Souffrir en silence
Myriam Ségal, Le Quotidien
.
Photo Archives
Une mammographie de routine début novembre. Deux semaines plus tard, le téléphone sonne: «Le docteur veut vous voir». Petit pincement au coeur. Le médecin lui explique: masse au sein droit. Il faut une échographie et probablement une biopsie. Mais vu l’allure, peu probable que ce soit un cancer. Le mot est lâché. Cancer. Quant au «peu probable», il est trop loin de «impossible» pour convaincre.
En attendant l’échographie, inutile d’alarmer les enfants. Elle appelle pour un rendez-vous. «On vous rappelle quand ce sera le temps.» Elle n’ose pas demander quand. Cancer; même accompagné de «peu probable», ça doit procéder vite!
Rien en décembre. Les fêtes. Elle angoisse, sans rien dire aux enfants. De toute façon, les hôpitaux sont débordés. Janvier. Février. Mars. Et si le cancer peu probable en profitait pour la prendre de vitesse? Crise de zona. Du stress. Pilules. Le médecin va vérifier pourquoi ça tarde. Avril. Mai. Ça fait six mois qu’elle se ronge, qu’elle dort mal, qu’elle prend des calmants, quand l’appel entre, fin mai. Elle saura enfin.
Normal
La souffrance derrière ces six mois d’attente ne fait partie d’aucune statistique. Un journal dénonce la consommation de calmants en hausse. Combien de patients aux vies en suspens en prennent, recroquevillés discrètement dans l’angoisse de l’attente?
L’hôpital de Chicoutimi confirme: six mois pour une échographie mammaire, c’est «normal», dans le sens de «dans les normes admises par les calculateurs de la santé». Le médecin peut accélérer les choses en écrivant «urgent ou semi urgent». Il ne l’a pas fait.
(….)
Pourquoi l’Agence ne met-elle pas en place un système d’information et d’aiguillage, une page web avec temps d’attente et alternatives? Pour garder jalousement le territoire de chaque hôpital? Parce qu’on honnit le privé? Même pas. Parce qu’on ne sait pas. J’ai demandé à l’hôpital de Chicoutimi la liste des temps d’attente pour chaque examen diagnostic. Elle n’existe pas, me répond-on.
Toute cette douleur humaine passe ainsi sous le radar. Le ministère juge un hôpital à son bilan budgétaire, pas humain. Un patient qui souffre en silence ne coûte rien. Il coûte cher à la société en productivité, en bonheur, en pilules pour calmer les nerfs et la douleur. Mais les chiffres «balancent». Déficit zéro. Compassion zéro.