Le reportage de Marie-Eve Cousineau

Le Conseil de la nation attikamek mène cet été une enquête sociolinguistique sur la langue attikamek, de plus en plus menacée par le français.

D’ici septembre, quelque 200 foyers seront sondés dans les trois communautés attikameks de Wemotaci, Obedjiwan, Manawan ainsi qu’à La Tuque, où de nombreux Attikameks vivent.

Quatre étudiants, embauchés par le Conseil de la nation attikamek, sont chargés de faire remplir un formulaire d’une trentaine de questions aux citoyens sur leur usage de la langue attikamek.

Kevin Flamand est l’un d’eux. Depuis le début du mois de juillet, il arpente les rues de La Tuque.

« C’est quand même menacé là. C’est ce que je vois quand je toque là. » — Kevin Flamand, intervieweur

Bien des Attikameks, qui vivent en ville, mélangent l’attikamek et le français lorsqu’ils parlent. Il faut dire que les enfants, qui vont à l’école à La Tuque, étudient en français.

Kevin Flamand comprend bien leur situation. Il parle en attikamek avec ses parents, mais il communique en français avec ses petites soeurs. « Je parle attikamek, [mais] je comprends plus, précise-t-il. J’ai de la misère à prononcer les mots en attikamek. C’est tough pareil. […] Faut que tu roules les “r” un peu. »

La langue en déclin?

Le Conseil de la nation attikamek s’inquiète de l’état de la langue attikamek. Lors de la dernière enquête sociolinguistique menée en 2001, 96 % des Attikameks disaient parler leur langue maternelle à la maison.

« Ça a beaucoup baissé, d’après moi. De plus en plus de jeunes ne parlent que le français. De jeunes parents parlent à leur enfant uniquement en français. » — Nicole Petiquay, coordonnatrice au service linguistique du Conseil de la nation attikamek

Selon Nicole Petiquay, des parents délaissent l’attikamek au profit du français pour faciliter les études postsecondaires – en français – de leurs enfants.

Malgré l’influence grandissante du français, Édouard Chilton et son épouse, qui vivent à Wemotaci, ne craignent pas pour la survie de leur langue maternelle. Du moins pour le moment.

« Actuellement, moi je pense que la langue n’est pas vraiment menacée. Pourquoi? Parce que dans la communauté, la majorité, ça parle en attikamek. » — Édouard Chilton, citoyen de Wemotaci

Le Kiosque a publié:

Le Printemps indien

Du Labrador à l’Alaska, s’étend une zone écologique immense, la forêt boréale, royaume des conifères, des lacs et de l’hiver. Deux groupes se partagent le territoire: les Dénés, de l’Alaska à la baie d’Hudson, et les tribus de la famille algonquine — Cris, Innus (Montagnais) , Attikameks,Naskapis et Algonquins proprement dits — qui chassent de la baie d’Hudson au Labrador. Dans ce milieu difficile, les chasseurs sont constamment en quête de nourriture: chez les Naskapis de la toundra québécoise, entièrement dépendants du caribou, par exemple, chaque famille a besoin d’environ 250 bêtes par année pour assurer sa subsistance. Aussi, les chasseurs de la forêt boréale se dispersent-ils pour répartir leurs chances de succès; on partage ensuite. A la fin de l’été, la bande éclate en petits groupes d’une vingtaine de personnes, toutes parentes, qui rejoignent un territoire de chasse dont ils connaissent à fond la faune et la flore. Ce mode de vie détermine le contenu des légendes et l’essentiel de l’éducation des enfants.

(…)

Au printemps, les chasseurs se retrouvent en bandes à l’embouchure des rivières: les Attikameks sur le Saint Maurice, les Cris à la baie James ou au lac Saint-Jean, selon l’occasion, et les Innus au lac Saint-Jean ou le long du Saint-Laurent. Entre Naskapis, Innus, Attikameks, Cris et Algonquins, les relations — par le réseau hydrographique du Québec — sont régulières. Tous ces chasseurs se comprennent fort bien entre eux: le cri est le latin des langues de la famille algonquine et les langages différents ne sont pas une barrière à la communication entre groupes; le mode de vie, encore moins.

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D’alliés indispensables à la sécurité et au bien-être de la colonie, les Indiens vont devenir un poids inutile, une entrave au développement qui s’amorce. Progressivement dépossédés, Ojibways, Algonquins, Attikameks et Innus sont refoulés sur des réserves, territoires protégés contre l’appétit des colons, mais bien insuffisants pour faire vivre les Indiens.

(…)

Au Québec prend forme la grande croisade de la colonisation. Pour canaliser le besoin de mouvement de ces Canadiens français peu sédentaires qui, faute de terres et d’avenir au Québec, s’exilent massivement aux Etats-Unis, l’élite religieuse et bourgeoise lance « l’Appel du Nord». Dans les Laurentides, en Abitibi, en Mauricie, au Saguenay— lac Saint-Jean et sur la Côte Nord, les colons vont grossir les rangs des commerçants de bois et des bûcherons qui leur ont ouvert la voie en pays algonquin, innu, attikamek. Dans le sud de l’Ontario, le pays ojibway rétrécit, rogné par les agriculteurs anglais qui y construisent leurs fermes.

(….)

Les premiers touchés sont ceux qui sont déjà à portée de main blanche. Le 30 août 1851, le gouverneur réserve des milliers d’acres un peu partout au Québec, y apporte quelques instruments aratoires et déclare aux Indiens éber lués: « Voilà, ce sont vos terres, ailleurs vous n’êtes plus chez vous. » C’est ainsi que sont créées les réserves des Algonquins à Maniwaki, celle des Attikameks sur le Saint Maurice, celle des Innus au lac Saint-Jean, celle de Restigouche pour les Micmacs et plusieurs autres. Ne sont cependant pas touchés par cette mesure les Innus de la Côte Nord, les Cris de la baie James et plusieurs autres groupes qui, dans les régions nordiques de l’Ontario et du Québec, continuent à vivre de chasse, de trappe et de pêche.

 

 

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