Une vie au cégep #17 – Être un bon prof, c’est compliqué
Je m’attendais à pouvoir entendre une mouche voler en rentrant en classe. Le premier cours m’avait impressionné. Le professeur avait un accent français, il monologuait de manière impeccable, avait un plan de cours (ce qui est, je dirais, plutôt rare ici), et parlait juste assez doucement pour qu’on soit forcé de se taire pour le comprendre. Ça promettait pour le reste de la session.
Tout un choc.
Je rentre, et c’est une marée. Il y avait des manteaux partout par terre. Le nombre de personnes avait doublé depuis la première fois, et je remarque la quantité de casquettes : il y en avait beaucoup. J’avais oublié leur existence, à elles. Normalement, elles se font un peu plus rares en hiver. Sauf, apparemment, pour un certain type de clientèle, qui semble former une partie importante de la classe de ce cours de sciences humaines.
Tous ces gens que je n’avais pas vus la première fois, ce sont ceux qui ont décidé de rester chez eux au cours d’introduction. Ce sont ceux qui ont compris que ce premier cours est d’une importance négligeable au sens pratique, et qui préfèrent ne pas se déplacer jusqu’à l’école. C’est d’ailleurs compréhensible. Mais certains élèves, l’autre moitié de la classe, avait décidé d’y assister, parce qu’ils ont un peu plus de respect pour l’école.
Tension.
Ce n’est donc pas une seule mouche que j’entendais, c’était une nuée. J’étais épaté par ce bruit de fond qui ne s’arrêtait jamais, malgré le professionnalisme indéniable du professeur. Tout le côté droit de la classe vibrait, impossible de se concentrer, et le professeur qui continuait son discours en essayant de faire comme si de rien n’était. De temps en temps, il s’arrêtait de parler, se raclait la gorge, et continuait.
Une fille sage qui était du mauvais côté de la classe, se lève, excédée, soupire bruyamment et va s’installer à l’avant, du côté gauche. C’est à peine si on la regarde. Je sens en moi monter une pointe d’agressivité.
Finalement, le professeur se décide. Il se tourne vers les mouches, et sourit. « Ça bouge ici, hein ? » Petits rires. « Vous avez deux options : ou vous vous calmez, ou vous prenez vos cliques et vos claques et vous sortez. Il n’y en a que deux, vous choisissez. »
Quelques petits rires encore, tout le côté droit de la classe a soudainement le nez sur leurs feuilles de notes et jouent aux sérieux. Mais évidemment, ça ne durera pas. Très vite, le bruit de fond revient.
Là, c’est le dénouement : un Arabe costaud au fond de la classe lance : « Hey, on veut écouter là, vous pouvez pas vous taire ?? »
Et c’est la fin. On n’entend plus personne jusqu’à la fin du cours. Comme quoi ici, s’il y a quelqu’un qui mène, ce n’est pas le professeur.
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