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Sophie Durocher (Le Journal de Montréal)

Le bilan que fait Lucien Francoeur après 30 ans d’enseignement au cégep est plutôt terrifiant. Le rockeur et poète de 62 ans enseigne la littérature au Collège de Rosemont depuis 1981. Trois décennies plus tard, Lucien Francoeur, encore passionné par son métier, tire la sonnette d’alarme.

Avant, on demandait un travail de session de 12 pages. Maintenant, une analyse littéraire, c’est 750 mots. Trois paragraphes, trois idées principales (oublie les idées secondaires)… Le tiers de la classe me donne ça exactement, un tiers me le donne à moitié et un tiers me le donne pas du tout.

(…)

Dans une classe, tu as un tiers assez fort, un tiers qui se débrouille, et un tiers qui n’a pas sa place. Ce n’est pas de l’analphabétisme, mais c’est pas loin. De l’illettrisme, oui, parce qu’ils n’ont aucune culture.

Au ministère de l’Éducation, ils sont déconnectés. Ils disent toujours : «on va faire une nouvelle grammaire, on va changer la terminologie, on va faire des nouveaux manuels, on va changer le bulletin». C’est toujours la façade qui est abordée.
(…)

L’éducation au Québec, c’est un bordel parce que notre ministère de l’Éducation est trop gros. C’est le plus gros au monde et il faut qu’ils justifient leur job.

Si tu voyais ce que le Ministère nous suggère comme manuels ! C’est fait par des pédagogues qui n’ont pas mis les pieds dans une école depuis 20 ans, qui vivent dans une bulle. Il y a 240 pages d’explications, avec des trucs tellement pointus… C’est comme s’ils vivaient en milieu fermé et qu’ils tripaient entre eux, pour s’impressionner les uns les autres.

Et les réformes ?

Qu’est-ce qu’il fout le maudit Ministère à nous envoyer des «réformes du champ lexical» ? Lâche-moi avec ton «champ lexical», on n’est pas sur la même planète !!! Je ne suis pas rendu là, j’en suis à leur apprendre comment fonctionne un dictionnaire !

DU NIVELLEMENT PAR LE BAS

«On dit que c’est élitiste, de séparer les élèves… C’est bien dommage, mais l’héritage de la contre-culture, de la Révolution tranquille, qui a fait qu’on met tout le monde dans la même classe, c’est un échec.

Celui d’en bas ne monte pas. Et c’est celui d’en haut qui finit par manquer ce à quoi il aurait droit. Ça ne peut plus fonctionner. Et ce n’est pas méprisant de dire qu’il y a un tiers de mes élèves qui ne maîtrisent pas la base du français écrit et qui ne devraient pas être dans un cours de littérature. S’ils ne comprennent pas «recto verso» ou «nom masculin», comment peuvent-ils comprendre «la nature et la religion dans Attala de Chateaubriand» ? La marche est trop haute !»