C’est l’Ile mystérieuse. On y cherche un trésor depuis deux siècles. On sait où chercher. Mais après plus de 200 ans de fouilles avec des techniques de plus en plus perfectionnées, plusieurs faillites et quelques morts, on ne sait toujours pas qui a caché quoi sur Oak Island, l’Ile-aux-Chênes.

C’est la plus bizarre des “îles au trésor” de la planète. D’ordinaire, les chercheurs savent ce qu’ils cherchent : un galion coulé avec telle cargaison. Tout ce qu’ils ignorent, c’est où chercher. Dans le cas de la petite Ile-aux-Chênes, au large de la Nouvelle-Écosse, c’est le contraire : on sait où se trouve le “trésor”. Mais on n’a pas l’ombre d’une idée de ce qu’il contient. Et surtout, on ignore qui a pu construire le système de pièges le plus ingénieux qu’une île au trésor ait jamais renfermé.

Au début, ça semblait facile : en 1795, Daniel McGinnis, un adolescent habitant sur le continent, qui s’amusait à chasser la perdrix dans cette île inhabitée, aperçoit une poulie de navire pendue à une branche de chêne. Juste au-dessous, il remarque une légère dépression du sol, comme si on avait rebouché un trou. Persuadé qu’il s’agit d’un trésor laissé par les pirates, il court prévenir deux copains.

À quelques pieds de profondeur, ils rencontrent une rangée de dalles (flagstones); ils l’enlèvent et continuent à creuser. À trois mètres (dix pieds), c’est une deuxième plate-forme, faite de billes de chêne (oak). Ils l’enlèvent et continuent à creuser.

Et ça continue ainsi pendant des jours. A six mètres (20 pieds), nouvelle plate-forme en chêne. À neuf mètres (30 pieds), une autre. Et sous elle, toujours cette terre tassée, avec de l’argile et des roches. Les garçons comprennent que ces plates-formes servent à se partager le poids des tonnes de terre. Sauf que neuf mètres de profondeur, c’est trop pour eux.

Ils abandonnent donc, et les choses en restent là pendant près de dix ans.

Jusqu’en 1804…

En 1804, un nommé Simeon Lynds entend parler de la découverte des trois jeunes garçons. Il forme une compagnie et apporte sur l’île du matériel minier.

Illustration tirée du livre "Oak Island: L'Île au trésor" (p. 49)
L’état des creusages en 1805. Cliquez pour agrandir!

Les ouvriers dépassent sans problème le niveau atteint dix ans plus tôt et, en continuant à creuser, découvrent à leur tour, tous les dix pieds, des plate-formes recouvertes tantôt de couches d’algues, tantôt de charbon… et même de fibres de cocotier!

Dans l’esprit des plus rêveurs, l’association cocotiers = Antilles = pirates = trésor, est rapidement faite…

À la 9e plate-forme (27 mètres ou 90 pieds), première découverte intéressante: une lourde dalle de pierre marquée, au verso, d’une inscription dans un langage indéchiffrable. Elle est mise de côté, et il faudra longtemps avant que quiconque ne la juge digne d’intérêt…

Les ouvriers atteignent 33 mètres (110 pieds) et s’arrêtent pour la nuit. Le lendemain matin, surprise : le puits est rempli d’eau aux trois quarts! D’où vient-elle? On ne sait pas. Mais surtout, pourquoi le puits ne s’est-il pas rempli plus tôt? Sur le coup, on n’a pas de réponse. Pendant des semaines, les hommes écopent avec des seaux et des pompes improvisées, sans parvenir à abaisser le niveau d’eau.

Au printemps suivant, ils creusent un deuxième puits, dans l’espoir de prendre le trésor par en-dessous. Ils descendent jusqu’à 37 mètres (123 pieds) puis se dirigent vers le puits au trésor. Alors qu’ils l’atteignent, l’eau commence à jaillir avec force. Les ouvriers n’échappent que de justesse à la noyade. Le deuxième puits est lui aussi inondé.

Certains s’interrogent : l’eau a, comme par hasard, commencé à jaillir lorsqu’on a enlevé la dalle gravée. Cette dalle aurait-elle agi comme un bouchon? Le puits aurait donc été conçu comme une paille à l’intérieur de laquelle l’eau ne montera pas si on en bouche l’extrémité avec le doigt?

L’hypothèse est séduisante. Mais n’apporte aucune solution au problème. La compagnie abandonne. Lynds est ruiné.

Les recherches ne reprendront qu’en 1849…

En 1849, les recherches reprennent avec la coopérative de Truro. Il ne s’agit plus cette fois de creuser mais de faire des forages, pour savoir une fois pour toutes ce qui se trouve au fond. Les premiers résultats confirment les espoirs les plus fous : après avoir dépassé les 110 pieds, la foreuse passe à travers 10 cm de bois (le sommet d’une caisse?) et pénètre dans du métal en vrac!

Lorsqu’on remonte la foreuse, on y trouve des échantillons de chêne et ce qui semble être trois maillons en or d’une chaîne de gousset. C’est la première fois qu’on a la preuve que quelque chose de payant se trouve au fond. Encouragé, on refait descendre la foreuse. Au-delà du métal, elle traverse 20 cm de bois; sans doute le fond du coffre suivi du sommet d’un autre. Puis, 56 cm de métal en vrac. Puis, 10 cm de chêne (le fond du 2e coffre?) et 15 cm d’épinette (le plancher?).

Persuadés d’avoir enfin atteint la chambre au trésor, les chercheurs ne sont pas pour autant au bout de leurs peines: personne n’est encore parvenu à abaisser l’eau du puits, même avec des pompes.

A l’été 1850, ils décident donc de forer un second puits pour faciliter le pompage. Ils creusent jusqu’à 36 mètres (120 pieds), un niveau jamais atteint jusque-là. Puis, ils se dirigent vers le premier puits, dans l’espoir d’atteindre le trésor par en-dessous. C’est la catastrophe : en moins de 20 minutes, le second puits se remplit au même niveau que le premier. Pire encore, à en juger par le bruit, les ouvriers en déduisent que le fond du puits au trésor s’est affaissé dans leur propre conduit. Lequel est maintenant tout aussi inondé que le premier puits. Chou blanc.

Ce n’est qu’à ce moment qu’un ouvrier a l’idée de goûter l’eau du puits: elle est salée. C’est donc de l’eau de mer, et non un lac souterrain. Le puits est relié à la mer: pas étonnant qu’on n’arrive pas à le pomper!

On finit par trouver dans une anse, à une centaine de mètres de là, un endroit d’où l’eau s’échappe, à marée basse, à travers le sable. Les ouvriers enlèvent aussitôt le sable et le gravier et s’aperçoivent que la plage a été recouverte d’une couche compacte de galets et de roches entre lesquels on a tassé des algues et des fibres de noix de coco. Autrement dit, quelqu’un a transformé 45 mètres de plage en éponge, puis recouvert le tout de sable. La plage au complet est artificielle!

Oak IslandCe n’est pas tout : cinq conduits souterrains d’écoulement recouverts de gros galets et de roches plates conduisent à l’entrée d’un tunnel. À marée haute, l’eau s’infiltre par ces cinq conduits, et de là par le tunnel (no. 5, ci-contre), en direction du puits au trésor. Et l’hypothèse de la paille se révèle exacte : quiconque enlève les plate-formes de chêne du puits, enlève les “bouchons” qui empêchaient l’eau de la mer d’atteindre le puits (sur le dessin ci-contre, 2 représente le niveau de la mer). Comme une paille qui ne se remplira pas si on en bouche une extrémité avec le doigt!

De toute évidence, les mystérieux constructeurs de cet ingénieux système se sont donné un mal fou pour empêcher des intrus d’accéder à leur trésor…

Qui a fait ça?

Mais qui sont ces constructeurs? Au fil des générations, toutes les hypothèses y sont passées. Sauf qu’on estime que la construction du puits et des conduits aurait exigé une centaine d’hommes pendant six mois. Or, la région n’a gardé aucun souvenir d’une quelconque activité ; l’île est à quelques coups de rames de la côte, il aurait donc été difficile de cacher un séjour de six mois aux riverains.

Aucune légende dans aucun port. On n’a jamais retrouvé la moindre trace d’une habitation humaine sur l’île. Bref, le mystère avec un grand M.

De 1850 à aujourd’hui

Du milieu du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, plus d’une dizaine de compagnies ont tenté de récupérer le trésor de la mystérieuse Ile-aux-Chênes, au large de la Nouvelle-Écosse. Toutes se sont butées aux problèmes d’inondations souterraines. Quelques personnes ont même perdu la vie, dans ces efforts répétés pour surmonter des obstacles ingénieusement dressés par on ne sait qui, il y a très longtemps.

La compagnie Truro, celle qui avait découvert la plage artificielle en 1850, a dû à son tour abandonner les travaux, ruinée, sans jamais être parvenue à pomper le puits principal. Après une autre vaine tentative pour atteindre le puits principal au moyen d’un autre tunnel, le fond du puits s’effondre en partie dans le tunnel, en partie on ne sait où, peut-être dans une grotte ou une cavité située dans les profondeurs de cette île.

En 1861, une nouvelle firme recommence le creusage. Le puits-au-trésor s’effondre encore une fois. On achète une pompe à moteur. La chaudière éclate, tuant un ouvrier. La compagnie est en faillite en 1867.

Une troisième reprend en 1897 avec une pompe à vapeur. On creuse le puits jusqu’à 111 pieds, mais la pompe tombe en panne et l’eau s’élève à nouveau.

Écœuré, on prend alors les grands moyens : on fore cinq trous dans le sol, dans lesquels on insère des charges de dynamite, le long de la direction présumée du tunnel d’irrigation, qui amène l’eau de mer jusqu’au puits. On fait sauter. L’eau est pompée, avec succès, pour la première fois en 90 ans.

Le forage reprend, et dépasse les niveaux de toutes les explorations précédentes. À 50 mètres (163 pieds), la pointe de la foreuse rencontre un obstacle : 17,5 cm de ce qui semble être du ciment. Sous le ciment, il y a dix centimètres de bois, puis un mètre de métal, puis de nouveau du bois et du ciment. Touche-t-on enfin au but? Il semble y avoir là une voûte de deux mètres. Les coffres placés 20 mètres plus haut, qu’un forage avait localisé 50 ans plus tôt -et dont on a perdu la trace lorsque le plancher qui les soutenait s’est effondré- ne l’auraient-ils été que pour satisfaire la curiosité, alors que le vrai trésor se trouverait plus bas?

Avant d’aller plus loin, en mai 1898, par mesure de prudence, on répand de la teinture rouge dans le fond du puits afin de s’assurer que le tunnel d’irrigation a bel et bien été détruit. On ne voit rien sur la plage: victoire!… jusqu’à ce que, plus tard dans la journée, des ouvriers aperçoivent une immense tache rouge qui recouvre une autre partie de la plage. Il existe donc un deuxième tunnel d’irrigation!

On cherche son entrée, en vain. Les forages continuent, se multiplient. Après des semaines de travail, dans un amoncellement de boue, les hommes ne peuvent même plus localiser le puits original. Après avoir investi plus de 115 000$, les nouveaux actionnaires décident d’abandonner.

Leurs successeurs n’auront pas plus de succès. En fait, le travail est devenu aujourd’hui considérablement plus difficile : l’île a tant et si bien été creusée qu’elle s’est transformée en une éponge. Les chênes ont disparu. Plus personne ne sait où se trouve le puits original. Et on n’a toujours pas l’ombre d’un indice sur ses constructeurs.

Mais on continue à creuser.

****

Par Françoise Paul et Claude Marcil, auteurs du livre Oak Island : L’Île au trésor (Les Éditions JCL, 1989, 126 pages).

Article publié originellement sur le site de l’Agence Science-Presse.


Autres articles de la série «Petite histoire de…» publiés dans le Kiosque

Petite histoire des Inuit, de leur arrivée en Amérique à aujourd’hui

Petite histoire de la Mafia et du crime organisé en Amérique

Petite histoire de la guerre contre les drogues

Petite histoire de : La réforme scolaire: né pour un petit bulletin

Petite histoire des Noirs du Québec

Petite histoire des prisons

Petite histoire de : L’indéchiffrable manuscrit

Petite histoire des entités et autres esprits : Le médium et le message

Petite histoire des Indiens d’Amérique : Le Printemps indien

Petite histoire de Joseph Jean, l’étrange Ukrainien

Petite histoire des camarades québécois

Petite histoire de : L’aventure chrétienne

Petite histoire des lépreux de l’Acadie

Petite histoire des Robin: exploiter les Gaspésiens jusqu’à la dernière morue

Petite histoire des Canadiens français dans la Résistance  
« Et maintenant, mettez le feu à l’Europe ! » (Winston Churchill)

Les Anonymes: Petite histoire des groupes anonymes

Petite histoire de la forêt québécoise

Petite histoire de la Bataille du Saint-Laurent, la victoire oubliée

Petite histoire des trésors polonais cachés au Québec : l’étrange cavale

Petite histoire du miracle médical de la petite fenêtre sur l’estomac d’Alexis Saint Martin