Un article du Canard enchaîné.

Les Statues de la discorde par Jacqueline Lalouette

Quelle épidémie! La vague de destructions des statues de racistes et d’esclavagistes qui, aux États-Unis, a suivi l’assassinat de George Floyd par un flic a déferlé sur le monde. Dans les départements français des Amériques, bronzes et marbres ont été, à leur tour, déboulonnés, notamment l’effigie de Joséphine de Beauharnais, accusée d’avoir obtenu de Bonaparte le rétablissement de l’esclavage. Bizarrement, les statues du père de la seconde abolition, Victor Schoelcher, érigées à la Guadeloupe et à la Martinique, ont également roulé dans la poussière au nom d’une nouvelle “vérité” historique : Schoelcher n’aurait été qu’un vulgaire récupérateur. Une plaque d’une rue Victor-Hugo a été arrachée à la Martinique. Son crime: avoir prononcé, au cours d’un banquet, un hommage au chantre de l’abolition.

L’historienne Jacqueline Lalouette, qui en a établi une recension impressionnante, ne cache pas son malaise devant ces actes de radicalisation. Certes, en France et même en Europe, les statues des personnages honnis n’ont pas bougé de leur piédestal. Elles ont seulement été maculées de peinture rouge. Mais certains attentats à la bombe de Ripolin relèvent d’un maculage assez infantile. Un exemple au hasard : Colbert. Et d’une, celui-ci n’a ni écrit ni même signé le Code noir, motif de sa punition. Et de deux, de nombreux historiens, tel Marcel Dorigny, jugent que, dans le climat de l’époque, le Code noir représentait plutôt une avancée : “La loi, c’est-à-dire le roi, s’interpose entre l’esclave et le maître, limitant le pouvoir arbitraire de ce dernier.”

Autre sujet de controverse : les colonialistes. Pour un Bugeaud, qui tira sa gloire de massacres abominables, d’autres méritèrent le bronze pour des actes exceptionnels, comme Faidherbe, qui sauva Lille de l’occupation prussienne, et Gallieni, pour ses taxis de la Marne. Faut-il les déboulonner ou graver sur leur piédestal des exploits jusqu’à présent inavoués? Jacqueline Lalouette laisse, prudemment, la réponse au philosophe Frantz Fanon : “N’ai-je donc sur cette terre qu’à venger les Noirs du XVIIe siècle?”

Une statue pour Fanon!

Alain Guédé