Julia Latynina, 557 pages.  Actes Noirs. Traduit du russe par Yves Gauthier. (Disponible à la BAnQ)

Sur la corruption érigée en système dans la Russie actuelle. Drôle et décapant.

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Critique de Culturofil

Critique d’un lecteur 

Julia Latynina, journaliste économique à l’Echo de Moscou et “connue pour son franc-parler” sait visiblement de quoi elle parle. Actes Sud (Babel Noir) nous prévient en 4ème de couverture : “elle signe régulièrement des articles montrant les liens entre le crime et l’économie”. Nous sommes donc ici en présence d’un “polar économique” de 666 pages qui surprend par son ampleur, sa précision et son réalisme, et il ne fait aucun doute que l’expérience et les reportages de la journaliste ont influencé la plume de la romancière.

Les personnages principaux, issus du monde affairiste de la Russie d’aujourd’hui, aux méthodes peu élégantes, voire quasi-maffieuses, n’ont au départ rien pour plaire. Mais au fil de cette histoire qui raconte des combats et des trajectoires personnelles, nous nous attachons aux deux héros Denis Tcheriaga et Viatcheslav Izvolski, qui finissent par se ranger dans le camp des “bons” (ce qui n’avait rien d’évident au départ). Nous suivons également l’évolution de leur relation, un mélange complexe d’admiration, de compétition, d’abus hiérarchique, de fidélité et de complicité.

Izvolski est le grand patron, responsable d’un empire sidérurgique sibérien de premier plan qu’il a bâti à la force du poignet, parfait oligarque qui souhaite tout diriger et maîtriser dans son empire, mais provisoirement mis sur la touche car victime d’un attentat. Tcheriaga le remplace aux manettes, responsable de la sécurité, il connaît ses ennemis mais il a fort à faire pour piloter le navire et prendre les bonnes décisions en l’absence de son patron. Tous les deux sont épris de la même femme, la jolie Irina, une historienne rencontrée par hasard et qui n’appartient pas à leur monde, sur laquelle le puissant et richissime Izlovski a jeté son dévolu.

L’histoire proprement dite est comme une partie d’échecs où chacun pousse ses pions ou ses cavaliers pour protéger son roi, en réfléchissant plusieurs coups à l’avance. On est ici dans la conspiration, la conjuration, la trahison, la manipulation, la désinformation, le tout oscillant entre les astuces comptables, juridiques et financières et les méthodes plus expéditives du crime organisé. Nous sommes parfois noyés dans les démonstrations économiques et parfois dans les bains de sang.

Personne n’est tout à fait blanc ou tout à fait noir dans la Russie d’aujourd’hui, semble nous dire Julia Latynina. En tout cas, il faut se méfier de tout le monde : les politiques et les hommes d’affaires, les banquiers et les industriels, les fonctionnaires, les anciens membres du KGB, les truands et les policiers. Mais, pour s’en sortir, c’est simple : il suffit de connaître les codes, les aspirations et la capacité de tout ce beau monde à retourner sa veste, à accepter la corruption et la compromission, soit pour la déjouer, soit pour la mettre en œuvre.