– Par Claude Marcil –

Deux millions de membres dans 150 pays, 55 000 groupes aux États-Unis seulement, soixante-seize ans d’existence, et on ne sait toujours pas comment ça marche. C’est le dernier des soucis des Alcooliques Anonymes. Comme d’ailleurs des mouvements qui s’en inspirent étroitement. Et ils sont nombreux, des Sexoliques Anonymes aux Cocaïnomanes Anonymes en passant par les Gamblers Anonymes et les Outremangeurs anonymes. Tous suivent les principes et les traditions de leur source commune d’inspiration, les Alcooliques Anonymes. Comme l’écrivait la revue American Heritage: «un héritage et un succès phénoménal pour un groupe sans argent, sans chef, sans structure, fondé il y a un demi-siècle par deux ivrognes dans la ville d’Akron en Ohio. »

Le cocktail du Bronx

Il ne connaît pas ce nouveau drink, le Bronx cocktail, un mélange de gin, de vermouth et de jus d’orange. Normal, à 22 ans, Bill Wilson n’a jamais bu de sa vie. Abandonné à dix ans, par son père alcoolique, puis par sa mère, il s’est toujours juré de ne jamais toucher à l’alcool. Mais c’est un insécure et, en ce jour de 1917, dans une situation stressante.

Rien ne paraît extérieurement; lieutenant dans l’armée américaine, il est le bienvenu dans ce party très chic de New Bedford (Mass) où il tient garnison. Mais il a été élevé dans un bled du Vermont et vient de voir, pour la première fois de sa vie, un maître d’hôtel. «La crainte alors le paralysa de se montrer inférieur à ces gens – lui qui voulait partout être le meilleur, le premier. Il se trouva incapable de mettre bout à bout deux phrases, deux mots….(Joseph Kessel, «Avec les alcooliques anonymes»).

Quand on lui tend un cocktail, il n’ose refuser. Le premier verre est agréable. Au deuxième verre « la timidité, l’anxiété, l’humiliation disparurent. Il parla, il brilla. Encore un cocktail, un autre et il est le roi de la soirée. Il avait trouvé dans son verre le lien qui lui manquait avec les hommes, quels que fussent leur fortune ou leur rang.» (Joseph Kessel). «Alcohol may not have been what was missing from his life, but alcohol could certainly takes its place.» (Francis Hartigan, Bill W: A Biography of Alcoholics Cofounder Bill Wilson)

«J’avais trouvé l’élixir de la vie», écrira-t-il.

Le lendemain, il est malade comme un chien. Mais peu importe; il est prêt à recommencer.

Après l’armée, un emploi n’attend pas l’autre; il quitte ou il est renvoyé. Il devient ensuite un des premiers analystes de compagnies inscrites en bourse. Aujourd’hui c’est banal, mais à l’époque seuls quelques personnes en avaient fait une spécialité. Bill est un des meilleurs parce qu’aucun moyen n’est à son épreuve.

Il apprend tout ce qu’il peut sur une compagnie puis se rend sur place. Il entre illégalement sur les terrains de la compagnie, se fait engager sous un faux nom, paie un verre aux employés et aux contremaîtres dans les bars du coin, ou achète un couple d’actions et s’en sert comme prétexte pour rencontrer les dirigeants. Puis, il rédige des rapports que les investisseurs de Wall Street s’arrachent.

Les hommes d’affaires fréquentent avec plaisir ce jeune analyste aussi ambitieux que talentueux. Ils ignorent qu’il boit comme une éponge, que ses recherches sur les compagnies sont entrecoupées de trous de mémoires, de dépressions et d’efforts inutiles pour contrôler sa consommation d’alcool. Il est tout simplement incapable d’être un buveur social. Quand il boit, il se saoule. Le premier verre déclenche les autres. La seule question est jusqu’à quel point va-t-il être saoul.

Le crash de 1929

Il est ruiné, 50 000 dollars de dettes ( 600 000 en dollars de l’an 2000). Il boit de plus en plus, pour le dissimuler de moins en moins. Plus personne ne veut lui confier un contrat. Le couple abandonne son appartement fastueux et déménage chez le père de Lois à Brooklyn sur la rue Clinton. Lois trouve une place de vendeuse au magasin Loesser et fait vivre le ménage.

« Les deux années qui suivirent furent pour Bill deux années d’un enfer qu’il suscitait lui-même. Il connut toutes les illusions, les tortures, les agonies, les ignominies de l’alcoolique aux abois: emprunts honteux, dettes chez les fournisseurs, bouteilles dispersées et cachées à travers l’appartement, réveils atroces, solitude et terreur indicibles aux approches de l’aube. Il lui fallait maintenant, pour être capable de toucher à son petit déjeuner, avaler auparavant un gobelet de gin ou au moins une demi-douzaine de bière. Pour payer sa boisson, il alla jusqu’à voler dans le sac à main de sa femme une partie de la minable paie qu’elle rapportait du magasin où elle travaillait.» (Joseph Kessel)

En 1933, le frère de Lois qui est riche et aime bien son beau-frère, paie le séjour de Bill à l’hôpital Charles B. Towns à l’ouest de Central Park, une clinique de désintoxication aussi célèbre que dispendieuse. Le prix pour quatre à cinq jours est de $350 (en gros $5,610 U.S aujourd’hui ).

Hôpital Charles B. Towns

La clinique utilise un traitement à la fine pointe de la désintoxication de l’époque: on administre aux patients un mélange de barbituriques, de belladonne ( un hallucinogène) et d’huile de castor; le traitement est baptisé «purge and puke». Bill quitte la clinique en jurant qu’il ne boira plus jamais.

Comme Bill, plusieurs alcooliques ont réussi à arrêter de boire grâce aux bons soins des médecins, des hôpitaux, des psychiatres et d’autres; mais le problème n’est pas tellement de cesser de consommer mais de persévérer.

Quelque temps après, encore plus désespéré, Bill retourne à la clinique. Cette fois, il rencontre William Silkworth, le médecin responsable.

Contrairement à tout le monde, Silkworth écarte l’idée que l’alcoolique manque de volonté. Il croit plutôt que l’alcoolisme est une maladie, que certaines personnes sont allergiques à l’alcool et ne peuvent tout simplement pas boire normalement. Un premier verre est inévitablement suivi d’autres verres. Ils n’y peuvent rien. Comme le diabète ou la tuberculose, cette allergie ne peut pas être guérie par un effort de la volonté.

Silkworth n’est pas le premier à dire que l’alcoolisme est une maladie. Plusieurs docteurs l’avaient affirmé au XIX siècle. Mais la montée d’un puissant lobby anti-alcool avait balayé cette théorie, la remplaçant par la conviction que l’alcoolisme est un vice, un manque de volonté que le gouvernement peut régler en prohibant l’alcool. Ce qu’il fait en 1919. Mais la Prohibition est un flop et, en 1933, le président Roosevelt l’abolit. Les médecins comme Silkworth peuvent maintenant donner d’autres explications.

Pour Bill c’est une révélation, son alcoolisme a une cause scientifique plutôt que morale. Maintenant qu’il sait pourquoi il ne peut pas boire comme tout le monde, il se promet et promet à tout son entourage, en commençant par Lois, qu’il évitera ce premier verre, il le sait maintenant, toujours mortel. Il l’évite effectivement quelques semaines. Juillet 1934, retour à la clinique. Le docteur Silkworth est formel: s’il rechute, l’asile l’attend, probablement avant la fin de l’année.

Bill, sonné, résiste quelques semaines puis rechute. Clinique, désintoxication, retour à la maison.

Le bas-fond

En novembre 1934, son vieux copain de brosse, Ebby Thacher, l’appelle pour lui annoncer sa visite. Bill boit alors autour de deux litres de whisky par jour et ne demande pas mieux que de repartir sur la baloune. Arrive un Ebby frais rasé, décontracté, visiblement sobre et qui refuse poliment le verre qu’il lui tend…

Ebby explique qu’il n’a plus besoin d’alcool, qu’il n’est plus le même homme. Il s’est joint au groupe Oxford.

Le groupe Oxford

Ce groupe, créé quelques années plus tôt par un pasteur luthérien, le Dr Frank Buchman, est le grand chic spirituel dans les quartiers huppés et les campus universitaires dont celui d’Oxford qui lui a donné son nom.

Son originalité était de mettre l’accent sur ses fautes, en faire un inventaire et les confesser, le « partage». Ebby explique: «J’ai reconnu que j’étais à terre, fini, liquidé. Je me suis senti délivré du besoin de boire. Et cela dure depuis des mois.»

Le groupe recommande aussi de réparer les torts causés. Ceux qui ont changé doivent aussi aider les autres à changer. D’où la visite d’Ebby.

Bill, athée depuis l’âge de 11 ans, a horreur de tout ce qui ressemble de près ou de loin à la religion. Il écrira à propos d’Ebby, «Last summer an alcoholic crackpot; now, I suspected, a little cracked about religion.» Mais voir Ebby sobre l’a quand même stupéfié.

Lois est au bout du rouleau. Elle a fait tout ce qu’elle a pu pour son mari: essayer de contrôler sa consommation, essayer de s’en accommoder. Elle sait maintenant que l’alcool va les détruire tous les deux. Depuis que Silkworth lui a dit que le cas de son mari était désespéré, elle cherche dans quel asile elle pourrait l’envoyer. Bill ne dort même plus à l’étage, mais sur un matelas au rez-de-chaussée. Il craint de se jeter par la fenêtre lorsqu’il est saoul et désespéré.

Le 11 novembre 1934, retour à la clinique. C’est la quatrième fois.

Au deuxième ou troisième jour de traitement, Ebby, toujours sobre, vient le voir au début de la soirée et lui recommande de se tourner vers un Dieu chrétien qui le libérera de l’alcool. Puis Ebby s’en va. Quelques heures passent.

Joseph Kessel écrit: « Alors, dans cette chambre blanche de clinique, il se passa un événement que ne peuvent imaginer ou concevoir les gens, dont je suis, qui n’ont jamais pratiqué une religion quelconque et n’ont jamais éprouvé quelque chose qui s’apparente à la révélation, l’illumination mystiques».

Bill écrira: «Il me semblait être au fond d’un abîme, dira-t-il, et soudain je m’écriai: si Dieu existe, qu’il se montre! Une vive lumière blanche envahit alors ma chambre et une extase indicible s’empara de moi. […] Puis une évidence s’imposa: j’étais un homme libre». 17 ans après avoir pris son premier verre, c’est fini, il ne touchera plus une goutte d’alcool.

Récemment, un journaliste du New York Times a soulevé trois hypothèses: la conversation de Bill avec son ami Ebby combinée avec la belladone pouvaient avoir causé cette réaction; c’était peut-être un effet du sevrage; ou quelque chose d’autre que la science ne peut expliquer.

Quand Bill raconte son expérience au docteur Silkworth celui-ci répond: «Quelque chose vous est arrivé que je ne comprends pas. Mais vous êtes mieux de vous y accrocher».

«Quand Bill quitte la maison de santé, l’intoxication, pourtant si ancienne et profonde, n’avait plus de pouvoir sur lui. Il n’avait même plus à lutter contre son emprise. L’insatiable désir s’était dissipé. L’appel insidieux, strident et secret, s’était tu.» (Joseph Kessel)

Le choc spirituel à la clinique, ce que Silkworth lui a appris (l’alcoolisme est une maladie) ; son besoin intense de racheter une vie gâchée se combinent pour lui donner ce qu’il n’avait jamais eu lorsqu’il réussissait à Wall Street, une cause: aider les autres alcooliques.

À sa sortie de l’hôpital, Bill enthousiaste, énergisé, est déterminé à convaincre les alcooliques qu’ils peuvent arrêter de boire. Mais comment?

Il devient un habitué du groupe Oxford qui se réunit au Calvary House à Manhattan et qui l’écoutent volontiers partager l’expérience de sa conversion spirituelle. Les atomes crochus arrêtent là.

Le pasteur Buchman est fasciné par la richesse, sidéré par les gens connus qu’il a recrutés, Henry Ford, Mae West, Harry Truman, Joe DiMaggio etc. et qui lui attirent des dizaine de milliers de membres. Bill est profondément indifférent à tout ça. Mais il est hérissé par la conviction du groupe Oxford que leurs membres alcooliques, comme d’ailleurs les fumeurs, sont des pécheurs.

Rapidement, il ne s’intéresse qu’à ceux qui se rendent discrètement à une cafétéria tout près pour «la réunion après la réunion». Leur point commun: ils sont alcooliques et plus ou moins sobres. Avec eux, Bill se sent en famille. Il leur parle avec enthousiasme de sa sobriété, essaie de provoquer chez eux un réveil spirituel comme celui qu’il a connu. Durant ces premiers mois de sobriété, Bill est tellement fier de lui, tellement reconnaissant de ne plus boire, qu’il remarque à peine que ses efforts pour aider les autres alcooliques ne donnent aucun résultat. Aucun résultat non plus avec les patients de la clinique de désintox que le docteur Silkworth lui présente régulièrement. Ce dernier lui dit qu’il se trompe en prêchant, en essayant de provoquer un choc spirituel avec des effets immédiats. Il souligne que les alcooliques d’Oxford deviennent sobres lentement. Silkworth a raison.

La rencontre d’Akron

Désormais, Il observe, écoute, met la sourdine sur les sermons, parle de la maladie de l’alcoolisme. Le résultat est le même, il est toujours le seul dont la sobriété ne se dément pas. Quelque chose cloche, mais il ne sait pas quoi.

Il a cinq mois de sobriété lorsque des hommes d’affaires lui offrent son premier contrat intéressant depuis des années.

À Akron en Ohio des actionnaires de la National Rubber Machinery se chicanent pour le contrôle de la compagnie. Une des factions a demandé l’aide des New Yorkais. En mai 1935, la petite équipe arrive à Akron et s’installe au chic hôtel Mayflower. Après quelques jours passés à discuter avec les actionnaires, tout semble baigner dans l’huile. Les New Yorkais ont même promis à Bill qu’il sera le président de la compagnie. Bill rêve; Lois pourra quitter son emploi chez Loesser, l’hypothèque de la maison sera enfin payée.

Puis les actionnaires changent d’idée. L’équipe retourne à New York, laissant Bill sur place pour qu’il essaie de rafistoler les choses.

Seul dans une ville qu’il ne connaît pas, le goût de l’échec dans la bouche, Bill, pour la première fois depuis son séjour à la clinique, a soif.

Cette fois, le bar du lobby devant lequel il passe lorsqu’il sort de sa chambre lui semble accueillant.

Nerveux, il fait les cents pas dans le lobby, envoûté par les bruits provenant du bar. Il a peur de céder à la tentation de plus en plus forte.

« Il concentra sa pensée sur un seul point: comment, pourquoi n’avait-il pas éprouvé pendant six mois le moindre désir de boire? (… ) Soudain il vit la réponse. L’abstinence lui avait été si facile, si légère parce que chaque jour il avait essayé de rendre des alcooliques à la sobriété. En tâchant des les aider, il travaillait à son propre salut. Oui, c’était bien cela, et uniquement cela: il lui fallait tout de suite un alcoolique à qui parler du drame de l’alcool.»

Le lobby

Toute l’énergie qu’il avait consacrée à parler avec d’autres alcooliques avait accompli quelque chose; ça l’avait aidé à rester sobre.

Un répertoire des différentes églises d’Akron est accroché au mur près de la cabine téléphonique. Le groupe Oxford n’y est pas.

Il appelle d’abord un pasteur épiscopal (anglican). Par chance, il est membre du groupe Oxford; il ne connaît pas d’alcooliques mais il lui fournit une liste de personnes susceptibles d’en connaître.

Bill en appelle neuf. Sans succès. La dixième lui donne le nom d’une femme, Henriette Seiberling.

Bill l’appelle, s’explique. Henriette, ravie, lui dit de venir immédiatement.

Dès son arrivée, elle lui parle de son voisin et ami le proctologue Robert (Bob) Smith un membre du groupe Oxford. Le docteur a perdu en trente-cinq ans d’ivrognerie son poste à l’hôpital et pratiquement toute sa clientèle. Il a tout lu sur l’alcool, tout essayé, des cures médicinales au groupe d’Oxford. Rien n’a réussi. Anne, sa femme est désespérée. Henriette pourra organiser une rencontre le lendemain, dit-elle à Bill. Anne et Bob et sa femme Anne habitent tout près.

Bob Smith

Le lendemain, samedi, Bob est au rendez-vous. Henriette appelle Anne. Ce ne sera pas possible le jour même. Le lendemain est la fête des

Maison du docteur Bob

Mères et Bob a rapporté à cette occasion une grande plante verte. Bob lui, gît dessous, ivre mort, au moment même où elle parle.

Le rendez-vous est pris pour le lendemain. Bob qui relève d’une brosse n’a pas envie de parler à qui que ce soit mais n’ose pas refuser cette faveur à sa femme. Il va accorder 15 minutes à ce Bill Wilson.

Bill Wilson Meets Dr. Bob Smith and Alcoholics Anonymous is born. Narrated by Bill Wilson (Vidéo)

«Seul un alcoolique peut aider un alcoolique»

Bill explique à Bob qu’il a besoin de lui, qu’il a besoin de lui parler de sa vie d’alcoolique s’il veut rester sobre.

Ils vont parler pendant six heures, une longue discussion qui les bouleverse tous les deux. Smith a tout lu sur l’alcoolisme; aussi ce n’est pas ce que Bill lui dit qui l’impressionne mais le fait que c’est dit par un autre alcoolique. Smith devait écrire plus tard que Wilson était le premier être humain «qui parlait sa langue».

Bill et Bob, aux prises avec le même problème réalisent qu’il se passe «quelque chose» de bénéfique par le seul fait d’en discuter ensemble. Et l’un des deux est sobre à cause de cela.

Les chicanes des actionnaires de la National Rubber Machinery se poursuivant, Anne invite alors Bill à s’installer chez eux.

Tous les jours ils se parlent pendant des heures. Bob est sobre depuis leur première rencontre. Ce qui se passe alors entre eux, ce «quelque chose» est plus efficace pour arrêter de boire que les remontrances de son épouse, les pressions sociales, les humiliations en public etc. Aussi, pour entretenir ce «quelque chose», pour garder sa sobriété, la meilleure façon est de se voir, de se parler, puis, dès le lendemain, de se voir encore, de se parler encore. Prenant conscience de l’espèce de miracle provoqué par leur rencontre, les deux hommes ressentent le besoin de faire partager leur expérience à d’autres alcooliques encore «actifs» du groupe d’Oxford. Puis Bob décide de consulter sa femme et Bill.

Le congrès de l’American Medical Association se tient cette année à Atlantic City. Bob ne le rate jamais et revient toujours saoul. Devrait-il y aller? Sa femme pense que non; Bill est favorable.

Le docteur est saoul avant même d’arriver à Atlantic City.

Il revient dans un état totalement délabré; or, il doit opérer un patient trois jours plus tard. Après beaucoup de sommeil et des gallons de café, le docteur Smith semble prêt. Le 10 juin 1935, Bill l’amène à l’hôpital et, pour empêcher ses mains de trembler pendant l’opération, lui donne une bière. C’est le dernier verre de Bob Smith, et le jour de naissance officiel des Alcooliques Anonymes basée sur le principe d’un ivrogne qui en aide un autre.

L’opération réussie, Bob ne rentre pas chez lui tout de suite. Il visite d’abord tous ses créanciers et toutes personnes envers lesquelles il avait eu des torts pour s’excuser et leur dire qu’il mène désormais une nouvelle vie.

Une chose est acquise: raconter leur vie d’alcoolique à d’autres alcooliques, leur faire savoir qu’ils savent par quoi ils passent, les écouter, aident Bill et Bob à rester sobres eux-mêmes.

Bill et Bob sont la preuve qu’un alcoolique peut être heureux de ne pas boire. Mais ils sont aussi la preuve qu’un alcoolique est impuissant devant l’alcool et que seul, il ne peut vaincre sa dépendance.

À force de discuter, d’écouter, les deux hommes arrivent à quelques conclusions. On ne peut pas dire à l’alcoolique ce qu’il doit faire ou ne pas faire. Il va se rebeller aussitôt. Donc des suggestions plutôt que des ordres.

Aucun alcoolique ne veut entendre qu’il va passer le reste de sa vie sans boire. Éventualité impensable! Bill et Bob ont alors une prodigieuse intuition: mettre la barre moins haute, ne plus s’acharner à vouloir cesser définitivement de boire mais, plutôt, tenter d’y parvenir une journée à la fois, pour aujourd’hui seulement. Hier est passé, demain n’est pas encore là.

Comme l’explique France, membre d’un groupe d’entraide anonyme, le principe du 24 heures est fondamental: «C’est une des clés du succès des groupes anonymes. Tu leur dirais: arrête pour toujours; ca ne marcherait pas. Ils ne peuvent pas envisager d’arrêter pour toujours. On s’occupe de ce qui s’en vient, on ne s’en préoccupe pas. Tu ne t’engages envers toi-même que pour une journée.»

Les mois passent; Bill est toujours à Akron. A force d’entraide, de persévérance et de compassion mutuelle, Bill et Smith permettent à d’autres alcooliques du groupe Oxford d’atteindre tant bien que mal une sobriété durable.

À la fin août, quand Bill retourne à New York, l’ «escouade alcoolique » du groupe Oxford d’Akron, comme ils se surnomment, comprend six membres, les premiers de ce qu’on n’appelle pas encore les A.A.

«Mon nom est Bill W., et je suis un alcoolique»

Dès son retour, Bill, le mardi soir, ouvre son salon à la minorité alcoolique du groupe Oxford. Il les accueille en disant: «Mon nom est Bill W., et je suis un alcoolique.»

La maison de la rue Clinton devient rapidement un hâvre pour les ivrognes.

Un soir, il est heureux de leur annoncer que la clinique de désintox Towns lui a offert un poste. Il pourra y tenir les réunions et y travailler comme thérapeute. À sa grande déception, les membres refusent; s’il accepte de l’argent pour faire ce que les autres membres font gratuitement, d’autres vont suivre son exemple et vont vouloir eux aussi être payés pour aider les alcooliques. Bill, cassé comme un clou, s’incline devant la décision des membres, première manifestation de ce qu’on appellera plus tard «la conscience de groupe».

Le groupe Oxford est de plus en plus agaçé. Bill est en train de développer une fraternité d’alcooliques qui se consacrent à s’aider l’un l’autre à rester sobres via un programme spirituel – un programme qui ne reconnaît aucun dogme et qui est ouvert à toutes les religions, à tous les athéismes. En 1937, Bill se sépare du groupe Oxford.

En novembre de la même année, Bill retourne à Akron et fait un premier bilan avec le docteur Bob.

Parmi ceux qu’ils ont essayé d’aider, les échecs sont innombrables. Mais en fin de compte, depuis leur rencontre, le nombre d’alcooliques qui ont cessé de boire est passé de trois à six, puis à vingt. Au dernier compte, une quarantaine sont sobres, dont la moitié depuis plus d’un an. Un taux de succès de 5%. Pour eux, c’est l’évidence: ils ont déclenché une réaction en chaîne en trouvant ce que les docs, les experts, cherchaient depuis si longtemps, un programme efficace pour aider les alcooliques à rester sobres.

Partir en grande

Enthousiasmé comme toujours, Bill explique alors aux abstinents d’Akron ses projets, ses grands projets: des hôpitaux pour alcooliques, des escadrons de travailleurs sociaux payés, des brochures, des tonnes de brochures.

Les 18 membres refusent, acceptant toutefois, par un vote de majorité, la rédaction d’un livre sur le nouveau mouvement et la permission de solliciter des fonds.

Ne doutant de rien, Bill approche la famille Rockefeller.

Un des responsables des dons philantropiques de la famille est séduit par le jeune mouvement. Suite à une visite à Akron en février 1938, il envoie un rapport favorable. Rockefeller reçoit ensuite une délégation de membres fébriles. Des millions sont à la portée de la main. Puis il perce leur baloune; Rockefeller est convaincu que l’argent corromprait l’esprit de ce groupe bien parti; trop d’argent serait leur ruine. Il accorde aux deux fondateurs sur les bords de la faillite un salaire de $30 par semaine qui leur permettra de s’occuper du mouvement à temps plein, et une petite subvention au mouvement pour les épauler pendant quelques années. Ensuite, ils devront se débrouiller seuls.

Quatre ans après la rencontre d’Akron, et de nombreux échecs, une centaine d’alcooliques dont une première femme ont cessé de boire et fréquentent les deux seules réunions de l’Amérique, à Akron et au domicile de Bill.

Le «Gros Livre»

Le Gros Livre

Bill se lance dans la rédaction d’un livre décrivant leur programme. On y raconte les ravages de l’alcoolisme et l’efficacité de leur programme, pour rester sobre.

Chaque paragraphe, chaque ligne, chaque mot est scruté par les membres de New York qui ont chacun leur idée sur la question.

Bill fait les corrections envoie le tout à Akron; re-scrutations, retour à Bill qui réécrit et montre le résultat à d’autres, médecins, catholiques etc.

Le résultat est un miracle de diplomatie; il faut ainsi concilier les vues de ceux qui croient que Dieu est derrière tout ça et celles de ceux qui ne croient pas à son existence.

Même si un éditeur prestigieux s’engage à le publier, les A.A trouvent essentiel de contrôler leur littérature et décident de publier à leurs frais 5 000 copies. Les membres ont proposé une centaine de titres dont «The Way Out» et «The Empty Glass», finalement le livre sort en avril 1939 sous le titre Alcoholics Anonymous, qui va devenir le nom du mouvement.

Bill, trouvant le livre trop court, le fait imprimer sur le papier le plus épais que le groupe a les moyens de payer. Aussi, Alcoholics Anonymous, Le Gros Livre, comme on le surnomme aussitôt, a 400 pages

Le Gros Livre se lit comme une série de conseils. Il n’y a pas l’ombre de sophistication, ni sociologique, ni médicale, ni psychologique ni religieuse. Le ton est clair, direct et terre à terre. Le coeur du livre est un programme en douze étapes pour devenir sobre et le rester.

Essentiellement, l’alcoolique doit d’abord admettre qu’il est impuissant devant l’alcool, s’appuyer sur la force du groupe et d’une puissance supérieure telle qu’ils veulent bien l’imaginer, faire l’inventaire des torts qu’ils ont causés, les réparer et aider les autres.

Le livre, qui n’est pas disponible en librairie, ne se vend pas. En 1939, la banque saisit le maison du couple; pendant des années, Bob et Lois vivent sans domicile fixe, hébergés chez l’un puis chez l’autre. Lois fera le calcul; ils ont déménagé 54 fois en deux ans. Un à un, des alcooliques rejoignent le mouvement.

Au début de 1940, les cent membres qui ont publié le Gros livre sont devenus 800, en octobre, 1400 avec des groupes AA dans quarante villes.

Curtis Bok, l’éditeur du Saturday Evening Post, trois millions d’abonnés, entend parler des A.A par des amis docteurs. Il demande au journaliste Jack Alexander d’écrire un article sur ce nouveau groupe. Alexander n’est pas intéressé. Spécialisé dans les reportages d’enquêtes il vient de révéler les rackets de la pègre du New Jersey; alors un groupe d’entraide inconnu…

Quatre membres viennent le visiter, boivent du cola et lui racontent leur vie. Alexander est si peu impressionné qu’il est convaincu qu’ils se moquent de lui. Il rencontre Bill, l’accompagne dans des réunions, discute avec les alcooliques, leurs épouses. Rapidement le journaliste expérimenté sait qu’il tient un bon article mais il ne croit toujours pas aux A.A. Bill lui conseille d’aller à des meetings dans d’autres villes dont Akron.

La diversité des groupes l’impressionne, des ouvriers à Akron, où il rencontre le docteur Bob, des professionnels à Cleveland, des copains d’enfance à Saint-Louis, sa ville natale, des collègues journalistes à Chicago. Partout la même histoire: des anciens ivrognes devenus sobres grâce aux A.A. Dur à croire, mais Alexander s’incline devant l’évidence.

En mars 1941, il publie «Alcoholics Anonymous: Freed Slaves of Drink, Now They Free Others.»

Des milliers de lettres et de demandes d’information déferlent. La présence dans les réunions double et triple.

En octobre 1944, un article du Reader’s Digest puis le film The Lost Weekend montrent dans sa réalité la plus crue le pouvoir de l’alcool sur l’alcoolique. Fin 1944, le mouvement compte 10 000 membres ( 365 groupes), un an plus tard, 560 groupes ( dont Montréal). En 1946, 30 000 membres,1000 groupes.

Chacun des milliers de groupes a ses propres règles et elles varient à l’infini

Des groupes sont interdits aux femmes ou aux Noirs ou aux jeunes; d’autres exigent des preuves d’alcoolisme avec témoignages écrits; certains essaient de distinguer entre les vrais alcooliques et les gros buveurs. Certains demandent un prix d’entrée ou acceptent des visiteurs, d’autres non. Des groupes utilisent leurs noms et leurs prénoms alors que les groupes britanniques sont tellement discrets qu’il est pratiquement impossible de savoir où ont lieu les meetings. Des Français refusent d’accepter que le vin est de l’alcool.

Toutes sortes de questions sont posées à Bill qui répond du mieux qu’il le peut: Qui règle les différents entre les membres? Quelle doit être la longueur d’un meeting? Comment doit-il être conduit? Que répondre aux membres riches qui veulent ouvrir des hôpitaux pour les alcooliques? Et à ceux, nombreux, qui voudraient une campagne de publicité qui attirerait de futurs membres? Est-ce qu’un groupe peut s’engager dans d’autres bonnes causes? En 1948, un membre a laissé 10 000$ au mouvement. Doit-on l’accepter?

Bref, il faut clarifier. Qui est membre? Qui dirige ? Et que faire avec l’argent?

Bill consulte des alcooliques, des non-alcooliques comme Jack Alexander, et commence à écrire les 12 Traditions.

Si les 12 Étapes étaient un programme pour aider un individu à se rétablir, les 12 Traditions sont un guide pour les groupes. Comme disent les A.A en blaguant à peine: les Douze Étapes empêchent de se suicider; les Douze Traditions empêchent de tuer.

Comment garder ensemble des alcooliques en rétablissement, opiniâtres, avec des égos bulles? Bill connaît la réponse: la forme la plus pure de démocratie et elle seulement: un maximum de liberté individuelle et l’impossibilité de devenir puissant dans le mouvement ou pour celui-ci de devenir riche. Bref, une démocratie sans chef.

De même que les A.A. ne sont pas obligés de faire les Douze étapes, les groupes ne sont pas obligés de suivre les traditions. Les Douze Traditions ne sont pas des règles, mais des suggestions. On explique : voici ce qui marche pour nous, ce qui n’oblige aucun groupe.

Qui est membre?

En 1945, un Noir, les cheveux teints en blond, maquillé, s’était présenté à un meeting A.A.. On avait appelé Bill qui avait déclaré «est membre celui qui a le désir d’arrêter de boire.» Mais alors, qui décide si quelqu’un a le désir d’arrêter de boire?

Pour couper les ailes de ceux qui veulent exercer leur pouvoir en filtrant les nouveaux, Bill précisera que ce désir peut être momentané; causé par une gueule de bois; ressenti par quelqu’un qui vient de sortir d’un bar. Peu importe. Quiconque dit qu’il est membre est membre.

La porte est donc grande ouverte pour les femmes, les jeunes, les alcooliques toxicomanes, les gais, etc.

Cette diversité inquiète ceux qui craignent pour l’unité du groupe. Bill, au contraire, est convaincu que cette diversité n’est pas une faiblesse, mais une force: garder A.A. ouvert à tous va aider A.A. à survivre. Une fraternité composée de membres tellement différents va mettre en relief ce qu’ils ont en commun, un problème d’alcool.

Aussi, A.A.ne demande ni droits d’entrée ni cotisations. Pas de carte de membre, pas de liste de membres. On ne fait pas le suivi des membres et on n’essaie pas de les contrôler.

«Tout ce dont vous avez besoin pour partir un groupe c’est deux ivrognes, du mauvais café et beaucoup de ressentiment.» (Blague A.A)

L’argent

«Gamblers Anonymes est le club privé le plus cher au monde mais on paie sa cotisation avant d’en devenir membre.» (Blague des Gamblers Anonymes de la Grande-Bretagne)

Bill sait que l’argent représente le pouvoir. Aussi A.A doit rester pauvre; le mouvement refuse les testaments faits en sa faveur, les propriétés données en cadeau, les subventions, les contributions de l’extérieur et limite même les dons de ses propres membres. Il s’autofinance complètement, ne coûte rien à la société.

Aucune controverse

Bill connaît l’histoire des Washingtonians, un groupe d’entraide pour les alcooliques qui avait eu des milliers de membres aux États-Unis. Certains s’étaient engagés politiquement, d’autres avaient prôné des causes sociales. Bill veut que le mouvement soit d’une indifférence totale à tout ce qui ne concerne pas l’alccol et ses problèmes. C’est écrit noir sur blanc dans leurs traditions: les Alcooliques Anonymes «ne sont associés à aucune secte, aucune formation religieuse ou politique, aucun organisme, aucun établissement; ils ne s’engagent dans aucune controverse; ils n’endossent et ne contestent aucune cause. Ils n’expriment jamais d’opinion sur des sujets étrangers.»

Les journalistes qui appellent les A.A pour connaître leur réaction sur l’ouverture d’une succursale de la SAQ ou l’âge légal pour boire frappent un mur; les G.A. ne se prononcent pas plus sur les casinos ou les loteries que sur les loisirs ou la religion. Les groupes anonymes ne réagissent pas quand des universitaires qui, visiblement, n’ont jamais mis les pieds dans un meeting, déblatèrent contre «les thérapies de groupes sur chaise en bois.» ( Sexoliques, Catherine Perreault-Lessard, Urbania), ou parle à travers leur chapeau : «C’est son expérience sur le terrain, mais aussi l’histoire d’un proche cousin, toxicomane réhabilité grâce au jogging et au yoga, qui l’ont amené à chercher ailleurs que dans le modèle biomédical une façon de comprendre le phénomène des dépendances. » ( L’alcoolisme n’est pas une maladie, Marie-Claude Bourdon, UQÀM).

Les Groupes anonymes n’ont aucun contact avec les gouvernements et ne rencontrent les médias que dans l’anonymat le plus complet pour éviter que des membres ne deviennent des vedettes. On ne fait aucun recrutement, aucune approche, aucune promotion; au gros maximum un discret encadré dans les journaux: «Problème d’alcool? A.A» suivi du numéro de téléphone. On attend.

L’anonymat

L’anonymat est beaucoup plus que la discrétion, elle garantit l’humilité.

Bill n’a jamais oublié l’égo formidable du pasteur Bucham, son amour du pouvoir et des vedettes. Si une vedette se déclare ouvertement A.A., elle peut effectivement attirer des membres, mais nuira au mouvement si elle a une rechute. Dans la longue histoire des A.A. du Québec, Pierre Péladeau est le seul qui disait ouvertement qu’il était membre.

Comme l’explique France: « L’anonymat est la base spirituelle des groupes anonymes: Ce n’est pas seulement pour que le monde ne sache pas que je suis une alcoolique; c’est beaucoup plus: l’anonymat assure que tu as la même place que les autres. Ca protège les groupes et le mouvement en général des fortes personnalités qui ne peuvent émerger avec un seul prénom.»

Non seulement il n’y a pas de vedettes, il n’y a pas non plus de hiérarchie. On peut dire que les Anonymes sont un mouvement anarchique organisé: des millions d’Indiens et pas de chefs. À tous les niveaux règnent l’autonomie et la décentralisation. À tous les échelons, on observe fidèlement le principe d’une rotation des responsabilités. En conséquence, n’importe qui est l’égal de tous les autres qui qu’il soit, quoi qu’il ait fait.

Cette égalité est renforcée par le fait que les réunions sont réservées aux alcooliques ( joueurs, outremangeurs, cocaïnomanes, etc.) seulement. Aucun expert, aucun thérapeute, aucun professionnel. Lorsque des professionnels sont dans des groupes, comme personnes ressources ou comme consultants, il s’agit d’un groupe de support et non un groupe d’entraide (Groupe pour les victimes d’inceste par exemple).

Qui gouverne?

Au moment où Bill rédige les traditions, il est arrivé régulièrement que des alcooliques qui ont implanté un premier groupe dans une ville, puis d’autres se retrouvent en fin de compte responsable de la région sinon de l’État. Finalement, les deux fondateurs eux-mêmes n’ont jamais été élus.

Tous ces hommes peuvent faire déraper les A.A. dans la direction qu’ils ont choisie.

Sobres depuis longtemps, certains veulent aller plus loin que le progrès spirituel des A.A. et visent une perfection spirituelle. D’autres voudraient ramener le mouvement vers la religion.

C’est pourquoi Bill remet tout le pouvoir de décision aux groupes qui fréquentent les meetings locaux parce qu’ils comprennent surtout des alcooliques qui commencent leur sobriété et ne penseront jamais à s’écarter du but premier des A.A., arrêter de boire et aider les autres à rester sobres.

Les A.A. sont administrés, pas gouvernés, par le General Service Organization. Basé à New York, le GSO est composé de non-alcooliques et de membres A.A.. Ces derniers sont élus et leurs mandats sont courts. Le travail du GSO, outre l’impression de la littérature, du Gros Livre, l’enregistrement des nouveaux groupes, est de prendre des décisions basées sur les désirs de la majorité des membres A.A.. Et encore là, le GSO ne peut obliger aucun groupe à faire quoi que ce soit.

À la fin juin 1950, les 12 Traditions sont approuvées à Cleveland lors de la première convention internationale des A.A.. À ce moment, Bill leur parle d’une exception aux Traditions, un groupe dont les membres ne pourront jamais participer à un autre meeting que le leur, les lépreux de l’île d’Hobokai près d’Hawaï.

En 1939, l’American Medical Association avait écrit : «This book is a curious combination of organizing propaganda and religious exhortation»

En 1951, douze ans plus tard, l’American Public Health Association remet le prix Lasker, un des prix les plus prestigieux en médecine, au mouvement des A.A. ( Il y a aussi un montant en argent que les A.A. refusent) À cette occasion, l’APHA déclare: Les A.A. fonctionnent selon le principe original qu’un alcoolique sobre peut atteindre mieux que n’importe qui un camarade souffrant lui aussi d’alcoolisme. Ce faisant l’alcoolique maintient sa propre sobriété. Celui qu’il aide devient le médecin d’un autre membre, créant ainsi une chaîne de libération en expansion constante, avec des patients soudés ensemble par des liens communs de souffrance, de compréhension et d’actions stimulantes dans une grande cause. (…) Il est possible qu’un jour les historiens signalent que le mouvement des A.A. est une société qui a fait beaucoup plus que de réussir avec l’alcoolisme et ses stigmates. Ils peuvent reconnaître que les A.A. ont été une grande aventure originale qui forgea un nouvel instrument d’action sociale; une nouvelle thérapie basée sur la parenté de la souffrance commune et qui a un vaste potentiel pour la myriade des autres problèmes de l’humanité.

Effectivement, l’organisation et les principes des A.A. ont inspiré d’abord Al-Anon pour les parents et amis puis une myriade d’autres groupes, Outremangeurs anonymes, Cocaïnomanes Anonymes Gamblers Anonymes etc. À la surprise générale, les principes et les méthodes des A.A. réussissent pour d’autres problèmes que l’alcool. Au fond, «c’est un programme facile pour des gens compliqués». (Daniel membre des G.A)

Les réunions

Comme les Big Mac, rien ne ressemble plus à une réunion d’un groupe anonyme qu’une autre réunion d’un groupe anonyme. Que ce soit à Montréal (plus de 500 meetings par semaine) , Berlin ou Londres, C’est toujours le même rituel et un rituel c’est apaisant. Lors d’une convention internationale des Gamblers Anonymes, Shirley, une Australienne, me faisait remarquer: «Les expressions utilisées, les sortes de jeux peuvent varier, mais les problèmes sont les mêmes. On est chez nous ici.»

« À mon premier meeting je ne me suis identifié à rien de ce qu’ils disaient. Je me suis dit: Ouf, je ne suis pas alcoolique. Des mois plus tard, je suis allé à un autre meeting. Choc! La plupart des connaissances que j’avais perdues de vue étaient là. Et je me suis identifiée à tout ce qu’ils disaient. » (Danielle)

On ne rencontre pas le même genre de personnes dans les réunions de N.D.G. que dans celles de l’est montréalais, mais l’obsession de l’alcool n’a ni frontières géographiques ni frontières sociales. Ce qui unit les membres est tellement plus important: les mêmes soucis, les mêmes expériences douloureuses, la même souffrance intense qui ont fait naître chaque groupe et amené, à reculons, chaque membre à son premier «meeting».

Premier meeting: le choc

«Ils n’ont pas seulement atteint le fond de leurs ressources personnelles; ils ont également atteint le fond des ressources professionnelles (médecins, psychologues, chirurgiens, orienteurs etc.), celles du milieu de travail (les collègues sont tannés de les couvrir, son boss ne peut plus passer l’éponge; souvent il a même perdu son boulot.) et même celles de leur milieu familial ( tous les membres de la famille ont atteint les limites de leur patience et ont habituellement abandonné l’idée de les voir changer) Alors il ne leur reste plus rien. Pas seulement rien au plan matériel; il ne leur reste rien de la vie. Plus d’espoir; c’est la désespérance. Souvent il n’y a plus personne dans leur vie qui croit en eux. » (France)

«La peur m’a amené à G.A. L’anxiété et l’angoisse permanente me faisaient craindre la crise de cœur. J’avais peur de mourir.» (André)

Quand il franchit la porte pour sa première réunion A.A., le nouveau est accueilli par des gens qui, un soir, sont arrivés dans le même état sinon pire. Aussi, l’accueil est chaleureux, toujours. Tous savent le courage et l’effort nécessaires pour admettre sa défaite et venir à «un premier meeting».

Chaises alignées ou en rond, cafétière qui ronronne dans un coin, des publications du mouvement disposées sur une table dans un coin.

Un membre (choisi par rotation) anime la réunion qui commencera ponctuellement et durera une couple d’heures.

Tous répètent la prière de la sérénité : «Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux changer, le courage de changer les choses que je peux et la sagesse d’en connaître la différence.»

Dans les petits groupes, on fait un tour de table et chacun déclare « : «Je m’appelle… et je suis un alcoolique.» On n’utilise que les prénoms.

Puis l’animateur, après avoir donné les nouvelles, présente le membre qui a accepté de raconter son expérience. Ou annonce le sujet de partage. En accord avec leurs principes anarchiques, le sujet n’est pas obligatoire; c’est une simple suggestion. Mais, et c’est un gros mais, il y a trois règles strictes: on n’interrompt jamais celui qui parle; on ne fait pas de commentaires sur ce qu’il a dit ( ce qui coupe le sifflet aux gourous) ; on ne parle que de son problème, impossible donc de déraper sur ses convictions religieuses, politiques ou quoi que ce soit qui n’a pas un rapport direct avec son problème d’alcool.

À tour de rôle, les membres qui le veulent bien prennent la parole. On peut aussi rester silencieux pendant des mois ou des années.

Dans un silence respectueux, les membres écoutent, avec une rare intensité, un membre raconter ses craintes, son expérience, ce qui lui est arrivé de merveilleux ou d’affreux, sa force et ses espoirs.

Et c’est le choc.

Qu’il reconnaisse sa vie ou non en écoutant les autres, une chose le frappe en plein front: ce sont des pros, de l’alcool, du jeu, de la coke. Ils sont ses frères de sang. ils ont tout entendu et tout vécu.

Anecdote: « Un nouveau, mort de honte, décide de prendre la parole dans un meeting A.A.. Il raconte aux membres attentifs à quel point il a bu, les quantités astronomiques d’alcool qu’il ingurgitait. Pas l’ombre d’une réaction. Il croit quand même qu’ils sont scandalisés.

Après la réunion, un vieux membre va le voir. Tu sais, dit-il, je t’écoutais tantôt. «Je pense que j’en ai plus répandu par terre que tu en as bu.»

 «Vous ne comprenez pas»

Cette phrase est une des armes les plus puissantes et les plus efficaces de son arsenal d’excuses, particulièrement face aux médecins, aux psychiatres et autres professionnels. Il les croit incapables de comprendre pourquoi il doit boire ou jouer. Et c’est pourquoi leur avis, leurs conseils ne l’atteignent pas. C’est la même chose avec son conjoint. Le conjoint n’est pas passé par là et «ne le comprend pas»

Mais devant le groupe (qui d’ailleurs ne lui demande pas pourquoi il est là), il ne peut plus invoquer cet argument. Il a entendu les autres; il a compris que rien, absolument rien de ce qu’il peut dire ne les surprendra. Au contraire, ce serait même plutôt banal. Souvent, très souvent, il est surpris de découvrir que les expériences et les antécédents d’un bon nombre de membres dépassent amplement les siens. Non seulement il n’est pas un cas isolé, il est un «livre ouvert» pour les autres membres et que ce livre, ils l’ont déjà lu des centaines de fois.

Il a déjà eu des problèmes d’emploi? Eux aussi. Il a déjà été traité à l’hôpital? Eux aussi. Il a déjà été en prison? Eux aussi. Il buvait parce qu’il se sentait seul, triste ou inadapté? Eux aussi. Il buvait pour être sociable, joyeux et sûr de lui? Eux aussi. Sa raison de boire était unique? On rigole!

«C’est précisément là que se trouve l’espoir pour le nouveau membre: quelqu’un est devant moi et raconte l’enfer d’où il vient et où je suis présentement. Puis il raconte comment il en est sorti et ce qu’est maintenant sa vie: paisible, heureuse et donc sobre. Le nouveau se dit qu’il peut vivre ça lui aussi.» (France)

Il peut tout leur dire. Pendant dix, quinze ou parfois vingt ans, il a vécu emmuré dans son silence.

Et puis un soir, il parle.

Il se confie, se dévoile pour la première fois à de purs étrangers. Il sait qu’il ne sera ni jugé ni critiqué. Il ne subira donc ni sermon ni blâme sur sa conduite si fréquemment condamnée par le passé. Il n’y a pas de honte, pas de blâmes, seulement l’espoir.

«Quelque chose»

Tous les membres des groupes anonymes ont vécu l’expérience de Bill Wilson et Robert Smith : quelque chose se passe lorsque des personnes souffrant du même problème en parlent. Et leur propre douleur devient plus supportable lorsqu’ils s’entraident.

En peu de temps le nouveau commence à reconnaître qu’il n’est pas une mauvaise personne qui tente de devenir une bonne personne mais un malade qui essaie de guérir.

Personne ne dit :«Tu devrais..» ou «Il faudrait que». On se contente de dire ce qu’on a fait pour s’abstenir de consommer. Contrairement aux ex-fumeurs, on ne prêche pas, on ne fait aucune morale. Les membres sont tolérants, ont appris à être flexibles.

Ils apprennent que rien ne peut leur arriver qu’un verre, une ligne de cocaïne ne peut empirer. S’ils continuent à fréquenter les réunions, ils découvriront que ceux qui restent sobres sont ceux-là même qui assistent assidûment aux réunions. Alors ils se rendent compte que le lien entre les réunions et la sobriété n’est pas une coïncidence. Tout comme la dépendance, la sobriété est également progressive. L’alcoolisme, le jeu, la toxicomanie ne sont pas contagieux; mais la sobriété l’est. Ceux qui assistent aux réunions, comme par osmose avec les autres membres, y gagnent un meilleur contrôle sur eux-mêmes et sur leur vie. S’ils oublient qu’ils sont joueurs, alcooliques, drogués etc., ils se dirigent vers la rechute. C’est la permanence de ce rappel qui aide les dépendants à rester sobres.

L’isolement des membres une fois brisé, ils peuvent s’aider mutuellement à affronter leurs problèmes, les surmonter et réorienter leur vie. Au fur et à mesure ils reprennent confiance en eux. Les membres disent :«Amenez votre corps aux réunions, le cerveau va suivre.»

Les blessures psychologiques se désintègrent dans des centaines de tasses de café et, une tâche qui semblait écrasante prend graduellement ses justes proportions, et, d’une façon ou d’une autre, ils deviennent convaincus qu’ils peuvent s’en occuper, un jour à la fois.

Une journée à la fois

« Chaque jour que je ne jouais pas était un miracle.» (André).

L’alcoolisme est une «maladie» progressive et incurable. Pour les A.A, il n’y a pas d’ex-alcooliques. Si quelqu’un est alcoolique, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est pas capable de boire normalement, il le restera jusqu’à sa mort. C’est comme un diabétique. Grâce au régime et au traitement médical qu’il suit, le diabétique a une vie et une activité normale. Mais il n’est jamais »guéri»; Il reste atteint de diabète et condamné à une stricte discipline toute sa vie. C’est exactement la même chose pour les alcooliques.

Le nouveau membre se sent compris, soutenu, par tous les autres et il apprend à se fier à eux. Auprès de ces hommes et de ces femmes meurtris, il trouve le soutien et la chaleur humaine. Ce support chaleureux en béton lui donnera la force de lutter contre son obsession, d’arrêter de boire et surtout de ne pas recommencer à boire. «J’ai essayé d’arrêter plusieurs fois avec le clergé, le psychologue, le psychiatre, le doyen de mon collège, les parents; tout le monde voulait m’aider à arrêter de jouer. Ça n’a jamais marché Je suis membre de G.A. depuis maintenant 30 ans» (Bill).

Une période de désintoxication ça se supporte mieux à plusieurs. Les membres sobres connaissent toutes les raisons de boire; ils connaissent également toutes les raisons de ne pas boire.

Tout le monde ne profite pas également de ces groupes. Certains se cramponnent à l’espoir qu’ils pourront un jour boire, manger (Outremangeurs Anonymes), jouer normalement. Certains s’attachent au mouvement, d’autres disparaissent après un premier contact. Les Alcooliques Anonymes ne tiennent pas de statistiques et ignorent les pourcentages de réussite.

Le parrain

Après le «premier meeting», le nouveau est livré à son libre arbitre. C’est sa détermination et sa volonté qui vont l’aider à s’abstenir de boire. Toutefois il est armé du programme de A.A., du souvenir de cette rencontre, d’une liste de numéros de téléphone des membres qu’il peut appeler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et de «littérature».

Parmi ces personnes, un élément clé de la sobriété, le parrain, un «ancien» du groupe qui s’occupe d’un nouveau membre. Comme toujours dans les A.A., un membre n’est pas obligé d’avoir un parrain, il peut en avoir deux à la fois, le choisir à l’extérieur du groupe et même du mouvement. Évidemment, il peut en changer comme il le veut.

Beaucoup n’auraient jamais réussi à devenir abstinents sans cette relation intime qui se crée avec leurs parrains qui peuvent consacrer plus de temps et donner plus d’attention que lors des réunions. En effet, bien que les membres se fassent un plaisir de répondre aux questions, c’est souvent insuffisant. Plusieurs questions surgissent entre les réunions. Ils ont alors besoin d’un soutien plus intime, plus constant afin de commencer à apprendre à vivre sobre.

Jean-Pierre: « Au début, il a fallu que je m’accroche. Par moments, quand je sentais que je n’en pouvais plus, que j’allais reboire, j’étais obligé d’appeler mon parrain et de lui demander de venir à mon secours. N’importe où, n’importe quand, à n’importe quelle heure, il venait me rejoindre et nous bavardions ensemble en fumant quelques cigarettes ou en mangeant des bonbons. Et puis un jour, on m’a demandé d’être le parrain d’un nouveau et à son tour il a eu besoin de moi. Et plus il avait besoin de moi, plus je sentais son besoin, plus je me sentais fort. J’étais fort pour lui et par conséquent pour moi.»

L’entraide dans les groupes anonymes engendre une ferveur, une dévotion presque religieuse causée par le doux soulagement d’années de souffrance et d’isolation. Le groupe, qui a permis de trouver finalement la paix de l’esprit, qui a brisé leur isolement, devient souvent le centre de l’univers d’un membre. Un G.A. expliquait ainsi sa présence à un grand nombre de réunions : « Il faut mettre autant de temps à arrêter de jouer qu’on en mettait à jouer.»

La spiritualité

« La religion c’est pour ceux qui craignent d’aller en enfer; la spiritualité des A.A. c’est pour ceux qui en arrivent»

Avec la certitude qu’apporte l’ignorance, certains critiquent régulièrement les groupes anonymes, les accusant d’être une Église secrète, un mouvement spirituel sectaire, signalant par exemple le rituel, la prière de la sérénité etc. Effectivement, pour certains A.A. par exemple, Bill Wilson et Bob Smith sont pratiquement des fondateurs-apôtres, leur «Gros Livre» est presqu’un livre sacré et il y a même des pèlerinages dans les maisons où ils ont vécu.

France rétorque: « dans le mouvement, il n’existe aucune prescription, aucune règle, aucun rite obligatoire. En fait, rien n’est obligatoire. Un membre peut choisir de ne pas réciter la prière de la sérénité. Et d’ailleurs, il y en a qui le font effectivement. Même les étapes ne sont pas obligatoires. Tout le mouvement n’est que suggestions. Certains membres font quatre meetings par semaine sans jamais faire leurs étapes. Personne ne les met dehors; personne ne leur donne du trouble. »

Le programme des A.A est axé sur une transformation intérieure, de l’âme si on veut; il n’est pas religieux mais spirituel. Parmi les membres on trouve une variété de croyances et d’incroyances. Comme disait un sexolique anonyme : « Seul, j’étais incapable d’éviter la luxure. En fréquentant les S.A., j’étais capable. Donc le groupe était plus fort que moi et j’ai admis qu’il était ma puissance supérieure.» (Paul)

Le nouveau sobre, désormais condamné à la rigoureuse honnêteté voit lucidement tous les torts qu’il a causés et il ne peut plus les noyer dans l’alcool; au contraire, il devra faire la liste détaillée de tous ceux qu’il a lésés, puis, les appeler ou les rencontrer pour s’excuser…Les A.A., évidemment ne mettent pas de date de tombée.

Cette transformation intérieure est un processus à long terme, toujours pénible, souvent frustrant, parfois très difficile.

En avril 1950, Jack Alexander neuf ans après son premier article dans le Saturday Evening Post, quinze ans après la naissance des A.A., écrivait:

«Ça ne marche pas parfaitement, ça ne marche pas tout le temps. Mais ça marche souvent et plutôt bien. C’est déjà à des années-lumière de tout ce qui avait été essayé pour combattre la dépendance.» (The Drunkard’s Best Friend).

Anecdote pour les membres

Partage d’un membre C.A ( Cocaïnomanes Anonymes):  «J’étais dealer de coke et je consommais. J’avais un bel appartement, un gros char, plein d’argent. Puis un jour, j’ai pogné un bas-fond et je suis entré dans les C.A. J’ai arrêté de consommer et de vendre de la coke. J’ai perdu mon char, mon appartement. Un chum m’hébergeait dans une petite chambre. Le soir au meeting, je m’occupais de l’accueil des nouveaux. Je leur disais: «Ta vie va changer»….


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