« Vous savez qu’il faut que vous lisiez au moins un article du Devoir par jour hein, en tant qu’étudiants ? »

Au secondaire, on meurt d’ennui à cause du cadre administratif.

Au cégep, on meurt toujours, même si on voit moins ce cadre. Et alors, ce sont les individus qui ont le pouvoir de nous remettre en vie.

Le professeur qui est devant nous pourrait avoir notre âge. La seule différence, c’est qu’il a des muscles qu’en général les jeunes de 17 ans n’ont pas eu le temps de développer à ce point. Il reste debout pendant que les élèves arrivent, les yeux bleus en alerte, et si on croise son regard il nous sourit.

Puis il se met à parler. Sans arrêt. C’est un cours de sociologie, très vaste domaine ; il n’a jamais le temps de tout dire. Il tourne, en parlant, autour de son bureau précaire sur lequel oscille une tasse de café pleine. Cette tasse m’obsède, j’ai peur pour elle.

« Vous savez qu’il faut que vous lisiez au moins un article du Devoir par jour hein, en tant qu’étudiants ? Si ce n’est pas le journal au complet. Pourquoi ? Parce que c’est le seul journal indépendant au Québec. Ce sont des vrais journalistes qui écrivent dedans, pas des colons comme dans le torchon de la Presse. »

Tout le monde rigole.

« Et je parle fort, parce que j’espère qu’on va m’entendre pi qu’on va me poursuivre. On va faire un scandale ! Haha. »

Tout le monde est conquis. Personne ne dit un mot à ses amis, les yeux de toute la classe sont rivés sur lui. Il finit par renverser sa tasse de café, c’était prévisible. Il lève les bras au ciel, s’excuse en riant. « Ça sentira bon, au moins. »

Les mains levées se bousculent. Le professeur, un peu désarçonné, tente de faire parler tout le monde qui veut, et de modérer ceux qui se sont échauffés avec lui. Tout à coup, les gens ont des choses à dire, des exemples à donner, des frustrations à partager. Et, surprise, ça ne dégénère pas. Chacun attend son tour. Je n’en reviens pas

L’heure avance. Il regarde sa montre. « Je pourrais parler là-dessus sans arrêt pendant trois heures sans respirer, mais je vais m’arrêter là. Merci de votre écoute. »

Mon voisin de bureau, cheveux longs en queue de cheval, a l’air de sortir d’un rêve.

« Wow. Il va tellement être cool son cours. Ça va peut-être réveiller un peu les gens de droite de la classe. »

Quels gens de droite ?

Mais peu importe. Ce professeur a réussi à se retrouver dans le labyrinthe de l’enseignement, entre pédagogie, matière et motivation, et il a gagné. Dans son cours, on ne s’endort pas.