Un texte de Pierre-Mathieu Tremblay et Michel Laforge (Radio-Canada)

L’épée de Beardmore, découverte dans les années 1930. Photo : copyright rom 2017, brian boyle/Brian Boyle Brian Boyle MPA FPPO

Extraits sur les Vikings dans :  Petite histoire des Inuit, de leur arrivée en Amérique à aujourd’hui

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Vers l’an 900, l’Arctique commence à se réchauffer pour atteindre de 2 à 4 degrés Celsius supérieurs à aujourd’hui. Leur monde chavire; la banquise fond dès la fin du printemps et se reforme plus tard à l’automne. Les routes de migration changent encore. Les Dorsétiens sont des artistes nés; ils sculptent dans l’ivoire, la pierre à savon, des panaches de caribous, des humains, des animaux de l’Arctique, et de mystérieux êtres en mutation entre les deux. Mais, autour de l’an mil, les Dorsétiens commencent à sculpter de nouveaux visages : grands nez, sourcils épais, barbes fournies : ce sont leurs nouveaux voisins venus de l’est, les Vikings, et ils possèdent ce qu’il y a de plus précieux dans l’Arctique : du fer.

Les Vikings dans l’Arctique

Vers l’an 800, surgis des brumes du Nord, des barbares jusqu’alors inconnus, les Vikings, attaquent l’Europe. Très rapidement, ils contrôlent les fleuves russes, menacent la Méditerranée, occupent le nord de la France et fondent en 874 une colonie, loin à l’ouest : l’Islande.

Un siècle plus tard, Éric le Rouge, un faiseur de troubles têtu comme une mule, est condamné à l’exil pour homicide. Il part vers l’ouest, aborde, en 982, une île recouverte à 90% d’une couche de glace, un des endroits les moins verts sur terre. En bon promoteur, Éric l’appelle Groenland (terre verte) pour attirer d’autres colons.

En 986, 500 colons arrivent au Groenland. Ils s’établissent le long des fjords du sud qui bénéficient d’un climat de l’Atlantique Nord radouci permettant la culture de céréales, l’élevage de bovins, de moutons, de chèvres, etc.

Mais ils ne peuvent pas survivre sans les produits européens, et les marchands norvégiens ne sont pas intéressés par la laine des moutons ou des chèvres; par contre, il sont prêts à payer un bon prix pour certains produits exotiques introuvables ailleurs : la défense des narvals utilisée par les pharmaciens pour ses prétendues qualités médicinales et qui sont à l’origine du mythe de la licorne; les faucons blancs pour les nobles; les ours polaires pour les zoos privés des rois et, surtout, les défenses en ivoire des morses.

Depuis des siècles, les Arabes occupent le nord de l’Afrique et l’ivoire des éléphants est inaccessible. Or, autour de l’an 1000, il y a une explosion d’oeuvres d’art en ivoire dans toute l’Europe. L’ivoire provient du Groenland; les Vikings trouvent de gros troupeaux de morses sur la côte ouest du Groenland, et c’est probablement la raison pour laquelle ils y fondent une deuxième colonie, là où s’élève aujourd’hui Nuuk, la capitale du Groenland.

Les Vikings s’établissent quelques années au nord de Terre-Neuve, visitent l’île de Baffin et la côte du Labrador et rencontrent les Dorsétiens, avec qui ils échangent du fer contre des défenses de morse.

Mais le réchauffement de l’Arctique amène un autre voisin, plus menaçant pour les Dorsétiens. Il vient de l’autre extrémité de l’Arctique, de l’Alaska.

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Les colons vikings du Groenland ont créé à quelques centaines de kilomètres de l’Amérique du Nord le Far West florissant de l’Europe. Quelque 2 500 Vikings habitent 200 fermes à l’est du Groenland et une centaine à l’ouest autour de Nuuk. On y trouve une vingtaine d’églises, un monastère d’Augustins, un couvent de Bénédictines et un évêque qui, depuis 1210, réside dans sa cathédrale de pierre à Gardar (Igaliko) et correspond régulièrement avec le pape.

Dans les deux colonies vikings, les températures plus froides amènent de mauvaises récoltes, sabotent l’élevage des moutons et des vaches laitières. La viande de boeuf devient un aliment de luxe. Les Vikings s’adaptent; on sait maintenant que 80 % de leur nourriture vient de la mer, poissons, phoques.

En 1348, la Mort noire, la peste bubonique, ravage l’Europe, tuant le tiers de la population. Si elle ne touche pas les colonies du Groenland, elle fauche la moitié de la population de la Norvège, leur cordon ombilical avec l’Europe. Le marché de l’ivoire de morse s’effondre, miné par la peste et les défenses d’éléphants de meilleure qualité qui parviennent en Europe. Les Vikings n’ont plus rien à vendre.

Vers 1360, calmement, après avoir soigneusement fermé les portes de leurs maisons, ils abandonnent la colonie autour de Nuuk pour le sud du Groenland. Les navires norvégiens venaient autrefois chaque été; maintenant des années passent sans aucun navire.

Un document officiel rapporte que le 16 septembre 1408, Sigrid Bjornsdottir et Thorstein Olafsson ont célébré leur mariage à l’église de Hvalsey. Puis plus rien.

Mais des historiens ont trouvé en Islande la trace du couple marié. En 1424, pour des raisons qu’on ignore, Sigrid et Thorstein ont fourni des lettres et des témoins prouvant qu’ils se sont mariés au Groenland. Faisaient-ils partie du filet continu des Vikings qui ont émigré en Islande, fuyant la misère causée par le climat ou les Inuit?

Dans les années 1540, des marins islandais sont détournés par la tempête dans les fjords du Groenland. Ils trouvent un homme, mort là où il est tombé, habillé avec un capuchon, des vêtements en laine et en peaux de phoque. Près de lui, son couteau de fer « déformé, très usé et érodé. »