Ça m’a pris trois bonnes semaines pour réaliser ceci : j’ai un bon prof. Je devais être trop habituée à m’ennuyer après ma longue pratique au secondaire. Dès que ce professeur a mentionné qu’il ne prônait pas la prise de notes, j’ai eu le réflexe de me mettre à « off ». Je n’ai pas relevé qu’en fait la prise de notes est inutile dans tous les cours, mais qu’il est le seul professeur qui le dise. D’habitude, on l’apprend à l’usage, à force de remplir des examens dont les questions semblent sortir de partout, sauf de la tête du professeur. Celui-là, au moins, nous a épargné ce « processus de réflexion » (une belle phrase que j’ai apprise au cégep). Une des couches épaisses de fond de teint que le cégep applique sur les programmes d’études disparaît avec lui. Pour moi, c’est un remontant naturel.

Ce professeur, c’est un roman. Jamais de bégaiement, pas de langue de bois, aucune hésitation, il utilise toujours les mots les plus appropriés, place des accents aux bons moments pour réveiller les endormis. Et ce qu’il raconte, c’est évidemment de l’or : il a dû manger des livres toute sa vie. Il connaît le nom de toutes les villes du nord du Québec, les dates exactes de chacun des événements qu’il mentionne, il défait des mythes, sort trois ou quatre livres pertinents à chaque semaine pour notre culture personnelle. Ça fait trop longtemps qu’il enseigne, et puis plus personne ne le surveille, alors il ne planifie plus ses cours, ce qui lui permet d’improviser et de rester passionné.

Mais il est mésadapté. C’est comme si on envoyait un astronaute enseigner les sciences au secondaire. La matière qu’il est chargé d’enseigner est trop mal définie, souvent il avoue ne pas savoir si ce qu’il nous raconte a vraiment sa place dans le cours. Il ne se casse pas la tête, et il nous partage tout ce qu’il sait. Résultat : il nous enseigne beaucoup plus de choses qu’il devrait. Alors il ne nous évalue pas sur ce qu’on a appris avec lui, mais sur notre compréhension des textes des autres. Il faut bien nous donner des notes.

Un beau jour, j’ai donc eu le bonheur d’émerger des brumes. Mais à voir tous ces camarades qui ont l’air morts sur leurs bureaux, tous les regards vacants, toutes les bouches ouvertes, il y en a beaucoup qui sont restés blasés. Pas tous, c’est vrai : il y a toujours ces éternels marginaux qui sont intéressés à apprendre des choses. Mais on ne peut vraiment pas dire que c’est la majorité. Et ce cerveau qui nous enseigne désespère de devoir faire de la discipline avec de jeunes éteints qui ne devraient pas être là.