Il y a 75 ans
Fin août 1939, quelques jours avant le début de la Deuxième Guerre mondiale, le monde apprend avec stupéfaction la signature, à Moscou, d’un pacte germano-soviétique de «non-agression».
Portrait croisé des deux dictateurs les plus sanguinaires du XXe siècle. L’un pense en termes de races, l’autre en termes de classes. Ils ont en commun leur antisémitisme et Staline a lu Mein Kampf. Tous deux sont animés par une forme de paranoïa. Chacun pratique une politique d’annexion territoriale et rêve d’imposer son idéologie… Ullrich Kasten met en parallèle les trajectoires des deux dictateurs – qui ne se sont jamais rencontrés. Il décrit notamment la terrible partie de poker menteur à laquelle ils se sont livrés au moment du pacte germano-soviétique. “Je sais que l’histoire se souviendra de Staline, mais elle se souviendra aussi de moi”, déclarait Hitler. Lorsque l’Allemagne nazie envahit l’URSS, le 22 juin 1941, Staline est médusé. Il tarde à réagir, donne des ordres contradictoires. Pendant ce temps, les troupes allemandes, aguerries par plusieurs guerres éclair, triomphent. Le Führer se voit déjà à Moscou, qu’il dit vouloir raser et remplacer par un immense lac artificiel. Il s’étonne que
Staline reste enfermé dans son bureau, alors que lui passe son temps à se faire ovationner par son peuple et ses troupes. Puis, ayant échoué à prendre Moscou et Leningrad, il jure de détruire Stalingrad, “sanctuaire du communisme”. Cette terrible bataille marquera le tournant de la guerre.
Hitler et Staline La diagonale de la haine documentaire entier en français (1.28.53)
Réactions au Québec
Extrait de Petite histoire des camarades québécois
Le 24 août 1939, la radio de Moscou annonce que Staline a signé un pacte de non-agression avec Hitler. Ce pacte entre le seul pays communiste au monde et l’Allemagne nazie a l’effet d’une bombe dans les partis communistes du monde entier. Les Juifs communistes sont profondément secoués en voyant dans les journaux la photo de Staline serrant la main de Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du IIIe Reich. Les agences de presse rapportent que pour clore la cérémonie, Staline a porté un toast à Hitler : «Je sais combien la nation allemande aime son Führer; en conséquence, je voudrais boire à sa santé.»
Beaucoup de communistes raisonnent que Staline n’avait pas le choix, que les démocraties ne voulaient pas de son alliance. De toutes façons, ce pacte de non-agression n’ empêchera pas le Parti de se battre contre Hitler.
Quinze jours plus tard, le 1er septembre, Hitler envahit la Pologne. L’Angleterre, la France, le Canada déclarent la guerre. Les communistes dont plusieurs anciens MacPap se précipitent dans les bureaux de recrutement. Tim Buck, sécrétaire du Parti communiste au Canada déclare à Delhi (Ontario) lors du pique-nique annuel hongrois: «C’est notre guerre.» Le 18 septembre, il demande aux membres du Parti de supporter à fond la guerre contre Hitler. Mauvais timing.
Deux jours plus tard, Staline déclare que cette guerre n’a pas pour but d’écraser les fascistes, mais de protéger les marchés des impérialistes français et britanniques. Il ordonne aux Partis communistes de dénoncer la guerre, d’expliquer aux masses qu’elle ne leur procurera que souffrances et ruines, de démasquer son caractère impérialiste et de voter contre les crédits de guerre.
Tim Buck et les dirigeants du Parti s’écrasent et changent de stratégie, de cause, de vocabulaire. La croisade antifasciste de la veille devient une «entreprise des fauteurs de guerre». Ils dénoncent la participation du Canada à la guerre «impérialiste» des Britanniques et des Français. Les militants communistes, troublés mais disciplinés, suivent.
Pendant quatre ans, ils se sont bâtis une identité canadienne qu’ils viennent de jeter à l’eau. Ils confirment tous les soupçons que, au fond, on ne peut se fier à eux et que même s’ils disent aimer beaucoup le Canada, leur première allégeance va à l’URSS. C’est un désastre pour leur crédibilité.
Alors que la Pologne se défend contre les armées allemandes, Staline l’attaque soudainement dans le dos. Le Parti reste silencieux. Si le Parti se félicite bruyamment de la défaite de Duplessis aux élections, il observe un grand silence quand, en novembre, de concert avec Hitler, Staline dépèce la Pologne, annexant une bonne partie de ses provinces de l’Est. La collaboration entre Hitler et Staline ne s’arrête pas là. La communiste allemande Margarete Buber-Neumann, qui a connu et le goulag et le camp de concentration nazi, a raconté dans Déportée en Sibérie comment la police politique russe a remis à la Gestapo les communistes allemands qui s’étaient réfugiés en URSS. Pour couronner le tout, Staline envahit la petite Finlande.
Lors des élections de mars 1940, le Parti adopte le slogan «Withdraw Canada from the War».
Le candidat communiste Évariste Dubé dénonce ses adversaires qui «s’unissent pour appuyer cette guerre profitarde, criminelle, impérialiste (…) Seul de tous les partis, le Parti communiste se dresse contre la participation de notre pays à la boucherie européenne.»
Les communistes obtiennent à peine 2,13% du vote. Ils essaient alors de se faire de nouveaux amis. N’ayant pas beaucoup de choix, ils se tournent vers ceux qu’ils ont toujours dénoncés, les nationalistes canadiens-français avec qui ils ont un point commun, un seul, le refus de la conscription obligatoire.
Ottawa n’a pas bougé pendant la «drôle de guerre». En mai, Hitler attaque à l’Ouest. Le 6 juin 1940, alors que la France livre ses derniers combats contre les Allemands, Ottawa interdit le Parti communiste et envoie la GRC à ses trousses. Tim Buck, Joe Salsberg, Leslie Morris se réfugient chez les camarades américains.
Depuis des années, les communistes du Québec jouaient au chat et à la souris avec les gros bras illettrés de la police provinciale. La GRC est autrement plus efficace: elle arrête rapidement une centaine de membres du Parti dont Fred Rose et Pat Sullivan et, sans procès, les envoie dans les camps d’internement de Kananaskis en Alberta et de Petawawa en Ontario. On ne peut pas dire que ça braille dans les chaumières canadiennes.
Un an plus tard, à l’aube du 21 juin 1941, un million d’ Allemands envahit l’URSS. Quelques années plus tôt, pendant les purges, Staline a fait exécuter le haut commandement de l’Armée rouge dont le maréchal Mikhaïl Toukhatchevski et l’essentiel des officiers. L’armée soviétique n’est pas en mesure de résister à Hitler.
Leur patrie idéologique en danger, nouveau retournement des partis communistes. Tim Buck déclare que c’est maintenant une guerre pour sauver la civilisation et exige que le gouvernement mobilise tous les hommes et toutes les ressources du pays. Il recommande aux travailleurs d’éviter la grève pour ne pas nuire à l’effort de guerre.
«Ils essayaient de nous convaincre de ne pas revendiquer d’augmentation de salaire parce qu’il fallait ouvrir un deuxième front pour aider la Russie, raconte le chef syndical québécois Louis Laberge. Ils étaient contre les grèves qui nuisaient à l’effort de guerre. J’étais scandalisé. Ils étaient plus communistes que syndicalistes. Je leur disais: vous vous occupez davantage de votre maudite Russie que de vos membres à Canadair! (…) Mais la mystique communiste, la ligne de Moscou, le parti unique, le totalitarisme, Staline, c’est une autre paire de manches. On a vu d’ailleurs ce que ça a donné…» (Louis Laberge: Le syndicalisme c’est ma viede Louis Fournier, Québec/Amérique, 1992.)
Le Parti demande évidemment la conscription. On ne saurait mieux frapper les Canadiens français de front. Le Parti n’en a cure, les nationalistes canadiens-français sont redevenus fascistes. En 1942, Fred Rose publie même La cinquième colonne d’Hitler dans Québec.