Pour Serge Bouchard, le développement du Nord québécois par le gouvernement Charest est une histoire qui se répète. Qui se répète sans la mémoire, précise l’anthropologue.

Serge Bouchard, anthropologue.... (Photo Jean-Marie Villeneuve, Le Soleil)

Photo: Jean-Marie Villeneuve, Le Soleil.

Paul Journet, La Presse

« Notre devise est «Je me souviens». Mais c’est entendu, on ne se souvient de rien. On a plus que la mémoire courte. C’est une amnésie grave. (…) En fait, depuis la Confédération, le Québec a toujours voulu exploiter les ressources naturelles avec un modèle stable: des capitaux étrangers et une sorte de ruée vers la ressource à cause d’un contexte international. Le gouvernement vend l’accès à la ressource contre des redevances et des emplois. Le Québec, objectivement, c’est quoi sur la planète Terre et dans notre galaxie? Un pays bourré de forêts et rempli d’eau qui cascade sur des roches cambriennes. Et qu’est-ce qu’on fait depuis 1867? On ne fait que vendre ça.

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Q : Revenons en arrière. Qu’est-ce qui caractérisent les premiers Plan Nord?

R: Le gouvernement de Chauveau, le premier ministre du Québec, aura pour activité initiale de concéder la richesse la plus évidente, la forêt. Les terres de la Couronne ont été bradées entièrement pour des capitaux américains et britanniques. Les Canadiens français étaient des bûcherons au service des capitaux.

Q: Y avait-il un volet d’occupation du territoire?

R: On a assassiné l’idée d’une forêt habitée. Il y a eu des luttes épiques entre l’industrie forestière et les colons, qui voulaient exploiter leur lot forestier. Les compagnies ont toujours voulu étouffer l’activité des colons dans les forêts privées. Et le choix du gouvernement était clair: favoriser les compagnies. Il n’avait pas de plan pour l’occupation. La culture bûcheronne, ce fut une culture d’exil dans les camps, loin de la famille. La colonisation des Laurentides a donc été un échec. J’ai donné récemment une conférence à Ferme-Neuve, au nord de Mont-Laurier. Leur histoire est tellement triste… Il y avait là-bas un des plus beaux espoirs pour une industrie forestière privée et habitée par des colons. Mais les compagnies ont découragé tous les efforts des villages pour vivre du bois. Aujourd’hui, ces petits villages n’ont plus d’activité forestière. Les petits moulins sont disparus.

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Maintenant, la question que je pose aux économistes et aux historiens, c’est: «Et si on faisait le même calcul pour le bois?» Avec la crise, il nous coûte de l’argent, il ne nous en rapporte pas. Est-ce que l’exploitation de la forêt nous a enrichis depuis le dernier siècle? Ou l’argent est-il plutôt parti ailleurs? Et les mines? Les mines, c’est une catastrophe écologique sans nom au Québec et au Canada. »

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Remarque: le Kiosque a publié

Petite histoire de la forêt québécoise

Il y a bien quelques films, dont La mort d’un bûcheron (Gilles Carle), des chansons sur la drave, des contes, la chasse-galerie, etc. Finalement pas grand-chose pour évoquer les deux siècles pendant lesquels les Canadiens français se sont lancés à l’assaut de la forêt. Il est vrai qu’ils ne contrôlaient rien; les compagnies étaient britanniques ou américaines et nos gouvernements n’osaient pas les déranger. L’histoire de la forêt est un peu gênante…

De ce qui constituait les immenses forêts de chênes et de pins qui recouvraient le Québec, il ne reste plus rien, ou presque. Seul un petit boisé de douze hectares situé à deux kilomètres de la ville de Huntingdon a traversé le temps, intact. Avec ses arbres qui dépassent les 300 ans, le Boisé-des-Muir est la forêt que les bûcherons ont oubliée.