Il y a 80 ans, la guerre d’Espagne (et les Québécois)
Extrait de: Petite histoire des camarades québécois
Le Frente popular
Le 16 février 1936, le Frente popular d’Espagne, qui regroupe tout ce qui est à gauche, gagne les élections d’une faible longueur.
Cette victoire est accompagnée de vandalisme contre les églises et les couvents. Gestes dangereux dans une démocratie encore trop récente et fragile pour faire face aux nostalgiques de l’autorité des années précédentes. Quatre mois plus tard, un groupe de généraux, dont Francisco Franco, se soulève contre le gouvernement républicain.
En moins d’une semaine, Mussolini et Hitler envoient de l’aide militaire. Une guerre civile devient internationale et idéologique.
Un médecin montréalais de 46 ans est outré. «C’est en Espagne que se livre le combat fondamental de notre temps. C’est là que se décide le sort de la démocratie», écrit Norman Bethune, chef de chirurgie thoracique à l’hôpital du Sacré-Cœur, LE spécialiste de la tuberculose en Amérique du Nord. Membre du Parti depuis l’automne 1935, il a fait scandale à la Montreal Chirurgical Society avec sa conférence Take the Profit out of Medecine prônant une médecine plus sociale.
· Le journaliste Jean Paré brosse un portrait du chirurgien canadien Normand Bethune (4 septembre 1972, radio, 14 min. 20 sec.)
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À l’exception de quelques rares intellectuels et d’une poignée de radicaux, les Canadiens français se rangent comme un seul catholique derrière Franco qui combat les républicains espagnols, ces «blasphémateurs qui détruisent les merveilles de l’Espagne et massacrent les prêtres et les religieuses». Effectivement, des dizaines de milliers de prêtres, de religieux et de religieuses sont assassinés dans les premiers mois de la guerre. C’est la persécution la plus sanglante de l’histoire de l’Église.
Aussi, après l’Italie de Mussolini et l’Allemagne d’Hitler, le Vatican est le troisième pays qui reconnaît Franco.
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Officiellement, les groupes de pression pour Madrid, la Canadian League for Peace and Democracy, le Comité d’aide à l’Espagne (CAE), etc., sont dirigés par des pacifistes convaincus comme Frank R. Scott, professeur de droit de McGill, ou les pasteurs des églises protestantes de Montréal. Le Parti, qui manipule tous ces groupes, veut les présenter comme le fruit d’une campagne populaire.
Pour mousser la cause républicaine, la section montréalaise du Comité d’aide à l’Espagne (CAE) organise à l’automne 1936 la visite à Montréal d’une délégation espagnole en tournée aux États-Unis. L’Église se déchaîne. La visite est aussitôt dénoncée par monseigneur Georges Gauthier, qui fait lire en chaire par tous les curés de la métropole sa lettre pastorale contre le communisme. La Société Saint-Jean-Baptiste demande au Premier ministre Duplessis et à la ville de Montréal d’interdire une assemblée qui peut «mettre en danger la paix et l’ordre public.»
Lorsque les délégués espagnols arrivent de Toronto le 23 octobre au matin, quelque 200 étudiants de l’Université de Montréal se présentent à l’hôtel de ville pour réclamer l’interdiction de l’assemblée de l’Aréna Mont-Royal. Ils l’obtiennent.
Le comité d’organisation multiplie en vain les efforts pour trouver une salle. Impossible. La grande assemblée est annulée. En soirée, une réunion se tient à l’hôtel Mont-Royal où loge la délégation. Pendant ce temps, quelque 2 500 étudiants sont massés devant l’Aréna Mont-Royal, scandant «À bas les communistes!», «À bas l’impérialisme!» et «À bas les juifs!» Ils sont dispersés par la police.
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Los Canadienses: les héros clandestins
Quelques semaines plus tard, en décembre, des volontaires convaincus, dont le Gaspésien Amédée Grenier, le Montréalais Rosario Martineau, Lauradin Roy, Napoléon Brais, Lucien Tellier, Roger Bilodeau, en tout une trentaine de Canadiens français, quittent discrètement le pays pour New York, d’où ils s’embarquent pour la France. Tout est organisé par le Komintern qui recrute des volontaires dans tous les pays où se trouve un Parti communiste. Ses agents leur font traverser la frontière espagnole pour rejoindre Albacete, la capitale mondiale du safran et le lieu de rassemblement des Brigades internationales: 40 000 hommes, venus de 50 pays pour se battre contre Franco. La plupart se joignent aux Américains de la Brigade Abraham Lincoln. Puis, en 1937, ils ont leur unité autonome, le bataillon MacKenzie-Papineau (en mémoire des chefs anglophone et francophone des rébellions de 1837), qui fait partie du Quinzième Régiment International des Brigades internationales.
Grâce au Komintern, les communistes sont les plus nombreux et les mieux organisés. Mais on y trouve aussi des socialistes, des anarchistes, des aventuriers. Beaucoup deviendront célèbres par la suite, George Orwell, André Malraux, Tito, etc. L’Espoir d’André Malraux, Pour qui sonne le glas d’Hemingway rendent le son de l’époque.
Les brigades donnent à la guerre civile un caractère international et un prélude à la lutte européenne contre les fascistes. C’est le zénith du prestige communiste en Occident. Ce qui permet au deuxième procès de Moscou de passer comme dans du beurre et surtout à la Grande terreur de passer sous le radar des journalistes.
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À la fin 1936, le docteur Norman Bethune était parti offrir ses services en Espagne. Il y est devenu une légende.
À cette époque, on n’avait encore fait de transfusion de sang que de personne à personne, la création de banques de sang conservé en ampoules était encore expérimentale. Le premier dans le monde, Norman Bethune a organisé la première unité mobile de transfusion sanguine sur la ligne de front. La technique mise au point par Bethune a été raffinée et utilisée depuis dans toutes les guerres.
En juin 1937, il revient au pays recueillir des fonds pour les enfants victimes de la guerre: 250 personnes en délire l’attendent à la gare Bonaventure. Bethune leur répond poing levé, le salut du Front populaire.
Au son d’airs de la république espagnole et décoré de bannières aux couleurs de la République, l’Aréna Mont-Royal se remplit de plus de 15 000 personnes dont plusieurs doivent demeurer debout. Après une longue ovation, Bethune, optimiste, résume la situation en Espagne, raconte ce qu’il a vu, affirme que, fort de l’appui de la population, la république est sûre de sa victoire. «L’Espagne peut être le tombeau du fascisme».
Deux mois plus tard (le 20 août 1937), Le Devoir et L’Action catholique publient une lettre des évêques et archevêques d’Espagne. «On les (les religieux) a mutilés affreusement avant de les tuer; on leur a crevé les yeux, coupé la langue, on les a éventrés, brûlés ou enterrés vifs, tués à coups de hache.»
· La guerre d’Espagne (documentaire de l’ONF)
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«Vous êtes l’histoire! Vous êtes la légende!»
Durant l’automne 1938, le gouvernement espagnol retire du champ de bataille toutes les brigades internationales. Il espère, naïvement, que Franco fera de même avec les Allemands et les Italiens. Le 29 octobre 1938 à Barcelone, Dolorès Ibarruri, la Passionara du parti communiste, adresse aux Brigades le dernier adieu de l’Espagne: «Vous êtes l’histoire! Vous êtes la légende!»
À partir de l’hiver 1938, les survivants du bataillon MacPap quittent l’Espagne; 272 arrivent à Halifax le 6 février. Un petit groupe de journalistes et de sympathisants les attend. Barcelone est déjà tombée aux mains de Franco. Seule Madrid résiste encore. Les Mac-Pap ne font qu’un bref arrêt à Montréal avant de poursuivre vers Toronto. À la gare Union, 10 000 personnes les accueillent comme des héros.
Sur les quelque 1 200 Canadiens qui se sont battus en Espagne, seulement la moitié, plusieurs grièvement blessés, reverront leur pays. Ils se tairont longtemps. Leur engagement aux côtés des brigades internationales, leur histoire et leur courage resteront inconnus, particulièrement au Québec.
Le 28 mars 1939, Franco prend Madrid. L’Espagne rejoint les rangs des pays fascistes.