Les Ukrainiens n’en parlent pas souvent aux journalistes qui d’ailleurs n’en savent rien. Pourtant “Holodomor”, la famine artificielle imposée par des idéologues marxistes, grève encore lourdement les relations entre les deux peuples.

 

Extrait de:

Joseph Jean, l’étrange Ukrainien

Paru sur le Kiosque Médias

“Holodomor”

Les désastres naturels, sécheresses, invasion de sauterelles, les Ukrainiens connaissaient très bien et depuis longtemps. Mais là, les idéologues de Moscou ont créé une nouveauté dans l’histoire du monde, une famine artificielle.

Depuis 1929, son rival Trotski en exil, Staline est solidement au pouvoir. Il veut se lancer dans de grands projets industriels et il n’a pas un rond. L’économie soviétique est en chute libre depuis la révolution. La seule chose que Moscou peut vendre à l’extérieur du pays sont les céréales, blé, seigle, etc. Et l’essentiel des céréales pousse en Ukraine, le grenier à blé de l’URSS.

Depuis qu’il a pris le pouvoir en 1917, le régime communiste veut abolir toute les propriétés privées; il a déjà nationalisé les commerces, des grandes entreprises à l’épicerie sur le coin de la rue; il ne reste qu’un gros morceau, le plus dur, les terres des millions de cultivateurs. Des fermes collectives sont déjà en place et Moscou pousse les cultivateurs dans le dos pour qu’ils en fassent partie; si les Russes renâclent, les Ukrainiens sont particulièrement réticents.

Le communisme n’est pas populaire. En 1928, alors qu’en Russie on compte un membre du parti par 125 familles rurales, le chiffre tombe à un par mille en Ukraine.

Staline qui n’a pas oublié la guerre civile, va faire d’une pierre deux coups: écraser tous les vestiges du nationalisme ukrainien et s’emparer des terres.

En 1929, Staline annonce aux cultivateurs ukrainiens qu’ils devront se joindre aux heureux co-propriétaires d’immenses fermes collectives. Le fonctionnement, en théorie, est simple. La récolte de ces fermes, toute la récolte, est envoyée dans d’immenses entrepôts. Le gouvernement prend sa cote dans l’entrepôt, puis redistribue ce qui reste aux fermes collectives qui le redistribuent aux cultivateurs.

Les cultivateurs ukrainiens sont plus que réticents à donner leurs outils, leurs vaches, leurs terres au gouvernement en échange d’un travail forcé dans une ferme collective avec un salaire dérisoire. La récolte baisse. En quelques mois, l’agriculture est complètement désorganisée.

Staline en accuse les “Koulaks” (c’est à dire, officiellement, les cultivateurs à l’aise mais en fait, tout cultivateur qui a l’ombre d’une réticence à travailler dans les fermes collectives). Staline les envoie en Sibérie. Au passage on en profite pour arrêter tous les nationalistes ukrainiens. Ils vont fournir la main d’œuvre forcée pour les grands plans industriels de Staline.

Les cultivateurs commencent à se serrer la ceinture.

En 1930, Staline annonce que le gouvernementcollectera 30 % de la récolte de céréales.

En 1931, c’est 41,5 % de la récolte. Les Ukrainiens essaient toutes sortes de manœuvres pour soustraire le maximum des récoltes à la collecte.

En 1932, il n’y a plus rien à cacher; nouveau quota, le gouvernement annonce qu’il collectera 32 % de plus de céréales qu’en 1931.

Sur la famine de 1932-1933 
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FILM, The Harvest of Despair  (http://www.youtube.com/watch?v=afVdnbMd6gA(54:55) Un documentaire sur la famine produit par the Ukraine Famine Research Committee.

Vidéo

The 1932-1933 Famine-Genocide in Soviet Ukraine (9.15)

http://www.youtube.com/watch?v=OOEohr_2I5w

 

LIVRE

1933, l’année noire

Un couple de journalistes ukrainiens, Volodymyr Maniak et Lidia Kovalenko, a rassemblé les témoignages des derniers survivants de cette tragédie. Leur livre, “1933, l’année noire”, est capital pour restaurer la mémoire de cette terrible famine. (Ed. Albin Michel). Le Mémorial ukrainien (Holodomor) Carte En rouge, les régions où le tiers des gens sont morts.

Il est évident qu’on condamne ainsi les cultivateurs à mourir de faim. Les entrepôts sont désormais gardés par l”armée.

Le 7 août 1932, la «loi des cinq épis» permet de condamner à dix ans de camp ou à la peine de mort «tout vol ou dilapidation de la propriété socialiste». De juin 1932 à décembre 1933, 125 000 personnes sont condamnées, dont 5 400 à la peine capitale, certains pour avoir volé quelques épis de blé ou de seigle dans les champs.

Les Goulags, les camps de concentration soviétiques, débordent: 200.000 détenus en 1927, 2.500.000 en 1930, 4.500.000 en 1933. En outre, des millions d’autres personnes sont déportées dans les régions éloignées du Nord et de la Sibérie.

Quitter la terre, travailler ailleurs pour se nourrir? Impossible! Non seulement les frontières de l’Ukraine soviétique sont fermées mais il faut un passeport pour se déplacer à l’intérieur de Ukraine. Les cultivateurs n’y ont pas droit.

Le gouvernement soviétique exporte 1,6 millions de tonnes de blé en 1932

L’hiver 1933

La Grande famine-1932-1933. Partie d’un triptyque de Nina Marchenko

http://www.artukraine.com/uploads/posts/2010-08/1281472051_marchenko-1.jpg

En 1933, Staline, convainc l’appareil du parti que les cultivateurs cachent des tonnes de blé. Il envoie l’armée, la police et des jeunes zélés du parti. Ils visitent chaque maison, sondent même les murs, confisquent le moindre grain de blé, la moindre betterave. Ils saisissent même les semences, les grains nécessaires pour les semailles en vue de la récolte de l’année suivante. Ils emportent le tout sur des camions surmontés du drapeau rouge, et du slogan «L’Ukraine donne son pain à sa patrie».

Entre l’hiver 32 et le printemps 1933, 25 000 Ukrainiens meurent chaque jour. Cette plaine traditionnellement fertile se peuple de cadavres aux ventres enflés. Les survivants mangent les oiseaux, les chats, les racines. Il se produit des cas d’anthropophagie.

Dans Le Yogi et le commissaire, Arthur Koestler écrivait :

J’ai passé l’hiver de 1932-1933 principalement à Kharkov, alors capitale de l’Ukraine. C’était l’hiver catastrophique qui a suivi la première vague de collectivisation des terres. (…)

Voyager dans la campagne était une tragique aventure; on voyait les cultivateurs mendier le long des gares, les mains et les pieds enflés ; les femmes élevaient jusqu’aux fenêtres des wagons d’affreux bébés à la tête énorme, au ventre gonflé, aux membres décharnés. On pouvait troquer un morceau de pain contre des mouchoirs brodés ukrainiens, contre des costumes nationaux…. les étrangers pouvaient coucher avec à peu près n’importe quelle fille, sauf avec les membres du Parti, pour une paire de souliers ou pour une paire de bas. A Kharkov, les processions funèbres défilaient tout
e la journée, sous la fenêtre de ma chambre d’hôtel…
 (Arthur Koestler, Le Yogi et le commissaire, Paris, 1946, p. 200.)

Bilan : entre six et sept millions d’Ukrainiens morts, un cinquième de la population des campagnes! Mais l’URSS continue d’exporter du blé, 2,1 millions de tonnes de blé en 1933.

Aux inquiétudes de la Société des Nations, aux offres d’aide du Comité International de la Croix-Rouge, Staline répond que les rumeurs de famine sont une calomnie contre le régime communiste. Il rejette toute offre d’aide du revers de la main. Il est appuyé par de grands naïfs influents, George Bernard Shaw, Romain Rolland, etc., qui, suite à des voyages minutieusement organisés par Moscou en Ukraine, rapportent que tout y va très bien.

La réquisition des céréales cesse officiellement au printemps 1933.

Pour Staline, l’opération est un succès. La famine a écrasé les nationalistes, brisé la volonté des cultivateurs de résister aux fermes collectives et laissé l’Ukraine traumatisée.

Staline a montré aux cultivateurs qui est le maître en Ukraine. Les fermes collectives sont là pour rester.