La myopie des médias

Jean-Benoît Nadeau, Le Devoir

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J’en ai encore eu la preuve au dernier congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) au Château Frontenac. Ce congrès avait pour thème : Le virage numérique, et après ?, titre bizarre, mais qui résume tout le problème. On y a surtout parlé de gadgets, de plateformes, de publicité, de « nouveaux »enjeux, de drame éthique du genre : « Est-ce que je peux avoir Lino Zambito comme ami Facebook ? » Le Titaniccoule ? Pas grave : on replace les chaises !

Personne parmi ces 600 journalistes — PERSONNE ! — pour se demander comment tirer parti d’un public francophone de 275 millions de lecteurs, 40 fois plus gros que le marché québécois. Avec quels contenus ? Par quels moyens ? Avec quel financement ? Néant. Pas même une remarque. Et pourtant : la survie des médias québécois restera menacée tant qu’ils n’auront pas pris le virage francophone international.

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Ainsi donc, les deux publications québécoises qui développent une nouvelle perspective quant au marché francophone appartiennent à des intérêts américains et suédois. Ce qui en dit long sur la myopie chronique de la presse québécoise, clairement incapable de se penser en dehors du Québec.

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J’aurais assez de matériel pour écrire dix chroniques sur les pistes de solution, mais parler de « pistes » est un euphémisme ridicule : il s’agit d’un véritable boulevard — que dis-je ? Une autoroute ! — que la presse québécoise s’ingénie à ne pas emprunter. Il y a là un mystère, mais aussi une certitude : si la presse québécoise continue de négliger son potentiel francophone, elle mourra d’étouffement. Et son dernier râle aura été : « J’aurais donc dû. »