Le steak tartare ? Ils n’y ont jamais goûté. Le homard Thermidor? Connaissent pas. Ils n’ont jamais mordu dans un croque-monsieur ni mis les pieds dans un MacDonald’s. Mais ils raffolent des yogourts Méditerranée et le rapport scandaleux de la CECO sur la viande avariée vendue au Québec dans les années 70 les a bien fait rigoler. 

Les Orthodoxes, une fraction des 100,000 Juifs de Montréal suivent à la lettre les lois cachères. A côté d’eux, végétariens, macrobiotiques, fervents d’algues et autres granoles font figure d’amateurs complaisants. La diéte la plus sévère n’implique pas le quart du tiers des interdits joyeusement acceptés par ces Juifs. Ils ne mangent pas de porc. C’est la plus connue – et souvent la seule- d’un ensemble de règles extrêmement compliquées, la loi de la Kashrut, qui gère toute la vie alimentaire des Juifs orthodoxes.

Il y en a bien d’autres. Pas de carnivores, pas d’oiseaux avec des serres, etc. Les Orthodoxes ne mangent pas les animaux marins dépourvus d’écailles et de nageoires: adieu langoustes, homards, pieuvres, crevettes. Certaines viandes seulement sont permises: on ne peut manger que les animaux “qui ont le sabot fourchu, fendu en deux ongles, et qui ruminent ” dit le Lévitique. Pas de viande chevaline pour un Juif orthodoxe. Ils ne mélangent pas non plus la viande et les produits laitiers. Car la Bible dit : “Tu ne feras pas cuire l’agneau dans le lait de sa mère “. Pas de cheeseburgers, interdites les grillades au beurre et escalopes gratinées pour les Orthodoxes.

Il y a bien des produits qui ne sont ni lactés, ni carnés; mais ces “pareve”, pâtes, épices, poissons obéissent aussi à des règles. Ainsi, “Tout ce qui n’a point nageoires ou écailles, dans les mers et dans les fleuves, vous les tiendrez pour immondes, vous n’en mangerez point la chair.” De plus, le juif orthodoxe n’utilisera pas la même vaisselle pour la viande et les produits laitiers. Le Talmud ( le code de lois) indique aussi la manière précise dont les animaux doivent être examinés et abattus ( sans douleur et saignés complètement).

Un fidèle de la Kashrut apporte son lunch au travail ou fréquente un des restaurants cachers de Montréal. La métropole compte aussi ses épiceries, boucheries et boulangeries cachères, concentrées autour de Bernard, Van Horne et Victoria; certains supermarchés ont leur section cachère. À l’est de Montréal, le prochain cacher est en Europe!

À cause de ces obligations, la nourriture est plus chère mais aussi beaucoup plus saine. À Montréal, toutes les lois de la Kashrut sont régies par le Vad Hair, l’organisme qui peut, n’importe quand, faire vérifier les arrivages et le service d’un restaurant par un rabbin.

Bref, au foyer ou au restaurant, suivre les lois cachères demande une attention constante. Mais pourquoi suivre de telles lois en 2010 ? Parce que les Juifs suivent ces lois depuis plus de 5 000 ans. Les respecter aujourd’hui permet de rester en lien avec la religion, l’histoire et la culture juives. Mais il faut être croyant. Pour certaines interdictions, la Bible ne donne pas de raisons. On peut essayer d’en trouver mais ce n’est pas nécessaire. Il faut la foi.Un sage juif, Israël Meyer Ha-Cohen, précisait: “avec la foi, il n’y a pas de questions. Sans la foi, il n’y a pas de réponses.” Ce code ancien, rigoureux, est une façon de mettre de l’ordre dans le monde, une reconnaissance inconsciente mais systématique du prix à payer pour manger de la chair.

Dans l’Antiquité, on se préoccupait fort peu de la mort d’un animal. Le fast-food était exactement cela: rapide, sans réfléchir. On mangeait n’importe quoi, n’importe comment, n’importe quand. Puis, vinrent les lois cachères et les premiers tabous alimentaires qui nécessitent une analyse réfléchie de chaque aliment et implique une nouvelle attitude face aux animaux: ceux-ci ne doivent pas souffrir.Depuis, les Juifs orthodoxes honorent et préservent cette tradition exigeante parce que, en dépit de toutes les difficultés, ça semble correct. Manger ce qui est interdit leur semble un si petit plaisir comparé à celui de plaire à ses ancêtres, de ne pas violer le code rigoureux et millénaire des lois cachères.