Volker Ullrich
Collection NRF Essais, Gallimard, 2017, 1216 p.

12,000 biographies d’Hitler ont été publiées, dont la somme monumentale de Ian Kershaw. Pourtant, celle de Volker Ullrich, 1200 pages, vaut le détour. Il réalise une synthèse des travaux existants en profitant des nouvelles découvertes de ces quinze dernières années.

Critique (Revue Lectures)

Pourquoi une nouvelle biographie de Hitler, alors que les publications sur le nazisme (histoire politique, sociale, économique, culturelle, des idées, etc.) se multiplient? Alors que la centralité du génocide désormais dans l’étude du nazisme conduit depuis des décennies à écrire une histoire en termes de processus, de décisions, de mobilisation de toutes les administrations et institutions? Ian Kershaw, auteur de la dernière grande biographie de référence, défendait la seule approche socio-historique : «Le biographe doit se concentrer non pas sur la personnalité de Hitler, mais carrément et directement sur le caractère de son pouvoir.» Or toute histoire du nazisme, même renouvelée, reconduit toujours aux visions, théories et décisions de Hitler. Il y a une centralité du Führer à laquelle l’historien ne peut échapper, avec laquelle il doit se colleter.

Démagogue de premier ordre, comédien tout à fait doué qui préparait minutieusement ses prestations, pratiquant à merveille l’art de la dissimulation, qui lui permit constamment de tromper partisans comme adversaires sur ses intentions, doué d’une capacité d’appréhender et d’exploiter en un éclair les situations favorables, Hitler se montra bien supérieur à tous les concurrents de son propre parti, mais aussi à tous les hommes politiques œuvrant dans les partis bourgeois. Son style d’exercice de pouvoir, singulièrement improvisé et personnalisé, qui provoqua des conflits de compétence durables et une anarchie des services et des attributions, était une méthode, maniée avec raffinement, visant à rendre de fait inattaquable sa propre position de pouvoir. Mêlant de manière inhabituelle l’univers intime et l’univers politique, il se mit en scène comme un politicien qui avait renoncé à tous les plaisirs personnels pour se placer entièrement au service du «peuple et du Reich». Volker Ullrich reformule en termes nouveaux la question essentielle du pouvoir charismatique.