Le sexe est sur toutes les lèvres, les vitrines, les magazines de mode. Il fait vendre de la bière, des livres et des films, même mauvais. Les magazines féminins les plus conservateurs exhortent leurs lectrices à adopter des comportements sexuels « tendance » et donnent des conseils à tout va sur les moyens infaillibles pour atteindre l’orgasme ou faire perdre les sens à monsieur. Cet été, À bâbord ! ne sera pas en reste. Nous aussi, nous voulons être feuilleté sur une plage tandis que vous jetez des regards lascifs à la serviette d’à côté. Et même si vous nous lisez sur le bol de toilettes… allez, on vous aime quand même ! Passez un bel été !

Le sexe est partout, certes. Mais cette omniprésence de la chose sexuelle dans l’espace public fait-elle de nous des êtres plus informés, plus outillés à la sexualité saine et respectueuse de soi et des autres ? Bien sûr que non ! Ceux et celles qui travaillent dans les domaines de la santé ou de l’éducation sexuelle constatent au quotidien le manque de connaissances généralisé sur le corps, ses mécanismes, la sexualité et les relations intimes. Ce qui entraîne des comportements sexuels porteurs de risques émotionnels ou physiques, les plus visibles et quantifiables étant les ITSS  [1] et les grossesses non planifiées. L’affaire Jian Ghomeshi et le mouvement #AgressionNonDénoncée, qui a libéré la parole de milliers de survivant·e·s, ont pour leur part exposé au grand jour la sordide réalité des agressions sexuelles et de la culture du viol. Et les discriminations basées sur la sexualité et l’expression de genre comme l’homophobie, la transphobie, la putophobie, etc., sont vécues au quotidien.

Comment expliquer que dans une société supposée libérée, émancipée et tolérante nos sexualités soient encore marquées par la méconnaissance, voire la violence ? Un élément de réponse est certainement la suppression des cours d’éducation sexuelle dans les écoles au début des années 2000. Mais aussi la présentation médiatique, culturelle, sociétale, pornographique d’une sexualité normée, stéréotypée, étroite – au détriment de la diversité des vécus qui sont de fait invisibilisés, marginalisés. Le script sexuel par défaut implique des individus hétéros, cisgenres [2], blancs, jeunes, sans handicap, minces, dont les pratiques sexuelles sont basées sur la pénétration et la performance, qui culmine en orgasme simultané. Loin de représenter la sexualité telle qu’elle est vécue par la majorité d’entre nous, ce « scénario idéal entre personnes idéales » prend racine dans divers systèmes d’oppression (sexisme, racisme, capacitisme [3], colonialisme, hétéronorme…) qui participent à la construction de nos fantasmes, de nos relations, de nos intimités. Qui contribuent à établir quelles sexualités, quels corps, quels types de relations sont socialement acceptables, valides. Ces systèmes d’oppression affectent le destin de communautés entières : les femmes et les mineur·e·s, dont la sexualité et le désir sont considérés subalternes, et qui sont les principales victimes d’agressions sexuelles ; les personnes racisées et autochtones, qui sont stéréotypées et hypersexualisées ; les personnes handicapées, dont on nie, voire empêche la sexualité ; les personnes non hétérosexuelles, encore victimes d’intimidation, de violence, etc.

La sexualité est politique. C’est un espace qui doit être investi politiquement. Et positivement. Car trop souvent les discours sur la sexualité ne font que dénoncer : la pornographie, l’hypersexualisation, les agressions ou les enjeux de santé publique. Il est nécessaire de produire des discours positifs sur la sexualité, avec une perspective politique, pour repenser nos intimités, notre rapport à nous-mêmes et aux autres. Il faut connaître les corps, leurs mécanismes, leurs réactions pour déconstruire les catégories arbitraires et les complexes liés à nos morphologies. Il faut pouvoir parler de/montrer les sexualités telles qu’elles sont vécues par la plupart d’entre nous, avec nos corps parfois croches, gras ou douloureux, nos traumas, nos fantasmes et nos configurations relationnelles diverses. Il faut créer des outils, offrir des ressources qui vont nous accompagner dans la découverte et l’évolution de nos sexualités, sans jugement. Bref, il faut s’outiller individuellement et collectivement afin que nos sexualités soient des espaces de plaisir et d’émancipation. Les contributrices et contributeurs à ce dossier, dans leurs différents domaines, œuvrent en ce sens. Et on les en remercie.

Sur ce, bon été !

P.-S.
Dossier réalisé par Pinote

Photo : Mélanie Dion

NOTES

[1] Infections transmissibles sexuellement et par le sang.

[2] Dont l’identité de genre correspond au sexe assigné à la naissance.

[3] Discrimination systémique sur la base de la situation de handicap.