Les Métis sont des «Indiens», tranche la cour
par Stéphane Marin, La Presse Canadienne (Ottawa)
Cette décision a un impact énorme, car elle vient augmenter considérablement le nombre de personnes qui seront sous l’égide d’Ottawa.
Photo DAVID VINCENT, AP
La Cour d’appel fédérale a confirmé que les Métis sont des «Indiens» en vertu de la Constitution canadienne, mais pas les Indiens non inscrits.
Elle a ainsi infirmé en partie la décision de la Cour fédérale, qui avait tranché en janvier 2013 que les Indiens non inscrits avaient le même statut que les autres.
La conséquence de cette décision unanime rendue jeudi est que le gouvernement fédéral a ainsi juridiction sur les Métis.
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Le Kiosque a publié quelques pages sur les Métis dans
Le Printemps indien
L’Ouest
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Jusqu’en 1869, l’Ouest demeure sous l’autorité paternelle de la Compagnie de la baie d’Hudson. Le commerce de la fourrure y est très prospère, occupant Ecossais, Canadiens français, Indiens et Métis. Alors qu’aux États- Unis la conquête de l’Ouest, à la même époque, se fait dans la guerre et le sang, il se développe ici un nouveau peuple issu des Indiens et des Blancs: les Métis. Fondées sur le commerce et les liens familiaux, les relations sont bonnes entre les groupes, ou plutôt elles sont avantageuses.
Au milieu du XIXe siècle, 8 000 Métis vivent à l’est des Rocheuses, dont 5 000 dans la colonie de la Rivière Rouge. Car à partir du moment où la traite des fourrures, qui diminue, ne peut les engager tous, ils sont de plus en plus nombreux à s’installer sur des terres et à les cultiver. En plus de jouer un rôle économique, ils commencent à représenter une force politique. Dans cette colonie «privée», il y a bien un gouverneur qui représente la Compagnie; mais il ne peut donner force de loi à un projet qu’avec le consentement unanime du Conseil où siègent des Métis des deux langues, des Canadiens français et anglais — et des membres du clergé. C’est ainsi que, malgré les hauts cris de la Compagnie, les Métis peuvent troquer la fourrure avec la ville américaine de Saint-Paul, dans le Minnesota.
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Dès 1867, le gouvernement canadien envoie à Londres G.E. Cartier et W. McDougall, ministre de la voirie, pour y négocier l’achat des terrains concédés à la Compagnie de la baie d’Hudson, 300 ans auparavant. L’intention d’Ottawa est de s’annexer tous les territoires administrés par un poste de la Baie. La Baie ergote un brin, puis cède gracieusement pour un million et demi de dollars et quelques privilèges, l’ensemble de son territoire. Il n’est cependant pas question de donner à ce nouveau territoire le statut de province, et encore moins de consulter les habitants, Métis et Indiens.
McDougall est nommé gouverneur et, par les États-Unis, seule route possible, les arpenteurs débarquent à la Rivière Rouge. Alors que les Métis divisent leurs terres comme au Québec (en bandes profondes le long d’un cours d’eau qu’on se partage), les arpenteurs divisent la terre en lots carrés, réservent les meilleurs pour eux-mêmes et leurs amis et ne se gênent pas pour dire aux Métis qu’ils devront céder la place aux Ontariens qui s’en viennent.
En 1867, les Métis sont plus de dix mille; ils ont conscience de former un peuple indépendant et ne se sentent aucun maître. Leur langue commune est le cri, le français ou l’anglais n’étant que des langues secondes. (….)
Lorsque les arpenteurs du fédéral arrivent chez André Nault, celui-ci appelle à l’aide son cousin Louis Riel. Eduqué dans des écoles du Québec, Riel est de bonne ascendance: son père a été le chef de l’opposition aux lois de la Compagnie interdisant aux Métis de commercer avec les Américains. Sa mère, née de la première Blanche venue s’installer dans l’Ouest, est québécoise. Devant l’arrogance des fonctionnaires d’Ottawa, qui ne leur reconnaissent aucun droit sur les terres où ils sont établis depuis des années, les Métis, qui se considèrent ici comme dans leur pays, confient à Riel la tâche d’exposer leur position à Ottawa avant que le gouvernement ne prenne officiellement possession de ses nouveaux territoires. Quand, en 1869, la Baie cesse d’administrer sa colonie, Riel forme un gouvernement provisoire où sont représentés les Métis français et anglais, bien que ces derniers soient moins ardents à se défendre. Pour empêcher l’arrivée de McDougall, qui est entouré de son futur gouvernement — tous des Ontariens — les Métis érigent une simple barricade sur la route et préviennent le Canadien de ne pas pénétrer sur leur territoire sans l’autorisation du gouvernement provisoire. Meurtri, rongeant son frein, McDougall doit retraverser la frontière américaine. Ottawa hésite, commence à redouter les Métis, à prendre leur véritable mesure. Quelques militaires anglais préviennent le Premier ministre que les Métis, grâce à la magnifique organisation de leurs expéditions dans la Prairie, à leur inégalable faculté de se suffire à eux-mêmes et à leur connaissance parfaite du pays, seraient des ennemis très redoutables.
En novembre, pendant que le gouvernement tergiverse, les Métis occupent sans effusion de sang Fort Gary, centre géographique et stratégique de la colonie. Après de longues discussions, ils produisent la Déclaration du Peuple des Territoires de Rupert et du Nord-Ouest. Le comité provisoire, reconnu comme seul gouvernement légitime et effectif de la colonie, est chargé « d’entamer avec le gouvernement canadien les négociations qui pourraient se révéler favorables à la bonne administration et à la prospérité de ce peuple.» A Ottawa, on n’est pas très heureux de la tournure des événements. MacDonald est choqué de voir ces « Métis impulsifs» lui tenir tête ; en même temps il commence à comprendre que pour gagner, il lui faudra négocier: « … il faut leur tenir la dragée haute jusqu’au moment où ils seront submergés par l’afflux des colons.» A la fin de décembre, Donald Smith, agent de la Compagnie de la baie d’Hudson, arrive en « messager de paix», bien qu’il n’ait aucun mandat officiel de négocier. Il inspire confiance et on l’écoute. Les Métis anglophones et francophones se rassemblent dans une même cause.
Au début de 1870, 1 000 délégués réunis à Fort Gary élaborent leurs demandes vis-à-vis du gouvernement canadien : une législature élue pour contrôler leurs propres affaires ; le droit d’élire des députés au fédéral ; la reconnaissance du français et de l’anglais comme langues officielles ; des écoles, des églises. Pour assurer la protection de leurs terres, ils réclament finalement la confirmation des « coutumes, privilèges et usages existants». En somme, les Métis ont espoir de fonder dans l’Ouest une province dont le gouvernement serait basé sur leur mode de vie.
C’est à ce moment que se produit un incident qui sera lourd de conséquences: les Ontariens établis à la Rivière Rouge n’admettent évidemment pas le gouvernement métis. À la suite d’une agression — ou d’une tentative de meurtre, ce n’est pas clair — sur la personne de Louis Riel, leur leader est condamné à mort par un jury métis et fusillé le 4 mars 1870. L’Ontario ne pardonnera jamais à Riel la mort de ce dénommé Scott. En temps ordinaire, la bonne société orangiste n’aurait jamais accepté de recevoir dans ses salons cet Irlandais protestant et grossier; mais les circonstances en firent un martyr du progrès dont le seul nom soulevait les passions.
Les négociations des Métis et du gouvernement aboutissent finalement à l’adoption, le 15 juillet 1870, du Manitoba Act qui satisfait presque toutes les demandes. Riel est heureux, mais sa victoire est bien éphémère: le nouveau gouverneur arrive, accompagné de 1 200 soldats qui doivent protéger la colonie contre les Indiens.., et dont plusieurs rêvent de venger Scott. Riel doit s’enfuir vers les Etats-Unis; en dépit du fait que le fédéral avait promis son pardon aux rebelles, l’Ontario refuse le sien à Riel. Il l’obtiendra finalement en 1875, mais à la condition de prolonger son exil de 5 autres années. Absent, il est élu trois fois à Ottawa, mais ne pouvant y siéger, il est impuissant devant les violations successives des dispositions du Manitoba Act et devant le harcèlement des Métis par les Ontariens, qui s’installent dans son pays en nombre sans cesse croissant. Ceci augure bien mal des rapports de la nouvelle province avec le Canada.
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En éliminant les Métis de la Loi des Indiens, le gouver nement ignore un groupe important à l’époque, et qui n’a cessé de croître depuis, en partie grâce aux spécifications de la loi. Aucune protection, pas de statut spécial, pas de compensation pour les Métis qui, n’étant pas Indiens, n’ont pas de droits ancestraux, et n’étant pas Blancs, s’assimilent peu ou mal à la majorité.
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La rébellion
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Après 1870, beaucoup de Métis sont allés s’installer plus à l’ouest. Mais là encore, ils sont considérés comme de simples squatters sur les terres de la couronne; ils commencent à s’inquiéter devant l’éventualité de perdre de nouveau tout ce qu’ils possèdent. A leurs pétitions, Ottawa a répondu qu’on étudie la question et, comme quinze ans auparavant, on finit par leur envoyer des arpenteurs. En 1884, Gabriel Dumont, accompagné de quatre cavaliers, se rend au Montana pour demander à Riel de revenir aider son peuple.
Les demandes sont identiques à celles de 1869-1870; les méthodes de résistance aussi. Riel fonde un gouvernement provisoire et occupe Batoche. Mais la situation a changé: il ne résiste plus à une autorité plus ou moins légale, comme c’était le cas pendant la transaction des territoires de la Compagnie de la baie d’Hudson; il s’oppose au gouvernement du pays. C’est une rébellion; elle se généralise car, cette fois, les Métis sont appuyés par quelques nations indiennes, les autres leur accordant une certaine sympathie. A Duck Lake, les troupes mettent en déroute un détachement de la Police Montée, appelée pour rétablir l’ordre. Les colons apeurés doivent se réfugier à Prince-Albert. Réveil brutal à Ottawa: on veut, on exige une intervention immédiate. Du jour au lendemain, les rations alimentaires affluent dans les réserves qui ne sont pas révoltées. Les missionnaires tentent de neutraliser des chefs indiens prestigieux comme Crowfoot, le plus influent des Pieds-Noirs. Acheminés en moins de dix jours par un chemin de fer désireux de prouver au Canada son efficacité, des milliers de soldats accompagnés de volontaires se préparent à écraser la rébellion : 8 000 soldats sont mobilisés contre quelques centaines d’indiens affamés, de Métis mal armés, sans aucune artillerie lourde. Batoche est capturée, Louis Riel fait prisonnier et Poundmaker obligé de se rendre. Seul Big Bear demeure insaisissable; ce n’est que des mois plus tard qu’il se rendra calmement.
Riel est pendu, huit Indiens sont condamnés à mort et les deux chefs, Poundmaker et Big Bear, à la prison, d’où ils sortiront deux ans plus tard. Dans l’Ouest, le gouvernement élimine toute possibilité de résistance: on confisque les chevaux et les armes, on restreint les déplacements des Indiens à l’extérieur des réserves et on les soumet de force aux règlements du nouveau département des Affaires indiennes. Quant aux Métis, ils se dispersent dans les forêts du nord de la Saskatchewan, dans la vallée du Mackenzie et un peu partout autour des réserves indiennes. A l’Ouest, les Indiens et les Métis ne sont plus à craindre. Au chemin de fer, le gouvernement reconnaissant accorde 25 millions de dollars et 25 millions d’acres des meilleures terres du Nord-Ouest.