Des enfants se massacrent dans une arène. C’est le thème de ce nouveau « bestseller » qui, avec ses quelque 100 millions de lecteurs aux Etats-Unis, rivalise maintenant avec des succès monstres tels Harry Potter et Twilight. Pendant que les jeunes s’arrachent les livres, les parents s’arrachent les cheveux. Car avec Hunger Games, la littérature pour adolescents franchit un nouveau cap. On s’éloigne des vampires et des mondes magiques pour se rapprocher davantage de la réalité des adolescents et les captiver davantage. La violence se déroule dans un monde futuriste, mais vraisemblable ; plus du tout magique, elle est maintenant brute et bien tangible. Qu’est-ce qui peut rendre une histoire macabre à ce point attrayante pour ce vaste public?

Nous voici dans l’Amérique du futur. Une Amérique dévastée, post-apocalyptique, renommée «Panem», où les civils sont sous le joug cruel d’un gouvernement riche. Celui-ci a divisé le territoire en 13 «districts», tous à différents niveaux de pauvreté et de misère. De ces 13 districts, 12 se sont rebellés contre le gouvernement dans le passé, et depuis ce temps, c’est la répression. Toutes les années, ces districts doivent fournir un gars et une fille adolescents, qui s’affronteront jusqu’à la mort dans une immense arène naturelle. Ce combat est filmé et diffusé tel une série télévisée en direct, et tout le monde a le devoir civil de regarder le «jeu».

Cette année, c’est la petite soeur de Katniss, notre héroïne, qui a été pigée au sort pour participer aux jeux. Katniss, qui subvient aux besoins de sa famille depuis qu’elle peut manier un arc, se porte aussitôt volontaire à sa place. Par le fait même, elle entre dans l’horreur de ces «jeux de la faim», où pour s’attirer des dons de l’auditoire et avoir plus de chance de survivre, elle doit charmer en se comportant comme une star : sourire à pleines dents, répondre à des entrevues, défiler dans des robes extravagantes, jusqu’à s’inventer une histoire d’amour avec son homologue masculin. Chaque participant a son mentor, qui le guide et le conseille dans l’attitude à adopter. Certains jouent les durs pour donner une image de confiance, d’autres essaient de faire pitié pour s’attirer des dons. Tous les coups sont permis. Un immense tape-à-l’oeil à la Loft Story qui recèle la pire hypocrisie humaine…

N’importe qui peut se sentir concerné par ce synopsis : ces enfants pourraient bien être les vôtres. Et si on est, comme moi, jeunes et dans la clientèle visée, nous pourrions même bientôt être à leur place. Cette dictature représente une crainte bien de notre époque. Et dans ce décor grandiose où des jeunes gens défilent en habits de designer futuriste (Katniss revêt à sa première apparition au public une robe qui semble prendre feu), la violence qui nous menace est sublimée. Tout en ayant peur, nous voilà émerveillés. Tous les éléments sont en place pour troubler les lecteurs et les rendre fascinés par le destin des personnages, nos alter ego du futur.

Hunger Games peut accrocher n’importe qui ; pour les jeunes, il est encore plus facile de s’identifier aux personnages. Car en effet, l’arène dans laquelle sont cloîtrés les malchanceux de Panem ressemble étonnamment à leur vie. Un endroit où, pour bien s’en sortir, il faut charmer, déterminer notre attitude, performer socialement, où on ne peut jamais être sûr des réelles intentions de notre entourage… Voici la définition de l’école. Pour certains jeunes, Hunger Games peut représenter avec brio leurs propres expériences. Et Katniss, cette héroïne si naturelle, qui ne joue aucun rôle, ou presque, qui va finalement gagner le jeu sans pour autant être une redoutable tueuse, donne de l’espoir. «Peut-être ai-je une chance, après tout…»

Il n’y a pas de doutes, Suzanne Collins a réussi un tour de force : cerner les peurs, les intérêts et les espoirs des adolescents afin de leur servir en une série passionnante une panoplie d’émotions qui les cramponne au destin des personnages. Katniss, dont l’image est maintenant véhiculée par les écrans de cinéma, est la nouvelle idole de millions de jeunes et moins jeunes. Le phénomène prend encore et toujours de l’ampleur, et rien n’indique qu’il va s’essouffler.

– Naïma Hassert