Par Claude Marcil, publié par l’Agence Science-Presse.


Le secret était bien gardé, mais une rumeur circulait parmi les membres de la Société géologique de Londres; leur président, le célèbre paléontologue Arthur Smith Woodward, également conservateur du département d’histoire naturelle au B
ritish Museum devait communiquer un nouvelle stupéfiante lors de la prochaine séance de la Société.

Le 18 décembre1912, Woodward, accompagné d’un géologue amateur, Charles Dawson, rapporte devant une salle comble qu’ils ont déterré à Piltdown au sud de Londres, plusieurs fragments de crâne, une demi-mâchoire et quelques dents; le tout appartenant, selon les termes de Woodward, à un être humain qui vivait à l’aurore de l’humanité, l'”Eoanthropus”. Puis, Woodward présente sa reconstitution de la tête de l’Homme de Piltdown provoquant l’enthousiasme de l’auditoire. Quelque temps après, le Quaterly Journal of the geological Society of London, publie un compte rendu qui met tous les milieux scientifiques en émoi. Très vite, les fragments du crâne et la mâchoire trouvés à Piltdown deviennent les ossements les plus célèbres du monde.

L’Empire britannique est alors à son apogée. Pourtant, la fierté nationale britannique est sérieusement ébranlée. Pour les Anglais, il va pratiquement de soi que l’Angleterre avait été autrefois le berceau de la civilisation, comme elle en était actuellement la gouvernante. Comment expliquer alors que les traces de l’existence des premiers hommes, les ossements, les peintures rupestres et les outils aient été découvertes en France et en Allemagne, mais pas en Grande-Bretagne?

Aussi, pour les paléontologues britanniques, la découverte de Piltdown représente une formidable revanche. Pour la première fois, on avait trouvé un fossile en Angleterre. “L’homme de Piltdown venait à point nommé pour retourner la situation” écrit le scientifique Stephen Jay Gould dans Le Pouce du panda.

Les uns le faisaient remonter au pliocène (faudrait un synonyme) comme l’Anglais Arthur Keith et le Belge Rutot, d’autres comme Woodward, le situaient au milieu du pleistocène (Faudrait un synonyme). On pouvait conclure que l’Homme de Piltdown datait du début de l’ère glaciaire, plus d’un demi-million d’années auparavant, ce qui en faisait le plus vieil être humain.. Adam était anglais!

L’émotion est grande dans le public. Dans les clubs sélects comme dans les pubs populaires, les Anglais se réjouissent que le tout premier homme était bel et bien anglais. La grande presse s’empare de cette découverte et les touristes affluent aussitôt au petit village de Piltdown qui a acquis une renommée mondiale et ses deux cents habitants coudoient les plus grands chercheurs en anthropologie et en paléontologie du monde. Son auberge “l’Agneau” fait des affaires d’or sous sa nouvelle enseigne “A l’homme de Piltdown”.

Le nom complet du fossile était “Eoanthropus dawsoni”. Dawsoni parce que sa découverte avait été faite par Charles Dawson, un grand amateur des “choses du passé”. Cet avocat prospère s’intéressait à l’archéologie, à la géologie et il avait un faible très net pour la paléontologie. Énergique et enthousiaste, Dawson avait trouvé une nouvelle espèce d’iguanodon à qui il avait donné son nom. Il avait ramassé une impressionnante collection de fossiles qu’il avait donnée au British Museum ce qui lui avait permis de faire la connaissance de Woodward. Aussi, à l’âge précoce de 21 ans, ses travaux lui avaient valu de devenir membre de la Société de Géologie et d’obtenir le statut envié de Honorary Collector du British Museum reconnaissant. En 1905 il avait pris un associé pour mieux se consacrer à son passe-temps.

 

L’histoire de l’homme de Piltdown
Un jour de l’été 1899, ce petit homme de quarante-quatre ans, gilet, moustache en croc et chapeau melon, se promenait tranquillement le long d’une petite route du comté de Sussex, dans les environs d’Hastings, à soixante kilomètres droit au sud de Londres; il va passer tout près d’une ferme dépendant du hameau de Piltdown.

Soudain, il s’arrête, fait quelques pas en arrière. Il vient de remarquer que certaines parties de la route ont été réparées avec de petits graviers plats, rougeâtres. Ces graviers l’étonnent. S’ils ne sont pas spécialement rares en Angleterre, on ne les trouve pas ordinairement dans cette région, mais à une soixantaine de kilomètres de là, vers le Nord. Ce petit coin du Sussex, s’il en possède aussi, profondément enfoncés, risque fort de livrer quelques fossiles intéressants.

Toujours à l’affût d’une découverte, cet infatigable collectionneur de fossiles interroge bientôt les ouvriers, apprend que les graviers viennent d’une petite carrière voisine, une patch insignifiante de gravel près de la route, demande si l’on n’y a pas trouvé d’ossements et fait promettre que si cela se produisait, il en serait aussitôt averti.

Quelque temps après, un ouvrier lui apporta un fragment d’os plat, rougeâtre comme les graviers; Dawson reconnut un morceau d’un crâne humain. Durant les trois années qui suivirent, il fouille les déblais et trouve quelques fragments supplémentaires.

En février 1912, Dawson écrivit à son viel ami, Arthur Smith Woodward, conservateur au British Museum (Histoire naturelle) pour lui dire qu’il venait de repérer un lit d’âge glaciaire où il avait trouvé des fragments d’un crâne humain particulièrement intéressant.

Il apporta par après plusieurs fragments à Woodward. Les ossements, usés et fortement teintés, semblaient bien contemporains du sableancien; ils n’appartenaient pas aux couches plus récentes. Et cependant, le crâne avait une forme remarquablement moderne. Dawson amenait aussi des fossiles d’animaux comme la dent d’un éléphant aujourd’hui disparu, trouvée au même endroit ce qui suggérait l’âge d’un demi-million d’années. Tous ces spécimens avait la même couleur rougeâtre que la gravel.

En juin, Dawson, Woodward et se rendirent à Piltdown. Ils sont accompagnés du jeune jésuite Teilhard de Chardin, un ami de Dawson passionné par la paléontologie qui étudiait tout près au séminaire de Hastings. Les trois hommes fouillèrent soigneusement la petite carrière, cherchant d’autres preuves parmi les déblais. Ils en retirèrent plusieurs débris de crâne. Finalement, lors d’une expédition, où Teilhard était absent, on trouva la moitié droite d’une mâchoire.

 

Une affaire de tête
Comme les fragments du crâne, la mâchoire était fortement teintée et avait toute l’apparence du très grand âge; mais alors que le crâne semblait nettement humain, la mâchoire ressemblait à celle d’un singe. “Malheureusement, explique Gould, la mâchoire était cassée exactement aux deux endroits qui auraient pu établir de façon formelle son rapport avec le crâne: la zone du menton, avec tous les signes qui y distinguent le singe de l’homme, et l’articulation avec le crâne.” Toutefois, la mâchoire avait conservé deux molaires présentant une usure plate, chose commune chez les humains, mais jamais vue chez les singes. Pour les trois hommes, il était normal d’associer cette mâchoire avec les fragments du crâne trouvés à quelques pieds de là. Un examen minutieux conduisit d’ailleurs Woodward et Dawson à penser que la mâchoire appartenait au crâne.

A l’époque les datations précises de vestiges archéologiques comme celles que l’on obtient avec le carbone14 en mesurant la désintégration des éléments radioactifs n’existaient pas encore. Un fossile était daté en fonction de l’âge géologique du terrain où il a été trouvé. Or, les fossiles humains n’avaient pas été trouvés seuls; au même endroit, Dawson, Teilhard et Woodward avaient fait une belle moisson de fossiles divers datant de la fin de l’ère glaciaire: une dent d’éléphant, d’hippopotame, etc.

Tout excité, Smith Woodward rapporta tous les fragments au British Museum où il assembla la mâchoire et le crâne, bouchant les éléments manquants avec de la pâte à modeler et son imagination. Gardée secrète jusqu’en décembre 1912, la tête de l’homme de Piltdown avait ensuite été présentée à la Geological Society à Londres. Cette tête était véritablement remarquable.

Le crâne était semblable à celui d’un homme moderne et la mâchoire à celle d’un singe aux molaires bien usées, ce qui montrait, avait expliqué Woodward aux savants stupéfiés, qu’ils avaient trouvé les premiers fragments fossiles du fameux ” lien manquant”, cette forme intermédiaire qui devait, comme Darwin l’avait prédit, démontrer le passage du singe à l’homme. L’Homme de Piltdown semblait bien être un ancêtre direct de l’homme moderne. Mais avec sa mâchoire de singe, il venait bouleverser toutes les idées admises sur l’évolution humaine depuis cinquante ans, car L’Homme de l’aurore ne ressemblait pas aux autres hommes fossiles dont on exhumait les maigres restes de temps à autre.

En 1856, des travailleurs d’une carrière dans la vallée de Neander près de Düsseldorf en Allemagne trouvèrent des fragments d’un crâne. Cette découverte ouvrait un monde inconnu aux savants en état de choc. Il ne ressemblait à aucun crâne humain moderne. Personne ne pouvait même assurer que le crâne était humain.

Certains prétendaient que le crâne avait tout simplement appartenu à un malade ou à un idiot rachitique. L’Allemand Mayer démontra que la calotte crânienne était celle d’un cosaque tué au cours de la campagne antinapoléonnienne de 1814. Pour d’autres savants, ce crâne de L’homme de Néanderthal ( Tal: vallée en allemand) représentait les restes d’un authentique ancêtre de l’espèce humaine et le premier fossile trouvé sur la planète montrant l’évolution de l’homme.

Dans son livre “L’origine des espèces” publié en 1859, Darwin exposa une théorie qui va frapper les plus grands esprits scientifiques et religieux: les espèces changent; toutes les espèces d’un même groupe ont un ancêtre commun ( l’homme et les singes par exemple) aujourd’hui disparu; l’évolution des espèces est le résultat d’une sélection qui ne laisse survivre que les mieux adaptés à l’environnement ( climats, concurrents, ennemis).; que le monde animal est un tout et qu’à l’origine les formes animales les plus simples existaient seules, puis ont donné naissance aux formes plus complexes. Si tous les savants connaissaient les théories de Darwin sur l’évolution, il n’y avait pas de concensus parmi les spécialistes.

De plus, il était difficile de fonder une argumentation irréfutable sur quelques os du sommet du crâne. Il aurait fallu découvrir un squelette entier.

 

La découverte de l’homme-singe
A 28 ans, Eugène Dubois était lecteur d’anatomie à l’Université d’Amsterdam. Mais un secret démon le tenait: il avait la passion de l’homme préhistorique et il était intimement persuadé que la découverte de l’homme-singe devait lui revenir. Cet ancêtre devait être un intermédiaire entre les singes anthropoïdes et les hommes. L’ Allemand Haeckel, professeur de zoologie, avait été frappé par la ressemblance entre les embryons humains et ceux des singes. Il avait décerné par avance à cet intermédiaire le nom évocateur de Pithecanthropus c’est-à-dire de singe-homme.

Où le trouver à la surface de la terre? La réponse pour Dubois était simple: les grands singes anthropoïdes sont actuellement localisés en deux points du globe, les orangs-outans en Indonésie, les gorilles et les chimpanzés au centre et à l’ouest de l’Afrique.

En 1887, Dubois débarque à Sumatra pour prendre son poste à l’hôpital de Padang. Il fouille un peu partout pendant ses vacances et en 1891, sur l’île de Java, il met à jour la troisième molaire supérieure droite d’un singe-homme. Quelques semaines plus tard, il découvre tout près, la calotte crânienne et le fémur de ce qu’il considère désormais comme le Pithécanthrope. Pour lui, l’homme-singe a vécu il y a un demi-million d’années. Il a le crâne et les dents du singe, le fémur d’un homme. Dès lors, l’homme-singe de Java, est considéré comme l’un de nos ascendants plus ou moins directs entre les singes et l’homme de Néandertal.

En 1907, on trouva près de Heidelberg en Allemagne, la mâchoire inférieure d’un être humain plus âgé que l’Homme de Néandertal et contemporain de l’Homme de Java. Puis, en 1908, des Français découvrent le squelette pratiquement complet d’un homme de Néanderthal. Il a une grosse tête, un crâne plat, un front fuyant

L’ascendance de l’homme se dessinait ainsi très nettement. L’homme et le singe ( il faut entendre les grands anthropoïdes, gorille, orang-outan, chimpanzé et gibbon) étaient nés d’une souche commune, et on pouvait insensiblement passer de l’ancêtre commun, un singe primitif, à l’homme moderne. Entre l’homme-singe de Java et l’homme actuel, venait s’intercaler tout naturellement un autre intermédiaire, un peu moins singe, un peu plus homme, l’Homme de Néanderthal, dont on avait trouvé les restes en divers points d’Europe occidentale. Or, l’homme de Piltdown ne rentrait pas du tout dans ce tableau qui brillait par sa simplicité.

L’homme de Piltdown remontait à l’âge glaciaire et avait quelque 500 000 ans soit plusieurs centaines de milliers d’années de plus que l’homme de Néanderthal. Mais, au lieu de se présenter comme un être mi-singe mi-homme, il alliait fort paradoxalement une mâchoire de chimpanzé à un crâne d’homme moderne. Et cela était proprement inexplicable. En conséquence comme le résumait Smith Woodward,“La race de Néanderthal était un rameau dégénéré alors que l’homme moderne survivant doit provenir directement de cette source primitive dont la découverte du crâne de Piltdown fournit la première preuve.”

Il n’en restait pas moins que l’homme de Piltdown était un fossile encombrant, difficile à caser dans l’arbre généalogique humain. En effet, quelle place lui donner par rapport au Singe-Homme (pithécanthrope) de Java découvert à la fin du siècler dernier, considéré comme intermédiaire entre le singe et l’homme et daté de la fin de l’ère tertiaire. Mais il faut dire que ces fossiles, d’ailleurs peu nombreux, étaient très fragmentaires: une boîte cranienne, une mâchoire etc. D’autre part, le fait qu’ils étaient différent pouvait être dû au fait qu’ils étaient en dehors de la ligne principale d’évolution.

 

Un débat est lancé
Les savants se battaient à coup de silex. Certains, s’appuyant sur les fossiles de Piltdown, étaient prêts à remanier leurs vues sur les origines de l’humanité. D’autres mettaient en doute l’appartenance des différents ossements à un seul individu. Les Français, fiers d’avoir vu les sciences préhistoriques naître sur leur sol s’alignaient sur leur compatriote Marcellin Boule, du Museum d’histoire naturelle, qui croyait plutôt à la découverte simultanée d’un crâne d’homme fossile et d’une mâchoire de singe. Pour la plupart des savants Américains, la chose ne faisait pas de doute: deux fossiles distincts s’étaient ( par le plus grand des hasards, certes) trouvés accidentellement mélangés dans le même gisement. Bref, pour ces dissidents, le crâne humain et la mâchoire de singe, n’allaient pas ensemble. D’ailleurs des savants firent remarquer que les deux molaires, avec leur usure humaine caractéristique, n’étaient pas suffisantes pour prouver que cette mâchoire avait une origine humaine.

Mais l’autorité de Woodward était telle que les sceptiques furent ignorés. Durant les années qui suivirent, on trouva d’autres objets qui appuyèrent la thèse de Piltdown. En 1913, Pierre Teilhard de Chardin, découvrit dans le même lit de gravel une canine de la mâchoire inférieure qui semblait aussi celle d’un singe mais, comme la mâchoire trouvée en 1912, présentait les mêmes traces d’usure qu’une dent humaine.

En 1916, Dawson meurt. Mais il réservait une surprise posthume. Au début de 1917 Woodward annonce en effet que Dawson avait découvert en 1915, à trois kilomètres de la carrière de Piltdown, deux nouveaux fragments de crâne humain et une dent de singe usée comme une dent humaine, soit exactement la même combination que la première fois.

Ce deuxième homme de Piltdown contribua à convaincre la majorité des savants américains et à semer le doute dans l’esprit de la plupart des Français. “Il était possible que les os d’un humain et ceux d’un singe aient abouti une fois dans une même sablière, mais la deuxième conjugaison, identique, d’une voûte crânienne et d’une mâchoire de singe prouvait à n’en pas douter que leur possesseur n’était qu’une seule et même créature, malgré l’incongruité anatomique apparente”. (Gould, quand les poules etc. p. 225) L’homme de Piltdown, avec son crâne d’homme et sa mâchoire de singe faisait une entrée fracassante dans les traités de paléontologie.

 

Le bilan des découvertes
Après la première guerre mondiale, d’autres fossiles humains apparurent dans différentes parties du monde. En 1924, on trouva en Afrique du sud une créature, ressemblant au singe mais humain. On appela australopithèque ce singe anthropoïde évolué, dressé sur ses jambes, qui vivait il y a plusieurs millions d’années.

Depuis toujours les Chinois ont vendu comme médicaments des dents d’animaux fossiles qu’ils croyaient être des dents de dragon. Un naturaliste allemand avait trouvé une dent préhistorique au début du siècle. On commence à chercher. En 1927, le Canadien Davidson Black trouva une dent en Chine et il en déduisit l’existence d’un homme préhistorique proche de l’homme-singe de Java.

Ce qui donnait comme chronologie: les singes-hommes de l’Afrique du Sud, ou australopithèques, puis les hommes-singes de Java et de Chine, mosaïque de caractères humains et simiens puis l’homme encore un peu simien, encore un peu bestial de Néanderthal. D’un échelon à l’autre on constatait que les caractères simiens s’atténuaient progressivement tandis que progressivement, les caractères humains faisaient leur apparition, de façon discrète d’abord de façon plus nette ensuite.

Alors que l’arbre généalogique devenait plus fourni, le statut de l’Homme de Piltdown restait toujours aussi flou: était-il un ancêtre direct de l’homme, une branche séparée et éteinte, un pré-hominien etc.

Les dernières découvertes contredisaient l’évolution montrée par l’homme de Piltdown avec son crâne humain et sa mâchoire de singe. Ces restes africains montraient exactement le contraire – ils avaient une mâchoire humaine avec un crâne de singe. L’évolution de la mâchoire précédait donc celle du crâne. De façon à réconcilier l’homme de Piltdown avec celui de Java et de Pekin, Woodward fit en 1944 l’hypothèse que ceux-ci pouvaient provenir de deux lignes d’évolution différente: la première avec l’australopithèque, l’homme de Java, de Pékin, l’homme de Néanderthal. Seul sur l’autre ligne, l’homme de Piltdown. Les deux lignes étaient irréconciliables. On ne voyait aucun ancêtre commun aux deux lignes et on discutait à savoir laquelle des deux avait donné naissance à l’Homo sapiens. Plusieurs, dont Woodward et Keith favorisaient toujours l’homme de Piltdown. La chose en resta là. Dans toutes les universités de la planète, les savants, un peu perplexes, continuaient d’étudier les os, en moulages ou en photographies de l’Homme de Piltdown que le British Museum avait généreusement distribué aux institutions scientifiques du monde entier. Plusieurs faisaient toujours le pélerinage à Piltdown où on avait érigé un mémorial pour commémorer les découvertes.

Quelques années plus tard, en 1948, à plus de quatre-vingt ans et aveugle, Woodward dicta son dernier livre “The Earliest Englishman” ( Le premier Anglais). Comme le commente Gould: “Il mourut, grâce à Dieu, avant que le scandale auquel il avait donné naissance n’éclatât.” (P.225 Quand les poules etc.)

Bien sûr, il y avait des sceptiques, mais ils n’étaient pas en mesure de justifier leur scepticisme, car ils n’avaient pas accès aux vestiges. ceux-ci étaient jalousement tenus à l’abri dans un coffre au British Museum. Pour les regarder de près, il était presque indispensable d’appartenir au personnel du British Museum, de préférence dans la section de géologie. Par bonheur, un membre de cette section, le docteur Kenneth Oakley était extrêmement intéressé par les fragments de Piltdown et les anomalies qu’il présentait. Il avait accès aussi à de nouvelles méthodes de datation.

 

Des nouvelles méthodes de datation remettent en question l’homme de Piltdown
Après la dernière Guerre Mondiale, des nouvelles techniques de datation firent leur apparition. Avec le temps, les ossements fossiles s’imprègnent du fluor contenu dans le sol et les roches où ils gisent. La quantité de fluor dans des os fossiles augmente avec leur âge. On peut donc déterminer l’âge des os en décelant leur contenu en fluor. Le principe était que des os de la même période provenant des mêmes dépôts auront la même quantité de fluor.

En 1949, Oakley soumit les vestiges de Piltdown à l’épreuve du fluor. Il lui fallut opérer des dosages portant sur une dizaine de centigrammes d’os, dans lesquels il fallait déceler la présence d’un dixième de milligramme de fluor. Si la dent d’éléphant contenait un fort pourcentage de fluor, le crâne ainsi que la mâchoire n’en renfermaient que des quantités infimes, à peine décelables; ils n’avaient donc pas pu rester très longtemps dans les graviers de Piltdown. En conséquence, la dent d’éléphant, celle de l’hippopotame n’avaient pas le même âge que les fossiles humains. Il a fallu rajeunir considérablement le fossile de Piltdown. Il n’avait pas 500,000 ou même100,000 ans comme on l’avait pensé, mais tout au plus 40,000.

Mais en conséquence, l’homme de Piltdown ne pouvait donc pas être un lien entre l’homme et le singe. En effet, on pouvait concevoir un chaînon manquant de 500,000 ans. Mais un intermédiare entre l’homme et le singe âgé de 50,000 ans seulement était incroyable. Il n’avait plus sa place dans l’évolution humaine. Tout au plus pouvait-il être une branche isolée de l’évolution et donc beaucoup moins important que ce qu’on avait cru auparavant.

 

L’homme de Piltdown est-il singerie?
Puis, on se rendit compte qu’il n’y avait aucun dépôt du pliocène dans la région de Piltdown et que la différence d’épaisseur entre le crâne et la mâchoire était une anomalie qui ne se rencontrait jamais, ni chez les singes ni chez les hommes. On constata aussi que la dentine, sous la patine superficielle était blanche comme si les dents étaient récentes. Puis A.T. Marston prouva en 1952 que la canine appartenait à un jeune singe adulte et que le crâne appartenait à un homme d’au moins quarante mille ans.

En juillet 1953 se tint à Londres un congrès international de paléontologie. La discussion porta sur les trouvailles de Néanderthal, de Java et de Rhodésie. On ne mentionna pas l’homme de Piltdown.

Pourtant, le professeur W.E. Le Gros Clark, l’un des plus célèbres anatomiste du monde entier et son assistant le Dr J.S. Weiner, du service d’anatomie de l’université d’Oxford s’interrogeaient souvent sur les moulages des fragments – et plus particulièrement sur les molaires qui affichaient un type d’usure plus “humaine” qu’anthropoïde.

Le dr.Weiner se procura une molaire de chimpanzé, la ponça, la lima et obtint une dent étonnamment semblable à celle de l’Homme de Piltdown. En août il suggéra au Dr Oakley que les mâchoires et les dents appartenaient à un singe moderne. Weiner, au cours d’une conversation avec Le Gros Clark, finit par formuler l’hypothèse de la fraude; à force de réfléchir sur toutes les incertitudes de l’affaire, sur toutes les coïncidences bizarres qu’il fallait supposer pour en expliquer les détails, il ne voyait plus d’autre alternative. Trop de choses clochaient avec ces vestiges. Le docteur Oakley décida immédiatement d’analyser les fragments une nouvelle fois.

Les trois savants mondialement réputés, J.S. Weiner, Le Gros Clark et Oakley obtinrent la permission du British Museum d’analyser les fossiles. D’un coffre-fort en acier, à l’épreuve du feu on sortit les vestiges pour en faire l’analyse chimique, physique et anatomique la plus poussée jusqu’alors. Pour la deuxième fois en quatre ans, la mâchoire inférieure, la canine isolée et les fragments de calotte crânienne subissaient l’impitoyable épreuve des examens micro-chimiques.

Ils remarquèrent que le crâne et la mâchoire avaient été teintés artificiellement au bochromate (bicarbonate?) de potassium pour reproduire la coloration due au grand âge. Le microscope permit de constater que si les molaires et la canine étaient usées comme dans le cas d’hommes âgés, c’est qu’elles avaient été limées pour imiter l’usure des dents humaines. La dentine sous la surface était blanche.

Oakley finit par se rendre à l’évidence: Les savants avaient été bernés pendant quarante et un ans; l’Homme de l’aurore était un faux! le crâne appartenait à un homme moderne et la mâchoire était celle d’un orang-outan. Quant aux fossiles de mammifères trouvés sur le site, bien qu’authentiques, ne provenaient pas de l’Angleterre. La dent d’hippopotame venait de Malte; celle d’éléphant de Tunisie. L’Homme de Piltdown, d’abord une découverte remarquable, puis une anomalie, était devenu une source d’embarras.

 

La fraude et son fraudeur
Le samedi 21 novembre1953, le bulletin du service de géologie du Muséum d’histoire naturelle de Grande-Bretagne, avouait, en quelques lignes que l’homme de Piltdown était une supercherie certaine dont l’auteur demeurait incertain. ” Those who took part in the excavation at Piltdown had been the victims of an elaborate and inexplicable deception”. Il est à noter que le British Museum manifestait une certaine satisfaction et remarquait que la découverte du faux “clarifie très considérablement le problème de l’évolution humaine.” En effet, on n’avait pas trouvé d’autres fossiles ayant à la fois un crâne aussi développé et une mâchoire aussi simiesque.

Dans les galeries du rez-de-chaussée du Muséum, à une vingtaine de mètres de l’entrée, sur la gauche, il faut en toute hâte modifier la vitrine, fierté du musée, où se pavanaient quelques os de l’homme de Piltdown.

La révélation n’aurait guère retenu l’attention si les quotidiens du lundi en Grande-Bretagne comme en Europe et en Amérique ne lui avaient consacré d’importants articles assaisonnés de quelques caricatures assez perfides. Une volée prévisible de manchettes telles que “Le crâne exhumé” “L’Anglais le plus vieux n’était qu’un singe” “L’énorme supercherie du “chaînon manquant” ébranle les savants.” dénoncait la plus grande fraude scientifique du demi-siècle.

Le coup de grâce fut donné en 1959 lorsque les ossements furent datés au carbone 14: le crâne datait du Moyen âge et la mâchoire avait à peine cinq cents ans.

Si l’homme de Piltdown était une fraude, qui était le fraudeur? Qui, en maniant avec dextérité une lime et un petit flacon de bichromate de potassium avait camouflé un singe actuel en homme fossile? Eliminons d’office Woodward, considéré avec raison par ses contemporains comme un homme de la plus haute intégrité et dont le rôle s’est résumé à accréditer l’homme de Piltdown aux yeux de la communauté scientifique. Dans tous les nombreux livres qui ont traité de l’affaire, Woodward est pratiquement le seul qui n’a jamais été accusé d’être le faussaire.

On a accusé W. J. Sollas, professeur de géologie à Oxford.

Dans un ouvrage très dense, l’Anglais Ronald Millar, fait l’histoire de la paléontologie depuis le milieu du XIX siècle et fait allusion, sans jamais l’accuser, à Grafton Elliot Smith, un grand anatomiste australien qui a suivi de près toutes les recherches et contreverses sur l’homme de Piltdown. Pour sa part, dans un bref et virulent essai le professeur belge Guy van Esbroeck croit que le fraudeur est William Ruskin Butterfield, le conservateur du musée de Hastings. Apprenant que Dawson n’avait pas donné à son musée un fossile d’iguanodon, Butterfield s’est mis en colère, s’est senti frustré et, selon van Esbroeck, a juré de se venger. Il aurait semé les faux ossements sous les pas de Dawson, le découvreur ingrat.

Pour Peter Costello, chercheur indépendant de Dublin et auteur de ??? le coupable est un ami de Dawson, Samuel Allinson Woodhead principal du collège agricole d’Uckfield. Selon cette hypothèse, Dawson lui confia quelques fragments du crâne avec la mission de les analyser pour savoir s’ils appartenaient au même crâne. Woodhead conclut que oui et suggéra à Dawson de renforcer les os en les traitant au bichromate de potassium. A l’époque il s’agissait d’un traitement habituel pour protéger des pièces fragiles mais il avait l’inconvénient de donner une couleur brune aux os. Costello fonde son accusation sur les facilités qu’avait Woodhead pour préparer la fameuse mâchoire dans son laboratoire du collège d’Uckfield. Outre qu’il possédait les connaissances scientifiques nécessaires, il lui était relativement aisée de se procurer une mâchoire d’orang-outan, plusieurs musées du Sussex possédant des collections de “curiosités”.

Gould qui a étudié à fond l’histoire de Piltdown, retient deux hypothèses. La première, qu’il juge la plus plausible, met en cause Dawson lui-même. L’archéologue amateur se trouve en effet à l’origine de toute l’affaire. C’est lui qui, en 1912, allécha Woodward en lui présentant les fragments de l’homme de Piltdown. Dawson affirmait avoir trouvé le premier fragment du crâne en 1908, après que des ouvriers travaillant dans une sablière lui eurent parlé d’une “noix de coco” ( le crâne entier) qu’ils avait déterré sur ce site et brisée. Dawson continua de fouiller l’endroit et recueillit quelques autres morceaux de crâne et des fragments de mammifères fossiles. Il n’apporta ses spécimens à Woodward, conservateur du département de paléontologie au British Museum que vers le milieu de 1912. Suite à sa mort en 1916, Woodward continua à fouiller mais toutes les excavations du site furent inutiles et on ne trouva plus rien. Selon Weiner, on disait dans la région qu’il avait “arrosé” la carrière. Un visiteur qui était entré chez Dawson sans frapper, le trouva au beau milieu d’une expérience consistant à colorer des ossements. Embarrassé, Dawson expliqua qu’il colorait des fossiles pour trouver comment se faisait le processus.

Dawson, né en 1864, était ce personnage typique du XIX siècle, le scholar amateur. A cette époque, il y avait peu de professionnels. Pourquoi Dawson, amateur connu et respecté qui comptait à son actif plusieurs trouvailles d’importance, aurait-il monté cette mystification? A-t-il agi pour la gloire? Pour redorer le blason des paléontologues anglais? Pour accéder aux monde des professionnels? Pour se moquer d’eux? Nul ne le sait.

Dans la conclusion de son livre, Weiner admet qu’il a encore un doute sur la culpabilité de Dawson. Ce doute a alimenté des années de spéculation.

En effet, bien que Dawson ait été le mieux placé pour “arroser” la carrière de Piltdown, il n’avait pas accès à certains fossiles qu’on avait trouvé dans la carrière. Tous ces vestiges, sauf deux, pouvaient avoir été recueillis en Angleterre. Mais la dent d’hippopotame, qui appartenait à une espèce naine distincte, provenait sans doute de l’île de Malte. La dent d’éléphant, elle, provenait presque sûrement d’un endroit bien précis, Ichkeul, en Tunisie. Ce qui amène Gould a suggérer une autre hypothèse beaucoup plus troublante.

Né en Auvergne en 1881, Teilhard de Chardin appartenait à une vieille famille conservatrice et aisée. Entré chez les Jésuites en 1902, il poursuivit ses études sur l’île anglo-normande de Jersey de 1902 à 1905, puis enseigna la physique et la chimie dans une institution des Jésuites au Caire. En 1908, il revint terminer sa formation théologique au séminaire jésuite de Hastings, près de Piltdown. Il y passa quatre ans et fut ordonné prêtre en 1912. En 1908 il fit la connaissance de Dawson sur le lieu de leur passion commune, une sablière où ils cherchaient des fossiles. Aux cours de leurs recherches ils devinrent bons amis.

Teilhard, grand théologien, un des grands penseurs du siècle, a laissé l’image d’une grande figure austère et mystique. Mais à l’époque des découvertes, il était encore un étudiant qui aimait s’amuser. Il a travaillé sur le site de Piltdown de1908 à 1914. C’est lui qui trouva en 1913 la canine qui s’accordait avec la mâchoire.

De son séjour en Egypte il a fort bien pu ramener les ossements de mamifères qui furent trouvés à Piltdown.

Selon Gould, Teilhard de Chardin a été le grand responsable. Teilhard passa beaucoup de temps avec Dawson et ensemble il ont comploté et planté les fausses preuves. Pour Gould il s’agissait plus à l’origine d’une blague que d’une fraude. Mais que ça alla trop loin.

Au début de la première guerre mondiale, Teilhard retourna en France. Il y resta jusqu’à la fin de la guerre où il se distingua comme brancardier. Pendant ce temps, Teilhard ne pouvait rien faire; Dawson mourut en 1916 et, à ce moment, la crédibilité de Piltdown était supporté par la plupart des scientifiques. Tout aveu de Teilhard aurait été dommageable pour sa carrière.

En1922 il devint professeur de géologie à l’université catholique de Paris. En 1926, il partit pour la Chine où il poursuivit des recherches de premier ordre en géologie et en paléontologie. Il demeura en Chine la plus grande partie de sa vie écrivant des livres philosophiques sur la théorie du cosmos et les relations entre la science et la religion. L’un d’eux, “Le phénomène humain”, son ouvrage le plus connu, devint un best-seller dans le monde entier. Il mourut en 1955.

Gould a relevé la correspondance entre Teilhard et Oakley ( le scientifique qui fit les études de fluor). Dans une lettre, Teilhard dit que Dawson était avec lui au second site et lui montra le crâne et une molaire.

“Il se borna à me conduire sur l’emplacement du deuxième (site) et m’expliqua qu’il avait trouvé la molaire isolée et les petits morceaux du crâne dans les tas de graviers et de cailloutis qui avaient été ratissés à la surface des champs.”

Or c’est impossible. Teilhard se rendit bien sur le second site avec Dawson en 1913, mais ils ne trouvèrent rien. Dawson découvrit les os crâniens à Piltdown 2 en janvier 1915, et la dent en juillet 1915. Et maintenant le point capital: à cette époque Teilhard était en France; Teilhard avait été rappelé dans les rangs de l’armée française en décembre 1914 et expédié aussitôt sur le front, où il resta jusqu’à la fin de la guerre. Il ne pouvait donc avoir vu les vestiges de Piltdown 2 avec Dawson, sauf s’ils les avaient fabriqués ensemble avant son départ. D’autre part, s’il avait vu les fragments en 1913 pourquoi n’en avait-il pas parlé à Woodward qui ne l’appris, de Dawson, qu’en 1915? Selon Gould, Teilhard en admettant qu’il a vu ces pièces, avoue sa culpabilité.

Gould fait aussi remarquer que malgré son rôle important dans la découverte de Piltdown, il en parle très peu dans ses écrits scientifiques sur l’origine de l’homme. Dans les vingt-trois volumes de ses oeuvres complètes, Gould a trouvé moins d’une demi-douzaine de références à Piltdown.

“Ce canular égara des millions de personnes pendant quarante ans. Il jetait un faux éclairage sur les processus fondamentaux de l’évolution humaine. Les carrières sont trop brèves et le temps trop précieux pour que l’on consière d’un oeil égal un tel gaspillage.”(Gould. p. 247 Quand les poules etc.) “Je pense que Piltdown afligea Teilhard sa vie durant.” (p.247 Quand les poules.) Mais la culpabilité de Teilhard ne fait pas l’unanimité. On cherche encore le motif. Blague d’étudiant? Teilhard, un Français, voulait-il peut-être se moquer des Anglais qui n’avaient pas de fossiles légitimes? De toutes façons, comme le remarquent fort bien XXXX

“En fait le mystère n’est pas de savoir qui est le véritable auteur, mais comment toute une génération de scientifiques a pu se laisser berner par une supercherie aussi évidente. les outils étaient pauvrement sculptés, et les dents sommairement limées.ª P. 135, La souris truquée)

Il ne s’agissait pas d’une fraude sophistiquée; le faussaire qui a maquillé la mâchoire a su rendre cette coloration avec une habileté diabolique, mais les dents étaient grossièrement limées. Les savants y remarquèrent les rayures dès qu’ils les regardèrent attentivement.“Les marques d’abrasion artificielle, écrivit Le Gros Clark, sautèrent immédiatement aux yeux. En vérité, elles semblaient si évidentes qu’on peut se demander comment il se faisait qu’elles n’aient pas attiré l’attention plus tôt.” La suprême habileté du faussaire a consisté à savoir ce qu’il devait laisser de côté, le menton et l’articulation. La partie de la mâchoire qui s’articule sur le crâne a sans doute été brisée artificiellement par le faussaire afin qu’on ne puisse constater la mauvaise adaptation. En effet l’articulation du crâne et de la mâchoire d’un homme est fort différent de celle du singe.

On croit que pour les hommes de science, les faits priment et que le savoir scientifique s’accroît grâce au recueil patient et à l’examen minutieux des données objectives. Bien au contraire la science est une activité humaine mue par l’espoir, les préjugés culturels et la recherche de la gloire.

En 1913, de nombreux paléontologues de premier plan se disaient: le cerveau a montré le chemin. Nous régnons aujourd’hui grâce à notre intelligence; donc, dans notre évolution, un cerveau plus gros a dû précéder et entraîner toutes les autres modifications de notre corps. Nous devrions nous attendre à trouver des ancêtres humains avec un gros cerveau et le corps d’un singe. Ainsi, l’homme de Piltdown venait appuyer une thèse que beaucoup partageaient. Ironiquement la nature a suivi un chemin inverse. Nos ancêtres les plus anciens, les australopithèques se tenaient debout, mais avaient encore de petits cerveaux.

L’homme de Piltdown étayait aussi certaines thèses raciales largement répandues parmi les Blancs. Lorsqu’on découvrit l’homme de Pékin dans des couches du sol qu’on croyait approximativement contemporaines des graviers de Piltdown, on constata que cet ancêtre de l’homme vivait alors en Chine avec un cerveau qui était les deux tiers du cerveau moderne. Or, à la même époque, l’homme de Piltdown avec son cerveau complètement développé, habitait l’Angleterre. Cela signifiait que les Blancs avaient franchi le seuil de l’humanité pleine et entière avant les autres races humaines.

Finalement, avant Piltdown, les paléontologues anglais étaient désespérés. Hormis quelques silex douteux et quelques ossements tout aussi douteux, l’Angleterre ne connaissait rien de ses ancêtres les plus reculés. La France, au contraire, avait eu le privilège de trouver sur son sol une surabondance d’hommes de Néanderthal et de cro-Magnon, avec leur art et leurs outils. Les anthropologues français prenaient un malin plaisir à faire sentir aux Anglais cette disparité. L’homme de Piltdown venait à point nommé pour retourner la situation.

Sir Arthur Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes a visité Piltdown et félicité Dawson. (Des auteurs l’ont d’ailleurs accusé d’être l’auteur de la fraude) Le fait est qu’on aurait besoin d’un Sherlock Holmes pour découvrir le fin mot de la supercherie la plus humiliante et la plus spectaculaire du XX siècle. Quand aux motifs, ils échappent à tous les tests physiques ou chimiques et resteront toujours un mystère.

Bibliographie

Livres

* non consultés

*Millar, R. “The Piltdown men” , Victor Gollancz, London,1972

*Esbroeck, G. van “Pleine lumière sur l’imposture de Piltdown” Editions du Cèdre, Paris, 1972

Gould, Stephen Jay “Le Pouce du panda”, Paris, Grasset, 1982. 318 pages

Gould, Stephen Jay “Quand les poules auront des dents” Paris, Fayard, 1984, 448 pages

Kohn, Alexander. “False prophets” Ed. Basil Blackwell, New York, 1987, (UM)

Pracontal, Michel de “L’imposture scientifique en dix leçons” Editions La Découverte, Paris, 1986, 256 pages. (centrale)

Spencer, Frank “Piltdown a scientific Forgery” Oxford University Press, London, 1990.

Weiner, J.S. The piltdown Forgery, Oxford University Press, 205 p. 1955

Articles:

“Piltdown Man: The Missing Links” L. Harrison Matthews, New Scientist, Série de 10 articles, 1981.

“Une supercherie exemplaire: l’Homme de Piltdown” par Pierre Thuillier, La recherche No 28 Nov. 72

“Qui a fabriqué l’homme de Piltdown? par Laurie Thompson, ” Magazine de l’Histoire, No.88, avril 1986.

“The Piltdown hoax reconsidered”, par Peter Costello, Antiquity, LIX, 1985

trente millions d’années séparent les premiers singes d’Afrique des hommes qui enterrèrent leurs morts pour la première fois.

Au XVIIIe siècle, la prospection minière et la recherche des veines de charbon ont fait émerger une nouvelle science, la stratigraphie, qui s’intéresse à la succession des couches de terrain. Elle permet de reconnaître l’ordre des ´catastrophesª et des faunes disparus qui caractérisent chaque période géologique. On commence à savoir remonter dans le passé de la Terre… Mais c’est seulement au siècle suivant que l’on reconnaît, dans les couches ´antédiluviennesª, des traces d’hommes, des outils. Le premier à faire accepter cette découverte, c’est le Français Boucher de Perthes. Lors de fouilles près d’Abbeville, il découvre des silex ´antédiluviensª. Dans un premier temps, en France, tout le monde lui rit au nez. Il faudra l’intervention de savants anglais pour que l’Académie des sciences fasse procéder à des fouilles de contrôle et admette, en 1859, que des hommes ont bien existé avant le diluvien. Vers la même époque, on exhume, à Néanderthal, en Allemagne, un homme très ancien et distinct de l’homme moderne. C’est une véritable révolution dans les esprits: l’Europe comprend que la Terre a été peuplé d’hommes différents de notre espèce. La clé de ce phénomène impensable, Darwin vient de la fournir, dans son ouvrage célèbre De l’origine des espèces, publié en 1956. Sathéorie de l’évolution permet de concevoir que non seulement d’autres hommes ont précédé l’homme moderne mais qu’ils étaient issus des singes. Cette collusion de la théorie et des faits bouleverse les savants et passionne le grand public. Le mythe biblique s’efface rApidement devant l’extraordinaire succès du mythe préhistorique. On est en plein romantisme, le retour aux sources est en vogue, l’archéologie, à la mode. Et voilà que les Européens découvrent que leur propre sol a été peuplé par ces mystérieux ancêtres de l’homme. Partout en France, on fouille. Avec succès. On découvre les fameux sites des Eyzies, de la Madeleine, de Cro-Magnon… Et le public s’arrache les ouvrages de vulgarisation scientifique.