Par Claude Marcil

Pendant trente ans, l’agriculture soviétique a été dirigée par un fou qui a fait du délire scientifique une religion d’État. Dans l’histoire des sciences, la saga de Trofime Lyssenko est le tableau de la plus grande aberration de tous les temps. Lorsqu’il fut enfin dégommé, la génétique, la biologie et l’agriculture de l’URSS étaient revenues au niveau du Moyen-âge.

Trofime Denisovitch Lyssenko est né en 1898 à Karlovka en Ukraine. Sa formation est équivalente à celle d’un technicien agricole, mais il est issu d’une famille de paysans et appartient donc à l'”intelligentsia rouge” que les dirigeants communistes veulent constituer pour pallier l’hostilité de la majeure partie de l’intelligentsia bourgeoise.

Il attire pour la première fois l’attention du public soviétique en 1929 à Léningrad. Il raconte une expérience qui lui apparaissait sensationnelle : la “vernalisation”: Il avait observé que les semis des céréales d’hiver peuvent donner des épis, mêmes semés au printemps, si ces céréales, une fois germées, sont humidifiées et soumises à des périodes déterminées de températures relativement basses. L’assistance est, à bon droit, sceptique. En effet, Lyssenko n’a rien inventé; cette ancienne technique paysanne peut effectivement augmenter les rendements, mais dans certaines circonstances seulement.

À sa demande, son père mouille quarante-huit kilos de blé d’hiver, le fait pousser à côté d’un blé de printemps et fait une excellente récolte. Ce succès d’une saison sur un demi-hectare, attire l’attention du ministère de l’Agriculture qui envoie ses fonctionnaires sur le terroir paternel de Lyssenko. La même année, le gouvernement l’envoie Lyssenko diriger l’Institut de génétique d’Odessa où un département spécial est consacré aux recherches sur la vernalisation. On espère trouver ainsi une solution miracle aux désastres naturels comme celui qui avait touché les récoltes dans l’hiver très froid de 1927-28.

La crise agricole
Lénine avait bien décrété que le parti devait, pour les questions scientifiques, s’en remettre à l’autorité de spécialistes. Mais, sous Staline, le Parti commence à limoger tous les spécialistes “bourgeois”, c’est-à-dire ceux dont les idées ne sont pas conformes à celles du Parti. Ce qui n’aide pas l’agriculture notoirement improductive.

Alors que les scientifiques envisagent, du bout des lèvres, des résultats dans cinq ans, Lyssenko promet une augmentation rapide, économique, des récoltes. Selon le physiologiste russe Zhores Medvedev : “Il faut remarquer que les arguments rationnels contenus dans les premières publications de Lyssenko étaient soutenus par de nombreux scientifiques. (…) Le président de l’Académie des sciences d’alors, Komarov, le Pr Rikhter, l’académicien Keller, et beaucoup d’autres physiologistes et botanistes jugèrent favorablement son travail.” (9)

Brillant collectionneur de plantes et administrateur scientifique ambitieux, Nikolaï Vavilov, le grand maître de la biologie soviétique, soutenait aussi Lyssenko, saluant sa méthode dans Izvestia (du 6 novembre 1933), comme une découverte révolutionnaire de la science soviétique. Mais dans l’esprit de Lyssenko, la “vernalisation”, mot qu’il applique à toutes les sauces, va beaucoup plus loin. En fait, Lyssenko n’a qu’un seul maître, Michourine, un jardinier sans instruction qui excellait à greffer des plantes et qui avait été hissé, après sa mort en 1935, au rang de biologiste génial par la propagande stalinienne. Il réfute toutes les théories scientifiques établies, méprise aussi bien Mendel, Pasteur que tous les biologistes classiques.

En 1935, les bureaucrates sont désespérés. La situation de l’agriculture ne s’améliore guère; les petits propriétaires paysans, les Koulaks, s’opposent à la collectivisation des terres et au communisme.

Bravo camarade!
En février 1935, au deuxième congrès des fermiers de chocs représentant des fermes collectives, Lyssenko lance une première attaque contre la génétique classique.

Lyssenko déclare que dans les villes, les “Koulaks de la science sont les ennemis du communisme: “Sur le front de la vernalisation, ne s’agit-il pas toujours de lutte des classes?” “Un ennemi de classe est toujours un ennemi, qu’il soit ou non savant.” Cette conclusion arrache à Staline, présent, l’exclamation suivante: “Bravo, camarade Lyssenko! Bravo!”

À partir de ce moment on assume qu’il est le protégé de Staline. La presse l’appelle désormais le génie du sol, le professeur aux pieds nus.

À partir de 1935, Lyssenko et ses partisans consolident progressivement leur pouvoir et se lancent dans une attaque en règle contre la génétique classique cette “science capitaliste”, qu’il oppose à la biologie “prolétarienne”. À cette époque, beaucoup de communistes croyaient en effet que la science pouvait être “bourgeoise” ou prolétarienne” Même des mathématiciens se réunissent en congrès pour situer la mathématique prolétarienne face à la mathématique bourgeoise et idéaliste…

En accord avec l’idéologie marxiste basée sur le concept de la malléabilité de la nature humaine, Lyssenko croit que la nature des plantes peut être, elle aussi, moulée par les conditions du milieu. Celui-ci, en modifiant le corps des êtres vivants, peut en même temps modifier le patrimoine génétique. La biologie prolétarienne se conforme avec une admirable opportunité à la théorie marxiste-léniniste du ” bond ” ou du saut qui permettrait à des accumulations quantitatives de produire un bond qualificatif.

Il affirme aussi que les caractères acquis sont héréditaires et nie tout rôle des gènes et des chromosomes dans la transmission héréditaire. Il prétend même que “chaque goutte de vie” peut transmetre l’hérédité.“Selon une telle théorie, la sève des plantes transmettrait l’hérédité tous aussi bien que le pollen et l’ovule…”(Science et vie,avril 88) Il est donc opposé à la génétique classique qui démontrait que les caractères acquis ne sont pas transmissibles.

Les lois de Mendel sont de plus rejetées par Lyssenko parce que, fondées sur les probabilités statistiques, elles introduisent en biologie un hasard incompatible avec les dogmes de Marx et de Lénine. Finalement, “Le lyssenkisme dut son succès au fait qu’il apparut comme la seule doctrine scientifique qui, enfin, s’accordait avec le modèle dialectique.” Laval théologie et philosophique, 44, 3 (octobre 1988)

Sur cette toile de fond se déroule en décembre 1936 la session spéciale de l’Académie Lénine des sciences agricoles. Lyssenko y présente un rapport intitulé “Deux tendances dans la génétique” qui représente sa déclaration de guerre à la génétique classique. L’affrontement entre les deux génétiques devint ouverte.

C’est alors que autorités exigent de Vavilov qu’il produise, en trois ans, des variétés de blé possédant toutes les qualités requises pour diverses régions. Lyssenko et ses disciples promettent eux la création de variétés de plantes non en trois ans mais en deux ans et demi.

Vavilov avait posé au nom du gouvernement la candidature de Moscou au Congrès international de génétique qui devait se réunir en 1937. Cette manisfestation aurait pu être redoutable pour Lyssenko. Elle aurait mis en lumière les réalisations à l’étranger de la génétique classique et risquait d’étaler aux yeux des Soviétiques l’inanité de ses théories et de ses méthodes. Mais au printemps 37, Staline prononce un discours sur les “défaillances à l’intérieur du parti et les mesures à prendre pour liquider les trotskistes et les traîtres”. Pour Lyssenko et son bras droit, le philosophe Prezent, c’est l’occasion rêvée de s’attaquer aux généalogistes qui leur sont hostiles. En mars Prezent publie dans la revue “Vernalisation” un article qui dénonce les généticiens comme des saboteurs, des incapables ou des ennemis du prolétariat […] rampant à genoux devant les derniers propos réactionnaires de savants étrangers [..]”.

Ces accusations extravagantes ne peuvent être prises à la légère. Le congrès d’abord reporté en 1938 est ensuite annulé.

Lyssenko accède à tous les honneurs: président de la puissante Académie Lénine des Sciences agricoles à la place de Vavilov, membre de l’Académie des Sciences, directeur de l’institut de génétique, prix Staline et héros de l’URSS.

Vavilov est arrêté
Vavilov se mord les doigts, mais un peu tard, d’avoir soutenu Lyssenko. Se décidant à parler ouvertement, il déplore “que la biologie soviétique soit coupée de la science mondiale”. Paroles dangereuses! En août 1940, la police politique vient l’arrêter dans la campagne ukrainienne, au bord d’un champ de blé où il ramassait des spécimens végétaux. Il est jugé un an plus tard pour sabotage culturel, espionnage au profit de la Grande-Bretagne, maintien de liens avec des émigrés et appartenance à une organisation de droite. D’abord condamné à mort, sa peine est commuée en détention à perpétuité. Jeté au secret dans un cachot sans fenêtre, Vavilov mourra de privation et de chagrin en 1943.

Chaque fois, Lyssenko comble le vacuum en plaçant ses fidèles. Graduellement Lyssenko et sa clique obtiennent des titres et des diplômes, plusieurs postes de rédacteurs de journaux et de magazines et occupent un bon nombre de postes importants dans l’establishment scientifique. Mais il ne contrôle pas totalement la biologie. Dans les instituts de recherche et dans les facultés universitaires, on continue à enseigner la génétique classique. L’invasion de la Russie par l’Allemagne en juin 41 met en sourdine la querelle entre les lyssenkistes et les généticiens. Elle rebondit après la guerre.

La collectivisation forcée et la guerre ont plongé l’agriculture dans le marasme. Le Parti va l’enfoncer un peu plus. Sauf le petit jardin qu’il avait cultivé pendant quelques années lors de son exil en Sibérie, Staline n’avait aucune connaissance agricole et n’avait même jamais visité une ferme collective. Ses fonctionnaires en savaient encore moins.

Une gloire éphémère avec de graves conséquences
Le gouvernement est alors excédé par le comportement des paysans qui préfèrent de beaucoup cultiver leurs parcelles privées plutôt que de travailler sur les fermes collectives. C’est pourquoi, après la guerre le gouvernement impose des taxes élevés sur les produits agricoles des parcelles privées croyant naïvement que si les paysans ne trouvent plus profitables de cultiver leurs propres parcelles de terre, ils vont travailler plus dur sur les fermes collectives. Mais le seul résultat est que ceux qui le peuvent, les jeunes surtout, quittent l’agriculture. En conséquence, en deux ou trois ans, c’est la catastrophe.

En même temps, il devient évident pour les Russes que la biologie et particulièrement la génétique, s’est considérablement développée partout ailleurs dans le monde. La confiance des politiciens à l’égard de Lyssenko commence à s’émousser.

Déjà, en 1945, le généticien soviétique Jebrak avait publié, dans la revue américaine Science, avec l’autorisation de deux membres du Bureau politique, Vosnessenski et Chtcherbakov, un article qui avait critiqué – avec modération – les théories de Lyssenko.

Mais les fonctionnaires du Parti restent troublés par les réalisations de Lyssenko dans sa ferme modèle près de Moscou: particulièrement son troupeau de vaches grasses, ses arbres qui poussent dans une terre nue. Ils écoutent d’autant plus favorablement les nombreux plans qu’il a pour de futures récoltes record de blé, bettes et patates que Lyssenko ne se gênait pas pour dire que quiconque propose d’essayer des idées nouvelles venues de pays capitalistes est clairement un réactionnaire. En pleine guerre froide, ces accusations portent.

Malgré tout, en 1947, deux biologistes, Efroïmson et Lioubichtchev, transmettent au Comité Central du Parti le manuscrit de leurs travaux sur la nocivité du lyssenkisme. Cette attaque des biologistes cause des remous; mais le pire reste à venir. Le 10 avril 1948, Iouri Jdanov, fils d’André Jdanov, le tout puissant secrétaire du Comité central et responsable de la section “science” au Comité central, prononce une conférence devant les membres du Parti de la région de Moscou. Non seulement il souligne l’absence de résultats de Lyssenko mais il en démolit les thèses agricoles. Ce dernier, averti à l’avance, s’est installé en catimini dans une pièce voisine et a tout entendu.

Une promesse d’abondance
Désespéré, il écrit à Staline, se disant persécuté par les “weismanistes” et les néo-darwinistes”. Staline consent finalement à le recevoir. Lyssenko l’informe alors d’un miracle. Deux ans auparavant, le dictateur lui avait confié un paquet contenant des épis de blé “branchu” en lui demandant d’étudier cette variété qui ne produisait que des grains maigres et aléatoires. Lyssenko lui annonce que cette variété, grâce à lui, va permettre de quintupler la production de blé.

En mai, Staline convoque les membres du Comité central qui ont organisé la conférence de Iouri Jdanov, et les sermonne: “Qui donc a osé offenser un aussi brave homme?” répète-t-il à plusieurs reprises. Puis, il fait coopter 35 nouveaux membres, pour la plupart des lyssenkistes, à l’Académie des sciences naturelles. Dès lors, tout est joué.

Lyssenko appelle à une discussion publique tous ses opposants à l’occasion de la session d’août de l’Académie de Lénine des sciences agricoles. Ils ignorent que Lyssenko a une carte maîtresse dans son jeu et relèvent le défi. Lorsque les principaux généticiens de l’URSS se sont exprimés ouvertement et franchement, Lyssenko se lève et, avant de prononcer son discours sur “La situation de la biologie” il fait une déclaration préliminaire que Stephen Jay Gould qualifie de ´passage peut-être le plus terrifiant de toute la littérature scientifique du XXe siècleª. (1)

Lyssenko déclare en effet: “La question qui m’est posée dans une des notes qu’on m’a remises est la suivante: Quelle est l’attitude du Comité central du Parti à l’égard de mon rapport?” Je réponds: le Comité central du Parti a examiné mon rapport et l’a approuvé. “(Applaudissements nourris. Ovation. Tous se lèvent). Suivent dix pages de rhétorique et d’invectives, puis Lyssenko conclut: “Gloire au grand amis et héros de la science, notre chef et notre maître, le camarade Staline.” (Tous se lèvent. Applaudissements prolongés).

Lyssenko et ses partisans accèdent aux postes clé de la science et de la bureaucratie soviétique. C’est la fin des biologistes classiques, qualifiés, dans le style stalinien de ´mendélo-morgano-weismanistesª. En quelques mois, trois mille d’entre eux sont chassés, révoqués ou licenciés, certains sont emprisonnés ou déportés. L’enseignement est expurgé. Des instituts de recherche fermés. La génétique est pratiquement interdite dans le pays. Seuls quelques foyers de généticiens parviennent à survivre, mais clandestinement.

De 1948 à 1952, toutes les notions de la génétique classique sont rejetées: on élimine le mendélisme “théorie du moine” et la mutation, qui fait place au hasard; on nie l’existence du gène, la continuité des chromosomes; on écarte la conception monospermique et bourgeoise de la fécondation, pour affirmer que plus il entre de spermatozoïdes dans un oeuf, plus sera vigoureux le produit; on proclame la transmission des caractères acquis, on soutient que les conditions du milieu ´ébranlentª l’hérédité des organismes et font surgir de brusques variations en rapport avec le milieu externe.

Lyssenko peut désormais, en toute impunité, lancer la biologie dans la quête de la métamorphose mythique des espèces végétales et animales. Il se fait fort de transformer le blé en seigle, l’orge en avoine, les choux en raves etc.

Tout dépend des conditions dans lesquelles se développent ces plantes. Lyssenko assure que les plants de blé qui poussent dans un environnement approprié produiront des graines de seigle, ce qui est l’équivalent de dire que des chiens vivant dans la forêt donneront naissance à des renards. Selon les lyssenkistes, le communisme va triompher de la nature et les peuples soumis à Staline vont connaître un nouvel âge d’or, une “abondance illimitée”.

Dans un discours à la session solennelle du soviet de Moscou, le 6 novembre 1948, Molotov salue le triomphe d’une ´science véritable, basée sur les principes du matérialisme, contre les survivances réactionnaires et idéalistes dans le travail scientifiqueª. Qui ne pense pas comme les lyssenkistes n’est qu’un suppôt du capitalisme, un ennemi de la classe ouvrière.

Cette “science véritable” retourne même aux idées d’avant Pasteur; le bactériologiste Bochian, affirme la naissance spontanée des virus et des bactéries. Le délire devient une doctrine scientifique:

´Comment rendre le pis de nos vaches encore plus gros? On ne peut plus l’accroître en largeur. On pourrait penser à l’allonger, mais alors il arriverait très près de la terre […]. Allonger les pattes? [….] Cela serait nuisible pour les vaches. […] Le pis ne peut aller plus loin vers l’arrière, il ne nous reste qu’à l’étendre vers l’avant. C’est ce que nous allons faireª, affirmait sans ambages, en 1949, Chaoumian, l’un des disciples de Lyssenko.

À partir du moment où la doctrine de Lyssenko est reconnue en U.R.S.S. comme vérité d’État, les communistes de tous les pays du monde, adoptent comme articles de foi ses énormités scientifiques.

En France, le poète Aragon écrit en 48 dans la revue Europe: ´Jamais dans aucun pays, à aucun moment de l’histoire humaine, une discussion scientifique n’aura bénéficié d’une telle publicité, n’aura pu être suivie ainsi par des millions d’hommes et de femmes […] Pour la première fois, le travail d’un peuple entier est associé à la recherche scientifique.ª On peut toujours dire qu’Aragon n’y connaissait rien, qu’il n’était pas un scientifique. Mais Jeanne Lévy, professeur à la faculté de médecine de Paris déclare: ´Leurs thèses découlent des principes mêmes du matérialisme dialectique dans lequel nous voyons le guide le plus efficace de la pensée scientifique.ª Elle n’est pas seule à encenser Lyssenko.

Aucun biologiste communiste ne s’oppose à ces théories. Certains se taisent, d’autres croient sincèrement à Lyssenko et d’autres encore estiment de leur ´devoirª tactique d’assumer cette tromperie en faisant passer l’obédience intellectuelle avant le respect de la vérité scientifique.

En fait, les affirmations des lyssenkistes séduisent par leur audace même, qui contraste avec la prudence de la biologie orthodoxe. Pour les marxistes scientifiques, il était tentant de penser que la “science bourgeoise” refusait les grandes révélations de la “science prolétarienne” parce qu’elle est trop timorée et obnubilée par les préjugés de classe.

À l’automne 1948, Staline dévoile un plan ambitieux pour remettre l’agriculture sur pied et transformer la nature. Influencé par Lyssenko, Staline veut transplanter des cultures du sud vers le nord en “tranformant leur nature”, augmenter les récoltes de printemps au détriment des récoltes d’hiver et créer de larges ceintures forestières dans les régions du sud pour les protéger contre les vents secs de l’est.

On fait ainsi des tentatives ridicules pour faire pousser des oranges, des citrons, des olives et même des fèves de cacao pour lesquelles on construisit d’énormes serres. Les récoltes de printemps sont un échec et le vent va tout simplement renverser les ceintures d’arbres dans la steppe.

Avec son génie des relations publiques, Lyssenko fait oublier ces échecs et est comblé d’honneurs et de titres. En 1950, il est au sommet de sa gloire. On lui élève des statues et on compose des chansons en son honneur.

Le doute s’installe
Mais les chefs du Parti commencent enfin à réaliser que, malgré ses promesses il n’a rien réalisé d’extraordinaire. Lyssenko, responsable de l’amélioration de la productivité agricole, commence à manquer d’idées. L’astuce de ses techniques était que, généralement, elles ne coûtaient pas grand-chose, et ne provoquaient pas trop de dégâts. Ce qui n’est plus le cas.

Lorsque Khrouchtchev prend le pouvoir en 1956 Vavilov est réhabilité et l’opposition à Lyssenko est toléré. En 1956, il perd le contrôle de l’Académie des sciences agricoles. Mais il garde d’excellentes relations au Conseil des ministres et au Comité central du parti communiste. Pendant des années il s’agite pour améliorer ses relations avec Khrouchtchev, le flatte, lui offre son appui. Khrouchtchev recherche lui aussi le ´trucª miraculeux qui lui permettrait de sortir l’agriculture soviétique de l’impasse où Staline l’avait plongé. Lyssenko, un terrien comme lui, promet de doubler, tripler, voire même quintupler la production nationale. En 1957, Lyssenko est de retour en grâce et entre dans le cercle des intimes de Khrouchtchev.

Graduellement, le retard du pays en biologie devint trop évident. Finalement un petit groupe de scientifiques commence à glisser des articles sur la génétique dans des périodiques consacrées aux mathématiques, à la physique et à la chimie. Mais même en1962 alors que la presse mondiale fait état de la découverte de l’ADN, il est toujours interdit de publier quelque chose à ce sujet en URSS. Des scientifiques se risquent à demander ouvertement aux autorités: ´Pouvons-nous laisser les nations capitalistes prendre les devant sur nous?ª

Pour toute réponse, Khrouchtchev amène en juillet 62 le présidium du parti au complet visiter l’impressionnante ferme expérimentale de Lyssenko près de Moscou.

L’Académie des sciences est l’une des rares institutions semi-autonomes de l’Union soviétique: sous son autorité, octroyée par Pierre le Grand, elle détient un précieux privilège, le droit d’élire ses membres à bulletin secret. En juin 1964, la candidature du lyssenkiste N. N. Nuzhdin, est acceptée par la section biologie de l’Académie. Mais lors de l’assemblée générale, un jeune physicien, alors inconnu en Occident, Andreï Sakharov, proteste et conclue ainsi son discours: “Pour ma part, j’invite les personnes présentes à voter de sorte que les seules voix “pour” soient celles qui, avec Nuzhdin, avec Lyssenko, portent la responsabilité de cette abominable et douloureuse période de l’histoire de la science soviétique, qui heureusement touche à sa fin.” (Applaudissements.)

Même jouissant des garanties du vote à bulletin secret, quelques 22 membres de l’Académie des sciences votent pour Nuzhdin, et 126 contre. C’est le début de la fin. Quelques mois plus tard, Khrouchtchev est limogé. En février 1965, Lyssenko est démis de ses fonctions de directeur de l’Institut de génétique de l’Académie et se retire dans sa ferme. On enlève tranquillement ses statues. On arrête de chanter des hymnes à sa gloire.

Une commission enquête sur l’état de la recherche biologique dans le pays et visite la ferme expérimentale de Lyssenko. Son rapport est accablant: Lyssenko a donné des comptes rendus inexacts, il a truqué délibérément des données scientifiques. Quant à ses vaches remarquables pour leur quantité de matières grasses dans le lait, le comité apprend que Lyssenko les nourrissait avec de la mélasse, du chocolat et des biscuits cassés.

Durant des années, on put voir sa silhouette décharnée errer dans l’Académie des sciences, à Moscou. Il meurt oublié en 1976, à Kiev, laissant un fils qui proclame la validité des enseignements paternels.

(1) Gould, Stephen Jay “Quand les poules auront des dents” Paris, Fayard, 1984, 448 pages P. 144

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