Répression et impunité policières. Quand une situation de crise se répète : du chômeur « polonais » et « communiste » aux « osties de carrés rouges »
Benoit Marsan, étudiant à la maîtrise en histoire à l’Université de Sherbrooke
Le Kiosque a publié:
Petite histoire des camarades québécois
( On ne trouvera pas dans ce texte de vulgarisation le vocabulaire qui permet de distinguer l’universitaire du monde ordinaire: éléments contextuels”, “interventionnisme étatique” , “hégémonie libérale”, “possédants” “processus légitime” “espace public”, etc.)
Extrait:
Attirer les Canadiens français au Parti communiste: défi impossible
En 1929, le Parti s’était fixé comme objectif d’arrêter d’être un Parti d’immigrants et de recruter chez les Canadiens anglais et français. Tim Buck avait même demandé à la Ligne ouvrière de recruter dans les usines du Québec 200 000 travailleurs, «les masses les plus exploitées au Canada».
Vaste programme! Du côté Canadiens anglais, quelques minces progrès. Pour les Canadiens français…
Rappelons que lors des perquisitions dans les bureaux du Parti en 1931, la GRC n’avait trouvé que cinq noms canadiens français.
Attirer des Canadiens français est le mal de tête permanent du Parti, empiré par les pressions du Komintern. Puis, un espoir sérieux, Paul Delisle, un des soldats canadiens qui a débarqué en Russie pendant la Révolution. Le Parti l’envoie étudier dans la Mecque du communisme, l’école internationale Lénine de Moscou.
Fondée par le Komintern en 1926, c’est une école unique sur la planète. Elle forme des cadres révolutionnaires. Le principal sujet au programme est la révolution. Entre 1926 et 1938, 3 000 étudiants sont passés par ses salles de cours. Les profs sont triés sur le volet, les élèves aussi, Erich Honecker, Wladyslaw Gomulka, Josip Broz Tito, la crème de la crème des militants communistes du monde entier. Paul Delisle y passe 18 mois.
À son retour en 1933, on lui confie l’organisation du Parti auprès des Canadiens français. Instruit, bilingue, orateur charismatique, ayant l’appui total de sa femme Berthe Caron, communiste convaincue, Delisle est l’étoile (rouge) qui monte dans le Parti. Mais il meurt d’un cancer à la fin de 1934. Le Parti envoie d’autres Canadiens français, Philippe Richer, E. Simard, Willie Fortin, Évariste Dubé, etc., sans succès.
C’est que le Parti a tout ce qu’il faut pour rebuter les Canadiens français.
Un communiste n’est pas d’abord ukrainien, protestant, allemand, catholique, juif. Sa première allégeance est à la classe ouvrière… et il y a des ouvriers partout. En théorie, l’ouvrier communiste de l’Ontario a plus de points communs avec celui de l’Allemagne ou du Québec qu’avec n’importe quel Ontarien qui n’est pas ouvrier. C’est pourquoi un communiste trouve normal de lire dans The Worker (14 avril 1934) qu’un délégué du Parti à la 8e convention du Parti Communiste Américain a déclaré qu’un Canada soviétique devait être une section «of the united soviets of North America».
Les ouvriers n’ont pas de patrie
Le nationalisme est un truc de la bourgeoisie pour détourner les ouvriers de leur vraie mission, lutter contre elle. Associé à un clergé qui vit encore au XIXe siècle, celui des Canadiens français apparaît particulièrement réactionnaire. Reconnaître le nationalisme canadien-français risque de diviser la classe ouvrière canadienne et de l’affaiblir. Aussi, le Parti admet du bout des lèvres qu’ils constituent un «groupe racial», mais certainement pas une nation.
Les communistes Canadiens français doivent donc rejeter le nationalisme. Ils doivent aussi laisser leur langue à la maison. Au Canada, Marx parle anglais. Au Québec aussi.
Les boss sont à Toronto, la section montréalaise comprend quelques rares bilingues comme Fred Rose, mais seule Léa Roback, élevée à Beauport près de Québec, ne passe pas pour une étrangère. Et même pour elle, il serait difficile d’expliquer pourquoi les communismes, comme ils l’ont dit et répété, veulent détruire la religion, «opium du peuple» selon Marx. Lénine a écrit à Gorki le 13 janvier 1913 qu’il avait une aversion intense et personnelle pour tout ce qui était religieux: «Rien n’est plus abominable que la religion».
Difficile à avaler. L’éventuel communiste canadien-français doit donc mettre de côté sa langue, son nationalisme et aussi renier sa religion. Bref, le Parti n’attire pas les Canadiens français parce qu’il n’est pas attirant. Pourtant, en 1935, les communistes du monde entier reçoivent l’ordre de séduire. “