Le Québec imaginaire
Une chronique de Mathieu Boch-Côté
«Nous nous rassemblons parce que nous croyons qu’il est possible de nous développer selon un modèle qui soit une source d’enrichissement réel, de progrès et de fierté. Et une source d’inspiration pour le monde entier». (Printemps érable)
« (…) cet idéalisme qui fait rêver est symptomatique d’une faiblesse québécoise. Il s’agit d’une forme de messianisme compensatoire. Il fonctionne à partir de la loi suivante: plus le Québec est faible politiquement, plus il se prend pour un modèle destiné à éclairer l’humanité. Son existence politique carencée, il la compense dans un moralisme vertueux destiné à la terre entière.
Ce réflexe politique n’est pas nouveau. Après les rébellions de 1837-1838, une frange du nationalisme canadien-français se laissera emporter par le messianisme ultramontain. Il fallait évangéliser l’Amérique. Le Québec, privé d’existence politique, s’imaginait peuple élu de l’Église universelle. C’est dans l’identification au catholicisme qu’il croyait trouver la confirmation de sa légitimité.
Dans un Québec postmoderne marqué par la crise du souverainisme, ce messianisme compensatoire prend de nouveaux habits. Il était catholique, il est devenu progressiste. Mais il correspond à une dépolitisation en profondeur du peuple québécois. Il y a peut-être là une tentation de transformer une faiblesse en force. Mais ce judo idéologique ne convainc pas vraiment.
La pauvreté relative du Québec est présentée comme une avancée dans le registre de la décroissance. Notre inexistence politique et militaire sur le plan international nous transforme d’un coup en promoteurs du pacifisme humanitaire. Ou encore, notre incapacité à intégrer les immigrants est présentée comme une expression de notre plus grande ouverture à la diversité.
De la même manière, on se réjouit du moindre succès québécois à l’étranger (comme si chaque Québécois pouvait s’en enorgueillir), mais on oublie que nous n’avons pas de politique étrangère. Et on se veut le meilleur élève de l’école de Kyoto comme si du respect du protocole au Québec dépendait le sort de l’humanité. Et ainsi de suite.
Pourtant, une nation forte ne confond pas nécessairement le moralisme vertueux avec la défense de ses intérêts. Et ceux-ci ne recoupent pas nécessairement ceux de l’humanité au grand complet. Le politique repose justement sur la reconnaissance d’une distinction insurmontable entre une morale universelle et les exigences d’une communauté humaine particulière.
Autrement dit, un peuple qui ne parvient à se nommer qu’en se prenant pour l’humanité au grand complet n’est plus capable d’identifier vraiment ce qui le distingue. Il perd la trace de sa propre identité dans ce qu’elle a de singulier. Il oublie la langue, la culture, l’histoire. Et ne s’intéresse qu’à des idéaux si généraux qu’ils finissent par occulter sa spécificité.
La conscience globale de ceux qui voudraient faire du Québec la pointe avancée de l’humanité mondialisée est à la fois la cause et la conséquence de la crise du souverainisme québécois. Le peuple québécois devra cesser de se prendre pour l’humanité entière à moins de consentir à s’y dissoudre. Avant de prétendre sauver la planète, il devrait peut-être se sauver lui-même. »