L'homme qui avait raison
Dans les années 70, Simon Leys a été un des rares intellectuels à dénoncer Mao. La publication de ses pamphlets sur la Chine (Les habits neufs du président Mao, Ombres chinoises etc.) lui ont attiré la haine des milieux maoïstes français de l’époque, d’autant plus qu’il connaissait la Chine dont il avait traduit plusieurs auteurs.
Il a déjà écrit: “la très grande majorité des intellectuels pour qui le maoïsme fut une mode, un hochet, voire un tremplin dans leur carrière mondaine ou universitaire, conservent généralement un silence pudique, voire une amnésie, sur cet épisode de leur passé.”
C’est vrai aussi au Québec… Nos militants progressistes de l’époque étaient émus jusqu’à l’os par la Révolution culturelle chinoise et manquaient défaillir en regardant les progressistes affiches chinoises montrant des militants aussi heureux qu’engagés.
Simon Leys quitte la Chine pour l’éternité
Il ridiculisa les maoïstes de tous les pays
Les habits neufs du président Mao , paru en 1971. Ce livre survient alors que la France intellectuelle est en pleine hystérie maoïste post soixante huitarde : de Normale Sup à Vincennes, la GRCP (Grande Révolution Culturelle Prolétarienne) la geste maoïste est venue au secours des orphelins d’une révolte tombée en quenouille. La fine fleur de l’intelligentsia hexagonale, Roland Barthes, Philippe Sollers, Michel Foucault, Jean Paul Sartre se font les chantres zélés de la geste maoïste, dont Louis Althusser et ses disciples Benny Lévy, les frères Miller (Jacques-Alain et Gérard), Jean-Claude Milner sont les coryphées. Et voilà qu’un obscur universitaire d’outre Quiévrain, inconnu au bataillon des habitués de la Closerie des Lilas, se permet, armé de sa seule connaissance de la langue, de la civilisation et de la société chinoise de démonter le mythe d’une Révolution culturelle émancipatrice de l’humanité entière.
Pour Ryckmans, devenu pour l’occasion Simon Leys pour ne pas obérer ses possibilités de retourner en Chine, cette GRCP se résume à une sanglante lutte de pouvoir au sommet de l’Etat communiste, où Mao et ses sbires instrumentalisent la jeunesse pour éliminer ceux qui l’avaient écarté du pouvoir réel à Pékin : Liu Shao Shi, Deng Hsiao Ping, puis Lin Biao. Cette interprétation, aujourd’hui universellement admise, fait alors scandale : en quelques lignes, Le Monde exécute l’ouvrage d’un « China watcher travaillant avec les méthodes américaines » et « comportant des erreurs et des faits incontrôlables en provenance de la colonie britannique ».
(….)
Bernard Pivot, prudent comme de coutume, attendit 1983 avant de le convier à une séance d’Apostrophes sur le thème « Les intellectuels face au communisme ». Il n’eut pas à le regretter : en quelques minutes, Ryckmans mit en pièces la maoïste de salon Maria Antonietta Macchiochi, qui avait commis un livre de 500 pages à la gloire du Grand Timonier à l’issue d’un mois de visite guidée à travers la Chine en 1971.
Ryckmans « Ce livre est stupide, c’est le plus charitable que l’on puisse en dire… si ce n’est pas une stupidité, alors c’est une escroquerie, ce qui est beaucoup plus grave… ». Pivot n’en est pas encore revenu : c’est la seule fois de sa carrière où un livre présenté à Apostrophes, celui de Macchiochi, a vu le rythme de ses ventes baisser après l’émission…
Simon Leys, critique précoce de la Chine de Mao, s’éteint
Il a 20 ans quand il découvre la Chine. Il parle et lit parfaitement la langue, épouse une Chinoise et publie en 1971, en plein délire maoïste chez les intellectuels européens — et singulièrement français — Les habits neufs du président Mao, un livre iconoclaste où il dénonce la réalité de la révolution culturelle.
À l’heure où les soixante-huitards maoïstes — et avec eux tout un cortège d’intellectuels comme Michel Foucault ou Jean-Paul Sartre — voient en elle une lutte grandiose et« spontanée » des masses contre les appareils bureaucratiques, Simon Leys démontre qu’il s’agit d’un médiocre combat entre des élites corrompues qui n’hésitent pas à broyer la vie de millions de personnes pour parvenir à leurs fins.
Dans cet article, “Chinese shadows” du New York Review of Books, ( 26 mai 1977) Simon Leys explique comment la Chine de Mao a roulé dans la farine les intellectuels qui “visitaient” le pays.
1. Follow the Guide
The Maoist authorities have accomplished a strange tour de force: they have managed to limit China—that immense and varied universe, for the exploration of which, however superficial, a lifetime is inadequate—to a narrow, incredibly constricted area. China has hundreds of cities; only about a dozen are open to ordinary foreigners. In each one, the foreigners are always put in the same hotel—usually a huge palace, set like a fortress in the middle of a vast garden, far away in a distant suburb. In these hotels, the guests enjoy a restaurant that offers the best cooking available in the province, a barbershop and hairdresser, a bookstore that sells luxury editions and art reproductions unavailable in the city itself, an auditorium where films are shown and where artists sometimes come to give special performances for the foreign guests. Needless to say, the local public is not admitted: watchmen at the gate check the identity of all Chinese visitors. In this way, the only contact the travelers have with the towns they “visit” is as they speed past along the boulevards, driving to factories and hospitals in the routine way.
If we see little of urban China, what of rural China! The countryside, which constitutes the true reality of China and where the destiny of the country is being decided, is a complete blank for us. Out of the tens of thousands of villages where more than 80 percent of the Chinese people live, foreigners visit less than a dozen (and always the same ones); these are interesting in the limited way of agricultural pavilions at an international fair.