Un couinement désagréable et répétitif commence à me déconcentrer. Je me retourne vers le bruit, et je vois qu’il vient du pied d’un gars qui gigote convulsivement, la tête dans les mains. L’ennui devait le faire halluciner. Après une ou deux minutes, d’autres têtes commencent à se retourner sans comprendre comment ce bruyant peut ne pas se rendre compte qu’il dérange tout le monde.

C’était la partie « laboratoire » du cours, celle où on exprime notre opinion sur l’actualité. Le sujet de l’exploitation des sables bitumineux en Alberta est lancé. Le professeur nous explique la « problématique » qui est liée, qu’il y a deux côtés à la médaille : d’un côté, ça pollue, de l’autre, ça fait rouler l’économie…

 

« Et vous, qu’en pensez-vous ? »

 

Et là, le découragé qui gigote à ma gauche se manifeste. Il s’extirpe du creux de ses mains pour s’exprimer :

 

« Ben moi, je m’en fous de l’environnement là, si ça nous rend riches. »

 

Une opinion aussi directe, aussi contraire à l’esprit « sciences humaines », désarçonne toute la classe. La vague d’indignation monte : tout le monde se sent le devoir moral de répondre, et ça se bouscule. Bouches ouvertes, roulements d’yeux, murmures choqués.

 

« Excuse-moi, mais ok, c’est peut-être vrai qu’on s’enrichit maintenant, mais à l’avenir on va tous mourir, et toi aussi. »

« Et tous tes gadgets, tes beaux souliers Adidas, il y en aura plus, et là qu’est-ce que tu vas faire ? »

« Ouais, et savais-tu que dans l’industrie des sables bitumineux, en Alberta, c’est à peu près 1% de la population qui s’enrichit de l’autre 99%, qui eux se font exploiter et reçoivent seulement les mauvais contrecoups, la pollution, et tout ça ? »

 

Le professeur, très calme et qui a étrangement l’air de s’amuser, agite les mains pour apaiser la classe, puis dit doucement : « En fait, ce n’est pas tout à fait seulement 1% qui s’enrichit de cette industrie, on parle plutôt de 20%, 23% environ. »

Puis il se tait. Devant lui, les arguments faiblissent, jusqu’à ce que plus personne ne puisse sortir des points pertinents. Après les exagérations et les généralités, c’est le silence. On continue seulement à soupirer et à lancer des regards indignés. Le gars n’avait pas dit une seule phrase de plus.

Moi, je ne savais pas quel côté était le plus pitoyable : celui du pauvre garçon ignorant et mésadapté, ou celui de tous ces « écolos engagés » qui lancent de fausses statistiques.

 

Je n’ai visiblement pas l’esprit sciences humaines… Pas assez de conviction. Devrais-je aller voir s’il y a des places en Arts ?