Extrait de «Petite histoire des camarades québécois»

dsc0215112

 

Le rêve brisé

24 février 1956: trois ans après la mort de Staline, le XXe Congrès du Parti communiste d’Union soviétique s’achemine vers une fin sans surprise. Pendant dix jours, les 1430 délégués soviétiques et les représentants de 55 partis communistes venus du monde entier ont entendu le Secrétaire du Parti, Nikita Khrouchtchev, quelques bonzes et une centaine d’orateurs. Des observateurs attentifs remarquent le pesant silence sur Staline «le guide génial», le «petit père des peuples», que Khrouchtchev lui-même ne nomme que deux fois sans insister.

Durant la soirée, surprise, les camarades des partis frères sont priés de quitter la salle. Le Secrétaire du Parti, Khrouchtchev doit s’adresser, à huis clos, aux seuls délégués soviétiques. Pétrifiés, ces derniers écoutent, durant plus de quatre heures, Nikita Khrouchtchev lire un rapport entièrement consacré à Staline.

Khrouchtchev lit le Testament de Lénine qui mettait le Parti en garde contre la brutalité de Staline. Il dénonce longuement les procès de Moscou fabriqués contre des «communistes honnêtes» à qui on a arraché, grâce à des «tortures cruelles et inhumaines», des «méthodes bestiales» les aveux les plus insensés; les purges qui ont décimé les dirigeants et les cadres communistes. Le rapport dit que la cause du mal est le «culte de la personnalité» que Staline a organisé autour de sa propre personne.

Le rapport secret n’est pas traduit. La plupart des dirigeants des partis communistes étrangers ne l’ont pas lu. Ils n’ont droit qu’à un résumé. Et encore, ils doivent l’exiger.

Tim Buck le sécrétaire du Parti communiste canadien revient à la fin d’avril et minimise l’importance du rapport. «Il y eut des rumeurs de culte de la personnalité mais c’est maintenant réglé.»

Des rumeurs circulent sur le rapport, les discussions sont vives parmi les membres du Parti. Puis le texte intégral du rapport paraît le 4 juin dans le New York Times.

 

Les communistes angoissés, sous le choc, réalisent qu’ils ont été naïfs sinon complices. Ils croyaient que le marxisme était infaillible, que se construisait en URSS une société socialiste, plus juste et plus humaine. En attendant les explications de Moscou, les réunions du parti deviennent un divan de psy.

Le 30 juin, Moscou refuse de commenter le rapport sauf pour signaler «le culte de l’individu» précisant qu’insister sur le reste nuira à la cause du communisme. Bref, on ne veut pas de débat. Il y en aura un.

Les communistes canadiens ne sont pas satisfaits. Ils veulent comprendre comment un seul homme a-t-il pu commettre autant de crimes sans le support de l’élite du parti? Comment le parti a-t-il pu toléré l’antisémitisme à l’encontre de tous les principes de base du marxisme opposé à toutes les formes d’oppressions nationales et de racismes? En août, le Parti envoie Tim Buck et Joe Salzberg en URSS pour chercher les réponses.

À la mi-octobre, assemblée publique tendue à Montréal: Tim Buck et J. B. Salsberg, de retour d’URSS, rendent compte des résultats de leurs entretiens avec des dirigeants soviétiques. Les versions de J. B. Salsberg et de Tim Buck divergent. La plupart des militants sont insatisfaits des explications fournies par Tim Buck. Celui-ci s’entête, leur demande de s’incliner devant les explications de Moscou. C’est trop.

Les six membres de la direction de la province dont le responsable, Gui Caron, démissionnent. C’est la première fois dans l’histoire du communisme mondial que le leadership abdique en masse. (…)

Au moins, comme le signale pertinemment la Montréalaise Merrily Weisbord dans son livre Le rêve d’une génération, le meilleur sur le sujet, contrairement à ceux qui ont vécu dans les pays communistes, il n’ont jamais été poussés à s’emprisonner l’un l’autre et ils n’ont jamais tué personne.