Le professeur était si nerveux, je n’avais jamais vu ça. Il bégayait, s’échauffait, riait d’une manière presque hystérique, au point qu’il était difficile de garder le fil de sa présentation.

Le gars à côté de moi, qui s’y connaît : « C’est un fumeur. Il est en manque. »

Malgré tout, ce qu’il disait semblait intéressant, ou du moins cohérent. Je faisais donc un effort pour rester poli, je montrais de l’intérêt. Mais ce gars d’à côté qui ne cessait d’essayer d’échanger des regards d’exaspération avec moi me déconcentrait. Je n’ai donc absolument rien retenu. Mais peu importe, c’était le premier cours.

La première semaine de cours au cégep est facultative. C’est une semaine d’introduction où tout le monde se présente, les profs aux élèves et les élèves entre eux. Il n’y a aucune matière qui est abordée, et si le cours occupe trois heures dans l’horaire, il n’en dure jamais plus qu’une. À l’université, soit dit en passant, il semble qu’il n’en est pas ainsi. Si le cours doit durer trois heures, il durera trois heures…

Pourtant, la très grande majorité des élèves du cégep s’y rendent, à ces cours d’introduction écourtés, même si c’est la deuxième ou troisième fois qu’ils refont le cours. C’est donc qu’ils les trouvent importants. Et en effet, pour tous ceux à qui j’ai parlé, élèves et professeurs, cette présentation est très utile :

  1. Ils permettent au professeur de voir les élèves. Comme le nerveux en manque de cigarette me l’a dit, « C’est fou à quel point on peut apprendre des choses sur les élèves juste avec ce petit cours-là. » Ils peuvent avoir une idée de qui ils vont avoir affaire pour le reste de la session, et s’ils doivent commencer à déprimer ou non.
  2. Ils motivent ou démotivent les élèves. Ces petits aperçus sont déterminants dans la décision des élèves de suivre ou non le cours.
  3. Ils commencent la session en douceur, mettent la table. Le nerveux a bien aimé la phrase : « Mettre la table. J’aime beaucoup cette formulation. »
  4. Pour le professeur, c’est aussi le moment d’essayer de s’attirer le respect ou la sympathie des élèves. Ils ont le choix : blagues, ou avertissements, selon l’effet qu’ils souhaitent créer.
  5. Pour les élèves, c’est l’occasion de se présenter aux autres et de repérer les amis potentiels. Le professeur offre son aide en posant des questions futiles comme : quel est ton animal préféré ? Ton mot préféré ? Quel programme suis-tu ? Quel est ton plan de carrière ? (Ça, ça ne fait pas l’unanimité. Il y en a qui ne trouvent pas ça pertinent, ils préfèrent se présenter eux-mêmes uniquement.)
  6. C’est le temps de voir si le professeur sera exigeant, ou pas. C’est la partie rassurante. En général, le discours ressemble à ça : « Oui, techniquement il faut trois heures de travail par semaine en plus du cours. Moi, je dis une heure. Pour lire les textes, peut-être. J’ai toujours fait ce qui était en mon pouvoir pour faire réussir mes élèves. »
  7. C’est aussi l’occasion de recevoir la version papier du plan de cours qu’on a reçu par courriel. Plan de cours qu’on gardera tous précieusement. Cela va de soi.
  8. Dans le plan de cours, il y a aussi les compétences visées par le programme. Mais ça, aucun professeur ne veut prendre la peine de le lire à voix haute. Trop compliquées, trop longues. « Vous lirez ça chez vous. » (Un exemple de compétence : Discerner l’apport de connaissances disciplinaires à la compréhension du phénomène humain. Suivi d’une explication, toute aussi nébuleuse.)
  9. Enfin, c’est le temps pour les professeurs de donner leurs opinions politiques. En général, ils sont de gauche. En fait, je n’en ai pas rencontré un seul qui soit de droite, ou si c’est le cas, il se cache soigneusement. Quelqu’un de droite mourrait ici. Mais quand même, ils nous avertissent. Comme si ça pouvait choquer quelqu’un.

En gros, une semaine entière est consacrée à nous préparer mentalement à la difficile et chargée session qui s’ensuivra. J’ai fait mon devoir : je me suis rendue à chacun de ces cours. On verra dans les prochaines semaines s’ils auront contribué à ma réussite.

Pour les autres chroniques : http://kiosquemedias.wordpress.com/category/chroniques/une-vie-au-cegep/