Le 7 janvier 2015, des terroristes islamiques ont attaqué le local du journal satirique français Charlie Hebdo. Ils ont assassiné douze personnes, dont huit membres de la rédaction.

En juin dernier, Charlie Hebdo a publié un dossier : Code de la famille au Maroc : entre évolution et bigoterie.

Extraits

Au Maroc, comme dans d’autres pays musulmans, une fille hérite moitié moins que son frère, et si les parents n’ont que des filles? Ce sont les oncles ou les cousins qui héritent. C’est inscrit dans la Moudawana, le Code de la famille marocain. Un code qui régit tous les liens familiaux, mariage, divorce, héritage.., et qui a gravé dans le marbre des inégalités patriarcales. Le roi du Maroc, Mohamed VI, a appelé à sa réforme. Et depuis plusieurs mois, le débat fait rage dans le pays. Les islamistes sont montés au créneau, des féministes ont été menacées. Toute la difficulté repose sur le fait que la Moudawana est considér comme de droit divin et se base sur le Coran.

Rares sont les personnes à appeler à ce qu’elle devienne un Code civil, dissocié de la religion. Dans ce cadre contraint, les féministes et la société civile se mobilisent.

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Ce qui agite le pays depuis quelques mois, c’est un débat autour de la Moudawana, le code de la famille qui régit notamment l’autorité parentale, le mariage, le divorce, l’héritage.

Dans son discours du trône de juillet 2022, le Roi Mohamed VI a appelé à sa modification. Mais attention avec cette précision : «Je ne peux rendre licite ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé.»

Quelle marge de manœuvre reste-t-il pour modifier un code considéré comme étant de droit divin et basé sur le Coran? Promulgué entre 1957 et 1958, il entérine des lois patriarcales inspirées du texte religieux : répudiation, polygamie, inégalités dans l’héritage.

En 1992, l’Union de l’action féminine. (UAF) lance une campagne, et obtient 1 million de signatures en faveur d’une réforme. Une première modification a lieu en 1993 à la marche. Mais déjà, cela permet une désacralisation de ce code. Désormais, il peut être modifié. Une deuxième grande réforme a lieu en 2004, lancée déjà par Mohamed VI. À l’issue de cette réforme, les femmes ont alors le droit de demander le divorce, la polygamie est soumise à des conditions strictes et le mariage des mineurs est théoriquement interdit sauf dérogation de la justice. Et que se passe-t-il? Sans surprise, les dérogations données par les juges sont légion. Ainsi, 19 000 mariages de mineurs ont encore eu lieu en 2021. En 2011, une nouvelle Constitution dans le sillage du printemps arabe est promulguée. Son article 19 consacre l’égalité entre femmes et hommes dans tous les domaines. Ce qui fait dire à nombre de féministes marocaines que dorénavant la Moudawana est en retard par rapport à la Constitution.

Ghizlane Mamouni a créé le mouvement féministe Kif Mama kif Baba, « comme maman, comme papa. » Elle dit : « Je pensais que les inégalités étaient uniquement dans les mentalités. J’ai lu cette fameuse moudawana, et j’ai découvert que les inégalités étaient inscrites noir sur blanc. […] En cas de divorce, la garde revient à la mère. Mais la tutelle (la responsabilité légale) revient uniquement aux pères.» Cela signifie que Ghizlane n’avait aucun droit sur ses enfants. Pas son mot à dire concernant, par exemple, leur lieu de scolarisation. […] La législation interdit aussi à Ghizlane de voyager hors du territoire national avec ses deux enfants sans l’autorisation de leur père. « Même moi, j’ai dû batailler, et pourtant, je suis avocate. La plupart des femmes n’ont pas les mêmes chances. »

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Le combat le plus difficile reste l’égalité dans l’héritage. L’inégalité est inscrite noir sur blanc dans le Coran sur lequel se fonde la Moudawana. On ne cite pas souvent le Coran dans Charlie Hebdo, mais on peut y lire : « Au fils, une part équivalente à celle de deux filles (Sourate 4, verset 11). D’ailleurs, même en Tunisie, historiquement en pointe sur les droits des femmes, au Maghreb, l’égalité dans l’héritage n’a pas pu être mise en place. Au Maroc, le Parti de la justice et du développement (PJD), islamiste, est monté au créneau contre toute évolution sur ce point. Ils disent : « Certains ont osé appeler explicitement à l’égalité dans l’héritage. […] C’est une menace pour la stabilité nationale, liée à ce que le système successoral a établi dans la société marocaine depuis plus de 12 siècles ».

Les islamistes ont lancé plus globalement une campagne contre la réforme de la Moudawana, avec le hashtag « Ne touche pas à ma famille » sur Instagram, avec force témoignages d’hommes, mais aussi de femmes qui s’opposent à tout changement au nom de la stabilité et de la défense de la famille. Dans un pays où l’Islam est encore religion d’État, où la liberté de conscience n’existe pas dans les textes, les islamistes ont encore une grande influence.

Face à cela, la marge de manœuvre des féministes se situe dans un cadre restreint, celui du Coran. D’ailleurs, selon un sondage Afrobarometer, près de 8 Marocains sur 10 (78%) pensent que la réforme du Code de la famille doit être basée sur la loi islamique.

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Face aux menaces, les féministes ont fait front. Une plainte a été déposée. Des menaces organisées, où les auteurs parlaient du lieu de travail et des militantes. D’autres visaient directement leurs enfants. On pouvait même lire sur les réseaux cette référence à Charlie : « Dis à tes collègues que vous serez tous tués au bureau à Rabat comme Charlie Hebdo en 2015. Je le jure devant Dieu. Vous encouragez les LGBT, les relations hors mariage et l’athéisme. Vous méritez de mourir. »

Liens

Portrait de Ghizlane Mamouni.

Pédophilie au Maroc : “Kif Mama Kif Baba” revendique une refonte du code pénal

Yousra El Barad, membre de la Fédération des ligues des droits des femmes. FDLF. Association féministe.