Mary Mallon (wearing glasses) photographed with bacteriologist Emma Sherman on North Brother Island in 1931 or 1932, over 15 years after she had been quarantined there permanently.
https://www.pbs.org/wgbh/nova/typhoid/mary-01.html

Mary Mallon rêvait peut-être de devenir célèbre, mais certainement pas de cette manière. Cette cuisinière, intelligente et discrète selon ses patrons, a infecté 53 personnes, causé 3 morts et fut indirectement responsable de nombreux cas de fièvres typhoïde. Ce qui lui vaut d’être connue, dans les annales de la santé publique américaine, sous le sobriquet peut flatteur de «Typhoïd Mary». Un véritable fléau sur deux pattes.

Au tournant de 1906, six cas de fièvre typhoïde sont déclarés dans une riche résidence secondaire de Oyster Bay, à Long Island.  L’ingénieur sanitaire, George Albert Soper, du Département de santé de la ville de New-York, est appelé à faire enquête. Après de longues recherches il en vient à croire que la responsable de cette mini-épidémie est une certaine Mary Mallon qui a été cuisinière pour les personnes infectées.

A cette époque, les informations sur la transmission de la maladie et les porteurs sont récentes et partielles.  On sait que la maladie est transmise par la nourriture lorsque celle-ci est manipulée par une personne infectée.  D’autre part, des médecins allemands ont découvert quelques années plus tôt, le principe des porteurs intestinaux et le fait que ceux-ci diffusent à long terme la maladie.

Ce sont ces informations qui mettent la puce à l’oreille de George Soper.  Encore faut-il prouver que Mary est l’une de ces porteuses intestinales et dans ce cas, la soumettre à un traitement.  C’est là que démarre la saga de la longue poursuite entre le Département de santé de la ville de New-York et l’indomptable Typhoïd Mary, poursuite qui durera pas moins de 30 ans.

Au moment où l’ingénieur sanitaire en vient à ces conclusions, Mary Mallon ne travaille plus à Oyster Bay.  Soper la traque chez ses anciens employeurs où il apprend que Mary change souvent d’emploi et que, partout où elle a travaillé, des cas de fièvre typhoïde ont été signalés.  Ironie du sort notre héroïne s’offre aimablement à soigner les personnes contaminées.

Finalement, l’ingénieur sanitaire découvre Mary dans la cuisine d’une demeure de Park Avenue à Manhattan.  Sans ménagement, il lui apprend qu’il la suspecte de rendre les gens malades et qu’il désire des échantillons de sang, d’urine et de selles.  Il lui promet un traitement médical adéquat sans frais de sa part. La réponse de notre cuisinière est aussi rude que les demandes de Soper. Elle le chasse de la cuisine à coup de fourchette à dépecer la viande.

A l’instigation de Georges Soper, la ville de New-York envoie un officier de santé, le docteur S. Joséphine Baker, tenter de convaincre Mary.  Sans succès; les deux femmes de milieux différents ne parlent pas le même langage. Mary a peur et toutes les informations scientifiques que lui donne le docteur Baker ne la rassurent pas du tout.  Le lendemain l’officier revient avec ses assistants et enlève littéralement Mary qui crie et se débat tout le long du trajet qui l’amène à l’hôpital Riverside, un établissement spécialisé dans le traitement des patients atteints de maladie infectieuse.

Après de nombreux examens, Mary Mallon devient pour le monde scientifique Typhoïd Mary, la première porteuse intestinale identifiée des Etats-Unis, n’ayant pas développé les symptômes de la maladie.  Selon les termes même de Soper: un véritable «bouillon de culture humain».

Les médecins tentent de convaincre Mary  de subir une ablation de la vésicule biliaire qu’ils affirment être le lieu où se tiennent les germes de la maladie.  Elle refuse. Le Département de santé entreprend alors, par arrêt de justice, d’obliger Mary à demeurer en quarantaine à l’hôpital pour le reste de ses jours.  Elle engage un avocat et gagne sa cause. En 1910, la ville de New-York libère Mary à deux conditions: qu’elle ne manipule plus de nourriture et qu’elle se rapporte au Département de santé tous les 90 jours.  Elle disparaît.

Pendant cinq ans, alors que toute la ville de New-York la recherche activement, Mary Mallon vit comme une dangereuse criminelle.  Changeant continuellement d’identité, elle s’entête à poursuivre son métier de cuisinière, véritable ange de la mort, répandant la maladie et la mort sur son passage.

En 1915, une épidémie de fièvre typhoïde se déclare à la maternité Sloane de Manhattan.  Georges Soper découvre que Mary Mallon est passée par les cuisines de l’hôpital. La poursuite prend fin lorsqu’elle est finalement arrêtée chez un ami au moment même où elle prépare un dessert.

Elle ne quittera plus jamais l’hôpital Riverside, où elle persiste jusqu’à la fin à refuser tout traitement.  Notre tenace cuisinière finit même par y troquer son tablier pour un sarreau de technicienne en laboratoire. Le 11 novembre 1938, à l’âge de 70 ans, elle meurt des suites d’une attaque de paralysie.