Texte du journaliste André Lemelin
Chronique des années techno (Lulu.com), 1980.

On ne proclame pas : soyons un avec l’univers. On l’est.
Rudolf Steiner

Madame Robert est jardinière en serre, Monsieur Robert s’occupe de sa propre pépinière biologique, Le réveil de la nature, à Saint-Philibert. Leur fille Anne-Céleste fréquente Les petits lutins bleus dans un champ vert, une maternelle expérimentale de Saint-Georges où leur voisine enseigne selon une méthode appelée Waldorf. Une méthode qu’ils connaissent depuis longtemps, une maternelle qu’ils avaient l’intention de créer eux-mêmes si celle-ci n’avait pu démarrer. Monsieur et Madame Robert définissent à leur façon la pédagogie waldorfienne.

Madame Robert : « Pour moi, c’est ce qui aux sources mêmes de la science de la vie, chez l’homme, l’animal, la plante. Ces trois principes, aux niveaux éthérique, astrologique, physique, biologique, sont toujours en accord, liés les uns aux autres. »

Monsieur Robert : « C’est une vision cosmique de la formation du monde, de son développement et de notre rôle là-dedans. Une recherche de l’harmonie du réveil des forces au moment propice dans tous les domaines. Partir d’une idée, la descendre dans la matière et la réaliser. Les forces cosmiques jouent aussi. Je ne pense pas que l’être humain soit le nombril du monde. Il existe une étude scientifique qui démontre que la courbure de nos côtes correspond à celle du bout des ellipses des planètes de notre système. La matière, quand elle s’est formée, était sous l’influence cosmique et ça explique peut-être cette correspondance, ou le fait que les poumons forment un arbre renversé. »

Madame Robert : « C’est le principe de l’incarnation de l’homme, finalement. Ça part de la pensée positive de la mère quand elle porte l’enfant, puis d’une alimentation la plus saine et la plus naturelle possible. »

Monsieur Robert : « C’est une connaissance des forces qui sont dans l’enfant. On ne doit pas forcer un enfant à rationaliser avant que son esprit et ses vibrations et ses forces à lui ne soient prêts à le faire. En somme c’est un système pédagogique qui essaie de balancer les parties de l’éducation – en même temps que tu éveilles les forces individuelles, tu éveilles des forces vers autrui. »

– « C’est assez ésotérique. »

Je croyais que Michel A. Bourque, le directeur des services de l’enseignement à la Commission scolaire des Érables, éviterait ce mot-là.

La méthode Waldorf, que M. Bourque qualifie d’ésotérique, est due à l’Autrichien Rudolf Steiner (1861-1925), descendant spirituel, éditeur et exégète de Gœthe ; théosophe dissident, il fonde l’anthroposophie, ou sagesse de l’homme, en 1913[1]. Il « invente » d’autre part l’agriculture et la médecine biodynamiques, que le mouvement écologique a rendu populaires ces dernières années, l’eurythmie, etc., toutes applications, jugées excellentes dans les encyclopédies, d’une pensée qu’on peut effectivement, par opposition à exotérique, qualifier d’ésotérique[2]. Cette pensée commande le respect au même

[1] La théosophie : « réflexion conférant à l’analogie une signification étendue aux dimensions cosmiques ». Les théosophes : « ceux qui insistent sur des points de doctrine ou de dogme que l’exotérisme des églises constituées a tendance à négliger ou à passer sous silence ; ces points, ils cherchent à les élucider à la fois par leur propre réflexion (de nature analogique) et par l’illumination intérieure, cette dernière résultant d’une quête individuelle ou d’une initiation. La pensée spéculative, en effet, ne suffit pas, il faut encore l’aide de l’Esprit ; d’où l’importance de l’expérience intérieure. Ainsi le théosophe acquiert la certitude de recevoir la connaissance en même temps que l’inspiration : il croit à la révélation permanente ».

« D’autre part, il importe de distinguer soigneusement ce courant de la [Société théosophique, fondée par Madame Blavatsky] qui, dès la fin du siècle dernier, véhicula sous la même étiquette un programme qui est presque sans aucun rapport avec la plus profonde tradition théosophique. » (Antoine Faivre, in Encyclopædia Universalis.)

En 1913, donc, Rudolf Steiner, secrétaire de la Société théosophique, démissionne avec fracas pour fonder son Gœtheanum, qui est aujourd’hui encore le centre mondial de diffusion de sa pensée, l’anthroposophie, laquelle est en fait sa version de la théosophie. Ce qu’il reprochait à la Société théosophique : « son anti-christianisme et un spiritualisme grossier », écrit Faivre.

[2] « Il semble qu’actuellement il faille entendre par « ésotérisme » les trois volets d’un triptyque (…) : une vision analogique du monde (doctrine dite des « correspondances ») ; l’idée d’Église intérieure, selon laquelle une tradition plus ou moins conservée a davantage d’importance que la médiation des églises constituées et que leurs divergences dogmatiques ; enfin, la théosophie. » A. Faivre,ibid. Selon un sens plus courant, l’ésotérisme est la doctrine selon laquelle des connaissances ne peuvent pas ou ne doivent pas être vulgarisées, mais seulement communiquées à un petit nombre de disciples. Exotérisme, c’est évidemment le contraire, c’est-à-dire la « religion ».

titre que toute autre vision du monde, fût-elle scientifique ou religieuse. Elle se veut d’ailleurs, et là réside son originalité, une synthèse de la science et de la religion.

Mais voilà, il faut éviter de confondre avec J’ai vécu sur deux planètes : l’enseignement dispensé par Ange Dostie, diplômée des Beaux-Arts et de l’UQAM, dans une classe de l’école institutionnelle de L’Assomption équipée d’un poêle et d’un frigidaire, n’a rien à voir avec l’industrie de l’occultisme.

On fait le pain tous les vendredis à partir du grain de blé. On tisse la laine. On utilise la cire d’abeille comme pâte à modeler. Les contes et la morale sont inspirés de Grimm. La Madone est de Raphaël. Il y a des anges en papier au tableau, une gerbe ici et là, et bien sûr la Maison des lutins, qui tient de la crèche et de la maison de poupée.

C’est sobre et vivant à la fois, on sent que c’est habité ; ce n’est pas tant dépouillé que sans artifice. On a l’impression que le sens du beau (car il s’agit d’enseignement par les arts) et le sens des réalités sont une seule et même chose. Tout est d’origine dans cet atelier.

– « Est-ce que vous employez le mot ésotérique à dessein ? »

– « Je l’emploie dans le sens de rare. »

M. Bourque a fait sa petite enquête et il a appris que dans un cours de psychopédagogie de l’Université Laval où l’on ne dénombre pas moins de 56 courants pédagogiques, la sieur Waldorf est parfaitement inconnu.

– « Et au Ministère, on s’intéresse à ce que vous faites ? »

– « En bons Beaucerons, on ne publie pas nécessairement nos affaires au Ministère… »

Waldorf, c’est une marque de cigarettes – en effet, c’est un mécène qui a permis la création de la première école « steinerienne ». Il y en aura bientôt une en Inde, il y a des écoles primaires et secondaires en Suisse et en Allemagne, en France et en Angleterre, à Vancouver, de même qu’à Spring Valley en Nouvelle-Angleterre.

C’est là qu’Ange Dostie, qui avait déjà beaucoup lu sur la question, s’initie à la pédagogie Waldorf au cours d’un stage estival de deux semaines. Puis, pendant l’année scolaire 1978-1979, elle participe aux activités de l’Association pour la pédagogie Waldorf de Montréal. Parallèlement, sa fille fréquente L’eau vive, maternelle W. privée du boulevard Gouin. Se fixant par la suite à la Maison Rouge, Ange (Nicole Richard) et Zabulon (Marcel Dostie, graphiste aux Éditions Parti-Pris), n’en veulent pas moins assurer à Isis-Sophia, 5 ans, une éducation de qualité selon leur définition.

Ange décide de mettre au point des activités de niveau maternelle et, par la même occasion, d’offrir à d’autres enfants des cours gratuits de peinture, d’aquarelle, de modelage. Une amie lui prête un local de sa garderie, s’aperçoit de la ressemblance de son programme avec celui des maternelles publiques et lui suggère de le proposer à la Commission scolaire. Ce qui fut fait en août dernier (1979). Deux réunions d’information permirent de recruter rapidement 22 enfants et dès septembre, Ange était engagée à mi-temps.

Pour l’heure, tout le monde semble satisfait de l’expérience, le contact avec les parents est excellent et assez fréquent (un point fort de la méthode, me dit-on). On leur a fait faire de l’aquarelle et il sont aimé ça, à Noël ils ont dessiné et joué les Bergers pour les enfants et ce printemps la fête continue. En accord avec ce que suggère analogiquement cette saison, Ange s’efforce de faire passer un message de reconnaissance envers les bienfaits de la nature. Steiner ne disait-il pas que « la reconnaissance est la vertu fondamentale de l’enfant jusqu’au changement de dentition » ?

Marguerite Doray est spécialiste en arts et en anglais à la Commission scolaire des Cèdres. C’est à ce titre qu’elle a pu bénéficier d’une bourse de perfectionnement qui, jointe à ses économies, lui a permis de s’inscrire au College Emerson, à Forest Row, en Angleterre. Cette école forme à la pédagogie W. (deux ans), et à la pédagogie W. curative (3 ans) pour les enfants en difficulté d’apprentissage.

Rien n’est encore sûr, mais on parle d’une première année W. pour septembre prochain. Même que ça augurerait bien pour un premier cycle complet. La condition qu’on poserait aux parents serait que Marguerite enseigne aux trois niveaux, ce qui est typiquement waldorfien.

Théoriquement, l’enseignant est le même de la première à la sixième année. Pas par nécessité, comme dans une île, mais par principe. On croit que le titulaire est ainsi mieux à même d’établir une relation solide avec l’enfant et ses parents. Il est capable, sur cette échelle, de faire un travail qui porte fruit, d’aider le pied gauche, puis le pied droit, à rejoindre l’échelon supérieur. Bon pied, bon œil, le pédagogue W. est précepteur, guide, tuteur. Si son rôle est plus central que dans une autre méthode, c’est qu’il ne représente pas simplement l’autorité, il est l’autorité, au sens d’une autorité spirituelle. Il est le Maître. Son rôle est en effet de faire progresser l’enfant sur la Voie de la Réalisation de son Être. Un vaste projet éducatif. Le document de présentation du programme du primaire débute ainsi :

« La pédagogie Waldorf s’adresse à l’enfant comme à un être humain muni d’un corps, d’une âme et d’un esprit. Le professeur est continuellement conscient de l’âme de l’enfant qui anime son corps… Il est conscient de l’esprit de l’enfant qui, à l’écoute de la parole intérieure, saura donner à sa vie la direction qui lui est personnelle, individuelle sur cette terre. »

En pratique, cette autorité se traduit par un dirigisme assez poussé. Le maître, c’est le maître et on l’écoute. Il est une référence constante pour l’enfant, un élément sécurisant. On ne croit pas que l’enfant puisse tout découvrir par lui-même, sans une volonté pour le guider. Cependant, la discipline n’est pas coercitive, tout se transforme en jeu, Ange obtient tout ce qu’elle veut de ses chérubins…

Le ptit lutin danse (bis)

Sur un pied il danse (bis)

Sur un pied, pied, pied

Ainsi danse le ptit lutin

Youppi !

« Cigarette ? »

Un coquet petit poêle Climax réchauffe l’atmosphère meublée de tables en vrai bois, de rideaux crochetés, de quelques antiquités, peuplée du vacarme de la machine à café et des vagissements d’un bébé joufflu. La journée est belle (soupe à l’oignon, kasha, gâteau sec aux caroubes, café) et frugale. Nous sommes au café La clé de sol, dans le Vieux Saint-Georges.

Devant le troisième œil du photographe, Ange ne peut s’empêcher d’éteindre sa Du Maurier. Marguerite, de passage en Beauce pour quelques jours, considère avec méfiance le gros magnétophone noir posé sur la table. Il sera très difficile de les amener à parler de l’anthroposophie en tant que telle. D’ailleurs, tout bon pédagogue waldorfien n’aurait garde de seulement mentionner le nom de Steiner dans sa classe. Ce n’est pas avant 21 ans qu’on accède à ces choses. (À Emerson, par exemple, où, pour 5000 $ par année, on peut se spécialiser dans le domaine de son choix, poursuivre sa recherche personnelle, pousser plus loin les travaux entrepris par Steiner et qui couvrent l’ensemble des domaines de la connaissance.)

Donc ce qui passe dans l’enseignement d’Ange ne peut en aucune façon être qualifié de steinerien, d’anthroposophique et encore moins d’ésotérique puisque de toute façon, dit Marguerite, Steiner lui-même ne prétend pas avoir « inventé » un système. « Il ne te conte pas d’histoire. » Il n’a fait que colliger et ordonner ce qu’il a appris par expérience ou révélation intérieure. Entendons-nous bien : il s’agit ici deconnaissance du monde et de l’homme, pas de croyance. C’est cette nuance qui, dans l’esprit des anthroposophes, puisqu’il faut bien les appeler par leur nom, fait toute la différence.

Cette connaissance, ou plutôt cette sagesse qui s’est transmise jusqu’à nous et dont Steiner s’est présenté comme le simple dépositaire, on en retrouve l’équivalent chez tous les peuples et à toutes les époques. C’est tout simplement celle dont les religions établies ne s’occupent habituellement pas. Une zone intermédiaire entre la philosophie rationnelle et la théologie, basée sur la connaissance des phénomènes naturels et sur les leçons qu’on en peut tirer pour la conduite de la vie. – Après tout, nous sommes aussi des phénomènes naturels.

Comme l’écrit Antoine Faivre (Encyclopædia Universalis), il s’agit de « chercher à posséder la vision intime du principe de la réalité du monde ».

– « À les entendre on dirait quasiment des prophètes. »

Michel Bourque ne cache pas son admiration pour le petit groupe comprenant, outre Ange et Marguerite, Gilles et Madeleine Nadeau, les Robert et quelques autres personnes impliquées dans le projet. « Ils ont une conviction, une disponibilité au travail qui sont assez extraordinaires. C’est vraiment une vocation pour eux, dans le vieux sens du mot. » Par ailleurs, « ce sont des gens d’une sérénité, d’un calme remarquable. »

Il faut lire le rapport d’appréciation du Comité ad hoc (« les pré-apprentissages académiques réalisés par les enfants sont à peu près les mêmes », « le côté sensoriel est plus approfondi ; le travail est plus axé sur le développement de l’autonomie de l’enfant », etc.) pour en retenir surtout ceci : « On pense que la classe de Mme Dostie est différente mais que cela est dû en majeure partie à la personnalité du professeur. »

La Commission scolaire semble vouloir, elle aussi, oblitérer les fondements théoriques de la méthode. Les parents, sauf ce petit noyau d’initiés, ne savent rien de Steiner et il n’est pas question de les « convertir », si j’ose dire. C’est la même politique que partout ailleurs dans les écoles W. et n’est pas sans rappeler cette phrase de Steiner lui-même : « Dans la pédagogie Waldorf, nous n’enseignons pas des choses différentes, nous les enseignons différemment. »

En maternelle, toute la semaine est centrée sur un conte, de préférence écrit mais pas lu, dit par le professeur pour qu’une puissance créatrice puisse s’en dégager. Le lundi, on l’écoute, car « il est bon qu’on imprègne l’enfant de la morale archétypale » qu’il contient ; cela « fortifie sa pensée imagée qui plus tard vivifiera sa vie intellectuelle. »

Le mardi l’enfant illustre le conte à l’aquarelle dans son cahier – première approche des couleurs primaires. Mercredi, expérience de la forme et de la lumière : modelage de la cire d’abeille colorée, observation de sa transparence devant la flamme d’une chandelle et modelage de l’argile. Jeudi, on mime le conte et c’est l’art du mouvement qui plus tard deviendra théâtre – expression des sentiments, développement des facultés motrices. Vendredi c’est le pain, les gâteaux, les biscuits, « un art de vivre dans le quotidien »… et la collation pour toute la semaine.

Tous les matériaux sont naturels « pour sauvegarder la délicatesse des sens ». L’argument est le suivant : « Si l’on fabrique avec la même matière synthétique des pierres, des animaux et des objets d’usage courant, on trompe le sens du toucher et il n’est plus stimulé. Moins un enfant reçoit d’objets perfectionnés, plus il doit mettre en œuvre son énergie personnelle. » L’enfant fabrique lui-même ses jouets (« possibilité de devenir intérieurement actif par l’imagination »), les apporte à la maison, les offre à Noël.

Quant à la catéchèse, elle s’aligne sur le document du MEQ – l’anthroposophie est foncièrement chrétienne. Voici quelques prières :

Pur comme l’or

Ferme comme le roc

Clair comme le cristal

C’est ainsi que je jeux être.

Quand je vois le soleil

Je pense l’esprit de Dieu

Quand je bouge la main

L’âme de Dieu vit en moi

Quand je fais un pas

La volonté de Dieu marche en moi.

Belle fée

Petit lutin

Dans mon rêve

Je t’écoute

Chanter le divin !

Le programme du primaire insiste surtout sur trois grandes forces présentes en chacun : le rythme, qui « engendre en nous des forces insoupçonnées et régularise notre métabolisme apportant ainsi santé, force et bonne humeur » ; l’imagination, qui est « la force de la pensée pour l’enfant de 7 à 14 ans » (« ce qu’il aura appris par l’image à cet âge, il s’en formera aisément un concept abstrait après sa puberté ») ; et la volonté, ou « le pouvoir de faire passer dans une action ce qui vit dans notre pensée. »

Ces trois forces se retrouvent réunies dans les arts et par conséquent l’enseignement devra se faire par les arts. L’enfant devra fabriquer tout ce qu’il apprend. Aucun manuel imprimé, et bien sûr pas d’audiovisuel. Par exemple, « le professeur écrit au tableau de belles lettres et de beaux chiffres que l’enfant reproduit dans son cahier tout bien colorié. Sur la page voisine, l’enfant illustre d’un dessin ce qu’il vient d’écrire », que ce soit un texte ou une addition. Le cahier est lu tous les jours à l’endroit et à l’envers (pour un développement équilibré de l’intelligence). L’enfant fait « marcher sur le sol la forme de la lettre », « récite les tables tous les jours en sautant les jambes croisées, les jambes écartées, les jambes ensemble avec des gestes pour les bras. »

Déjà à la maternelle il apprend la recette des couleurs en chantant. Sur l’air de Frère Jacques, ça donne :

Jaune soleil (bis)

Bleu du ciel (bis)

En mariant les deux (bis)

Voici le vert (bis)…

Les contes sont extrêmement importants et suivent l’enfant tout au long de son cours primaire, des contes de fée de première année à l’histoire moderne en sixième, en passant par les fables, les scènes de la Bible, de l’Antiquité, du Moyen Âge et de la Renaissance. C’est le modèle, l’archétype en waldorfien, de tout développement logique de la pensée. Il se passe telle chose, puis telle autre, puis telle autre et voici le résultat. Ce qui a été noué au début par une rencontre se dénoue à la fin pour donner naissance à une situation nouvelle – les bons sont récompensés, les méchants sont punis ; le monde fonctionne selon des lois naturelles, c’est bien normal. Il faut donc connaître les lois morales pour bien vivre en société, connaître les lois des saisons pour bien cultiver la terre, les lois du corps pour le guérir, les lois de l’enfant pour lui enseigner.

C’est ce qu’il faut retenir de cet enseignement : tout est interrelié. Français, mathématiques, tout est abordé et absorbé dans le même esprit. C’est plein de recoupements, il n’y a en fait qu’une seule matière scolaire, une seule matière première, l’enfant, dont on connaît les phases de développement comme on observe celles de la lune.

Je veux dire qu’on a l’impression, en parlant avec les waldorfiens, en lisant leurs documents, d’entendre un très vieil almanach illustré nous gratifier de ses conseils. De même qu’ils parlent d’une « morale archétypale », il croient en une éducation archétypale et ça, ça vient du romantisme allemand, de Gœthe, avant lui du Moyen Âge et de la nuit des temps, comme l’astrologie et l’alchimie.

Ils croient, pour être plus précis, que le développement d’un processus dans le temps n’est pas linéaire, qu’il a une origine où tout se joue, passe par des étapes qui le façonnent et se dénoue en conséquence. C’est le « principe d’incarnation » dont parlait Mme Robert. Mais la connaissance, à la fois empirique et intuitive, du temps des événements, du moment propice, soit à la récolte des plantes médicinales, soit encore à l’apprentissage des lettres au rythme d’une par jour, permet une adaptation à l’univers théoriquement toujours perfectible.

Le premier élève de Steiner fut un « retardé mental », comme on disait alors, qui au bout de six ans s’inscrivit à une faculté de médecine.

P. S. – Sur le babillard de La clé de sol, j’avise une affiche enluminée annonçant une conférence par Alexandre Lachance, alchimiste. Goûter, période de questions. Pour informations, Gilles et Mado, Ange et Zabulon.

Dans une librairie ésotérique de Québec, on m’affirme que ce septuagénaire a réussi par deux fois la transmutation en or ; qu’il se trouve, par conséquent, sur la voie ultime, celle de la pierre.

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[1] La théosophie : « réflexion conférant à l’analogie une signification étendue aux dimensions cosmiques ». Les théosophes : « ceux qui insistent sur des points de doctrine ou de dogme que l’exotérisme des églises constituées a tendance à négliger ou à passer sous silence ; ces points, ils cherchent à les élucider à la fois par leur propre réflexion (de nature analogique) et par l’illumination intérieure, cette dernière résultant d’une quête individuelle ou d’une initiation. La pensée spéculative, en effet, ne suffit pas, il faut encore l’aide de l’Esprit ; d’où l’importance de l’expérience intérieure. Ainsi le théosophe acquiert la certitude de recevoir la connaissance en même temps que l’inspiration : il croit à la révélation permanente ».

« D’autre part, il importe de distinguer soigneusement ce courant de la [Société théosophique, fondée par Madame Blavatsky] qui, dès la fin du siècle dernier, véhicula sous la même étiquette un programme qui est presque sans aucun rapport avec la plus profonde tradition théosophique. » (Antoine Faivre, in Encyclopædia Universalis.)

En 1913, donc, Rudolf Steiner, secrétaire de la Société théosophique, démissionne avec fracas pour fonder son Gœtheanum, qui est aujourd’hui encore le centre mondial de diffusion de sa pensée, l’anthroposophie, laquelle est en fait sa version de la théosophie. Ce qu’il reprochait à la Société théosophique : « son anti-christianisme et un spiritualisme grossier », écrit Faivre.

[2] « Il semble qu’actuellement il faille entendre par « ésotérisme » les trois volets d’un triptyque (…) : une vision analogique du monde (doctrine dite des « correspondances ») ; l’idée d’Église intérieure, selon

laquelle une tradition plus ou moins conservée a davantage d’importance que la médiation des églises constituées et que leurs divergences dogmatiques ; enfin, la théosophie. » A. Faivre, ibid. Selon un sens plus courant, l’ésotérisme est la doctrine selon laquelle des connaissances ne peuvent pas ou ne doivent pas être vulgarisées, mais seulement communiquées à un petit nombre de disciples. Exotérisme, c’est évidemment le contraire, c’est-à-dire la « religion ».

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Aussi:

Méthode Waldorf: malaise sur la religion à l’école

Pascale Breton, La Presse


PHOTO: MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Même si enseignants et parents s’en défendent, il semble que la spiritualité et la religion imprègnent la pédagogie Waldorf, que ce soit dans les dessins, les légendes racontées aux élèves, la célébration des fêtes ou la Parole du matin.

Méthode Waldorf: une pédagogie controversée

Pascale BretonLa Presse

La commission scolaire des Patriotes pensait avoir tous les arguments nécessaires pour fermer l’école de la Roselière, une école publique située à Chambly, dont la pédagogie Waldorf est controversée. Elle s’attendait à provoquer la déception chez les parents des 150 élèves, mais pas à soulever un tollé et à se mettre à dos tout le mouvement Waldorf mondial.

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Pour en savoir plus

Rapport interministériel – les sectes et l’argent [archive] ( France)

On compte en France une trentaine d’écoles se réclamant de la pédagogie de Rudolf Steiner, fondateur et inspirateur de l’Anthroposophie qui se veut l’héritière de sa doctrine.

S’il est clair que toutes ces écoles ne revêtent pas un caractère sectaire, plusieurs mériteraient cependant une investigation approfondie. La Commission a, en effet, eu connaissance de dérives. Les méthodes pédagogiques particulières à certaines écoles ont été critiquées notamment par l’Inspection de l’Éducation nationale. Ainsi, les apprentissages du langage structuré, de l’écrit et du calcul ne seraient pas engagés avant l’âge de 7 ans. En outre, les enfants inadaptés à la méthode Steiner seraient soumis à des sévices et beaucoup ne seraient pas à jour de leurs vaccinations.

Alors que les tarifs de la scolarité affichés peuvent être considérés, pour certaines familles, abordables (entre 14 000 et 18 000 francs par an), l’Inspection de l’Éducation nationale a repéré des établissements où les tarifs pratiqués étaient si élevés que des parents d’élèves, afin de pouvoir les honorer, s’étaient trouvés contraints de travailler pour l’Anthroposophie.

What’s Waldorf

By Meagan FrancisSalon

The alternative school’s holistic, arts-based philosophy seemed like a perfect fit for my kids. Then I started learning about the eccentric mystical beliefs of its founder.

Waldorf goes against school grain

Reading not stressed in early classes; no principals

By Maggie Dons, The Cincinnati Enquirer

Rudolf  Steiner (1861-1925)

Robert Todd Carroll, editor of The Skeptics Dictionary.The Skeptic’s Dictionary

(Liens à la fin de l’article)

Most critics of Steiner find him to have been a decent and admirable man, even if prone to beliefs in his own clairvoyance and in things like astrology. Unlike many other “spiritual” gurus, Steiner seems to have been a truly moral man who didn’t try to seduce his followers and who remained faithful to his wife. But his moral stature has been challenged by charges of racism. These charges have been met with a lengthy report in Steiner’s defense. The fact is that Steiner believed in reincarnation and that souls pass through stages, including racial stages, with African races being lower than Asian races and European races being the highest form.*

(…)

Some of his ideas on education such as educating the handicapped in the mainstream are worth considering, although his overall plan for developing the spirit and the soul rather than the intellect cannot be admired. He was correct to note that there is a grave danger in developing the imagination and understanding of young people if schools are dependent on the government. State-funded education will likely lead to emphasis on a curriculum that serves the State, i.e., one mainly driven by economic and social policies.

(…)

On the other hand, it is likely that some of anthroposophy’s weirder notions about astral bodies,AtlantisAryansLemuriansevolution, etc., will get passed on in a Waldorf education, even if Steiner’s philosophical theories are not part of the curriculum for children. Is it that hard to defend love and cooperation without having to ground them in some cosmic mist?