imageIsabelle Paré

Le Devoir

Petite histoire de la guerre contre les drogues

Extrait:

L’apôtre de la cocaïne

Âgé de 28 ans, Freud désespère d’épouser Martha Bernays, sa fiancée depuis trois ans. Il rêve d’une grande découverte scientifique qui assurerait son avenir financier et donc son mariage avec Martha.

En 1884, il lit le rapport de Theodore Aschenbrandt, un médecin militaire allemand. Ce dernier a acheté de la cocaïne pure à la compagnie Merck et l’a donnée aux soldats avant leurs manoeuvres dans les montagnes de Bavière. Freud lit qu’en dépit de l’ascension harassante, du mauvais temps et du froid, les soldats conservent une énergie étonnante. Freud est aussitôt enthousiasmé.

Il croit avoir trouvé le produit miracle, celui qui va le rendre célèbre et lui permettre de se marier. Il commande un premier gramme de cocaïne à Merck et en avale une petite quantité  (vraisemblablement une dose de 50 mg environ). Peu après, il est pris d’un accès de gaieté et éprouve un sentiment de légèreté. Ses doigts et ses lèvres lui donnent une sensation cotonneuse, puis de chaleur, et surviennent ensuite des bâillements suivis d’une certaine lassitude.

Freud se rend compte que la cocaïne engourdit la langue et les muqueuses. Il en parle à son collègue, l’ophtalmologiste Karl Koller.

Il renouvelle l’expérience; il ressent un sentiment d’assurance, de force accrue et peut se livrer à un travail intellectuel prolongé sans éprouver la moindre fatigue.

Son « vibrant pladoyer » de quelque 10 000 mots en faveur de la cocaïne paraît sous le titre Uber Coca (À propos de la coca) dans le numéro de juillet 1884 d’une revue médicale, la Centralblatt für die Gesamte Therapie. Il y résume les connaissances de l’époque sur la coca et le résultat de ses observations. Selon Freud, la cocaïne est le premier médicament capable de stimuler les centres nerveux et il la recommande pour traiter les mélancolies, les hypochondries et  les dyspepsies. Freud émet aussi l’hypothèse que la cocaïne aide à guérir de la morphine; il donne sept références qui toutes proviennent de la Therapeutic Gazette.

Grand bruit dans le monde médical.

Pendant ce temps, son ami Köller fait quelques expériences avec la cocaïne.

Il en donne un peu à un collègue qui lui signale qu’elle lui engourdit la langue, ce à quoi Köller répond : « Oui, tous ceux qui en ont pris ont fait la même remarque. » Il écrit qu’à ce moment, il a « subitement réalisé » qu’il avait dans sa poche l’anesthésique local, sans seringue.