Le blogue de Mathieu Bock-Côté
La France en crise? Entretien avec le politologue Marc Crapez
MC : En France, la gauche est toujours prête à renier ses promesses sociales, mais elle ne lâche jamais sur le terrain sociétal. Elle est prête à faire pleurer les ouvriers, mais pas à mécontenter les intellectuels. Une fois au pouvoir, la gauche française « n’inquiète pas les intérêts », constatait déjà le politologue André Siegfried il y a 60 ans. En revanche, elle s’emploie à satisfaire la mystique des intellectuels de gauche en frappant compulsivement la vieille société, ses mœurs et ses traditions. L’escroquerie fondatrice de la gauche est qu’on ne peut pas à la fois augmenter les libertés publiques et réduire les inégalités sociales. On ne peut pas améliorer les conditions de vie du plus grand nombre si l’on cultive un clientélisme en faveur des fonctionnaires et des associations subventionnées. La gauche est donc condamnée à décevoir les espérances de justice que suscite sa démagogie électoraliste. Faute de pouvoir améliorer les conditions de vie concrètes, elle s’emploie à modifier les manières de penser.
MBC : Je l’évoquais dans ma première question : la rupture entre les élites et le peuple. Elle est partout visible dans les sociétés contemporaines. Quelles sont les lignes de fracture les plus visibles entre les premières et le second? Et qu’est-ce qui sépare les élites du peuple? Le rapport au territoire? À la mondialisation? À la nation? Aux mœurs? Et cette fracture est-elle politiquement réparable? Ou est-elle condamnée à s’élargir, à se radicaliser?
MC : Que de bonnes questions ! Et tu apportes des éléments de réponse en écrivant que les élites, ayant constaté que les peuples « se portaient à la défense de la civilisation occidentale contre les groupes militants qui s’attaquaient à elle », s’emploient à les court-circuiter « en invitant chaque groupe identitaire ou social à traduire ses revendications en droits fondamentaux qu’il faudrait soustraire à l’emprise de la souveraineté populaire ». Dès lors, les gouvernements n’ont plus de « vision claire du bien commun » et ne comprennent plus que « consulter n’est pas gouverner ».