Ce n’est pas l’apocalypse, évidemment, mais nous sommes face à un changement de civilisation, à une mutation radicale de la culture humaniste.

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Alessandro Baricco – Photo : Wikimedia Commonsnde

Jacques Godbout, L’actualité

Les déshérités ou l’urgence de transmettre

(..) C’est bien ce qui désespère un enseignant français, François-Xavier Bellamy, homme de tradition qui voit pour sa part la jeunesse en déshérence. On nous confie la transmission d’un patrimoine, dit-il, mais on exige « de laisser l’enfant libre, vierge de toute trace d’autorité, délivré d’une culture antérieure à son individualité ». Éduquer à la tolérance, au respect, à la citoyenneté est une mission devenue impossible, écrit-il, non pas à cause des progrès techniques, mais parce que des philosophes, par leur critique radicale de l’éducation, ont préparé le chemin de la barbarie.

Trois philosophes coupables

Le premier voleur d’âme, dit Bellamy, a été René Descartes, mathématicien, physicien, ingénieur et soldat qui, au sortir de ses études chez les Jésuites, nourri aux lettres, déclarait se sentir néanmoins ignorant. C’est pourquoi il choisissait d’aller voyager « dans le grand livre du monde », persuadé qu’avec sa seule raison raisonnante il saurait débusquer la vérité. En décriant l’autorité du maître, l’auteur du Discours de la méthode mettait en valeur le doute. Peut-être Descartes était-il lui-même un mutant, à l’époque ?

Deuxième coupable d’avoir dédaigné l’héritage culturel, Jean-Jacques Rousseau, orphelin et autodidacte, qui souhaitait que l’enfant demeure le plus longtemps possible un bon sauvage, naïf, pur, naturel. Si Descartes proposait que chacun s’éduque par lui-même, l’école alternative en somme, Rous­seau allait plus loin encore, prêchant les vertus de l’ignorance et le mépris des livres.

Le troisième larron responsable de la déliquescence culturelle, écrit Bellamy, n’est nul autre que son contemporain, l’inventeur des « sciences de l’éducation », Pierre Bourdieu. Puisant ses arguments dans la lutte des classes, le marxiste français aurait tout gâché par son prêche, dénonçant indifféremment le capital matériel et symbolique, les hiérarchies, les systèmes de sélection, la langue de l’enseignement et la violence « carcérale » de l’institution scolaire. (..)