Deux mères, deux regards
– Par Naïma Hassert
Deux femmes brillantes, de la même ville, ont décidé de publier à seulement quelques années d’intervalle un ouvrage sur le même thème : la maternité. Deux ouvrages qui recensent avec humour des témoignages, des anecdotes, des impressions, des réflexions de nouvelles mamans. Mais attention : à ne pas prendre avec légèreté. Je l’ai bien dit, les auteures sont brillantes…
Lorsque Vanessa Quintal, jeune maman encore sous le charme de son premier bébé, s’est fait commander un ouvrage sur le congé de maternité, à publier dans la série « J’ai une amie » de l’édition Flammarion, son fils avait déjà presque deux ans. Elle se souvenait très bien de sa première année, et pouvait la raconter avec recul, sans le filtre de la fatigue extrême et des hormones en montagnes russes. Ravie, elle a voulu concocter un petit livre qui fait du bien. Mission accomplie : avec son talent et les illustrations adorables d’Isabelle Malenfant, elle réussit brillamment à dédramatiser les désillusions, les déceptions et les frustrations de cette année, qui est rarement aussi idyllique que dans nos rêves.
Pour ce faire, Vanessa Quintal accompagne ses lectrices du premier sourire de bébé jusqu’à son départ en garderie. Avec elle, tout vire tout au comique : les contorsions routinières et épuisante des parents méga-pressés deviennent des disciplines olympiques illustrées par des bonshommes allumettes ; les humeurs extrêmes de toute la famille sont reproduites par un graphique coloré et sympathique ; chaque objet qui se retrouve dans l’énorme sac de sortie de bébé est dessiné, et on admire l’esprit de prévision de la mère qui les a choisis. Même les coups durs, qui mettent à terre le rêve de bonheur extatique et complet des mamans en devenir, deviennent sous sa plume de simples moments à passer. La féminité qui prend le bord, le manque de temps pour soi, la libido déclinante, la compétition entre mères, les conseils dont on pourrait bien se passer, les humiliations passagères mais cuisantes que toutes doivent subir… On apprend que toutes ces épreuves sont normales, belles même, car elles viennent avec un rôle formidable.
C’est ainsi qu’elle rend « humains » les comportements bizarres d’une mère, leurs émotions mélangées, leurs folies parfois. Ce livre leur lance un message, à retenir : non, vous n’êtes pas seules à vous arracher les cheveux devant la plétore de conseils contradictoires qu’on vous lance de tous bords tous côtés : non, vous n’êtes pas seules à vous sentir seules. Et oui, les étapes que vous suivez sont normales.
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La couverture est épurée. Le titre est long comme le bras, et ose mettre côte-à-côte les mots « maternité » et « féminisme ». L’essai a l’air aride, et ça fait peur. Mais on se calme dès les premières phrases.
Dès le prologue, Fanny Britt détruit l’idée qu’elle se prend au sérieux. Il n’y a d’aride que son titre. L’image au crayon d’un gâteau qui sourit nous accueille dans le premier chapitre. Sa langue est fluide, ses dialogues sont criants de réalisme, et son humour est délicieux. Limpide, drôle… ce ton perdurera jusqu’à la fin.
Étonnant qu’elle ait réussit à rendre amusant son texte qui, lui, met tout sauf de la joie au cœur. Son but n’est pas de rassurer qui que ce soit. Elle aborde les aspects les plus sombres de la maternité, ceux dont on ne parle que très rarement, pour ne pas dire jamais, dans les médias. Ces médias, dans lesquels elle ne s’est jamais reconnue, qui ne véhiculent que des images caricaturées auxquelles aucune mère ne peut sérieusement se reconnaître. Elle-même confrontée à ce problème déchirant, elle décide donc d’explorer l’ambiguïté de la maternité, ce qu’il y a entre les extrêmes, entre les clichés : les « tranchées » de la maternité.
Impossible de toujours aimer son enfant. Des fois on plane, mais souvent, on sombre. Cette obscurité, elle veut la révéler. Elle reprend, par exemple, un dialogue entre deux femmes autour d’un verre d’alcool, deux femmes qui n’ont pas d’enfants et qui ne sont pas sûres d’en vouloir. Elle relate le cas d’écrivaines qui ont tellement été bouleversées par leur maternité qu’elles se sont suicidées. Elle retranscrit les confessions de mères usées à la corde qui réalisent qu’elles sont « perpétuellement en tabarnak ».
Mais Fanny Britt n’est pas contradictoire. Elle s’est dite ambiguë, elle l’est. À travers ces épisodes qui donnent légèrement la nausée, elle prend parfois une pause « graphique », un peu comme Vanessa. Fini la rédaction : elle dresse une petite liste toute simple, qui simplifie tout, qui catégorise, qui fait sourire, et puis elle repart. Mais malgré ces bouffées d’air, la différence est là : alors que faire des gâteaux, pour Vanessa, c’est mignon, pour Fanny, c’est une névrose, une manie qui recèle un formidable mal de vivre.
Vers la fin, on est carrément mélancolique. Nous voilà averties. Si on veut tenter l’aventure… c’est à nos risques et périls.