Par Sophie Mangado

Petit nouveau au rayon croissance personnelle de nos bibliothèques publiques, Guérissez votre corps de A à Z réjouira peut-être le crédule désabusé de la médecine occidentale. Le sceptique, lui, devra fournir de gros efforts pour parcourir les 107 pages menant au Traitement d’amour, offert par l’auteure Louise L. Hay en guise d’épilogue.

La pensée positive est au cœur de ce guide plein de bons sentiments. La recette habituelle de l’autoguérison comme fonds de commerce, servie d’emblée. L’auteure SAIT (et en informe son lecteur en lettres capitales dès la première phrase) qu’il est possible « d’inverser une maladie en inversant simplement les schémas de pensée ».

Les ingrédients du miracle pour les nuls sont exhaustivement réunis. La biographie de l’auteur qui ne veut rien dire, mais qui ne lésine pas sur les gros mots. Histoire d’impressionner le malade. « Professeure de métaphysique », la « ministre en sciences de la pensée » a aidé « des millions » de gens à grands renforts de « best sellers » traduits dans 26 langues et vendus dans 35 pays. Wow.

Il y a bien sûr les longues et répétitives phrases assénant que la philosophie du verre à moitié plein vaut mieux que celle du verre à moitié vide. Que l’on gagne à prendre les choses du bon côté. Que nous disposons tous d’un certain pouvoir sur notre propre vie, et que décider de l’exercer apportera son lot de changements. On hurle au génie.

Le mode d’emploi séduit par sa simplicité. En procédant au « travail mental de lâcher-prise et de pardon qui s’impose, presque tout peut être guéri ». Notez le précautionneux « presque ». S’ensuit un abécédaire de « problèmes » de tous acabits. Où l’on apprend entre autres que
« ongles » et « fesses » sont des problèmes au même titre que « maux divers »« suicide » et « cancer ». À ces problèmes sont associés des causes. Par exemple : « fesses molles » résulte d’une « perte de pouvoir ». Le « nouveau schéma de pensée » à appliquer ici est le suivant :
« J’utilise mon pouvoir avec sagesse, je suis fort. Je me sens en sécurité. Tout va bien. » Tenanciers de salles de gym et chirurgiens brésiliens maîtres du postérieur ferme, tenez-vous le pour dit : votre avenir est menacé par la pensée positive.

Morceaux choisis

Combien de chercheurs s’échinent à comprendre et remédier à la maladie d’Alzheimer ? Et combien cela coûte-t-il au contribuable ? Un vrai scandale quand on SAIT que la cause n’est autre que le « refus de faire face au monde réel », et qu’il suffit pour en guérir de se répéter « Je suis au bon endroit, je me sens en sécurité en tout temps ». Encore faut-il ne pas l’oublier…

Le syndrome du canal carpien se pointe ? Vous êtes frustré face au « apparentes injustices de la vie ». Pas grave, suffit de choisir de « créer une vie joyeuse et abondante », en vous répétant : « je suis détentu (sic) ».

Votre dentiste essaie de vous refourguer un traitement de canal ? Il se moque de vous, l’ignorant. Il n’a pas su comprendre que votre problème est de ne « plus pouvoir mordre dans quoi que ce soit » parce que vous avez éliminé toute « croyance profonde ». Remettez-le dans le droit chemin en lui expliquant que vous allez plutôt « choisir [vos] croyances pour [vous] soutenir dans la joie ».

Ça vaut le coût, ce bouquin (12,95 $), une vraie aubaine puisque la méthode s’applique en plus aux enfants et aux animaux. L’éditeur de la traduction française, AdA inc., en connaît un rayon sur la croissance personnelle et la psycho pop. L’ouvrage de la professeure Hay se prévaut de l’appui de gouvernement de Canada (Programme d’aide au développement de l’industrie et de l’édition), et de la SODEC (Société de développement des entreprises culturelles, qui relève du Ministère de la culture et des communications). Y aurait-il quelque chose de pourri au royaume de nos distributeurs de subventions et de nos bibliothécaires ?