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L’histoire méconnue de la discrimination envers les Noirs dans l’armée canadienne en 1914-1918

Caroline Montpetit, Le Devoir

Cent ans après le début des hostilités, certains aspects de la Première Guerre mondiale demeurent méconnus. C’est le cas de la discrimination envers les Noirs qui a été pratiquée par les officiers de l’armée qui enrôlaient les soldats.

Cette discrimination était si forte que, sous la pression du lobby noir qui voulait participer à l’effort de guerre, l’armée canadienne a fini par former un bataillon exclusivement formé de Noirs, le bataillon de construction no 2.

L’histoire a été racontée dans deux livres publiés par feu le sénateur canadien Calvin Ruck, Canada’s Black Battalion : no 2 Construction 1916-1920 et The Black Battalion 1916-1920 : Canada’s Best Kept Military Secret.

Ruck y raconte comment les Canadiens noirs qui souhaitaient s’enrôler dès 1914 se faisaient systématiquement rejeter par les officiers, certains de ceux-ci allant jusqu’à dire qu’il s’agissait d’une guerre de Blancs, dont ils n’avaient pas à se mêler.

« En 1914, au début de la guerre, les Noirs ont demandé, comme plusieurs autres Canadiens, à aller défendre leur pays. Mais c’est seulement après qu’il y a eu énormément de pression et de lobby politique qu’on les a finalement laissés partir », raconte Michael Farkas, président de la table ronde du Mois de l’histoire des Noirs de Montréal, qui souhaiterait monter une exposition sur le sujet. Alors que le gouvernement fédéral avait pour politique officielle d’accueillir tous les citoyens dans l’armée, les soldats blancs ne voulaient pas côtoyer des Noirs dans leurs rangs.

Le Kiosque a publié : 

Petite histoire des Noirs du Québec

Extrait

Lorsque la guerre de 1914 éclate, l’armée canadienne refuse l’engagement des Noirs qui se portent volontaires. Ce n’est qu’après de multiples démarches qu’ils réussissent à se faire accepter par l’armée canadienne qui les relègue dans des bataillons de construction. Le racisme est constant jusqu’à la fin de la guerre. En juin 1919, des soldats blancs provoquent une émeute raciale au port britannique de Liverpool d’où ils attendent le retour au Canada. Le député de Trois-Rivières aux Communes, Jacques Bureau, s’enquiert en Chambre des mesures qui seront prises contre ces indésirables Noirs lorsqu’ils seront de retour au Canada.

Il n’y aura pas de mesures, les soldats noirs n’étant pas responsables de l’émeute, mais il n’y aura pas d’emplois non plus. Ils ont tout le temps devant eux pour aller à la Colored Legion que la Légion canadienne réserve aux anciens combattants noirs, histoire de ne pas les mêler avec des Blancs. La situation n’est pas meilleure pour les Noirs qui commencent à arriver des Antilles anglaises. À toutes fins pratiques, les seuls emplois disponibles restent les mêmes, porteurs dans les compagnies de chemins de fer, et même là, les problèmes sont nombreux.

Entre deux gares

Le train traverse le pays en quatre jours et cinq nuits. Les heures sont longues, on vit entre deux gares, mais le travail est assuré. Poussés par d’anciens soldats, les Noirs créent un syndicat, le Canadien National Order of Sleeping Car Porters, et demandent l’affiliation de ce syndicat au Brotherhood of Railway Workers qui refuse. Il n’accepte que les Blancs.  La lutte des Noirs contre le syndicat durera des années. Alors, s’instruire? L’Université McGill est fermée à double tour et les Noirs qui veulent un diplôme vont aux États-Unis dont ils ne reviennent pas. Si, en 1921, le cinéma Loew’s de Montréal perd un procès pour avoir refusé de laisser entrer un Noir, deux ans plus tard, dans la cause « Franklin v. Evans », les tribunaux décident qu’il est parfaitement légal de refuser de servir des Noirs dans les restaurants au Canada.

Pendant cette période, d’autres Noirs venus surtout de Harlem arrivent à Montréal. Ils fuient la prohibition de l’alcool et ouvrent autour de la rue Saint-Antoine des bars, des bordels et heurtent de front les Noirs du coin, conservateurs et qui, après avoir passé chaque semaine quatre jours et cinq nuits sur les trains aimeraient avoir la paix. Les conflits sont nombreux entre anciens et nouveaux. Le cabaret Nemderoloc (lire à l’envers) devient le lieu de rendez-vous des réfugiés de l’alcool. C’est durant cette décennie que l’Europe découvre l’art nègre, à la suite d’André Breton, que Joséphine Baker conquiert Paris et que le jazz fait danser les deux continents. L’une des conséquences de l’exode massif des Noirs du Sud a justement été  l’arrivée du blues et du jazz au Nord. Or, l’un des circuits les plus populaires pour ces musiciens est celui qui, de Chicago en passant par Harlem et Boston, se rend à Montréal.