Une vie au cégep (an 2) #2 – Un petit rush de temps en temps ?
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J’ai averti tout mon entourage cette semaine : ne me dérangez pas trop, c’est ma semaine de rush.
Au cégep, il est bien connu qu’il y a toujours au moins une semaine dans la session durant laquelle on a à peine le temps de survivre : pas le temps de dormir, sortir, se prendre une soirée, cuisiner (pour ceux qui n‘habitent pas chez leurs parents), ou au moins bien manger : « il y a juste trop de travail ». On appelle ça « la fin de la session » : il faut remettre un énorme travail final qui vaut pour le tiers de la note à la fin de la session, dans tous les cours, le tout dans une période restreinte de deux ou trois semaines.
Ainsi, j’avais trois travaux à remettre cette semaine : un le mardi, un le jeudi, et un le lundi suivant. Trois cours sur quatre, c’est quand même un gros morceau. D’où mon adrénaline.
Le vendredi, je me prépare. Je m’installe à la bibliothèque, et m’attaque à celui d’économie. Consciencieux, je vérifie les consignes. Elles tiennent en deux ou trois lignes, au beau milieu du plan de cours. Vous vous souvenez du gros oral ? Eh bien, maintenant il fallait en remettre la « version écrite ». Traduction : on déchiffre nos pages Wikipédia pour qu’elles sonnent authentiques. Mais moi, je n’avais aucune note. Mon texte tenait dans les légendes des images du Powerpoint. Et comme chacune des personnes dans l’équipe devait écrire la partie de l’oral dont elle s’était occupée, je n’avais que 5 pages de Powerpoint à retranscrire (ou plutôt copier-coller) dans un document Word. Le prof ne s’en souviendrait pas, il n’en avait demandé aucune copie.
Ça me prend une vingtaine de minutes. Je suis un peu décontenancé, car j’avais prévu passer au moins deux ou trois heures à la bibliothèque, pour bien me concentrer et m’absorber dans mes travaux. Avoir su, je serais resté chez moi.
Je ne sais plus quoi faire de ma peau. Puis, ah ! Je me souviens ! Quelle belle occasion de prendre de l’avance ! Je dois remettre le verbatim d’une entrevue que ma coéquipière avait faite pour moi dans le cours de Méthodologie en Sciences humaines.. Celles que j’avais faites avant ne duraient pas plus de cinq minutes; les retranscrire m’en prenait dix. J’ouvre l’enregistrement.
Il dure deux minutes. J’avais passé un temps ridicule à procrastiner, car je m’attendais à un travail un peu pénible, et un peu long. Et c’est un travail de cinq minutes.
Un peu déçu, je retranscris. Puis, j’envoie le tout à mes équipes : mon verbatim, et mon travail d’économie. Pour ce dernier, on me répond : « Tu sais, ça a été reporté à la semaine d’après. Et l’examen aussi. » Je n’étais pas venu au cours, alors je ne l’avais pas entendu. Eh bien, tant mieux.
Finalement, j’ai pris vraiment beaucoup d’avance. Je peux me permettre de profiter de ma fin de semaine. (Quand même, je lis L’Écume des jours de Boris Vian, que j’avais certes déjà lu il y a quelques années, mais qui est le sujet d’un test en littérature).
Le lundi et son cours de littérature arrive. Ça paraît que la fin de la session approche, les professeurs ont moins de matière dans leurs cours. J’écoute des vidéos, je fais de l’écriture automatique et je me pratique à faire le plan d’une analyse littéraire. À la fin du cours, je veux tout de même être certain. Je demande au professeur : « Le travail final est dû pour quelle date ? » « Pour la semaine 14. » « Ça, c’est la semaine prochaine ? » « Ouais. » C’est ça que je pensais.
Deux gars en face de moi se retournent brutalement et me demandent en panique : « Quoi ? C’est dû pour lundi prochain ?? » « On dirait, oui. » « Non !! Pour vrai ?? C’est pas la semaine d’après ?? Attends, je vais demander au prof. Monsieur ! C’est pas le lundi prochain, hein, qu’il faut remettre le travail ? » « Non, parce que vous vous êtes le dernier groupe de ma semaine, alors la semaine prochaine est la 13 pour vous. » « Ah, alors c’est dans deux lundis ? » « Oui oui, dans deux lundis. »
…
Je pourrai me permettre de prendre ma semaine aussi, j’imagine.
Mais non, parce qu’il reste le cours de méthodologie. J’aurai peut-être une petite semaine de rush après tout. Là aussi, je vérifie les consignes. Cette fois, c’est un document détaillé de quatre pages. Moi et mes quatre autres coéquipiers, on s’était divisé le travail. Il me restait donc à faire l’introduction ; le verbatim, je l’avais déjà envoyé. Dans celle-ci, il faut inclure la conclusion de la grosse recherche conduite tout au long de la session. Mais pour cela, il faut analyser les résultats de nos questionnaires, et ce n’était pas dans mes tâches. Je devais donc attendre le travail du gars le plus fiable de l’équipe, qui a l’air d’être né avec un ordinateur au bout des doigts. On est déjà mardi, travail dû pour jeudi, mais je lui fais confiance.
Mercredi soir, il commence le travail. C’est plus compliqué que prévu, il s’excuse. Peut-être qu’on devra continuer demain matin, mais ça va être correct, le cours est au milieu de l’après-midi. J’écris mon introduction, en m’arrangeant pour laisser un trou parfait où je placerai la conclusion de l’analyse lorsque je la connaîtrai.
Puis, j’ai un doute. Vers 23h, je vérifie ma boîte de courriels du cégep. Surprise surprise, un mot du professeur. « Des rencontres récentes avec quelques étudiants du cours me poussent à reporter la remise du travail de session. Il était prévu remettre le travail demain le 27 novembre. Cette échéance est reportée d’une semaine. » « Cela étant », il donnera les consignes des autres travaux finaux. Alors le cours proprement dit « sera bref ».
C’est mon seul cours de la journée. Calcul rapide : 1h00-1h20 de transport en commun, pour une estimation de 30 minutes de cours. Je suis épuisé rien qu’à penser à cette perte de temps.
J’écris au professeur, en lui expliquant poliment l’aberration, et lui demande s’il comptait mettre les consignes sur Internet. Il répond avec un plaisir cynique (et en parlant de lui à la troisième personne) qu’il n’en fera rien. « “La loi est dure, mais c’est la loi…” disaient les Anciens (Dura lex sed lex, c’est du latin…) »
Je saute sur Facebook, et je dis au gars-ordi qui fait la plus grosse partie du travail : « On fait un deal. Tu vas au cours, tu me rapportes toutes les consignes, et en échange je termine l’analyse des données. » « Oh ça va me prendre 2h20 de transport… Mais ok, nice ! Je vais en profiter pour aller magasiner. » Tout le monde est content.
Ma semaine est terminée. Et je peux prendre une deuxième fin de semaine bien à moi.