Les élèves qui ont choisi le programme de sciences humaines simple, sans mathématiques, ont tous un point en commun : ils détestent les maths, et ils se sont dépêchés d’oublier le peu qu’ils savaient. Leur niveau a donc régressé depuis le secondaire (et je m’inclus là-dedans). Avant, on était habitués à faire de l’algèbre : maintenant, on ne sait même plus ce qu’est une règle de trois.

En sciences humaines, le seul cours qui force les pauvres étudiants à se rappeler de leurs mathématiques du secondaire est celui de méthodes quantitatives. Mais la ressemblance avec le secondaire est vague : le cours au cégep demande de retenir une ou deux formules simples, au maximum. Le reste, c’est en gros des définitions de mots, comme « variable » (ce qui varie dans une équation), et des diagrammes pour illustrer des statistiques. Ce cours est beaucoup plus facile que n’importe lequel du secondaire, et il est ennuyant. Très ennuyant. C’est un passage obligé que tout le monde franchit à reculons.

La prof, qui fait son travail correctement mais qui semble attacher à sa matière aussi peu d’importance que ses élèves, nous avait averti dès le premier cours : « Les méthodes quantitatives ne sont pas très aimées en général. C’est là où les élèves ont les moins bonnes notes. » Encourageant… La fille à côté de moi acquiesce énergiquement. Elle l’a déjà échoué deux fois.

On est plutôt nombreux dans la classe : au moins une bonne trentaine. Pourtant, j’y ai seulement entendu la voix d’environ six personnes : celle du prof, celle de la fille qui a échoué deux fois et qui lui demande de ne pas aller trop vite parce qu’elle ne comprend rien, et celle de deux ou trois autres étudiants qui, comme moi, répondent de temps en temps aux questions quand le silence devient vraiment trop gênant. Avec les autres, c’est le silence radio. La prof demande de lire le titre d’un tableau : pas un mot ne sera prononcé. Elle demande de faire une addition avec notre calculatrice, ça prend 2 bonnes minutes avant d’avoir une réponse. Nous ne sommes qu’une demi-douzaine à sauver le cours à chaque fois.

Je me demandais au début si les élèves étaient si silencieux parce qu’ils n’arrivaient pas à répondre aux questions. J’ai compris assez vite que c’est plutôt parce qu’ils les entendent à peine : ils dorment.

Nous avons deux périodes de méthodes quantitatives dans la semaine. La première, c’est de la théorie. Nous sommes dans une classe normale, avec des bureaux, et nous assistons à une présentation PowerPoint. Je prend des notes pour m’occuper les mains, mais ce ne serait même pas nécessaire : la présentation nous est envoyée par courriel. Comme je l’ai mentionné, c’est surtout des définitions de mots, que normalement nous avons appris dès nos premières années de secondaire. J’en vois qui ne prennent pas de notes : ils ont les bras croisés, et ont les yeux dans le vague. Eux sont vraiment partis.

La deuxième période, c’est un « laboratoire ». Nous allons dans un local avec plein d’ordinateurs, et on fait s’initie à Excel. Nous devons ouvrir un document sur lequel sont listées des consignes que nous devons réaliser avant la fin du cours : cliquez sur ce bouton, sélectionnez ces données, faites un diagramme, écrivez vos commentaires. Pas besoin de réfléchir très fort ; on nous prend presque par la main pour réussir. Puis, nous envoyons le résultat, et nous recevons une note. La semaine prochaine, ça recommence.

Prenez n’importe quel cours. Il a beau être facile : si on s’endort debout, on performe moins. Les méthodes quantitatives en fournissent la preuve. Nous ne sommes pas stupides. Seulement très ennuyés.

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