Une recension du journaliste Gilles Parent
LA LIBERTÉ DE PRESSE, LA LIBERTÉ DE TOUS
Claude Robillard, Québec Amérique, 2016, 233 pages
La liberté d’expression, privilège de toute démocratie qui se respecte, est un avantage chéri notamment par tous ceux qui en ont été privés sous d’autres cieux. Or la liberté de presse est une des manifestations les plus tangibles de la liberté d’expression. Secrétaire général de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) de 1989 à 2014, Claude Robillard examine dans ce livre comment se porte la liberté de presse au Québec. L’auteur précise qu’au classement mondial de la liberté de presse, sur 180 pays, le Canada occupe la 8è place. Quand on sait que seulement un citoyen sur sept vit dans un pays où la liberté de presse existe, il y a de quoi se réjouir. Mais pas si vite ! Il faut aussi voir la tendance. D’une part, globalement, la liberté de presse décline, elle est à son plus bas niveau depuis 10 ans. D’autre part, même chez nous, des accrocs à la libre expression via les médias sont fréquents.
Dommage de voir se détériorer cet acquis, d’autant plus que, comme le souligne l’auteur dans la première partie de son bouquin, l’acceptation de la liberté de presse est le fruit d’un long processus. Il faut attendre 200 ans après Gutenberg pour voir les imprimaturs tomber les uns après les autres. En 1766, les Suédois sont les premiers à interdire toute limitation au droit de publication. Français, Américains, et Britanniques ont emboîté le pas. Le Québec profite d’ailleurs de la tradition britannique à cet égard. Et si la loi du cadenas de Duplessis vient obscurcir le paysage à la fin des années trente, la liberté de presse y a évolué comme ailleurs. Les chartes des droits québécoises et canadiennes en confirment la portée à partir de 1975.
Les lois qui balisent la liberté de presse donnent lieu à un processus juridique parfois complexe. L’auteur prend soin de délimiter les contours de ces balises et d’en souligner les avancées, les reculs, les contradictions et les bizarreries. Par exemple, alors qu’en France un auteur peut être mise à l’amende pour avoir sciemment publié un texte comportant des faussetés, ici, la Cour suprême protège le droit de publier un tel texte. Par contre, son auteur pourrait bien être rattrapé par la loi criminelle si, à partir de son texte, des intentions de faire de la propagande haineuse sont évidentes.
Protection de sources, diffamation, perquisitions policières dans les locaux des médias, protection de la vie privée, interdiction de présence dans les lieux publics, autant de sujets sur lesquels les juges se sont penchés, autant de sujets abordés par l’auteur.
L’attentat de Charlie Hebdo, le sort du blogueur Raïf Badawi, ne sont que deux exemples qui illustrent les défis plus actuels de l’application de la liberté de presse. Dans le premier cas, l’auteur jette notamment un coup d’œil aux limites à la liberté de presse imposées par les autorités et acceptées par la population suite à un acte terroriste majeur. Il s’agit ici essentiellement de censure gouvernementale. Dans le deuxième cas, la prolifération des informations véhiculées sur le web l’incite à comparer les médias conventionnels aux blogues et autres sites d’information plus marginaux. L’auteur souligne alors comment la frontière devient plus floue entre citoyens et médias, entre producteurs et consommateurs d’information.
Comment la liberté de presse se vit sur le terrain ? Dans la deuxième partie de son ouvrage, Claude Robillard nous présente une série d’exemples concrets. Comme ce juge qui erre au point de considérer comme des victimes les personnes dénoncées dans le cadre d’émissions comme Enquête, la Facture ou JE. Ou encore ce ministre qui fait expulser un journaliste d’une assemblée publique. Durant les manif étudiantes de 2012, tandis que certains journalistes étaient intimidés et brutalisés par des étudiants, d’autres l’étaient par des policiers. Cette section présente aussi des exemples de poursuites baillons, de maires qui boycottent un média régional tandis qu’un autre fait des pressions pour empêcher la diffusion d’un reportage.
En deux mots, sauf pour certains lecteurs plus curieux que la moyenne, La liberté de presse, la liberté de tous n’est pas un ouvrage grand public. Mais il s’agit d’un outil incontournable pour tout professionnel du domaine et notamment pour les étudiants en journalisme.
Un peu aride par moment, assez technique, l’ouvrage de Robillard examine tous les tenants et aboutissants de la liberté de presse, sans nécessairement nous entraîner dans un parcours précis qui culminerait sur une conclusion tranchée, sinon qu’il est important de veiller au grain si on veut la conserver intacte. Car, si la liberté de presse est appréciée d’emblée, si elle est essentielle au fonctionnement des médias, ceux qu’elle dérange ne voient pas les choses du même œil.
Ces derniers marqueront-ils des points au cours des prochaines années ? La lecture de La liberté de presse, la liberté de tous permettra d’être mieux sensibilisé aux atteintes possibles et de mieux savoir à quoi s’en tenir.