« Curieusement, la violence a toujours fasciné bon nombre d’intellectuels. Elle passe de main en main, accompagne les solutions radicales et absolutistes. Comment expliquer le goût de la violence de Tolstoï, de Bertrand Russel et tant d’autres qui se prétendirent pacifistes?

Sartre délaya sa fascination pour la violence dans un nuage stupéfiant d’euphémismes : « Quand la jeunesse affronte la police, notre travail consiste à montrer que la violence est du côté de la police et à prêter main forte à la jeunesse pour contrer la violence. » Il prétendit aussi que les intellectuels qui ne s’engagaient pas dans « l’action directe » (c’est-à-dire la violence) pour défendre les Noirs « étaient aussi coupables de meurtre que s’ils appuyaient sur les gâchettes qui tuèrent (les Panthères noires), assassinées par la police et le système ».
Les intellectuels s’associèrent trop souvent à la violence pour que cela puisse être tenu pour une aberration passagère. »  p. 297
(….)
« Beaucoup d’intellectuels affectés aux plus hauts échelons hiérarchiques du parti nazi participèrent aux excès abominables des SS. Les quatre bataillons de la mort Einsatzgruppen (les fers de lance de la solution finale en Europe de l’Est) comptaient parmi leurs officiers une très forte proportion d’universitaires. Otto Ollhendorf qui commanda le bataillon « D » avait trois diplômes universitaires et un doctorat de juriste. Staline eut aussi en son temps des légions d’admirateurs érudits, tout comme Castro, Nasser et Mao Tsé-toung. »  p.297
(…)
« Toutefois le sens de la publicité de Mailer avait aussi un objectif plus sérieux. Elle visait à promouvoir un concept qui devint le thème dominant de son oeuvre : le besoin de l’homme de se libérer des contraintes inhibant sa force. Les gens bien élevés identifiaient jusqu’alors ces inhibitions à la civilisation. Pour Yeats, une société civilisée se définissait par « l’exercice de l’empire sur soi ». Mailer remit ce postulat en question. La violence ne serait-elle pas une manifestation nécessaire? Parfois même une vertu? »  p. 300

 

« Considérons, écrivit Mailer, le cas réel des deux jeunes Noirs qui rossèrent à mort le propriétaire d’une confiserie. Cette violence ne présentait-elle pas un aspect bénéfique? « En l’occurrence on ne tue pas uniquement un vieil homme faible de cinquante ans mais aussi une institution, on viole la propriété privée, on entre dans un nouveau rapport avec la police, on intègre le facteur danger à sa vie. » Si la rage refoulée représente un danger pour la créativité, la violence extériorisée, déchargée, pouvait être envisagée comme une force créative.
Ce fut la première tentative pesée avec soin et bien écrite visant à légitimer la violence personnelle face à la violence « institutionnelle de la société ». p. 300