La Suède et le Québec qu’elle nous inspire – La confiance au service de l’innovation
Dominic Champagne, Geneviève Dorval-Douville, Miriam Fahmy, Pascale Navarro et Paul St-Pierre-Plamondon – Les auteurs reviennent d’une mission d’exploration du modèle suédois.
Premier d’une série de troix textes
Extraits
« Notre premier constat, qui tranche radicalement avec la situation québécoise, est le suivant : les Suédois misent sur la confiance. Confiance envers les institutions publiques, les entreprises privées, les gouvernements et leurs concitoyens. Par exemple, en Suède, les contrats ne comportent pas un nombre incalculable de clauses en petits caractères, mais se scellent plutôt sur une poignée de main, après entente écrite ou verbale sur les points importants. Une approche bien différente de ce qui prévaut en Amérique du Nord.
Cette confiance a son pendant : les Suédois ne tolèrent aucunement la corruption. Toute tricherie est systématiquement et sévèrement punie. Là-bas, lorsqu’une personne ou une organisation triche, détourne, abuse d’une situation, on ne rétorque pas en disant que c’est « normal », au sens de « tout le monde le fait ». Au contraire, si quelqu’un rompt le contrat social, il sera sanctionné, et durement.
Mona Sahlin, aspirante à la fonction présidentielle, en a fait l’expérience douloureuse lorsqu’elle a dû retirer sa candidature à la suite de l’« affaire Toblerone », où il a été révélé qu’elle avait utilisé sa carte bancaire professionnelle pour des petits achats privés, dont une tablette de chocolat. Les Suédois ont compris qu’en sanctionnant toute forme de corruption, ils contribuaient à la prospérité sociale et économique de leur nation.
Cette confiance s’appuie également sur un levier de taille : la grande transparence qui règne dans les affaires publiques. Par exemple, si un citoyen demande à avoir accès à un document des finances publiques, il n’a pas besoin de s’identifier ni de dire pourquoi il désire cet accès. Le document doit être fourni dans un délai raisonnable. »
La compétitivité pour mieux servir la solidarité ( 2 ième partie)
Extraits:
Remettre en question des monopoles
De plus, la Suède ne craint pas la concurrence du privé et remet en question les monopoles étatiques. C’est ainsi que la Suède a introduit le privé dans le secteur de l’hydroélectricité tout en laissant la plus grande part de marché à sa société d’État. De plus, le système de transport collectif de Stockholm a été entièrement privatisé.
Dans le domaine de la santé, la Suède a introduit des mécanismes de concurrence entre les hôpitaux publics et expérimente présentement diverses manières d’introduire le privé en santé, lequel est financé par l’État. Ils ont également introduit un ticket modérateur depuis plusieurs années.
Le raisonnement sous-jacent à ces mesures est que l’intervention de l’État dans l’économie performe mieux lorsqu’elle est en concurrence avec le privé que lorsqu’elle prend la forme d’un monopole étatique. Cela ne signifie pas pour autant d’éliminer complètement le rôle de l’État ou de tout déréglementer, au contraire.
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Miser sur le savoir
Par ailleurs, les études universitaires sont gratuites, car vues comme un investissement dans la croissance et la prospérité futures. L’État investit également massivement en recherche et développement, davantage qu’au Québec. En basant l’accès à l’université sur la méritocratie plutôt que sur les revenus, les Suédois souhaitent aussi faire profiter à leur économie des meilleurs talents en les formant à la hauteur de leurs capacités.
L’égalité homme-femme, appuyée par des mesures de conciliation travail-famille poussées et nombreuses, procède de la même logique : faire profiter la société de l’ensemble de ses talents en permettant aux parents de rester sur le marché du travail.
Un autre exemple, peut-être le plus frappant, de la combinaison gagnante entre compétitivité, prospérité et égalité est celui du marché du travail. À la suite d’un consensus entre syndicats regroupés, employeurs regroupés et gouvernement, survenu en 1938, les salaires sur le marché du travail font l’objet d’ententes par secteur, dûment négociées périodiquement. Plus tard, ces ententes sont devenues l’occasion pour l’État suédois d’imposer des salaires très élevés, dans le but avoué d’éliminer les secteurs économiques à faible valeur ajoutée, qui ne peuvent être concurrentiels vis-à-vis l’Asie et l’Europe de l’Est.
Plutôt que de subventionner les secteurs dont la viabilité est compromise par la globalisation, une telle purge a permis à la Suède de forcer l’innovation dans les secteurs économiques à haute valeur ajoutée fondés sur le savoir. Alors que les employés y voyaient un avantage indéniable vu l’obtention de salaires intéressants, les employeurs y voyaient une façon d’éliminer les concurrents qui ne tiraient leur compétitivité que de mauvaises conditions de travail, tout en favorisant une paix sociale avec leurs employés. »
La gouvernance par le savoir ( 3 ième partie)
Extraits
« En Suède, il est interdit à un membre du cabinet d’interférer dans le fonctionnement des agences ou dans la publication de leurs résultats de recherche. Leurs dirigeants sont choisis selon leur réputation dans les cercles universitaires. Les nominations partisanes sont très mal vues, et donc inexistantes. Les résultats des recherches sont le plus souvent repris par les gouvernements, même s’ils ne « cadrent » pas avec l’idéologie au pouvoir, car leur valeur est tenue pour acquise.
Il faut dire que ces processus sont fondés sur le respect des Suédois pour le savoir. Jamais un citoyen ne serait raillé pour son haut niveau de connaissances ou sa grande culture générale, chose que l’on voit malheureusement trop souvent au Québec. En Suède, la valeur du savoir informe la vie économique, politique et sociale, qui s’appuie sur des données statistiques détaillées et nombreuses, les travaux de spécialistes, de professeurs et chercheurs pour documenter les dossiers et les valider. Toute cette connaissance circule grâce à des mécanismes organisés par l’État entre les universités, les agences, les ministères, les entreprises, les associations et le grand public.
(…)
L’intelligence du citoyen
La Suède compte l’un des taux d’analphabétisme les plus bas au monde. Ses citoyens sont en mesure de comprendre les enjeux de société et les solutions proposées. Au Québec, 49 % des adultes âgés de 16 à 65 ans ont des difficultés de lecture. Parmi ceux-ci, 800 000 adultes sont analphabètes. Comment partager une vision commune lorsque tous ne peuvent suivre le débat ?
Fondées sur le savoir et la pondération, la consultation et le dialogue, les décisions en Suède sont prises avec sérénité et confiance, bien loin du déchirement de chemise qui caractérise la prise de décisions au Québec depuis quelque temps.
L’un des effets les plus bénéfiques d’une prise de décisions basée sur l’étude approfondie des savoirs, c’est qu’elle suscite la confiance et l’adhésion et, plus encore, qu’elle permet de partager une vision. Cette vision s’acquiert par une compréhension commune des problèmes économiques, sociaux et budgétaires. Lorsque l’on peut s’entendre, par-delà les lignes partisanes, sur les défis à relever, on a fait la moitié du chemin.
Il y a en Suède un grand respect de l’intelligence du citoyen, dont on entretient méthodiquement la conscientisation au sujet des enjeux sociaux, et que l’on consulte systématiquement lors de consultations publiques, celles étant des outils de concertation, et non pas d’acceptabilité sociale ni des soupapes à récriminations. »