L’histoire des pensionnats autochtones vulgarisée en 1393 mots.
Extrait de Le Printemps indien.
En 1954, le responsable des Affaires indiennes, J.W. Pickersgill, déclare: «There is no doubt that eventually we want the Indians to be completely emancipated and enfranchised and just be ordinary citizens.»
Le défi est de taille car si, de 1880 à 1940, le nombre d’Indiens est resté stable, tout change à partir de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. La population indienne
augmente; il ne s’agit pas ici du baby boom qui se manifeste à la grandeur de l’Amérique, mais des effets de la baisse de la mortalité infantile due à ces drogues miracles que sont les antibiotiques. Les réserves, même celles qui ont été créées peu de temps auparavant, débordent.
Par ailleurs, il faut aussi se demander comment assimiler efficacement ces Dénés, ces Cris, ces Innus, qui vivent toujours en nomades de chasse et de pêche dans la forêt boréale ; ils représentent tout de même la moitié de la population indienne du Canada. D’Ottawa, encore une fois, jaillit la lumière: si les Indiens n’entrent pas volontiers dans le monde civilisé, c’est parce qu’ils ont peur. Les Indiens du nord sont encore moins prêts que les autres à affronter un milieu qui ne leur semble pas accueillant. Il faut donc les préparer et, pour ce faire, fixer une fois pour toutes ces populations dans des réserves. Durant les années cinquante, on déporte les derniers nomades dans ce qui représente pour eux des camps de réfugiés. Ce n’est pas sans mal, car les Indiens refusent de se laisser mettre en cage. Mais là au moins, on ne crève pas de faim, puisqu’on y distribue les rations du fédéral. L’une après l’autre, les bandes se rapportent et, en 1957, même les plus irréductibles, les Naskapis, vivent en réserve.
Le regroupement des Indiens nordiques dans un lieu fixe n’est qu’une mesure préalable à l’assimilation. Eux aussi il faut les scolariser, toujours dans le but de faciliter leur intégration à la société blanche. Or, en dépit de leur attachement à une bande ou à une réserve, plusieurs familles de ces tribus continuent à passer les longs mois de l’hiver dans les bois, pour chasser. Ils n’en vivent pas, mais ils y trouvent une partie de leur nourriture et le plaisir de vivre à leur façon. Ces rythmes de vie et ceux de l’école sont inconciliables. On aurait pu faire comme les Danois au Groenland et permettre aux enseignants d’élaborer des programmes scolaires d’inspiration autochtone et d’utiliser en classe leur langue maternelle. Mais cette solution est écartée parce qu’elle ne respecte pas les objectifs d’intégration.
Au Canada, l’école devient simplement obligatoire pour tous les jeunes Indiens, y compris ceux du Nord, quitte à ce que les Indiens modifient en conséquence l’organisation de leur vie. On désigne même un « agent de surveillance», à qui le ministère confère le pouvoir de mettre en détention un enfant qu’il a des « motifs raison nables de croire absent de l’école», en employant autant de force que l’exigent les circonstances (Loi des Indiens du Canada, art. 119, alinéa 6).
Il n’est évidemment plus question pour les parents d’amener leurs enfants avec eux dans les bois pendant l’année scolaire, comme ils en avaient l’habitude, et de leur raconter les légendes et l’histoire de leur peuple et les liens de parenté qu’ils ont tous avec la terre. Maintenant, ils hésitent à partir seuls. Certains décident de rester, tournent en rond sur la réserve, sans emploi, mais ainsi ils voient leurs enfants. D’autres partent, pour des périodes de plus en plus courtes. L’organisation de la chasse est perturbée, car, tout autant que la trappe, elle nécessite une étroite collaboration entre l’homme et la femme. Le premier rapporte la peau, mais ce sont les femmes qui nettoient, tannent, tendent les peaux, etc. D’autres groupes s’organisent pour la chasse, et, pendant que les aînés et les tout petits enfants s’enfoncent dans les bois, de plus en plus de femmes, mères d’enfants d’âge scolaire, restent seules sur la réserve, souffrant de cet isolement. C’est un dur coup porté à l’organisation sociale et familiale des Indiens du Nord.
Dans les réserves qui sont assez proches des villes, on envoie les enfants à l’école des Blancs où, comme d’autres avant eux, ils apprennent le martyre des missionnaires canadiens, Jogues, Brébeuf, René Goupil, sans oublier le massacre de Lachine. En même temps que les écoliers canadiens, ils doivent supporter qu’on leur dise que leurs ancêtres étaient fourbes et cruels, leurs parents complètement inutiles et eux-mêmes, dont les succès scolaires ne sont pas retentissants, de parfaits ingrats devant la chance que leur donne le gouvernement fédéral.
Quant aux enfants qui demeurent trop loin des écoles blanches, on leur impose un des régimes les plus anti- pédagogiques qui soient: les pensionnats indiens. On en crée un à Sept-Îles en 1952, un autre à Amos, et d’autres un peu partout au Canada. C’est ainsi que les Cris de la baie James se rendent dans le nord de l’Ontario, ou à Sault Sainte-Marie, où ils sont regroupés pendant dix mois. Dans ces pensionnats, on leur impose à la lettre le programme scolaire de l’Ontario. Cet exil brutal pour un enfant de 10 ans devient tragique lorsqu’il doit faire face à des professeurs racistes, qui le punissent quand ils le surprennent à parler sa langue maternelle. Un de ces enfants a fait la manchette de l’actualité, par sa fugue tragique qui s’est terminée dans les bois du nord de l’Ontario, où il est mort de froid. Il voulait rentrer chez lui.
Loin de sa famille pendant de longs mois chaque année, l’enfant oublie comment chasser, pêcher ou trapper, art qu’il ne peut apprendre que pendant sa « visite » d’été. Les enfants étant de plus en plus coupés de leurs familles, les liens familiaux se relâchent. On peut lire dans le plus pur style « Indians Affairs » de ces années, le commentaire suivant publié dans L’indien entre deux mondes: « De même un bon nombre de parents attachent plus d’importance à ce qu’on apprend au foyer qu’à ce qui s’enseigne à l’école. Il leur déplaît qu’à leur retour, les enfants ne se conduisent parfois plus comme des Indiens, qu’ils ne connaissent rien des occupations traditionnelles de la chasse et de la pêche, qu’ils méprisent la mentalité de leurs aînés et la culture indienne. » (Publication du ministère des Affaires indiennes.)
À la fin des années 1950, à l’exception du petit groupe innu de Saint-Augustin, loin sur la Basse Côte- Nord, il n’y a plus d’Indiens nomades. Les grandes déportations sont terminées, tous vivent principalement dans les réserves. Les parents reconnaissent de moins en moins leurs enfants scolarisés et plus du tout leurs territoires de chasse, où ils rencontrent des géologues et des ingénieurs forestiers presque aussi souvent que des orignaux. Les Indiens sont sans travail sur la réserve, leurs traditions s’effilochent, mais ils refusent de perdre le peu qui leur reste pour émigrer vers la ville. Certains n’ont pas le choix: les femmes indiennes chassées par un mariage « blanc », leurs enfants, les Indiens sans statut et les quelques Indiens qui croient aux vertus de l’assimilation.
Le fédéral reste optimiste: il augmente quelque peu les pouvoirs des conseils de bande en vue de leur transformation éventuelle en conseil municipal présidé par un maire. Confiant dans l’assimilation, il passe par-dessus la volonté des conseils de bande, pour commencer à transférer aux provinces des pouvoirs qui leur reviendront automatiquement quand les Indiens seront devenus de simples citoyens. Alors qu’en 1958, 20% seulement des enfants Indiens fréquentaient des écoles blanches provinciales, en 1965 il y en a 50%.
Dans son deuxième et dernier rapport déposé en 1961, le Comité conjoint de la Chambre des communes et du Sénat, qui étudie depuis 10 ans la situation, écrit: « The time is fast approching when the Indians people can assume the responsibility and accept the benefits of full participation as canadien citizens ».
Au milieu des années soixante, on constate l’ampleur de l’échec. La population indienne a doublé depuis la guerre, le système d’éducation mis en place pour assimiler les Indiens craque dangereusement et des organisations indiennes se créent un peu partout. Quant à l’assimilation elle se fait attendre.
En 1969, le gouvernement Trudeau essaie une autre stratégie : abolir de force le statut légal des Indiens et diviser les réserves.
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