Aujourd’hui, je me suis enfin fait remarquer. Je suis arrivé en retard.

Le temps s’est comme arrêté. Trente têtes se sont tournées vers moi, le professeur m’a salué avec un sourire, j’ai reçu des regards complices tout au long de mon chemin vers le bureau libre. Toute la classe savait maintenant mon nom, et devait se dire que ma vie était trépidante pour arriver si tard à un cours. Bref, j’avais un statut.

Mais j’ai un compétiteur. Lui, il est arrivé fatigué. En plus, il fume beaucoup de pot et il a toujours les yeux rouges. Difficile à battre comme situation sociale. Il se plaignait l’autre jour : « C’est mon troisième espresso, c’est le troisième cours de la journée, j’ai bu hier, j’ai presque pas dormi… » Les gens qui l’écoutaient étaient béats d’admiration. Ils doivent encore être à l’âge de se faire carter dans les bars, et n’avaient pas encore le luxe de pouvoir se défoncer un soir de semaine. Mais moi, j’avais un statut. Alors je me suis retourné vers lui, et j’ai ri avec un air complice.

Après le cours, il est venu me voir. Les cools se rassemblent. Il s’est plaint du travail de fin de session.

« Hey, ça va être chiant à écrire, un texte de 1000 mots… » Et moi je lui répond candidement : « Ben tsé, ce n’est pas très long 1000 mots, c’est à peine quatre pages. »

Problème de communication. Mais il continue : « Ça va sûrement me prendre cinq ou six heures. » Et moi : « Hey, bravo ! C’est vraiment pas long, six heures pour un texte de fin de session ! »

Il ne devait vraiment rien comprendre : je disais deux choses contradictoires. Je disais à la fois qu’il était nul parce qu’il trouvait ça long un texte de 1000 mots, et qu’il était bon de le faire en si peu de temps.

On s’est séparés dans l’escalier deux minutes plus tard. « Tu sors au troisième ? » « Euh, ouais… par la sortie. » « Moi, je sors au cinquième. »

Deuxième bogue de cerveau.

« Bon ben salut ! »

Je pensais que c’était la fin de notre tentative d’amitié, que je l’avais déçu et qu’on n’allait plus se reparler. Erreur. On se fait même des poignées de mains secrètes maintenant.

Qui aurait cru qu’arriver en retard en cours me mènerait si loin ?

Pour les autres chroniques : http://kiosquemedias.wordpress.com/category/une-vie-au-cegep/