les futurs leaders des mouvements politiques qui vont réussir à se faire reconnaître par le fédéral. Si certains missionnaires, corrompus par leur autorité totale (ils étaient médecins, magistrats, notaires publics, prêtres), ont bousculé leurs paroissiens, d’autres ont compilé des études détaillées et des dictionnaires de leurs langues, de leurs croyances et de leur histoire.

Au début du XX siècle, toutes les Églises sont fières de leurs réussites. Les protestants ont fondé plus de 300 sociétés de mission au cours du siècle et ils ont quelque 8000 missionnaires hommes et femmes partout dans le monde. L’Église catholique a fondé des congrégations spécifiquement missionnaires comme les Oblats: 53 pour les hommes, 200 pour les femmes. En 1900, il y a plus de 44 000 religieuses actives dans différents pays de mission.

À la veille de la Première Guerre mondiale, après une cinquantaine d’années d’efforts soutenus, protestants et catholiques sont présents sur tous les continents avec des succès variables.

En pays musulmans, c’est un flop total. L’Islam est imperméable. Pas beaucoup plus de succès en Inde. Les Hindous trouvent la spiritualité chrétienne peu intéressante, pratiquement débile. La Birmanie et le Sri Lanka, fortement bouddhistes, résistent eux aussi aux conversions. Par contre, les missionnaires ont converti une minorité non négligeable de la population au Vietnam (catholiques) et en Corée (protestants). En Afrique, les missionnaires font des percées.

Complètement oubliés par tout le monde, les orthodoxes ont évangélisé la Sibérie, poussant ensuite une pointe vers le Japon; puis ils ont traversé en Amérique, créé un évêché de l’Alaska. C’est ainsi qu’en 1834 des missions catholiques espagnoles de Californie ont reçu la visite du missionnaire orthodoxe Vaniaminov.

Le clergé autochtone

Toutes les Églises ont fait un minimum d’efforts pour avoir un clergé indigène.

Dès 1863, le Lésotho a ses propres pasteurs africains; l’année suivante, Samuel Crowther, un Yoruba, est consacré évêque anglican pour le diocèse du Niger. Les anglicans comptent un premier évêque chinois en 1918, un premier japonais en 1922.

En 1914, l’Église catholique a 500 prêtres chinois mais aucun évêque. Les quatre évêques non-européens sont tous de l’Inde. Il faut préciser que les longues années d’études nécessaires pour devenir prêtre expliquent la différence. Mais dans tous les cas, protestants ou catholiques, le leadership est européen. La Première Guerre mondiale éclate cette année-là et elle aura un effet catastrophique pour les missions.

Cette guerre ne pose guère de problème de conscience aux Églises chrétiennes. Dans chaque camp, elles font passer les intérêts nationaux de leur propre pays avant le message chrétien de réconciliation. Les initiatives du pape pour ramener la paix échouent.

La plupart des missionnaires sont rappelés sous les drapeaux. Dans les colonies, les militaires se font la guerre: Allemands contre Français et Anglais, chacun avec ses troupes indigènes parfois de la même nation. L’apport civilisateur des Blancs en prend un coup.

Puis arrivent les nouvelles de la guerre des tranchées en Europe: des boucheries à répétition. Les missionnaires devaient apporter les bénéfices de la civilisation aux païens dégradés. Après les révélations du front n’importe qui pouvait se poser des questions: de quelle civilisation s’agit-il et qui est dégradé? Les Africains chrétiens sont sérieusement ébranlés.

Lorsque les missionnaires reviennent en 1918, leur monde a changé. Ils ne reconnaissent plus leurs ouailles; particulièrement dans les pays africains qui s’étaient battus les une contre les autres et encore plus chez les protestants qui avaient laissé les Africains gérer les Églises en leur l’absence. Ceux-ci se demandent pourquoi ils auraient encore besoin des missionnaires? Ils commencent à prendre leurs distances avec les Églises européennes. Certains préfèrent se joindre à des Églises africaines, déjà une trentaine en 1925.

La guerre met fin aux monarchies russe, autrichienne, allemande et du même coup à l’alliance souvent fort tendue entre le trône et l’autel. Elle a permis aux communistes de prendre le pouvoir en Russie.

Les communistes

Au XIX siècle, Moscou est le centre de l’orthodoxie, la Russie étant le seul pays orthodoxe qui échappe au contrôle des Turcs.

Carte de l’Europe 1900

Durant le XIX siècle, les nations des Balkans et des pays du Danube (Serbie, Roumanie, etc.) qui avaient si longtemps subi la domination turque retrouvent leur indépendance. Jusqu’alors, les chrétiens de ces pays étaient sous la juridiction du patriarche de Byzance. Avec beaucoup de réticence, il accepte que les Grecs, les Roumains, les Bulgares, etc., créent leurs propres églises nationales avec leurs propres patriarches, comme les Russes l’avaient fait en deux siècles plus tôt. Le patriarche de Byzance garde toutefois son titre de patriarche œcuménique et une préséance sur les autres.

Comme en Russie, l’Église et la nation ne font qu’un. Et, comme en Russie, elles persécutent leurs minorités religieuses. Les Juifs un peu partout, les catholiques en Russie etc.

L’abdication de l’empereur de Russie, Nicolas II, en mars 1917 permet de réaliser un vieux projet, la réunion d’un concile national qui rétablit le patriarcat laissé sans titulaire depuis 217 ans, en élisant Tykhon, jusqu’alors chargé d’un ministère en Alaska.

Le nouveau patriarche prend la tête d’une Église qui va subir la persécution permanente du nouveau régime communiste. Lénine voit dans la religion ce “qu’il y a de plus répugnant au monde”. Lénine puis Staline mènent pendant plus de vingt ans une attaque généralisée contre la religion orthodoxe. Le clergé est envoyé au goulag, les évêques fusillés, les séminaires et les églises fermés. Tous les chrétiens sont inquiets devant ces persécutions.

Aux États-Unis, les fondamentalistes qui avaient mené une chaude lutte contre les modernistes attendent les résultats du procès religieux du siècle : le procès Scope.

La bataille de Scope, 1925

Avec 10 millions de fidèles, les catholiques américains au début du siècle sont de loin le groupe religieux le plus nombreux.

Pourtant, ce sont deux nouveaux mouvements protestants inquiets devant le monde moderne qui donnent le ton à l’Amérique.

Frappés en plein front par Darwin et la science, des protestants défendent la lecture littérale des Saintes Écritures. La réaction la plus remarquable et la plus durable a lieu en 1906, dans une petite église de la rue Azuza, à Los Angeles, où les fidèles soulevés par une immense ferveur religieuse disent avoir été touchés par l’Esprit, ce qui s’accompagne de glossolalie (don des langues) et de guérisons. Son prédicateur est William Seymour (1870-1922), fils d’anciens esclaves. Bientôt appelé “pentecôtiste”, ce mouvement populaire et multiracial à l’origine, se répand rapidement dans la plupart des grandes villes à forte population noire et immigrée. Puis, il gagne le monde entier. S’ils sont fondamentalistes et défendent la lecture littérale des Saintes Écritures, ils mettent d’abord l’accent sur l’importance de l’expérience spirituelle intérieure. Le tout au grand désarroi de plusieurs évangéliques.

Ce sont ces derniers qui vont mener la bataille contre les modernistes. Autour de 1910, des conservateurs protestants publient une série de tracts, les “Fondamentals”, qui insistent sur le fait que la Bible ne peut se tromper. La Première Guerre mondiale a mis fin à la lune de miel avec la science, et beaucoup de protestants estiment qu’il faut lui imposer des limites.

Dès lors, les “Fondamentalistes” se séparent des “Modernistes”. La bataille entre les deux groupes culmine au Tennessee; l’État fait un procès en 1925 à l’enseignant John Scopes qui avait défié les lois de l’État en enseignant la théorie de l’évolution. Scope: ce procès prend immédiatement la dimension d’une bataille entre la Bible et la science.

Les Fondamentalistes gagnent le procès. Mais ils perdent la guerre pour l’opinion publique.

En conséquence, après avoir été pendant des siècles, le courant principal du protestantisme, les conservateurs dans les années qui suivent se voient dépassés de plus en plus par les protestants modernes qui s’orientent vers les causes politiques et mettent l’accent sur l’évangile social.

Les Fondamentalistes concentrés dans le sud et le Mid-West et dans les barreaux inférieurs de l’échelle sociale retraitèrent dans leurs coquilles sectaires. Et pendant les cinquante années suivantes, les millions d’évangélistes sont simplement ignorés. Durant la dernière guerre des évangélistes modérés qui veulent renouer le dialogue avec le monde se réunissent dans une association et à la fin des années 40, ils trouvent enfin leur porte-parole, un jeune “preacher” prometteur, Billy Graham.

À l’Église Notre-Dame-de-la-Défense (6810 avenue Henri-Julien à Montréal), on trouve un célèbre portrait de Mussolini dans la fresque peinte par Guido Nincheri qui commémore le traité de Latran entre Pie XI et l’État italien.

Entretemps, L’Église catholique a finalement réglé la question qui traînait depuis mille ans, depuis que Pépin avait créé la puissance temporelle des papes, les États pontificaux. En 1929, le pape Pie XI signe un accord avec l’Italie du dictateur Mussolini.

Par ces accords, la Cité du Vatican (un territoire de 44 ha enclavé dans Rome) devint un état papal, un État minuscule mais indépendant, jouissant des mêmes droits et pouvoirs que n’importe quel pays du monde. Cette indépendance sauvegarde l’idée fondamentale; le chef spirituel de la chrétienté doit, pour agir en pleine liberté, posséder un État temporel.

 La peur des communistes

« Être devenu la bête noire des hommes libres et des pauvres avec un programme comme celui de l’Évangile, convenez qu’il y a de quoi faire rigoler. » Georges Bernanos (La Grande peur des bien-pensants, 1931.)

Mussolini, le dictateur de l’Italie, veut un empire. Première colonie, l’Éthiopie. Durant la guerre contre ce pays indépendant, les Italiens de Mussolini ferment les missions protestantes, expulsent les catholiques non-italiens et persécutent les Coptes. L’Église ne dit pas un mot.

Obsédée par les dangers du communisme, l’Église catholique marque, au moins implicitement, sa préférence pour les régimes forts qui peuvent s’opposer aux communistes. L’Italie avec Mussolini et ses fascistes, la Hongrie avec les Croix Fléchés, la Slovaquie avec Mgr Tiso chef de l’un des États les plus antisémites du monde, Salazar au Portugal. Et que dire de Franco et de la guerre civile espagnole? En Espagne, la victoire du Front populaire (rassemblement de partis de gauche) est accompagnée de vandalisme contre les églises et les couvents. C’est le début d’une guerre civile; des dizaines de milliers de prêtres, de religieux et religieuses sont assassinés dans les premiers mois de la guerre; c’est la persécution la plus sanglante de l’histoire de l’Église. Le Vatican est le troisième pays qui reconnaît Franco, les deux autres étant l’Italie de Mussolini et l’Allemagne de Hitler.

La presque totalité des évêques espagnols fait allégeance à Franco dans une lettre collective de 1937. L’Allemagne est plus compliquée.

La pensée de Hitler est simple: il y a des forts et des faibles dans la nature comme chez les peuples. Les forts ont tous les droits. Jésus s’est rangé du côté des faibles. Pour Hitler, le christianisme est un complot juif.

Lorsque Hitler devient chancelier, les chrétiens sont d’abord passifs. Il y a même un mouvement de “chrétiens allemands” ouvertement nazi. Par contre, le théologien protestant Karl Barth proteste dès 1933 contre l’arrivée au pouvoir des Nazis. Un an plus tard, il organise avec le pasteur Martin Niemöller et Dietrich Bonhoeffer, des réunions de protestants allemands sous le nom d’Église confessante. Peu nombreux, plusieurs sont victimes du nazisme. Dietrich Bonhoeffer, l’un des plus connus, pendu en 1945, a eu une très grande influence par ses écrits publiés après sa mort. Ses lettres de prison, publiées sous le titre “ Résistance et soumission, sont célèbres.

Mais l’immense majorité des chrétiens reste passif.

Le pasteur Niemöller écrivait :

« … Quand les nazis sont venus chercher

les communistes

Je n’ai rien dit,

En effet, je n’étais pas communiste.

Quand ils ont jeté en prison

des sociaux-démocrates,

Je n’ai rien dit,

En effet, je n’étais pas social-démocrate.

Quand ils sont venus chercher

les catholiques,

Je n’ai pas protesté,

En effet, je n’étais pas catholique.

Quand ils sont venus me chercher

Il n’y avait plus personne

pour protester. »

C’est parce que le Vatican ne se fait aucune illusion sur Hitler qu’il négocie un concordat. Le Vatican croit, à tort, qu’il permettra de préserver certaines institutions catholiques en Allemagne. Hitler ne respectera que ce qu’il voudra bien. Les Églises chrétiennes restent silencieuses lorsque Hitler fait des Juifs, légalement, des citoyens de seconde zone par les lois raciales de 1935. La résistance dans les rangs catholiques est dirigée par quelques évêques et prêtres qui, en 1937, trouvent le soutien de Pie XI dans son encyclique Mit Brennender Sorge lue en chaire dans les églises allemandes à la grande indignation de Hitler. Des centaines de prêtres sont déportés.

Mais pas un mot des Églises le 9 novembre 1938 lors de la Kristallnacht (nuit de cristal) pendant laquelle les Nazis détruisent les synagogues de l’Allemagne et envoient 26 000 Juifs dans des camps de concentration.

Par contre, en pleine guerre, quand les Nazis mettent en marche le programme T4 pour éliminer les malades mentaux dans les institutions, les Églises protestantes et catholiques réagissent. Le 3 avril 1941, Monseigneur von Galen, évêque de Munster, dénonce en chaire ces assassinats. Il est imité par les évêques de Fulda et de Limbourg. Si bien que Hitler ordonne l’arrêt officiel du programme le 24 août. À cette date, il y a eu 70 000 victimes. Hitler a reculé. Mais il se promettait de régler son compte aux Églises chrétiennes après la guerre.

Le pape n’a pas prononcé de condamnation solennelle explicite au sujet de l’extermination des Juifs quand il en a eu connaissance, pas plus qu’il n’en a prononcé contre le communisme ou le nazisme lors de l’invasion de la Pologne par l’Allemagne et l’URSS. Pour la même raison. Il croyait qu’une déclaration empirerait les choses.

Après la guerre, un rideau de fer sépare l’Europe en deux. Partout, de l’Albanie à la Chine, les régimes communistes rompent avec Rome, envoient en prison les chefs des Églises chrétiennes. À ces problèmes majeurs s’ajoute la décolonisation massive.

Depuis l’encyclique Maximum Illud (1919), l’Église catholique insiste pour que le missionnaire se garde de toute propagande nationaliste; il n’est pas le délégué de sa patrie mais le missionnaire de l’Église. De même, le christianisme ne doit pas apparaître comme la religion d’une nation étrangère. Le vaste mouvement de décolonisation des années 1950 et 1960 pose enfin la question de la distinction entre la culture occidentale et le message chrétien. Après nombre de révisions déchirantes, la transmission de la foi chrétienne à travers les langues, les cultures, les rites d’origine, est désormais la règle officielle des Églises. Remarquons que pratiquement tous ceux qui ont conduit leur nation à l’indépendance étaient les élèves des missionnaires.

En plus, le christianisme continue de faire face à l’indifférence croissante qu’il rencontre en Occident même. L’Église est menacée non seulement par l’hostilité des pays communistes mais aussi par la montée de l’indifférence religieuse en Occident. La mort de Pie XII en 1958 marque la fin d’une époque. C’est alors que le nouveau pape Jean XXIII, bouleverse l’Église.

Le 25 janvier 1959, Jean XXIII annonce aux cardinaux stupéfaits la convocation d’un concile œcuménique, le premier depuis 1870, le second depuis 1563! Le pape explique qu’il faut “secouer la poussière séculaire accumulée depuis Constantin, faire entrer l’air frais”, réaliser, comme il dit, l’aggiornamento, la mise à jour de l’Église, assurer le renouveau de l’Église face au monde moderne et préparer l’unité chrétienne.

Vatican II 1962-1965

Jean XXIIIJean XXIII ouvre le concile Vatican II le 11 octobre 1962.

Dès la première session deux tendances s’affirment au sein des 2540 pères conciliaires: l’une conservatrice, dans laquelle se rangent la plupart des cardinaux de la curie romaine et de nombreux évêques italiens et espagnols; l’autre progressiste, qui est représentée surtout par les pères français, allemands, belges, et par ceux du “tiers monde”. Le concile est clôturé par le pape Paul VI le 8 décembre 1965.

Les décisions sur la liturgie ont le plus d’impact sur le public car elles entraînent des modifications dans la célébration de la messe et des sacrements. La messe sera célébrée dans la langue des fidèles, le prêtre face au peuple, dans un rite allégé des additions opérées au cours des siècles.

Vatican II a soldé le passif de la Réforme, de la Révolution française, du Syllabus et de la crise moderniste ce qui n’est pas mince! Mais il a clos une époque plus qu’il n’en a ouvert une autre.

Il a fallu du temps mais les Juifs et les Chrétiens ne sont plus des ennemis spirituels. Lors du concile Vatican II, l’Église a condamné les stéréotypes, lavé le peuple juif de la vieille accusation de “déicide”, affirmé que le peuple élu n’est ni réprouvé, ni dépossédé de l’alliance avec Dieu. Paul VI en janvier 1964, rencontre à Jérusalem Athénagoras le patriarche de Byzance. Un an plus tard, le 7 décembre 1965, c’est la levée réciproque des excommunications entre Rome et Byzance lancées par leurs prédécesseurs lors du grand schisme d’Orient en 1054.

À Rome il a reçu les chefs des autres Églises orientales ainsi que l’archevêque de Caterbury, primat de l’Église anglicane.

On est trois milliards, il faut se parler

Il y a plus d’unité entre les Chrétiens aujourd’hui qu’à toute autre époque depuis la réforme protestante. Les dernières discriminations entre chrétiens ont sauté au cours des dernières décennies: celles à l’égard des catholiques en Scandinavie ou en Suisse, à l’égard des protestants en Espagne et au Portugal. Toutefois l’orthodoxie défend jalousement ses prérogatives officielles en Grèce.

Il y a exactement un siècle, 1200 chrétiens, essentiellement des missionnaires protestants, tenaient la première réunion du Conseil œcuménique des Églises. Ni les catholiques, ni les orthodoxes n’avaient accepté d’y participer. Outre l’évangélisation, cette réunion historique avait mis l’accent sur la coopération et l’unité. le point de départ symbolique du mouvement œcuménique moderne. En 2010, tout le monde est à Edimbourg pour commémorer le centenaire de la Conférence mondiale des missions de 1910, qui avait eu lieu dans la même ville: 300 délégués de plus de 60 pays et de quasiment toutes les traditions chrétiennes.

….

De Jésus au Christ : les premiers chrétiens

Documentaire de PBS, 4 heures

Ce documentaire raconte la vie et la mort de Jésus et celles des hommes et des femmes dont la foi, la conviction et le martyr ont créé la religion que nous appelons le christianisme.

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