La condition enseignante au Québec du XIXe au XXIe siècle
Une histoire cousue de fils rouges : précarité, injustice et déclin de l’école publique
Par Maurice Tardin, Presses de l’Université Laval, p.310-311
Pourquoi en est-il ainsi ? Mon hypothèse est que le système actuel de formation des enseignants est lui-même travaillé par une contradiction interne entre le projet de former des professionnels et la réalité de la profession enseignante, notamment ses modalités sociales de renouvellement, le statut des enseignants dans les écoles et la société, ainsi que l’organisation de leur travail largement définie par leur rôle de fonctionnaires syndiqués de l’État. En ce sens, la profession enseignante reste loin, sur le plan des représentations de sa formation et des conceptions de son activité, des professions reconnues comme la médecine, le droit ou le génie. Certes, les enseignants aimeraient bien être considérés comme des professionnels ; cependant, la vision qu’ils véhiculent quant à l’apprentissage de leur travail et à son exercice témoigne qu’ils n’en sont pas. Tel est à mon avis l’enjeu central de tout le système de formation : ce système a été conçu depuis 20 ans pour former des professionnels, mais ces professionnels n’existent pas, puisque les enseignants, comme je l’ai rappelé dans le chapitre précédent, ne forment pas une profession au sens propre et réel du terme : ils ne possèdent ni l’autonomie des professionnels, ni leur niveau d’expertise en termes de connaissances scientifiques et de compétences réellement opératoires, ni leur culture collective soudée autour d’une même identité et de valeurs communes, ni, enfin, de contrôle sur leurs actes, leurs normes éthiques et leur formation.
Au bout du compte, nous obtenons donc un système dont le projet de formation reste inachevé et en porte-à-faux par rapport à ses orientations de base : former des professionnels pour une profession qui n’existe pas, sinon sur papier et dans les beaux discours du Ministère, des universités et des syndicats.