Le silence assourdissant des musulmans
François Bugingo
D’autorité, la charmante dame m’a arrêté au coin de la rue à la sortie de la radio où je tiens une chronique quotidienne. J’ai d’abord cru que c’était une touriste égarée. Mais j’ai ensuite compris qu’elle avait plutôt une confidence à me faire.
Légèrement embarrassée: “Vous savez Monsieur, je vous entends tous les jours relativiser la menace islamiste en Occident. Je veux bien vous croire. Je ne suis pas raciste ni islamophobe. Mais il y a quelque chose en particulier qui me gêne: dites-moi donc, si la majorité des musulmans est à considérer comme modérée, pourquoi ne condamne-t-elle pas à haute voix tous les crimes commis au nom de leur religion?”
Que des fois je n’ai entendu cette remarque construite en fait sur plusieurs erreurs de connaissance et de perception.
Car il faut le dire et le redire: oui, des musulmans sont chaque jour nombreux à dénoncer les radicaux et les terroristes. L’a-t-on oublié: beaucoup beaucoup plus que l’Occident, les premières victimes des intégristes sont des musulmans eux-mêmes. Du Pakistan à l’Irak en passant par la Tunisie, l’Égypte, le Yémen, la Syrie et tous les autres pays où la barbarie quotidienne s’exprime, l’abomination est d’abord fratricide. Pas surprenant donc que les musulmans sortent pour crier leur indignation, vomir ces drames récurrents, hurler leur rage.
Mais comment se fait-il qu’on entende si peu ces expressions de rejet?
Hé bien, chère madame, pour commencer parce que nos médias se donnent peu la peine de les écouter. Les micros seront plus prompts à être tendus vers un obscur imam radical qu’un penseur éclairé condamnant un bain de sang. Ben Laden n’avait plus besoin d’attaché de presse pour faire diffuser chacune de ses élucubrations alors que des auteurs musulmans peinent à faire publier leurs livres dans nos pays. Dans nos journaux, télés et radios, des chroniqueurs vocifèrent à longueur de journées s’appuyant sur des incidents isolés ou des études inexistantes. Plus ils donnent dans l’outrance, plus ils ont de la visibilité et plus d’autres tribunes leur seront proposées. Le spectacle est assuré, les tirages de journaux s’envolent, les cotes d’écoute explosent. À force de les entendre ou de les lire, ils finissent par acquérir autorité d’experts incontestables.
La grande erreur des penseurs et citoyens musulmans, surtout en Occident, est de considérer cette bataille des idées et de la vérité d’avance perdue pour eux. Ils n’osent même plus lever le doigt, laissant la place à tous les autres, incluant des ignares assumés qui pensent cacher leur imbécilité derrière leur grossièreté adolescente (j’en connais deux ou trois qui réagissent souvent sur ce blogue et qui ne vont pas manquer de le refaire en me lisant). Plus envie d’aucun effort pédagogique, juste des soupirs fatalistes et dépités quand ils constatent le portrait qui se fait de leur communauté. Des soupirs à peine audibles. Des soupirs qui laissent toute la place aux clichés et préjugés de tous ceux qui justifieront leurs convictions avec l’adage “qui ne dit mot, consent”.