Une vie au cégep #28 – Je ne me suis jamais senti aussi ignoré, et c’était un Spartiate
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Il y a des gens sympathiques dans la vie. Il y en d’autres que tu as seulement envie de taper. Le problème, quand cette personne est un Spartiate, c’est que si tu essaies de le frapper, c’est toi qui va avoir mal.
Les Spartiates sont les élèves qui font partie du programme études-sport de mon cégep. Ils doivent être inscrits aux cours réguliers à temps plein (suivre 4 cours, ou 180 heures par session), et répondre aux mêmes exigences que les étudiants « réguliers ». Cependant, ils doivent également « se maintenir en excellente condition physique et avoir un mode de vie conforme à celui d’un athlète ».
Après avoir rencontré un anarchiste, plusieurs drogués, un professeur endormant et j’en passe, il ne me manquait plus qu’un sportif pour me combler. Je ne suis pas vraiment un athlète : j’ai rencontré mon Spartiate par hasard.
J’étais assis tranquillement au café étudiant, en lisant un pamphlet sur le langage des signes qui trainait sur la table. Le cégep offre des formations en LSQ. C’était assez fascinant.
Puis, une petite voix aiguë. « Hey, salut !! On peut-tu s’asseoir avec toi ?! »
C’est une fille qui est dans plusieurs de mes cours. Elle a l’air gentille et je n’avais pas encore eu l’occasion de lui parler, alors, tout content, je dis « bien sûr ! » Je range ma lecture, je lui fais de la place, je fais un gros sourire…
Et je vois à côté d’elle une baraque aux cheveux longs. Lui, ne sourit pas. Je ne réussis pas à croiser son regard. Il s’assoit, sort son lunch, replace sa queue de cheval, et commence à parler. De quoi ? De sport. Comment il mange, les joies du football, à quel point son entraînement le comble à tous les niveaux, etc. La fille ne le quitte pas des yeux, l’encourage à continuer, lui pose des questions. Je la trouve courageuse et un peu naïve, parce que visiblement le gars ne parle pas à elle. Il parle tout seul.
Moi, j’aurais pu faire une crise d’asthme, ils ne s’en seraient probablement même pas rendus compte. Je dois me confronter à la réalité : j’ai été envahi dans mon dîner par deux égocentriques qui n’ont fait qu’utiliser les chaises libres à côté de moi. Je prends alors les grands moyens. Alors que le baraqué monologue à propos d’une équipe sportive de grade supérieur qu’il pourrait rejoindre à condition de s’entraîner encore plus, je m’immisce dans la conversation.
« Et combien de temps t’entraînes-tu par semaine ? »
Il se tourne pour la première fois vers moi, l’air ahuri.
« Euh… qu’est-ce que tu veux dire ? Combien de temps je m’entraînais… avant ? Ou si mettons je suis dans la nouvelle équipe ? »
« Ouais, les deux. Combien de temps tu faisais avant, combien de temps tu feras plus tard ? »
Il se sent alors obligé de me répondre. Ça prend un certain temps. Quel hypocrite je fais. Vengeance.
Quand il finit sa réponse, je mets ma veste et je pars. La fille, qui a peut-être réalisé que je venais de passer un mauvais moment, me lance un petit mot gentil. « Elle est cool ta veste ! »
Merci, c’est trop gentil.
Il faudrait peut-être que je commence à m’entraîner et que je devienne égocentrique. Je pourrais alors à mon tour réussir à monopoliser l’attention des filles.