– Par Naïma HassertSans titre

Pendant 50 ans, on ne pouvait ni sortir du pays, ni y entrer. À présent, la Birmanie est une destination touristique tendance. Une beauté encore vierge, qui n’a encore été affectée ni par le développement économique, ni par la mondialisation… ni par les autobus remplis de touristes.

 

Le temple d’Ananda a été édifié à Bagan en 1091, plus de 150 ans avant Notre-Dame de Paris.
Le temple d’Ananda a été édifié à Bagan en 1091, plus de 150 ans avant Notre-Dame de Paris.

La Birmanie (ou « Myanmar », comme le préfère le régime), n’a pas eu une histoire aussi paisible que ses paysages. À la fin du 19ème siècle, les Anglais profitent de la situation politique instable du pays, ballotté sous le joug d’une série de monarques, et l’annexent aux Indes. Ils imposent leur architecture et leur culture dans une population à 89% bouddhiste. De plus, ils encouragent les voisins indiens et chinois à venir s’enrichir en Birmanie. Un peuple écrasé dans son propre territoire.

 

En 1920, des intellectuels birmans et des moines bouddhistes amorcent une révolution, menée en grande partie par Aung San, chef du syndicat étudiant de l’Université de Rangoon, la capitale. Élu député en 1947, il réussit à négocier l’indépendance de la Birmanie avec les Britanniques pour 1948. Mais il ne verra jamais ce projet se réaliser : quelques mois après son élection, il est assassiné avec plusieurs de ses ministres sous l’instigation de l’ancien premier ministre et rival, U Saw. Aujourd’hui, il est considéré comme un héros quasi-légendaire de l’indépendance birmane.

 

Rangoon ©Jean-François Leblanc
Rangoon ©Jean-François Leblanc

C’est peut-être pour cela que personne n’a osé toucher à sa fille, Aung Saan Suu Kyi, gagnante du Prix Nobel de la Paix en 1991. Pas même le général Ne Win, avec sa « voie birmane vers le socialisme », qui a réussi à éliminer tout risque d’influence étrangère en réduisant, entre autres, le visa touristique à 24 heures, ni le régime militaire qui lui succéda. Cependant, ils trouvèrent un moyen de la mettre à l’écart pendant une quinzaine d’années : des barrières autour de sa maison. Pas moyen d’en sortir, et interdit aux voisins de se promener aux alentours. On lui accorda néanmoins des élections, qu’elle remporta : puis, coup d’État, et elle se trouve enfermée à nouveau. Mais en 2007, le régime ne peut plus contenir la colère de la population : les moines se rallient à Aung San Suu Kyi, et déferlent sur les rues par dizaines de milliers. Cette manifestation fut appelée la Révolution Safran, pour la couleur des toges des moines.

Pendant ce temps, les militaires changent d’avis : pour améliorer l’économie et redorer l’image du pays, ils comptent sur les étrangers. Ils acceptent les touristes, et ouvrent leurs portes au commerce.

 

Sous la pression internationale, ils n’ont bientôt plus d’autre choix que de ramener Aung San Suu Kyi dans le monde. En novembre 2010, la police birmane retire enfin les barrières devant sa maison : elle est libre ! Le 1er avril 2012,elle rentre enfin en fonction comme députée. Mais un seul obstacle lui barre l’accès à la présidence : la Constitution, rédigée en 2008. Un de ses articles semble taillé sur mesure pour empêcher la présidence d’Aung San Suu Kyi : il stipule que le pouvoir suprême est interdit à tout Birman ayant eu des enfants avec un étranger. Et la militante pour la paix a bien eu deux fils avec son mari anglais…

 

Bagan ©Jean-François Leblanc
Bagan ©Jean-François Leblanc

 

Un « paradis » donc, où des édifices de l’époque coloniale britannique côtoient des pagodes bouddhistes, et où les lacs sont bordés de jardins flottants et de maisons sur pilotis. La pays a même été nommé la « Meilleure destination touristique du monde » en 2014 par l’Union Européenne. Mais le secret de ce paradis terrestre, c’est bien le fait qu’il ait été fermé aux étrangers si longtemps, par une dictature toujours en place. Quelle stratégie adopter, alors ? Boycotter le tourisme, comme l’a longtemps prôné Aung San Suu Kyi, ou continuer à visiter le pays en espérant ainsi contribuer à son développement économique et à son ouverture au monde ? Ces trois Québécois ont fait leur choix.

 

Jean-François Leblanc, photographe

Cela fait plus de 30 ans qu’il gagne sa vie comme photographe, et il a voyagé comme peu d’autres l’ont fait. Sa liste de pays visités, même s’il me la résumait, serait interminable. La plupart étaient des pays sous-développés. C’est un voyageur qui en a vu d’autres.

Deux fois il est allé en Birmanie. La première, en 1998, pour faire un reportage avec un ami, la deuxième, en 2012. Changement drastique.

« La première fois, c’était comme une chape de plomb. C’est à peine si on nous regardait. Il n’y avait pas de touristes. »

Jean-François se faisait dire par des locaux de ne pas essayer de parler aux Birmans, qu’ils étaient très méfiants, et que le seul fait de leur parler pouvait leur attirer des ennuis.

Malgré tout, le côté ancien, « pur », le charmait, et il voulait y retourner.

« Les Birmans sont adorables. Instruits, curieux, posés. Ils lisent beaucoup. Ils sont contents de voir des touristes, c’est bon pour eux. »

Il a attendu le moment des élections, en 2012, pour y retourner. L’atmosphère avait complètement changé : il y avait de l’espoir dans l’air. Il n’y avait plus de militaires. Les gens osaient maintenant descendre dans la rue pour supporter Aung San Suu Kyi.

« C’était un moment magique. Les gens se libéraient d’un poids qu’ils avaient sur le dos depuis des décennies. »

Pour lui, il n’y a aucun dilemme à avoir par rapport au tourisme. Il y a un bon côté à toutes choses : celui de la fermeture au monde extérieur, c’est d’avoir préservé aussi longtemps un trésor si pur. Et maintenant, le pays est porteur d’espoir, il faut encourager son développement. « C’est encore le temps d’y aller. Avant que ça change. »

Jean-François a profité de ses voyages pour faire trois reportages photographiques. Plusieurs de ses œuvres sont regroupées sur son site web :

http://jfleblanc.photoshelter.com/portfolio

 

 

Élections 2012 ©Jean-François Leblanc
Élections 2012 ©Jean-François Leblanc

Dawn Mauricio, professeure de yoga à Montréal

Dawn Mauricio est détentrice d’un BAC en marketing à Concordia.

Lorsqu’elle a terminé ses cours, elle a senti un grand vide. Le cœur brisé et la tête ailleurs, seul le yoga lui apportait du réconfort. Elle a donc tout laissé tomber, son copain, ses études, et elle est partie avec son sac à dos en Asie, pendant quatre mois. À la fin de son voyage, elle a eu sa première expérience de retraite méditative en Thaïlande. Une révélation : depuis 2006, elle enseigne le yoga à Montréal.

C’est cette passion qui l’a emmenée en Birmanie, pays majoritairement bouddhiste et bourré de monastères. Un moine reconnu se rendait là-bas, à 40 minutes de l’aéroport de Rangoun, pour une retraite méditative de 10 jours. Elle a décidé de le suivre.

Environ 400 personnes, dont la moitié au moins était des touristes, s’y retrouvaient. Tout était régulé comme une horloge : l’heure de lever et de coucher, les activités pendant la journée, les heures de repas et les aliments. Malgré tout, Dawn se sentait étonnamment libre dans ce cadre rigide.

Elle croit que les médias exagèrent la situation du pays. « Il n’y avait pas de sentiments hostiles là-bas. Les gens étaient heureux. »

Elle se rappelle surtout des beaux paysages de la Birmanie, la chaleur, la paix et la pureté. « La Birmanie avait mauvaise réputation avant, et c’est pour ça que les touristes ne venaient pas. Le pays n’est donc pas encore gâché par le tourisme. »

Dans quelques années, elle prévoit retourner en Birmanie, pour au moins trois mois.

 

Pour visiter son blogue : http://dawnmauricio.com/

 

 

Paulo Das Nuvens, marin et commerçant

Paulo est un Brésilien de 43 ans, qui vit maintenant en Asie du Sud-Est depuis 2012. Il possède un diplôme universitaire du Brésil et espère poursuivre ses études, mais pour l’instant il ne croit pas avoir beaucoup de possibilités là-bas. Il travaille donc en Asie, quelques semaines ou quelques mois à la fois, soit en échange de nourriture et de logement, soit en étant payé avec le salaire local. Dès qu’il peut, il fait du commerce avec les endroits qu’il visite et le Brésil. C’est un ami en Thaïlande qui lui a donné l’idée de faire un tour en Birmanie, en 2012, mais il n’a pu y aller qu’un an plus tard, le temps d’économiser. La Birmanie est en effet l’un des pays les plus chers d’Asie. De plus, il faut absolument dormir dans des auberges, et encore, seulement celles qui acceptent les touristes. Il est interdit pour un Birman d’héberger un étranger sans autorisation officielle…

Mandalay ©Jean-François Leblanc
Mandalay ©Jean-François Leblanc

Il est parti avec son amie journaliste, Florence. Paulo était très sensible à la situation politique, et était constamment mal à l’aise, car il ne voulait pas encourager le gouvernement dictatorial. Même s’il est impossible d’éviter complètement le gouvernement, il essayait de dormir et de manger dans des petits établissements privés.

Toutefois, il n’a jamais eu de mauvaises expériences avec la junte. Il respectait toujours les directives du gouvernement et restait dans les zones réservées aux touristes. Au contraire, il n’a eu que des bons contacts avec les gens, toujours disponibles, aidants, heureux comme peu d’autres, et contents d’ouvrir leurs portes au tourisme, qui représente pour eux des bénéfices financiers et un contact tout nouveau avec le monde extérieur. Ils étaient fascinés par Paulo : il a souvent eu l’impression que l’attraction touristique, c’était lui !

Il a été frappé de voir à quel point le tourisme et les transferts d’argent qu’il suscite bouleversent le mode de vie traditionnel et modifient les rapports entre les gens, les communautés et les autochtones de ce pays magnifique, mais très pauvre. Une visite au monastère, qui était aussi l’unique école du coin, lui a révélé la vie intime de centaines d’enfants, tous misérables, mais dont certains démontraient une sagesse impressionnante.

Il est revenu du pays avec le sentiment que les Birmans ont beaucoup à apprendre aux Occidentaux.

« Il serait le temps d’y aller, pour voir un monde qui est en train de disparaître. Peut-être à jamais. »

 

Florence Migneault, journaliste

Florence Migneault est une curieuse, c’est son métier. Elle est donc naturellement intéressée par ce qui sort des sentiers battus, ce qui dépayse, ce qui enrichit.

En 2012, elle partait en Asie du Sud-Est avec son sac à dos, et elle a eu l’idée de faire un tour en Birmanie, ce pays si différent des autres. Avec son ami Paulo, elle a fait le sentier classique : le Lac Inle, Bagan, Mandalay, pendant trois semaines.

Elle a été choquée, profondément dépaysée, puis charmée. « C’était comme revenir 100 ans en arrière. On ne sentait vraiment pas la présence de l’Occident. »

Lac Inle ©Jean-François Leblanc
Lac Inle ©Jean-François Leblanc

Elle en est sortie avec un étrange sentiment de paix. Malgré la répression religieuse exercée sur les musulmans aux frontières et malgré la tension politique, les gens étaient ouverts, généreux, accueillants. La religion prenait une grande place dans la vie de tous les jours des Birmans. Les temples sont omniprésents, la religion organise la structure sociale. Les gens sont toujours dans un esprit d’accueil, dans les temples, chez les gens eux-mêmes…

 

Elle souhaite donc, elle aussi, y retourner. Elle admet que le tourisme cause des problèmes, mais il est possible d’éviter de supporter le gouvernement dictatorial, et le pays commence à se relever, plein d’espoir. Elle se souvient particulièrement de deux femmes dans la vingtaine, pleines d’énergie, qui avaient profité de l’essor touristique pour ouvrir un restaurant et gagner leur vie dans ce pays magique. Et l’expérience est si enrichissante pour des Occidentaux que le jeu en vaut bien la chandelle.

 

Pour en savoir plus :

Documentaires

Mystic Ball

Un film sur le Chinlone, jeu de balle traditionnel de la Birmanie. Même si c’est un sport d’équipe, il n’y a aucune compétition, pas de gagnant ni de perdant. Presque tous les Birmans y jouent, jeunes et vieux.

Bande-annonce : http://www.youtube.com/watch?v=Ef7lX6HwqaE

 

Birmanie : la dictature de l’absurde

Une vidéo interactive créée par deux Français qui dénoncent avec humour les absurdités du régime birman.

http://www.lemonde.fr/week-end/visuel/2011/06/17/birmanie-la-dictature-de-l-absurde_1537284_1477893.html

 

Birmanie : l’éveil à la liberté

Un reportage de ARTE qui se concentre sur les jeunes birmans, plus ouverts au monde que leurs parents, plus rebelles, plus provocants.

http://www.arte.tv/fr/birmanie-l-eveil-a-la-liberte/7075654,CmC=7075658.html

 

 

 

Sites internet

Le journal Irrawady : couvre la Birmanie et l’Asie du Sud-Est.

http://www.irrawaddy.org/

 

BurmaBoard, un forum sur les dernières actualités de la Birmanie, classées par sujets.

http://www.burmaboard.com/index.php

 

 

Un restaurant birman à Montréal

Ruby Burma

3685, boulevard Saint-Laurent

514-654-2824

http://www.lapresse.ca/vivre/gourmand/restaurants/201306/12/01-4660364-ruby-burma-la-birmanie-dans-votre-assiette.php

 

 

Exposition :

Thingyan, la grande fête de l’eau

Exposition de Jean-François Leblanc

Du 19 mars au 27 avril 2014

http://tohu.ca/fr/a-la-tohu/activites/thingyan-la-grande-fete-de-l-eau.html

 

 

Photos :

http://jfleblanc.photoshelter.com/portfolio